lundi 1 novembre 2021

Emmanuel Kant

 

Emmanuel Kant

 



Les actions humaines, sont ainsi que tous les autres faits de la nature, déterminés par des lois générales. Emmanuel Kant

Les températures diverses ne peuvent être prédites exactement, mais qui dans leur ensemble ont entretenu au bout de l’année la végétation, le cours des fleuves, la marche uniforme et non interrompue de la Nature. Emmanuel Kant

Il faudrait que la vie d’un homme fût immensément prolongée pour qu’il apprît à faire un usage complet de toutes ses facultés. Emmanuel Kant

Mais comme la Nature en a borné le terme à un si court espace, elle a besoin d’une série peut-être incalculable de générations, dont chacune livre à la suivante ses connoissances acquises, pour pousser le germe de perfectionnement, qu’elle a placé dans notre espèce jusqu’à tel degré de développement qui réponde enfin à ses vues. Emmanuel Kant

La nature de l’homme le dispose visiblement à cet état contradictoire. Il a un penchant à s'associer, parce que dans cette union avec ses semblables il se sent plus homme, c’est-a-dire, qu’il sent mieux le développement de ses dispositions naturelles. Emmanuel Kant

Mais il a un penchant égal à s’isoler, parce qu’il trouve aussi en lui-même cette prétention anti-sociale de tout conduire suivant son propre sens Emmanuel Kant

L’homme demande la concorde ; la Nature qui sait mieux ce qui convient à l’espèce, lui commande la discorde. Il veut vivre à son aise et content ; la Nature veut qu’il sorte de la fainéantise, qu’il dédaigne l’inactive modération, qu’il se livre aux travaux, aux fatigues, et qu’au milieu de ces dernières, il trouve les moyens de s’en tirer prudemment un jour Emmanuel Kant

Le problème le plus important pour les hommes, à la solution duquel la Nature les contraint, c’est d’atteindre à l’établissement d’une société civile générale, qui maintienne le droit. Emmanuel Kant

Le but le plus élevé de la Nature, le développement de toutes ses dispositions dans l’espèce humaine. Emmanuel Kant

L'animal homme, réuni à d’autres de son espèce, a besoin d’un maître : car il abusera, sans nul doute, de sa liberté à l’égard de ses semblables ; Emmanuel Kant

Est certain que chacun abusera toujours de sa liberté, tant qu’un autre plus puissant ne le contiendra point dans les bornes de la loi. Emmanuel Kant

Toutes les guerres, (non dans les vues des hommes, mais dans celles de la Nature) ne sont que des moyens qui amènent entre les états de nouveaux rapports ; qui, par la subversion ou le dépècement des anciens, parviennent à figurer de nouveau corps. Emmanuel Kant

La Nature suit un plan régulier ? qu’elle conduit insensiblement notre espèce du dernier degré de la condition animale, jusqu’au degré le plus élevé de la condition humaine ? Emmanuel Kant

Qu’elle emploie pour y parvenir cette conduite à laquelle elle force malgré eux les hommes ? et que cet ordre, en apparence sauvage, lui sert à développer avec régularité ses dispositions primordiales ? Emmanuel Kant

Tout se réduit donc à-peu-près à cette question : Est-il raisonnable de supposer que les dispositions de la Nature, qui ont un but dans toutes les parties, soient sans but dans l’ensemble ? Emmanuel Kant

L’emploi de toutes les forces des corps politiques à des préparatifs menaçans, par les désolations que causent les guerres, et encore plus par la nécessité de s’y tenir continuellement prêt, le développement des dispositions de la Nature y est retardé dans sa marche Emmanuel Kant

Nous sommes par les arts et les sciences cultivés dans un degré éminent, nous sommes jusqu'à l’excès, presque jusqu’au dégoût civilisés, polis et gracieux ; mais pour moralités, certes nous en sommes encore loin. Emmanuel Kant

On peut considérer l’histoire de l’espèce humaine en grand comme l’exécution d’un plan caché de la nature, laquelle tend à établir une parfaite constitution intérieure, et pour y parvenir une pareille constitution extérieure des états ; comme le seul ordre de choses où puissent se développer entièrement les dispositions qu’elle a placées dans l’espèce humaine. Emmanuel Kant

On y voit que deux choses frappèrent l’esprit de ce philosophe : D’une part l’impuissance de l’ancienne métaphysique à se constituer à l’état de science, malgré ses prétentions dogmatiques. Il partage le mépris de son siècle pour ce « vieux dogmatisme vermoulu (p. 7) ; » mais il repousse en même temps comme indigne de l’esprit humain l’indifférence à l’égard des questions agitées par la métaphysique (v. p. 7. et p. 23). Là est une partie de son originalité. D’autre part, l’insuffisance de cette physiologie de l’entendement humain, à la manière de Locke, qui se fonde sur un empirisme dénué de tout caractère vraiment scientifique, et aboutit, avec Hume, à un scepticisme non moins incapable de satisfaire la raison. Tout en rejetant l’ancienne métaphysique, il ne peut se contenter de cet empirisme et de ce scepticisme où s’arrêtaient alors tant d’esprits. C’est là le second trait de son originalité. Emmanuel Kant

: « C’est que nous ne connaissons à priori des choses que ce que nous y mettons nous-mêmes la part que nous apportons à priori dans notre connaissance de la nature sert précisément à la rendre possible, et qu’en dehors de cet usage, elle ne saurait avoir de signification. Emmanuel Kant

Kant conçoit l’œuvre à laquelle il donne le nom de critique de la raison pure (spéculative), parce qu’elle porte sur les éléments à priori de la connaissance, dont elle a pour but de déterminer la valeur et la portée. Emmanuel Kant

Si donc il y à dans notre connaissance des principes qui soient nécessaires et universels, on peut tenir pour certain qu’ils ne viennent pas de l’expérience Emmanuel Kant

Ce n’est pas étendre les sciences, mais les dénaturer, que de confondre leurs limites. Emmanuel Kant

Or celles de la logique sont déterminées de la manière la plus exacte par cela seul qu’elle est une science qui expose détail et démontre rigoureusement les règles formelles de toute pensée (que cette pensée soit à priori ou empirique, qu’elle ait telle ou telle origine et tel ou tel objet, et qu’elle rencontre dans notre esprit des obstacles accidentels ou naturels). Emmanuel Kant

Dépenser inconsidérément son revenu, sans pouvoir discerner ensuite, lorsqu’on se trouve dans l’embarras, quelle partie des recettes peut supporter la dépense et sur quelle partie il faut la restreindre. Emmanuel Kant

Aucune connaissance ne précède donc en nous, dans le temps, l’expérience, et toutes commencent avec elle. Emmanuel Kant

Si donc on conçoit un jugement comme rigoureusement universel, c’est-à-dire dire comme repoussant toute exception, c’est que ce jugement n’est point dérivé de l’expérience, mais que sa valeur est absolument à priori. Emmanuel Kant

Ces problèmes inévitables{1089} de la raison pure sont Dieu, la liberté et l’immortalité. Emmanuel Kant

Une partie de ces connaissances, les connaissances mathématiques, sont depuis longtemps en possession de la certitude, et font espérer le même succès pour les autres, quoique celles-ci soient peut-être d’une nature toute différente. notre penchant à étendre nos connaissances ne connaît plus de bornes. La colombe légère, qui, dans son libre vol, [53]fend l’air dont elle sent la résistance, pourrait s’imaginer qu’elle volerait bien mieux encore dans le vide. C’est ainsi que Platon, quittant le monde sensible, qui renferme l’intelligence dans de si étroites limites, se hasarda, sur les ailes des idées, dans les espaces vides de l’entendement pur. Il ne s’apercevait pas que, malgré tous ses efforts, il ne faisait aucun chemin, parce qu’il n’avait pas de point d’appui où il pût appliquer ses forces pour changer l’entendement de place. Emmanuel Kant

Une grande partie, et peut-être la plus grande partie de l’œuvre de notre raison, consiste dans l’analyse des concepts que nous avons déjà des objets. Emmanuel Kant

Qu’une sorte de métaphysique se forme réellement chez tous les hommes, dès que leur raison est assez mûre pour s’élever à la spéculation comment la métaphysique est-elle possible à titre de disposition naturelle ? c’est-à-dire comment naissent de la nature de l’intelligence humaine en général ces questions que la raison pure s’adresse et que ses propres besoins la poussent à résoudre aussi bien qu’elle le peut comment la métaphysique est-elle possible à titre de science ? Emmanuel Kant

la [68]raison est la faculté qui nous fournit les principes de la connaissance à priori. La raison pure est donc celle qui contient les principes au moyen desquels nous connaissons quelque chose absolument à priori. Emmanuel Kant

C’est donc au moyen de la sensibilité que les objets nous sont donnés, et elle seule [74]nous fournit des intuitions ; mais c’est par l’entendement qu’ils sont pensés, et c’est de lui que sortent les concepts{1107}. Emmanuel Kant

L’espace n’est autre chose que la forme de tous les phénomènes des sens extérieurs, c’est-à-dire la seule condition subjective de la sensibilité sous laquelle soit possible pour nous une intuition extérieure. Emmanuel Kant

Ce que nous nommons objets extérieurs consiste dans de simples représentations de notre sensibilité, Emmanuel Kant

Le temps n’est pas un concept empirique ou qui dérive de quelque expérience. En effet, la simultanéité ou la succession ne tomberaient pas elles-mêmes sous [86]notre perception, si la représentation du temps ne lui servait à priori de fondement. Emmanuel Kant

Le temps n’est autre chose que la forme du sens interne, c’est-à-dire de l’intuition de nous-mêmes et de notre état intérieur. En effet, il ne peut être une détermination des phénomènes extérieurs : il n’appartient ni à la figure, ni à la position, etc.; mais il détermine lui-même le rapport des représentations dans notre état intérieur. Emmanuel Kant

Le temps n’est donc autre chose qu’une condition subjective de notre (humaine) intuition (laquelle est toujours sensible, c’est-à-dire ne se produit qu’autant que nous sommes affectés par des objets) ; en lui-même, en dehors du sujet, il n’est rien. Emmanuel Kant

Cette théorie qui attribue au temps une réalité empirique, mais qui lui refuse la réalité absolue et transcendentale, Emmanuel Kant Jaune surlignement | Emplacement: 79,018

Si l’on retranche de cette intuition la condition particulière de notre sensibilité, alors le concept du temps disparaît aussi, car il n’est point inhérent aux choses mêmes, mais seulement au sujet qui les perçoit. Emmanuel Kant

Le phénomène doit toujours être envisagé sous deux points de vue : l’un, où l’objet est considéré en lui-même (indépendamment de la manière dont nous l’apercevons, mais où par cela même sa nature reste toujours pour nous [94]problématique) ; l’autre, où l’on a égard à la forme de l’intuition de cet objet, laquelle doit être cherchée dans le sujet auquel l’objet apparaît, non dans l’objet lui-même, mais n’en appartient pas moins réellement et nécessairement au phénomène qui manifeste cet objet{1122}. Emmanuel Kant

Dans l’espace considéré en soi, il n’y a rien de mobile ; il faut donc que le mobile soit quelque chose que l’expérience seule peut trouver dans l’espace, par conséquent une donnée empirique{1124}. Emmanuel Kant

Ce n’est pas le temps lui-même qui change, mais quelque chose qui est dans le temps. Emmanuel Kant

Toutes nos intuitions ne sont autre chose que des représentations de phénomènes Emmanuel Kant

Quand même nous pourrions porter notre intuition à son plus haut degré de clarté, nous n’en ferions point un pas de plus vers la connaissance de la nature même des objets. Car en tous cas nous ne connaîtrions parfaitement que notre mode d’intuition, c’est-à-dire notre sensibilité, toujours soumise aux conditions d’espace et de temps originairement inhérentes au sujet ; quant à savoir ce que sont les objets en soi, c’est ce qui nous est impossible même avec la connaissance la plus claire de leurs phénomènes, seule chose qui nous soit donnée. Emmanuel Kant

Peut être, comme représentation, antérieur à tout acte de penser quelque chose, est l’intuition Emmanuel Kant

Notre connaissance dérive de deux sources, dont la première est la capacité de recevoir des représentations (la réceptivité des impressions), et la seconde, la faculté de connaître un objet au moyen de ces représentations (la spontanéité des concepts). Par la première un objet nous est donné ; par la seconde, il est pensé dans son rapport à cette représentation (considérée comme simple détermination de l’esprit). Emmanuel Kant

Intuition et concepts, tels sont donc les éléments de toute notre connaissance, de telle [111]sorte que ni les concepts sans une intuition qui leur corresponde de quelque manière, ni l’intuition sans les concepts ne peuvent fournir une connaissance. Emmanuel Kant

La sensation est la matière de la connaissance sensible. L’intuition pure ne contient que la forme sous laquelle quelque chose est perçu ; et le concept pur, que la forme de la pensée d’un objet en général. Les intuitions et les concepts purs ne sont possibles qu’à priori ; les empiriques ne le sont qu’à posteriori. Emmanuel Kant

Jaune surlignement | Emplacement: 79,278

Sans la sensibilité, nul objet ne nous serait donné ; sans l’entendement, nul ne serait pensé. Des pensées sans matière sont vides ; des intuitions sans concepts sont aveugles. Aussi est-il tout aussi nécessaire de rendre sensibles les concepts (c’est-à-dire d’y joindre un objet donné dans l’intuition), que de rendre intelligibles les intuitions (c’est-à-dire de les ramener à des concepts). Emmanuel Kant

L’entendement ne peut rien percevoir, ni les sens [112]rien penser. La connaissance ne peut résulter que de leur union. Emmanuel Kant

Comme logique pure, elle n’a point de principes empiriques ; par conséquent (bien qu’on se persuade parfois le contraire) elle ne tire rien de la psychologie, qui ne saurait avoir aucune influence sur le canon de l’entendement. Elle est une doctrine démontrée, et tout y doit être parfaitement certain à priori. Emmanuel Kant

La morale pure, qui contient uniquement les lois morales nécessaires d’une volonté libre en général, et l’éthique{1141} proprement dite qui examine ces lois par rapport aux obstacles qu’elles rencontrent dans les sentiments, les inclinations et les passions auxquelles les hommes sont plus ou moins soumis. Emmanuel Kant

La vérité est l’accord de la connaissance avec son objet, la dialectique, qu’elle n’était autre chose pour eux que la logique de l’apparence. C’était en effet un art sophistique dont on se servait pour donner à son ignorance ou même à ses artifices calculés{1143} la couleur de la vérité, de manière à imiter cette méthode de solidité{1144} que prescrit la logique en général et à en mettre la topique à contribution pour faire passer les plus vaines allégations. Emmanuel Kant

Mais, comme il est très-attrayant de se servir de ces connaissances et de ces principes purs de l’entendement sans tenir compte de l’expérience, ou même en sortant des limites de l’expérience, qui seule peut nous fournir la matière (les objets) où s’appliquent ces concepts purs, l’esprit court le risque de faire, à l’aide de vains raisonnements, un usage matériel des principes simplement formels de l’entendement pur, et de prononcer indistinctement sur des objets qui ne nous sont pas donnés et qui peut-être ne peuvent l’être d’aucune manière. Emmanuel Kant

 

 

 

 

 


L’Héritage des Lumières, Antoine Lilti, Hautes Etudes Ehess Gallimard Seuil

 

L’Héritage des Lumières, - T - Antoine Lilti, Hautes Etudes Ehess Gallimard Seuil

 



 

A la fin du XXe siècle, avec le triomphe du libéralisme politique sur la scène intellectuelle et des démocraties libérales sur le terrain géopolitique, les Lumières n’avaient plus d’adversaires. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 

Défi aux héritiers proclamés des Lumières : le projet d’autonomie fondé sur la raison aurait-il dérivé en individualisme égoïste, serait-il à l’origine des excès d’un monde froid et calculateur, dominé par l’économisme marchand, l’exploitation industrielle de la nature et l’imposition d’un ordre mondial dominé par les Occidentaux ? Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 

Les Lumières, qui furent longtemps tenues pour une pensée de l’émancipation, seraient-elles devenues conservatrices ? Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 

Comment expliquer que si peu de philosophes, à quelques exceptions notables, comme Condorcet, aient défendu l’égalité des sexes, y compris sur le plan intellectuel ? Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 

Margaret Jacob sur les sciences et la franc-maçonnerie, ... sur les lieux de sociabilité (académies, cafés, salons, loges maçonniques), Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 

Les idées font-elle l’histoire, notamment les révolutions ? Ou ne sont-elles que le fruit de mutations sociales ou culturelles qu’il s’agit avant tout de reconstituer ? Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 

L’héritage des Lumières reste un trait essentiel de la pensée moderne : « Si nous nous considérons comme modernes, si nous sommes progressistes, tolérants et généralement ouverts d’esprit […], alors nous tendons à nous penser comme éclairés. » Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 

Les documents présentés dans l’exposition étaient certes un héritage, mais un héritage actif, à même de produire des effets politiques et moraux salutaires, à condition de ne pas demeurer de simples objets d’étude, mais de libérer leur pouvoir spirituel : « Tout le propos de ces trésors du XVIIIe siècle ici rassemblés est de rappeler le socle intellectuel et moral qu’il nous a légué, de rajeunir la réflexion critique et, enfin, de faire sortir du champ de l’érudition ces documents prestigieux en les offrant à l’examen de notre temps, pour la lucidité et pour l’action. » Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 

Les Lumières furent à la fois consacrées comme fondements intellectuels du monde libre et dénoncées, parfois vigoureusement, pour leur culte de la raison instrumentale ou pour leurs compromissions avec le colonialisme européen.

Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 

Les Lumières, qui voulaient rompre avec l’autorité de la tradition, sont devenues un argument d’autorité, un corpus d’œuvres canoniques qui imprègne en profondeur toute la culture occidentale. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 

Or les Lumières ne sont ni une doctrine cohérente ni un mythe fallacieux, mais le geste à la fois réflexif et narratif par lequel, dès le XVIIIe siècle, de nombreux auteurs ont cherché à définir la nouveauté de leur époque. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 

Qu’il s’agisse des ambivalences de l’autonomie individuelle, des potentialités et des dangers de l’exploitation de l’environnement, ou encore de l’autonomisation de l’ordre marchand, il est impossible d’identifier « les Lumières » à une position unique. Au contraire, elles se caractérisent par l’intensité de débats contradictoires et critiques. On y trouve aussi bien les germes d’un optimisme rationaliste, technophile et économiste, que les fondements d’une réflexivité inquiète, d’une conscience écologiste précoce et d’une critique de l’économie politique31. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 

Le vocabulaire des « lumières » devient central. Le mot, toujours avec une minuscule initiale, ne désigne pas un courant intellectuel, mais les connaissances utiles et la capacité à bien juger. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 

Montesquieu est trop modéré, Kant trop abstrait, Newton trop scientifique, Hume trop philosophe, Smith trop économiste, Beccaria trop juriste, Rousseau trop singulier, Jefferson trop politique, Staël trop littéraire. Voltaire, lui, est le symbole des combats pour la tolérance et contre l’injustice, et il évoque tout autant la légèreté, la gaieté, une inépuisable allégresse intellectuelle. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 

Voilà l’histoire qu’il faut que tout homme sache […]. Tout nous regarde, tout est fait pour nous : l’argent sur lequel nous prenons nos repas, nos meubles, nos besoins, nos plaisirs nouveaux, tout nous fait souvenir chaque jour que l’Amérique et les Grandes-Indes, et par conséquent toutes les parties du monde entier, sont réunies depuis environ deux siècles et demi par l’industrie de nos pères. Nous ne pouvons faire un pas qui ne nous avertisse du changement qui s’est opéré depuis dans le monde. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 

L’essentiel, pour Voltaire, était d’opposer à la providence divine le rôle de l’industrie et du commerce. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 

Tout nous regarde, car tout nous concerne : nous ne sommes pas seulement les bénéficiaires de ce nouvel ordre du monde, nous n’avons pas hérité de l’industrie de nos pères un globe unifié, nous sommes aussi les acteurs de ce changement, nous devons regarder en face les conséquences des besoins nouveaux et superflus que nous nous sommes créés. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 

Besoin que nous avons, inlassablement, de nous confronter à la scène originelle des espoirs et des craintes soulevés par la modernité. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 

Nous ne sommes pas condamnés à renoncer à l’héritage des Lumières. Mais nous devons l’assumer comme un héritage local et pluriel. Non pas un credo rationaliste universel qu’il s’agirait de défendre contre ses ennemis, mais l’intuition inaugurale d’un rapport critique d’une société à elle-même. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 

L’idée même de « civilisation » fut pendant deux siècles une façon incontournable d’articuler l’horizon universaliste d’une égale dignité du genre humain avec un eurocentrisme plus ou moins assumé. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 

La vieille opposition entre histoire intellectuelle et histoire sociale est caduque. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 

L’idéal émancipateur se heurte aux conditions d’expression d’une parole de vérité. Comment se faire entendre lorsque prolifèrent les mauvais livres, les journaux, les rumeurs ? Peut-on éclairer un public qui ne souhaite pas l’être ? Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 

Le projet post-national de l’Europe démocratique reste abstrait, incapable de susciter l’adhésion des peuples. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 

Vision enchantée des Lumières triomphait tant que l’Europe dominait le monde et pouvait se flatter d’y apporter la civilisation – c’est-à-dire la sienne. Elle a été fortement remise en cause par les bouleversements géopolitiques et intellectuels de la seconde moitié du XXe siècle. Avec la décolonisation et l’émergence des pays du Sud sur la scène internationale, l’Occident a dû en rabattre. L’Europe s’est retrouvée sur la sellette. Son assurance, son histoire, ses grands auteurs ont été soumis à rude épreuve. Son passé colonial a été vigoureusement contesté, comme l’ont été, plus largement, les prétentions universalistes de la pensée occidentale. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 

La décolonisation est incomplète, tant que le modèle occidental de modernisation libérale et sécularisée reste hégémonique. Il faut donc remonter aux sources et en finir avec l’universalisme trompeur de la pensée européenne issue des Lumières.

 

Eurocentrisme des Lumières. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 

Les Lumières sont-elles irrémédiablement entachées d’eurocentrisme ? Leur prétention à défendre des valeurs universelles (la tolérance, les droits de l’homme, la liberté individuelle) n’est-elle que le maquillage idéologique de la volonté de puissance des Européens ? L’emprise coloniale que ces derniers ont imposée au monde, de la fin du XVIIIe jusqu’au milieu du XXe siècle, en Inde, en Extrême-Orient ou en Afrique, ne reposait-elle pas sur l’affirmation d’une supériorité scientifique et la conviction d’une supériorité morale, tout droit issues de la bonne conscience des Lumières ? Aujourd’hui encore, les héritiers proclamés des Lumières, lorsqu’ils brandissent les droits de l’individu et de la raison contre les dogmes et les coutumes religieuses, ne se font-ils pas les porte-parole de l’arrogance occidentale Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 

Il est très vrai, pour qui réfléchit bien, qu’un peuple ne peut s’enrichir sans rendre un autre peuple pauvre et malheureux. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 

La tradition libertine, issue des penseurs hétérodoxes qui n’ont eu de cesse, dès le XVIIe siècle, de chercher hors d’Europe des modèles à opposer au christianisme, ou du moins des moyens de remettre en cause l’universalité de l’histoire européenne, a nourri un courant original de l’orientalisme européen. Les Lumières, en recueillant cette tradition, en la faisant dialoguer avec le nouveau discours scientifique d’exploration du monde, ont produit un profond décentrement de la vision chrétienne du monde. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 

Tout jugement moral dépend de la position de celui qui l’énonce. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 

La fin du XXe siècle, avec le triomphe du libéralisme politique sur la scène intellectuelle et des démocraties libérales sur le terrain géopolitique, les Lumières n’avaient plus d’adversaires. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 

Le monde a changé sous nos yeux. Nos sociétés, qui se croyaient sécularisées, ont assisté, effarées, au retour en force de la religion, jusque sous ses formes les plus intolérantes et violentes. Les droites extrêmes, nationalistes et xénophobes, sont redevenues des forces politiques importantes, même dans les bastions historiques de la démocratie libérale. L’Europe, contrainte de regarder en face son passé colonial, hésite à se réclamer encore d’une mission universelle. La crise écologique remet en cause le grand récit du progrès fondé sur le triomphe de la science et la maîtrise de la nature. Enfin, les nouveaux médias électroniques et la révolution numérique ébranlent l’idée d’un espace public fondé sur l’échange argumenté. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 

Défi aux héritiers proclamés des Lumières : le projet d’autonomie fondé sur la raison aurait-il dérivé en individualisme égoïste, serait-il à l’origine des excès d’un monde froid et calculateur, dominé par l’économisme marchand, l’exploitation industrielle de la nature et l’imposition d’un ordre mondial dominé par les Les Lumières, qui furent longtemps tenues pour une pensée de l’émancipation, seraient-elles devenues conservatrices ? Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 

Les droits de l’homme et l’universalité du genre humain ? C’est oublier que l’anthropologie physique des Lumières est parfois entachée de racisme et que les droits des femmes étaient rarement reconnus et leurs aspirations intellectuelles souvent bafouées, comme si la science et la philosophie étaient nécessairement masculines Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 

L’humanisme universaliste a été remis en cause par trente ans de débats sur le genre et d’études postcoloniales. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 

Comment expliquer que si peu de philosophes, à quelques exceptions notables, comme Condorcet, aient défendu l’égalité des sexes, y compris sur le plan intellectuel15 ? Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 

Comment expliquer que si peu de philosophes, à quelques exceptions notables, comme Condorcet, aient défendu l’égalité des sexes, y compris sur le plan intellectuel15 ? Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 

Margaret Jacob sur les sciences et la franc-maçonnerie, les lieux de sociabilité (académies, cafés, salons, loges maçonniques), Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 

Les idées font-elle l’histoire, notamment les révolutions ? Ou ne sont-elles que le fruit de mutations sociales ou culturelles qu’il s’agit avant tout de

L’héritage des Lumières reste un trait essentiel de la pensée moderne : « Si nous nous considérons comme modernes, si nous sommes progressistes, tolérants et généralement ouverts d’esprit […], alors nous tendons à nous penser comme éclairés   24. » Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 

Les documents présentés dans l’exposition étaient certes un héritage, mais un héritage actif, à même de produire des effets politiques et moraux salutaires, à condition de ne pas demeurer de simples objets d’étude, mais de libérer leur pouvoir spirituel : « Tout le propos de ces trésors du XVIIIe siècle ici rassemblés est de rappeler le socle intellectuel et moral qu’il nous a légué, de rajeunir la réflexion critique et, enfin, de faire sortir du champ de l’érudition ces documents prestigieux en les offrant à l’examen de notre temps, pour la lucidité et pour l’action25. » Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Après la Seconde Guerre mondiale, les Lumières furent à la fois consacrées comme fondements intellectuels du monde libre les Lumières furent à la fois consacrées comme fondements intellectuels du monde libre et dénoncées, parfois vigoureusement, pour leur culte de la raison instrumentale ou pour leurs compromissions avec le colonialisme européen27 Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Les Lumières, qui voulaient rompre avec l’autorité de la tradition, sont devenues un argument d’autorité, un corpus d’œuvres canoniques qui imprègne en profondeur toute la culture occidentale. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 

Or les Lumières ne sont ni une doctrine cohérente ni un mythe fallacieux, mais le geste à la fois réflexif et narratif par lequel, dès le XVIIIe siècle, de nombreux auteurs ont cherché à définir la nouveauté de leur époque. Elles désignent l’espace conflictuel Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 

Qu’il s’agisse des ambivalences de l’autonomie individuelle, des potentialités et des dangers de l’exploitation de l’environnement, ou encore de l’autonomisation de l’ordre marchand, il est impossible d’identifier « les Lumières » à une position unique. Au contraire, elles se caractérisent par l’intensité de débats contradictoires et critiques. On y trouve aussi bien les germes d’un optimisme rationaliste, technophile et économiste, que les fondements d’une réflexivité inquiète, d’une conscience écologiste précoce et d’une critique de l’économie politique31. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

On y trouve aussi bien les germes d’un optimisme rationaliste, technophile et économiste, que les fondements d’une réflexivité inquiète, d’une conscience écologiste précoce et d’une critique de l’économie politique Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 

Le vocabulaire des « lumières » devient central. Le mot, toujours avec une minuscule initiale, ne désigne pas un courant intellectuel, mais les connaissances utiles et la capacité à bien juger. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 

Montesquieu est trop modéré, Kant trop abstrait, Newton trop scientifique, Hume trop philosophe, Smith trop économiste, Beccaria trop juriste, Rousseau trop singulier, Jefferson trop politique, Staël trop littéraire. Voltaire, lui, est le symbole des combats pour la tolérance et contre l’injustice, et il évoque tout autant la légèreté, la gaieté, une inépuisable allégresse intellectuelle. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Voilà l’histoire qu’il faut que tout homme sache […]. Tout nous regarde, tout est fait pour nous : l’argent sur lequel nous prenons nos repas, nos meubles, nos besoins, nos plaisirs nouveaux, tout nous fait souvenir chaque jour que l’Amérique et les Grandes-Indes, et par conséquent toutes les parties du monde entier, sont réunies depuis environ deux siècles et demi par l’industrie de nos pères. Nous ne pouvons faire un pas qui ne nous avertisse du changement qui s’est opéré depuis dans le monde. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 

L’essentiel, pour Voltaire, était d’opposer à la providence divine le rôle de l’industrie et du commerce. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Tout nous regarde, car tout nous concerne : nous ne sommes pas seulement les bénéficiaires de ce nouvel ordre du monde, nous n’avons pas hérité de l’industrie de nos pères un globe unifié, nous sommes aussi les acteurs de ce changement, nous devons regarder en face les conséquences des besoins nouveaux et superflus que nous nous sommes créés. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Nous regarde », à notre tour, nous l’entendons un peu différemment. Tout nous concerne, tout fait histoire, soit. Mais nous le comprenons aussi dans un sens qui était étranger à Voltaire ou qu’il ne pouvait que pressentir, celui d’une grande responsabilité dont nous avons à notre tour hérité. Tout nous regarde, tout nous oblige. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 

Deux enjeux circonscrivent, ce n’est rien de moins que les enjeux de la mondialisation et de la médiatisation, deux évolutions majeures qui continuent à peser sur notre situation historique et auxquelles il vaut mieux ne pas opposer de réponses trop simples. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Le besoin que nous avons, inlassablement, de nous confronter à la scène originelle des espoirs et des craintes soulevés par la modernité. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 

Nous ne sommes pas condamnés à renoncer à l’héritage des Lumières. Mais nous devons l’assumer comme un héritage local et pluriel. Non pas un credo rationaliste universel qu’il s’agirait de défendre contre ses ennemis, mais l’intuition inaugurale d’un rapport critique d’une société à elle-même. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Revendiquer l’héritage des Lumières implique donc nécessairement de réfléchir aux contours du « nous » qui réclame cet héritage, qui affirme cette filiation, qui prétend que « tout nous Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 

De Voltaire à Braudel, en passant par Volney, Condorcet, Guizot et Lucien Febvre, l’idée même de « civilisation » fut pendant deux siècles une façon incontournable d’articuler l’horizon universaliste d’une égale dignité du genre humain avec un eurocentrisme plus ou moins assumé. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Ll’idée même de « civilisation » fut pendant deux siècles une façon incontournable d’articuler l’horizon universaliste d’une égale dignité du genre humain avec un eurocentrisme plus ou moins assumé. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

La vieille opposition entre histoire intellectuelle et histoire sociale est caduque. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

L’idéal émancipateur se heurte aux conditions d’expression d’une parole de vérité. Comment se faire entendre lorsque prolifèrent les mauvais livres, les journaux, les rumeurs ? Peut-on éclairer un public qui ne souhaite pas l’être ? Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Peut-on éclairer un public qui ne souhaite pas l’être ? À quel titre un intellectuel peut-il considérer qu’il détient un rapport privilégié à la  vérité ? Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

L’Europe est entrée dans une crise profonde. Peu assurée de son histoire comme de son destin, effrayée par les flux migratoires à ses portes, abîmée dans la critique de ses propres institutions, elle se remémore avec un mélange d’envie et d’étonnement l’époque où elle était portée par la conviction de sa grandeur et de sa supériorité. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Le projet post-national de l’Europe démocratique reste abstrait, incapable de susciter l’adhésion des peuples. Faut-il blâmer l’irréalisme technocratique des élites, la persistance des nationalismes ou la nouvelle donne géopolitique qui a fait déchoir l’Europe de sa position dominante et l’a privée d’un sens Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

L’dée que l’Europe est le sujet de sa propre histoire n’a pu surgir que sur les ruines de la chrétienté. C’était le credo des intellectuels des Lumières. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Les Lumières apparaissaient comme le beau siècle d’un humanisme véritable, faisant droit à la diversité humaine sans renoncer à un horizon universel. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Cette vision enchantée des Lumières triomphait tant que l’Europe dominait le monde et pouvait se flatter d’y apporter la civilisation – c’est-à-dire la sienne. Elle a été fortement remise en cause par les bouleversements géopolitiques et intellectuels de la seconde moitié du XXe siècle. Avec la décolonisation et l’émergence des pays du Sud sur la scène internationale, l’Occident a dû en rabattre. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

La décolonisation est incomplète, tant que le modèle occidental de modernisation libérale et sécularisée reste hégémonique. Il faut donc remonter aux sources et en finir avec l’universalisme trompeur de la pensée européenne issue des Lumières. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Les enjeux les plus intéressants des débats postcoloniaux portent moins sur l’universalisme en tant que tel que sur les conditions qui permettent de s’en réclamer ou de s’en approcher. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

La position que je défends est la suivante : si l’on écarte certaines outrances rhétoriques et théoriques qui voudraient nous convaincre de voir dans les Lumières l’appareil idéologique du colonialisme, on peut, en revanche, trouver dans les approches postcoloniales des outils féconds pour mettre en évidence les tensions inhérentes à l’eurocentrisme des Lumières. Celles-ci ne proposent pas un « universel de surplomb » ; elles anticipent, à bien des égards, sur « l’universel latéral » qu’appelait de ses vœux, deux siècles plus tard, Maurice Merleau-Ponty, et qui suppose « l’expérience ethnologique, incessante mise à l’épreuve de soi par l’autre et de l’autre par l’eurocentrisme des Lumières. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 

Les Lumières sont-elles irrémédiablement entachées d’eurocentrisme ? Leur prétention à défendre des valeurs universelles (la tolérance, les droits de l’homme, la liberté individuelle) n’est-elle que le maquillage idéologique de la volonté de puissance des Européens ? L’emprise coloniale que ces derniers ont imposée au monde, de la fin du XVIIIe jusqu’au milieu du XXe siècle, en Inde, en Extrême-Orient ou en Afrique, ne reposait-elle pas sur l’affirmation d’une supériorité scientifique et la conviction d’une supériorité morale, tout droit issues de la bonne conscience des Lumières ? Aujourd’hui encore, les héritiers proclamés des Lumières, lorsqu’ils brandissent les droits de l’individu et de la raison contre les dogmes et les coutumes religieuses, ne se font-ils pas les porte-parole de l’arrogance occidentale ? L’eurocentrisme des Lumières. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 

La volonté de puissance des Européens ? L’emprise coloniale que ces derniers ont imposée au monde, de la fin du XVIIIe jusqu’au milieu du XXe siècle, en Inde, en Extrême-Orient ou en Afrique, ne reposait-elle pas sur l’affirmation d’une supériorité scientifique et la conviction d’une supériorité morale, tout droit issues de la bonne conscience Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 

La publication en 1978 de L’Orientalisme, le grand livre d’Edward Said. Celui-ci estimait que l’immense intérêt des savants, linguistes et écrivains européens pour l’Orient, tout au long du XIXe siècle, ne témoignait pas d’un désir de connaissance désintéressé, mais qu’il avait été l’instrument de la domination européenne. En réduisant l’Orient à un ensemble de stéréotypes exotiques, l’Occident avait produit une fiction utile, un « style occidental de domination, de restructuration et d’autorité sur l’Orient », qui lui avait permis de creuser l’écart entre la supériorité européenne et l’immobilisme oriental Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Les Lumières, récit fondateur de cette modernité européenne, se sont vu sommer de descendre de leur piédestal et d’assumer leur caractère local. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

La pensée postcoloniale forment un ensemble disparate et parfois déconcertant. Les inspirations mêlent la French Theory (la déconstruction derridienne et la critique du savoir/pouvoir de Foucault), le marxisme, l’herméneutique littéraire, l’étude des subalternes, voire la psychanalyse Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Les Lumières seraient viciées dès l’origine en raison de leur concomitance, dans l’histoire du monde, avec l’esclavage et la colonisation. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Loin d’être un moment d’ouverture humaniste et cosmopolite, les Lumières correspondraient au « moment grégaire » de la pensée occidentale. Sous l’effet de la « pulsion impérialiste » et de l’esclavage, l’Europe se serait fermée à tout effort de connaissance des autres, disqualifiant les autres peuples, les rejetant hors de l’histoire. De cette exclusion, la figure du « nègre » serait le désolant symbole. « L’élargissement de l’horizon spatial européen va donc de pair avec un quadrillage et un rétrécissement de son imagination culturelle et historique, voire, dans certains cas, une relative clôture de l’esprit Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

La pensée des Lumières aurait pris le relais du christianisme pour affirmer la supériorité morale et intellectuelle de l’Europe. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

La politique des droits de l’homme, qui anima les interventions internationales des puissances occidentales, notamment des États-Unis, dans les dernières décennies, n’est-elle pas, elle-même, le fruit de cet héritage des Lumières, tissé de certitudes morales, d’une certaine condescendance et d’une indubitable supériorité technologique ? Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Les droits de l’homme sont les droits de l’homme blanc ; l’apologie du doux commerce sert les intérêts impérialistes des marchands européens ; le culte du progrès aboutit à reléguer l’Afrique et l’Asie dans les marges de l’histoire. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 « car il est très vrai, pour qui réfléchit bien, qu’un peuple ne peut s’enrichir sans rendre un autre peuple pauvre et malheureux16 ». Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

La tradition libertine, issue des penseurs hétérodoxes qui n’ont eu de cesse, dès le XVIIe siècle, de chercher hors d’Europe des modèles à opposer au christianisme, ou du moins des moyens de remettre en cause l’universalité de l’histoire européenne, a nourri un courant original de l’orientalisme européen. Les Lumières, en recueillant cette tradition, en la faisant dialoguer avec le nouveau discours scientifique d’exploration du monde, ont produit un profond décentrement de la vision chrétienne du monde. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

L’étonnement est inversé : « Oh quel genre d’hommes sont les Européens ! Oh quelle sorte de créatures qui font le bien par force et n’évitent à faire le mal que par crainte des châtiments Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

l’ambivalence fondamentale des Lumières : l’indéniable satisfaction des écrivains européens, convaincus de vivre une période de paix, de prospérité et d’élévation intellectuelle presque sans précédent dans l’histoire, s’accompagne d’une inquiétude lancinante sur les apports réels de la modernité. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Tout jugement moral dépend de la position de celui qui l’émet. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

La ventriloquie, souvent signalée par la critique postcoloniale, consiste à faire parler les autres en les réduisant au silence. Ils ne sont pas reconnus comme porteurs d’une histoire ou d’une culture propres : ils ne sont que les porte-parole des inquiétudes européennes. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

La domination des sciences européennes, appuyées sur leur domination impérialiste, semble bien assurée au début du XIX Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

C’est l’historiographie eurocentrée des XIXe et XXe siècles qu’il convient de blâmer, pas les Lumières elles-mêmes. On peut à la fois provincialiser l’Europe et universaliser les Lumières. Les deux gestes sont même solidaires : les Lumières ne peuvent prétendre à l’universalité qu’à condition de desserrer le lien qui les rattache à l’Europe. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Les œuvres des philosophes européens du XVIIIe siècle ne sont qu’un épisode, localisé spatialement et chronologiquement, d’un phénomène intellectuel de longue durée qui a affecté de nombreuses régions du monde, bien au-delà de l’Europe, en prenant des formes différentes selon les contextes locaux34. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

La pensée européenne est à la fois « indispensable et inadaptée » : il ne s’agit pas de la combattre et de la rejeter, mais de lui faire subir une torsion, un retour critique sur elle-même, de la pluraliser et de l’adapter aux exigences d’un monde globalisé. Dans le cas des Lumières, cet exercice s’impose avec d’autant plus d’évidence que la pensée européenne du XVIIIe siècle n’a rien d’univoque : elle est hétérogène et dialogique, elle se prête à une lecture qui fait entendre les failles, les tensions, les hésitations. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Il n’y a point eu d’événement aussi intéressant pour l’espèce humaine en général, et pour les peuples de l’Europe en particulier, que la découverte du Nouveau-monde & le passage aux Indes par le cap de Bonne Espérance. Alors a commencé une révolution dans le commerce, dans la puissance des nations, dans les mœurs, l’industrie et le gouvernement de tous les peuples59. » Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Comme l’indique son titre même, Black Jacobins, l’interprétation de la révolution haïtienne par James noue deux aspects : elle est un modèle de révolte noire, anti-impérialiste, mais elle s’inscrit dans la continuité de la Révolution française, ce qui implique de voir en Toussaint un homme des Lumières, Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

l’universalisme qu’il attribuait à la culture européenne et avec son potentiel émancipateur, porté par les Lumières, Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

L’universalité des droits de l’homme et de l’égalité, énoncée avec prudence par la philosophie des Lumières, se révèle dans toute sa vérité au contact des luttes anti-impérialistes. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Edward Said, dans une belle relecture de James, a pointé les difficultés auxquelles celui-ci avait été confronté dès lors qu’il s’agissait de concilier un anti-impérialisme militant et l’héritage universaliste qui interdisait tout repli particulariste. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Sortir du face-à-face mortifère et stérile qui oppose l’Europe – ou l’Occident – au reste du monde, et qui rejoue inlassablement, en se contentant d’inverser les polarités, un affrontement manichéen. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Comment critiquer les limites des Lumières, pointer leurs contradictions, dénoncer leurs aveuglements, tout en les reconnaissant comme l’héritage à partir duquel cette critique peut être menée ? Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Les Lumières sont un espace de débat intellectuel et politique. C’est là, sans aucun doute, une des grandes leçons du point de vue postcolonial, qui dépasse largement la question des rapports que l’Europe entretient avec la diversité du monde. Si cette question nous semble aujourd’hui si importante, c’est tout simplement qu’elle constitue l’horizon de notre propre actualité historique. C’est pourquoi une fois de plus nous nous tournons vers les auteurs des Lumières pour y chercher des éléments de réponse, la réassurance de nos convictions modernes ou, au contraire, la confirmation de nos doutes. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Cette globalisation prend un tour nouveau, dans un emballement inouï : l’Europe, loin d’en être le principal bénéficiaire, semble au contraire dépossédée, renvoyée à son étroitesse géographique. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Les Lumières ne sont pas l’idéologie de l’impérialisme européen ; elles ne sont pas davantage entachées par un silence complice et unanime avec l’esclavage. Elles ne sont pas non plus rédimées par quelques belles envolées humanitaires et par leur souci avéré de l’unité du genre humain. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

L’universalisme lui-même peut être un piège, non seulement en raison de la position particulière d’énonciation dont il procède, mais aussi parce que l’universalisme moderne, en tant qu’humanisme, implique une définition de l’humain, et donc une exclusion de ce qui n’en relève pas. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

C’est le rôle de la notion de civilisation que de déployer la diversité humaine au sein d’une pensée historique de l’évolution des sociétés. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Les contemporains avaient le sentiment exaltant d’assister à un accroissement inédit des connaissances sur la diversité culturelle de l’humanité, même si celle-ci leur semblait organisée selon une gradation menant de l’état sauvage à la civilisation : « Maintenant, la grande carte de l’humanité [Great Map of Mankind] est déroulée d’un coup : et il n’y a aucun état ou degré de barbarie, aucun mode de raffinement que nous n’ayons au même moment sous les yeux. La civilité très différente de l’Europe et de la Chine ; la barbarie de la Tartarie et de l’Arabie ; l’état sauvage de l’Amérique du Nord et de la Nouvelle Zélande », écrivait Edmund Burke au grand historien écossais Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Les anthropologues n’ont-ils pas cherché, bien souvent, à classer les sociétés sur une échelle de la civilisation où l’Europe occuperait nécessairement la place dominante ? Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

L’universalisme de la raison, malgré ses bonnes intentions, n’a-t-il pas abouti à imposer un modèle unique de développement historique et une destruction des cultures traditionnelles Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Au nom de quoi la science européenne s’était-elle arrogé le droit de transformer les autres cultures en objets de savoir ? Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

L’opposition stérile entre l’universalisme de la science occidentale et le relativisme des particularismes culturels. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

L’universalisme moderne, fondé sur l’égalité des êtres humains en tant qu’êtres rationnels, y trouve son point d’ancrage théorique, mais aussi ses limites, puisqu’il donne précisément comme projet aux sciences de l’homme de décrire les frontières, internes et externes, de l’humain, c’est-à-dire de penser le statut des différences – naturelles et culturelles. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Relations des Lumières avec les mondes non européens. Cet intérêt n’est pas un simple phénomène de mode. Il tient aux transformations de l’espace intellectuel, marqué par l’émergence de chercheurs issus de pays anciennement colonisés ; Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Que signifie l’héritage des Lumières dès lors que l’Europe n’exerce plus de monopole culturel, que la mondialisation des échanges rend le monde plus interdépendant que jamais, que les phénomènes d’hybridation culturelle, toujours plus intenses, suscitent en retour des mouvements qui cherchent à essentialiser les différences pour recréer des communautés d’appartenance homogènes ? Le temps est révolu où cet héritage pouvait être revendiqué et défendu dans une sorte de bonne conscience que rien ne venait troubler. D’ailleurs, revendiqué par qui, défendu contre quoi ? Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Moment où s’inventent à la fois une conception universelle de l’homme, en dehors du christianisme, et l’idée d’une destinée spécifique de l’Europe. Si l’Europe est sommée de prendre acte des limites de ses prétentions universalistes en faisant droit à d’autres histoires. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Une des spécificités des Lumières fut en effet de penser l’Europe comme le résultat d’un processus historique spécifique, alors qu’elle était jusque-là conçue comme un espace géographique ou une entité religieuse et culturelle. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Le récit de l’histoire européenne prend forme sur les ruines du vieux récit biblique et de l’universalisme chrétien, il rend possible, et même nécessaire, la construction d’une histoire véritablement universelle, faisant place aux peuples non européens et non chrétiens, Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

L’exclusion de l’histoire ancienne, c’est-à-dire de l’histoire biblique, de l’histoire grecque et de l’histoire romaine, est un point fondamental de cette nouvelle conception de l’histoire européenne : Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

La sécularisation de l’histoire européenne, émancipée de l’histoire sainte, ouvre la voie à une histoire que nous appellerions aujourd’hui globale ou décentrée. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Histoires prétendues universelles, dans lesquelles un certain nombre d’auteurs, se copiant les uns les autres, oublie les trois quarts de la terre43. » Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

L’eurocentrisme des Lumières grand récit de la civilisation de l’Europe procède à la fois d’un modèle rationaliste et universaliste, qui assure qu’en droit tout peuple est susceptible d’être civilisé, et d’un modèle historiciste et particulariste, qui insiste sur la spécificité de l’histoire européenne. Si l’histoire de l’Europe moderne est le résultat d’un processus historique qui lui a permis d’émerger de la barbarie grâce à un système d’équilibre diplomatique, aux progrès du commerce et au faste culturel des cours, comment penser l’accès des sauvages de l’Amérique ou des barbares asiatiques à la société civile ? Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Possible de civiliser un pays par l’action volontariste du pouvoir politique, qu’il soit celui du despote éclairé russe ou du colonisateur européen ? Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

L’ambiguïté du texte se traduit dans les usages du mot « civilisation », employé à la fois pour désigner la sortie de l’Europe du système féodal et la sédentarisation et acculturation des Amérindiens54 Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Comment rendre compatibles deux conceptions aussi différentes du changement historique : celle du temps long et sécularisé des progrès politiques, sociaux et culturels de l’Europe, qui était l’héritage du grand récit des Lumières ; celle de l’action révolutionnaire qui ouvrait sous leurs yeux un temps court de bouleversements, marqué par la liberté des acteurs et par l’élargissement radical de l’horizon d’attente ? Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Condorcet fait mine de s’interroger : « Toutes les nations doivent-elles se rapprocher un jour de l’état de civilisation où sont parvenus les peuples les plus éclairés, les plus libres, les plus affranchis de préjugés : les Français, et les Anglo-Américains ? Cette distance immense qui sépare ces peuples, de la servitude des Indiens, de la barbarie des peuplades africaines, de l’ignorance des sauvages doit-elle peu à peu s’évanouir ? Y a-t-il sur le globe des contrées dont la nature ait condamné les habitants à ne jamais jouir de la liberté ; et à jamais exercer leur raison ? » Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Bientôt la liberté, s’élançant avec elle des ailes assurées que la France et l’Amérique lui ont offertes, subjuguera tous les peuples dont les yeux enfin dessillés ne pourront plus les méconnaître58. » La généralisation des progrès de l’Europe n’est plus qu’une question de diffusion des bienfaits de la raison. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Despotisme de la liberté. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Encore fallait-il intégrer, même fictivement, les sociétés non européennes à cet effort révolutionnaire. Il imaginait une assemblée générale de tous les peuples, qui s’achevait par le rejet unanime, par les peuples eux-mêmes, de leurs croyances traditionnelles, et par leur ralliement aux « législateurs », c’est-à-dire aux constituants français59. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Difficultés que rencontrèrent les historiens du XVIIIe siècle, Voltaire en tête, lorsqu’ils s’efforcèrent de fonder une histoire universelle sur le schème de la civilisation de l’Europe. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Rencontre de l’héritage des Lumières et du moment révolutionnaire autour des équivoques de l’eurocentrisme. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

***L’histoire n’est plus d’aucune utilité en tant que magistra vitae, puisqu’elle n’est que le récit des folies humaines ; en revanche, l’avenir que dévoile la raison guide l’action humaine. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Et ces peuples, qui se disent policés, ne sont-ils pas ceux qui, depuis trois siècles, remplissent la terre de leurs injustices ? Ne sont-ce pas ceux qui, sous des prétextes de commerce, ont dévasté l’Inde, dépeuplé le nouveau continent, et soumettent encore aujourd’hui l’Afrique au plus barbare des esclavages Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

C’est l’imprimerie qui trace une ligne de partage entre l’Europe et l’Orient, parce qu’elle est le vecteur de la diffusion du savoir et qu’elle permet la formation d’une opinion publique, rempart contre le despotisme35. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Accréditer cette puissance d’entraînement du modèle français, puis européen, c’est la fonction d’une étrange fiction qui occupe une large part du texte des Ruines : l’assemblée générale de tous les peuples. Réunis, des représentants de toutes les religions et de tous les cultes finissent par dénoncer leurs croyances traditionnelles et leurs clergés pour se rallier avec enthousiasme aux « législateurs », c’est-à-dire, soyons clairs, aux constituants français. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Reprenez, leur dirent-ils, votre saint et sublime ouvrage, et portez-le à sa perfection ! […] [M]ais que ce ne soit plus pour une seule nation, pour une seule famille : que ce soit pour nous tous sans exception ! Soyez les législateurs de tout le genre humain, ainsi que vous serez l’interprète de la même nature […] et enseignez-nous, après tant de religions d’illusions et d’erreurs, la religion de l’évidence et de la vérité » Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

L’universalisme des Lumières est ici déployé dans sa plus grande pureté théorique : une nature humaine unique, malgré la diversité des populations et des coutumes ; une raison salvatrice, qui démontre la vérité par l’évidence et dissipe les superstitions ; des législateurs pédagogues, qui l’emportent sur les prêtres. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

La tension était présente, nous l’avons vu, dès l’origine, entre un idéal universaliste fondé sur la critique du colonialisme européen et la conscience d’une exceptionnalité européenne. Celle-ci n’est plus théologique et n’est pas encore raciale, mais se présente comme le résultat d’une histoire spécifique : celle de la civilisation. Si bien que, paradoxalement, c’est l’universalisme rationaliste des Lumières qui alimente désormais le discours colonialiste sur la mission civilisatrice de l’Europe. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Dès cette période, deux tensions traversent la notion et expliquent peut-être son succès. D’une part, la « civilisation » désigne un processus dans le temps, celui qui mène des sociétés « barbares » ou « sauvages » aux sociétés « policées », mais elle prend aussi, assez rapidement, un sens un peu différent : celui du résultat de ce processus. Autrement dit, en tant que schème narratif organisant le récit d’une évolution historique de longue durée, le processus de civilisation implique d’emblée que cette évolution est un progrès, un devenir civilisé. C’est un concept téléologique, orienté vers le présent de l’historien, moment d’apogée, au moins provisoire, de l’histoire humaine. La seconde tension oppose l’universalisme et l’eurocentrisme. Le concept de civilisation a été forgé pour comprendre la spécificité de l’histoire européenne, le passage de la féodalité médiévale à la société policée des Lumières et, dans le même temps, il a été pensé en termes universalistes, comme un modèle imitable. Cette tension était au cœur de la conception des Lumières comme processus d’émancipation à la fois historiquement situé et potentiellement généralisable. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

En un mot, la civilisation, ce sont les Lumières. Et les Lumières, c’est l’Europe. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Les ambivalences de Voltaire, nous l’avons vu, tiennent à la tentative désespérée de faire coexister deux approches irréductibles : un point de vue surplombant, qui observe l’histoire universelle depuis une position neutre, et un point de vue généalogique qui organise cette même histoire en fonction d’un « nous », auquel l’historien s’adresse et qui définit l’horizon intellectuel et politique de ses décisions historiographiques et de ses jugements. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

On considère habituellement que « civilisation » désigne ici un étage dans une tripartition de l’activité humaine, précisément le domaine de la culture, de la vie intellectuelle et des croyances Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

nécessité d’une histoire des civilisations. Celle-ci doit permettre de regarder avec optimisme et lucidité le grand moment de recomposition historique qui s’annonce : « Le problème n’est même pas de savoir si notre civilisation, que nous continuons d’appeler la civilisation, va périr, assassinée. Il est de savoir quelle civilisation s’établira demain dans ce monde nouveau qui déjà s’élabore au fond Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 

Quand l’Europe a-t-elle cessé d’être un simple terme géographique pour devenir une « civilisation », terme omniprésent dans le cours ? La réponse est sans ambiguïté : c’est de Charlemagne que datent les prodromes d’une civilisation européenne commune, et c’est au XVIIIe siècle que la notion d’Europe s’est imposée pour penser cette civilisation commune, sur les ruines de l’ancienne chrétienté. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Que reste-t-il, en 1944, de cette histoire millénaire ? Qu’en reste-t-il après quatre années d’« enfer de guerre », pendant lesquelles ce sont les promoteurs de la barbarie qui se sont réclamés de l’Europe ? Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

L’Europe n’est donc plus une solution. Son unité civilisationnelle n’existe plus, la guerre a révélé des fractures trop grandes et le passé récent a montré que l’unité européenne pouvait aussi être mise au service des projets les plus criminels Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Civilisation ». Febvre oppose deux sens du mot. L’un, qu’il rejette, désigne une valeur supérieure et universelle. C’est « la civilisation », au singulier. Concept flou et vulgaire de journalistes, estime-t-il, un peu hautain. L’autre, qu’il revendique, qu’il qualifie d’ethnographique, et qui désigne « l’ensemble des caractéristiques que présente aux yeux d’un observateur impartial et objectif la vie collective d’un groupe (la vie matérielle, la vie politique et sociale, la vie intellectuelle, morale, religieuse21) ». C’est une notion strictement descriptive, qui n’implique, dit-il, « aucune espèce de jugement de valeur ». Tout groupe humain possède sa civilisation. À la limite, ajoute-t-il, « on peut parler d’une civilisation des non-civilisés », Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Les grandes civilisations sont celles où les éléments mobiles dominent, où les éléments sédentaires sont peu nombreux. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Leur grandeur tient à leur capacité d’emprunt, au caractère provisoire et hétérogène des configurations qu’elles forment. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Deux dangers apparemment contradictoires : le danger évolutionniste, qui ferait de la modernité européenne le modèle de toute histoire, et le danger essentialiste, qui fige les civilisations dans leur unité et les prétend incommensurables. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Toute enquête historique produit, peu ou prou, un discours généalogique ou, pour le dire comme Michel Foucault, un diagnostic sur « notre présent29 ». Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Comment prendre acte des critiques portées à l’universalisme des Lumières, sans pour autant répudier les valeurs qui lui sont associées (tolérance, autonomie, émancipation) ? Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Au moment où nous étudions cette histoire, réclamons ou critiquons cet héritage, nous le faisons depuis une position particulière, celle qui permet de dire « nous », de définir des communautés éthiques, culturelles, politiques, de faire résonner l’expérience des Lumières avec notre propre situation. Si bien que l’héritage des Lumières, tout universaliste qu’il soit, ou qu’il se rêve, ne peut pas être exactement le même pour un Européen blanc et éduqué, pour un Afro-Américain descendant d’esclave, ou pour un Maori. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Pis-aller pour désigner de façon commode un ensemble de processus historiques dont on perçoit l’importance sans que se dessine un consensus sur les critères qui font rupture : le désenchantement du monde, l’industrialisation, l’individualisme, la démocratie, la révolution des communications, l’anthropocène ou la réflexivité sociologique elle-même. Sur le plan chronologique, les débats ne sont pas moins vifs. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

La modernité fut longtemps considérée comme l’affirmation de la supériorité de la raison. Celle-ci se déployait dans plusieurs domaines : lutte contre les préjugés religieux, défense de la science et des savoirs, autonomie morale des individus. Le projet moderne issu des Lumières était ainsi pensé comme un processus de rationalisation, pour le meilleur et pour le pire. Il débouchait sur un monde sécularisé, efficace et raisonnable, mais aussi désenchanté et froid, dominé par le calcul et l’utilité. Depuis une trentaine d’années, cette conception de la modernité a été profondément élargie. Plusieurs propositions ont bouleversé le champ des études sur les Lumières. La première concerne l’organisation de l’expérience sociale entre les deux pôles du privé et du public. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Le savoir féminin est soumis à une forte censure. Les femmes du monde doivent se conformer au rôle que la bonne société leur assigne : admirer, encourager et protéger, être toujours au service des ambitions masculines. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Les Lumières, en France, ne se sont pas développées à l’écart de la société d’Ancien Régime ou en opposition radicale à celle-ci. Leurs protagonistes étaient profondément insérés dans les institutions culturelles de la monarchie et associés aux pratiques sociales des élites. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Les Lumières ne désignent donc ni une doctrine philosophique cohérente ni un camp bien délimité dans un affrontement manichéen (les Lumières progressistes contre les anti-Lumières, conservatrices ou réactionnaires), mais un courant intellectuel hétérogène et polyphonique, articulé à un ensemble de pratiques sociales, dont le point commun est de promouvoir l’usage public de la raison, c’est-à-dire une discussion ouverte sur un grand nombre de sujets jusque-là réservés au secret de l’État ou de l’Église, sans qu’il n’existe, au demeurant, d’accord général sur les contours de cette « publicité ». Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Kant et de son fameux essai de 1784 « Qu’est-ce que les Lumières ? », relu au prisme de la sociologie historique, la sphère publique bourgeoise se serait constituée en dehors de l’État et contre lui : elle reposait à la fois sur l’émergence d’intérêts économiques privés, sur un principe (la publicité) qui impliquait la discussion publique, rationnelle et critique des affaires communes, et sur un ensemble de lieux et d’institutions (les cafés, les loges, les journaux) où des individus, indépendamment de leur statut social ou de leurs responsabilités politiques, pouvaient participer à une telle discussion. Cette sphère publique bourgeoise, radicalement différente des formes traditionnelles de la communication, verticales, hiérarchiques et corporatistes, aurait émergé, au début du XVIIIe siècle, à travers les débats littéraires et artistiques, puis se serait rapidement politisée, faisant de l’opinion publique un tribunal légitime et puissant, opposé à la volonté absolutiste du roi comme à la rationalité bureaucratique de l’État. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Le cas des loges maçonniques est encore plus frappant, tant leur idéal universaliste était contredit par des pratiques relevant de la cooptation sociale36. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Ce qui distingue Voltaire et Rousseau d’Érasme ou de Gassendi, c’est qu’ils n’écrivent pas seulement pour leurs très nombreux correspondants ou pour une communauté restreinte de savants, mais aussi pour un public, pour un lectorat anonyme. Cette émergence du « public » transforme en profondeur la façon dont les écrivains des Lumières s’adressent à leurs lecteurs, engageant ainsi une intense réflexivité sur la spécificité de la publication comme forme d’action à la fois intellectuelle et politique

La communication médiatique présente la spécificité d’être dirigée vers un public anonyme, dont il est difficile, voire impossible, d’anticiper ou de contrôler les réactions. Elle rompt avec les formes classiques de la sociabilité régies par l’interconnaissance et l’idéal de la conversation. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Le mystère tient justement dans la transformation de ce peuple sans qualité en un public infaillible. De même, les exigences de la science publique contribuent à déstabiliser les figures d’autorité traditionnelles fondées sur le témoignage et la qualification sociale des assistants. Cours publics, spectacles scientifiques, expériences étonnantes : de nouvelles pratiques, fondées sur la curiosité du public, réorganisent le rapport aux savoirs, en dehors des sociabilités académiques Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

L’espace public médiatique, loin d’être dialogique et rationnel, est d’abord un spectacle, où les apparences sont essentielles, où les personnes publiques vivent sous le regard du public, avec ce que cela implique de curiosité excessive, d’exhibitionnisme moral, mais aussi d’émotions puissantes Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Synchronisation des affects par la diffusion à grande échelle des mêmes textes et des mêmes images. Si bien que l’on pourrait dire, en paraphrasant Niklas Luhmann : ce que nous ressentons, nous le ressentons par les médias de masse Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 « Si les hommes veulent me voir autre que je ne suis, que m’importe ? L’essence de mon être est-elle dans leurs regards ? », s’exclame Rousseau67 Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Deux aspects de la modernité, culturelle et économique, ne sont pas incompatibles, bien au contraire, comme l’indique la polysémie de la « publicité », à la fois principe de légitimité politique et pratique commerciale. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 

L’histoire culturelle peut se reconnecter à l’histoire économique dès lors qu’elle prend conscience de l’importance nouvelle de la marchandise. Le phénomène nouveau n’est pas l’apparition du bourgeois, mais celle du consommateur Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

La consommation moderne implique le crédit. Le mot, de nos jours, désigne presque toujours une créance financière : de l’argent prêté à un individu par un autre ou, ce qui revient au même, une vente de marchandises à paiement différé. Mais au XVIIIe siècle, il désignait aussi, et même surtout, la réputation d’une personne, la confiance qu’elle inspirait et, par conséquent, sa capacité d’action, notamment politique. Si cette seconde acception, que l’on peut dire immatérielle, a laissé des traces dans le vocabulaire (« discrédit » et « discréditer » par exemple), elle a progressivement disparu au profit du sens matériel, strictement économique, qui s’est imposé. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Le crédit d’un individu est la capacité à agir que lui procure la confiance qu’il inspire. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

C’est toute la différence entre une société aristocratique – où le crédit social d’une personne, la confiance qu’elle inspire et la puissance qu’elle exerce sont directement indexés à sa position dans une pyramide de faveurs et de fidélités – et la société mondaine – où le pouvoir repose sur la capacité à construire et à contrôler sa réputation, à susciter curiosité, désir ou admiration. Au lien vertical, qui est celui du crédit curial, s’oppose une pluralité de liens horizontaux, ceux du crédit mondain. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

L’enjeu n’est plus seulement celui de l’analyse automatisée de discours qui, dans la tradition de la lexicométrie, exploite de façon quantitative des corpus discursifs clos23. Il est aussi celui des nouvelles formes de « lecture machinique » (machine reading) qui remplacent la lecture traditionnelle – rapprochée et contextuelle, fondée sur une attention soutenue au détail du texte – par une circulation rapide dans des corpus illimités, selon les lignes hypertextuelles que dessinent les logiciels24. Une telle lecture produit de nouveaux contextes, peut-être même une nouvelle définition du contexte : non plus l’ensemble des circonstances historiques dans lequel s’inscrit le texte, ou dans lequel l’historien décide de l’inscrire, mais l’ensemble des liens que la navigation numérique dessine à partir de chaque énoncé. Il serait regrettable que l’histoire culturelle ou intellectuelle ne se saisisse pas des nouvelles ressources et des outils offerts par la révolution numérique, car le risque est grand de laisser la voie libre à ceux qui, associant optimisme technophile et culturalisme naïf, prétendent interpréter l’histoire des sociétés, sur la longue durée, à partir de l’évolution diachronique des fréquences lexicales Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Le repérage de très nombreuses citations, sur la base de recherches par mots-clés, fournit au chercheur une moisson d’énoncés coupés des logiques textuelles dans lesquelles ils s’inscrivent. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Les nouveaux outils numériques pourraient bien lui offrir une seconde jeunesse, dès lors que les historiens disposent, à portée de clic, d’immenses corpus numérisés, aussi bien textuels qu’archivistiques, dans lesquels ils peuvent – et pourront de plus en plus – se déplacer librement, soit à l’aide de logiciels d’analyse textuelle, soit en se laissant guider par la sérendipité de la recherche. L’« historien cyborg27 » serait-il l’avatar inattendu de l’archéologue des formations discursives ? Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Jusqu’où les historiens sont-ils prêts à aller dans la déconstruction des textes et dans leur recomposition sous la forme d’un réseau d’énoncés ? Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Derrière l’immuabilité du vocabulaire, le crédit prend des significations différentes en fonction du rapport au temps qui organise chaque société. Le crédit moderne, avait noté Jean-Michel Rey, est fondé sur un imaginaire de l’illimité, de la promesse et de la dette, de la fuite en avant du temps. Qu’il soit économique ou immatériel, il est moins le lien de stabilité qui fonde la cohésion civique que le stimulant d’une accélération de l’histoire, au sens historiographique et narratif, où la promesse de richesse et de progrès annonce également les dangers de la ruine et du discrédit Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Long processus qui a conduit à la distinction du crédit moral et du crédit économique, puis à l’effacement progressif du premier au profit du second dans le vocabulaire des sciences sociales. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

La spéculation dans l’ordre financier, la célébrité dans l’ordre culturel, la popularité dans l’ordre politique : ces phénomènes apparaissent comme des pathologies du crédit, dès lors que la croyance n’est plus régulée par les liens personnels au sein d’une société ordonnée mais qu’elle est nourrie par l’imitation et la surenchère. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Gloriomètre » qui permettrait de quantifier le « crédit moral » d’un individu, Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

La modernité a souvent été définie comme la différenciation progressive des sphères d’activité et l’autonomisation de conceptions différentes, voire concurrentes, de la valeur. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Les sciences sociales seraient-elles un discours de l’ordre qui, loin de nous permettre de mieux penser les phénomènes les plus frappants de la modernité (la mode, les enjeux politiques du crédit public, l’esthétisation du pouvoir…), nous aurait fourni des notions appauvries et des découpages mutilants du réel ? Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

les Lumières sont une affaire philosophique, leur modernité est tout entière idéologique. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Risque de ne plus savoir distinguer les Lumières de l’ensemble des mutations sociales et culturelles du XVIIIe siècle, Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Les Lumières radicales, issues de la matrice spinoziste, se définissent par leur hostilité à tout compromis entre la philosophie et la religion, par un matérialisme intransigeant, par une vision rationaliste et mathématisée du monde, par des convictions républicaines et démocratiques, et enfin par le refus des inégalités, que celles-ci soient sociales, de race, ou de genre. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumière

L’auteur de l’Éthique a fourni les instruments intellectuels d’un athéisme rigoureux, distinct des formes diverses de scepticisme30. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

La nouveauté des Lumières n’est pas doctrinale, mais consiste plutôt à assumer l’usage public, au-delà de l’espace savant, des idées hétérodoxes69. Ce n’est pas tant le contenu de la libre-pensée qui est nouveau, mais plutôt le fait de le penser comme un combat, et donc de réfléchir aux conditions de sa publication. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 « Si Socrate était mort dans son lit, on douterait peut-être aujourd’hui s’il fut rien de plus qu’un adroit sophiste. » Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Plus généralement, c’est la définition même de la modernité qui pose problème. Faut-il vraiment la définir en termes aussi réducteurs, comme une répudiation définitive de toutes les formes de religiosité, voire de croyance, ouvrant la voie à l’avènement d’une société égalitaire, tolérante et pacifiée ? Est-il incontestable que l’émancipation des hommes et des femmes, « quels que soient leur race, leur religion, leur genre sexuel ou leur classe sociale », constitue « l’essence de l’histoire des XVIIIe et XIXe siècles »84 ? Cette apologie satisfaite de la modernité, sûre d’elle-même et de la supériorité de ses valeurs rationalistes et universalistes, paraît singulièrement datée. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Rendre la foi et la raison compatibles, sur la base d’un respect mutuel. Le grand ressort de la sécularisation européenne ne se trouve pas à l’extérieur de la pensée chrétienne, mais en son sein

Plutôt que de définir la modernité à partir de nos préférences idéologiques contemporaines, pour en chercher les sources au XVIIIe siècle, mieux vaut être attentif à la façon dont les auteurs des Lumières ont cherché à rendre compte des transformations qui affectaient le monde dans lequel ils vivaient et qui, pas plus hier qu’aujourd’hui, ne se laissent réduire à une formule simple. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Les Allemands, vers la fin du siècle, nommeront Aufklärer ces auteurs éclairés qui souhaitent améliorer la capacité critique de leurs contemporains. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Dans la Prusse de Frédéric II ou l’Autriche de Joseph II, les souverains s’appuyaient ouvertement sur certains courants éclairés pour moderniser l’État contre les forces religieuses conservatrices. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Les anciens orateurs romains et grecs ne pouvaient parler qu’à un certain nombre de citoyens à même d’être assemblés à portée de voix. Leurs écrits avaient peu d’effets parce que la masse du peuple ne savait pas lire. Maintenant, grâce à l’imprimé, nous pouvons parler aux nations ; et les bons livres et les pamphlets bien écrits ont une grande influence générale. La facilité avec laquelle les mêmes vérités peuvent être régulièrement réaffirmées par le fait de les placer chaque jour dans une lumière différente, dans des journaux qui sont lus partout, permet bien mieux de les établir capacité d’action. Ils peuvent s’adresser à de vastes publics, convaincre des « nations » entières de vérités utiles. Si des progrès sont possibles, c’est que les formes mêmes de la communication ont changé. La nature du lien entre savoir et politique s’en trouve modifiée. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Quant au public lui-même, veut-il vraiment être éclairé ? N’est-il pas attiré davantage par les mauvais livres et les nouvelles scandaleuses que par les ouvrages philosophiques ? Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Fonder le gouvernement sur des bases philosophiques, dans un pays où une partie de la population ne sait pas lire, c’est faire de la propagation des lumières une « religion4 ». Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

La propagation des lumières » n’a rien d’impossible, mais elle ne doit pas être confondue avec « le miracle de l’illumination subite de toutes les têtes5 ». La question reste ouverte : comment éclairer le peuple ? Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Il n’est pas si facile de renoncer à être Socrate. Le philosophe passe par des moments d’enthousiasme et d’éloquence, suivis par le doute et l’ironie, non sans amertume, Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Les Lumières seraient affligées d’un élitisme incurable, elles n’auraient que mépris pour le peuple et s’accommoderaient fort bien du despotisme pourvu qu’il soit éclairé, c’est-à-dire aussi dur aux prêtres qu’aux peuples ; elles seraient secrètement conservatrices ou, au mieux, sagement réformistes. Dans cette perspective, la Révolution, vraie source de la démocratie, ne serait pas une conséquence directe des Lumières, mais bien plutôt leur négation, le soulèvement populaire au lieu du réformisme modéré des élites. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

En s’interrogeant moins sur les théories politiques des auteurs des Lumières que sur la façon dont ils conçoivent l’efficacité de leurs écrits. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Le peuple n’est pas une réalité sociologique, il ne désigne pas une catégorie sociale bien définie. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumière

Les hommes ne naissent ni stupides, ni fous ; ils le deviennent. » Il est donc à la fois possible et nécessaire d’instruire le peuple à condition de lui « parler raison14 ». Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 « Tout homme qui écrit ne doit point fixer ses yeux sur le temps où il vit, ni sur ses concitoyens actuels, ni sur la contrée qu’il habite. Il doit parler au genre humain, il doit prévoir les races futures […]. C’est après sa mort que l’écrivain véridique triomphe », estime d’Holbach, Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

L’égalité d’instruction que l’on peut espérer d’atteindre mais qui doit suffire est celle qui exclut toute dépendance, forcée ou volontaire. » Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Nous montrerons, dans l’état actuel des connaissances humaines, les moyens faciles de parvenir à ce but, même pour ceux qui ne peuvent donner à l’étude qu’un petit nombre de leurs premières années, et, dans le reste de leur vie, quelques heures de loisir. Nous ferons voir que par un choix heureux, et des connaissances elles-mêmes et des méthodes de les enseigner, on peut instruire la masse entière d’un peuple de tout ce que chaque homme a besoin de savoir pour l’économie domestique, pour l’administration de ses affaires, pour le libre développement de son industrie et de ses facultés, pour connaître ses droits, les défendre et les exercer ; pour être instruit de ses devoirs, pour pouvoir les bien remplir, pour juger ses actions et celles des autres d’après ses propres lumières, et n’être étranger à aucun des sentiments élevés ou délicats qui honorent la nature humaine ; pour ne point dépendre aveuglément de ceux à qui il est obligé de confier le soin de ses affaires ou l’exercice de ses droits ; pour être en état de les choisir et de les surveiller, pour n’être plus la dupe de ces erreurs populaires qui tourmentent la vie de craintes superstitieuses et d’espérances chimériques ; pour se défendre contre les préjugés avec les seules forces de sa raison ; enfin pour échapper aux prestiges du charlatanisme, qui tendrait des pièges à sa fortune, à sa santé, à la liberté de ses opinions et de sa conscience, sous prétexte de l’enrichir, de le guérir et de le sauver Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Le paradoxe est que la Révolution, qui a rendu possible le rêve éducatif des Lumières, a aussi marqué l’introduction du principe démocratique dans le domaine des sciences. Et, sur ce point, Condorcet résiste. Il n’est pas question de soumettre le savoir à la discussion des profanes, encore moins de ces faux savants qu’il a combattus comme académicien avant la Révolution et qui sont devenus de puissants acteurs politiques. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

L’esprit critique doit se développer, mais il doit s’arrêter aux portes de la fabrique du savoir. Deux logiques s’opposent, dans la pensée de Condorcet : celle de l’académicien professionnel, qui affirme l’inégalité des aptitudes intellectuelles, et celle du démocrate libéral, qui se bat pour l’égalité des droits. Comment concilier ces deux exigences, la reconnaissance d’une hiérarchie de la science et le refus de toute forme de sujétion Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Comment pourrait-on éclairer le peuple si entre le philosophe et lui s’interposent tant d’intermédiaires, de manipulateurs d’opinion, et si le public lui-même préfère les mensonges spectaculaires aux vérités utiles, les calomniateurs ironiques aux raisonneurs sensibles Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Le philosophe serait-il semblable au « joueur de flûte », qui amuse le public sans parvenir à le changer47

Comment éclairer le peuple si celui-ci est prisonnier de préjugés, si l’opinion est manipulée par des publicistes sans scrupule et des démagogues cyniques, et si le public est gouverné par la curiosité, l’imitation, l’enthousiasme sans lendemain, bien plus que par l’esprit critique et la réflexion ? Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 

Si éclairer le peuple, c’est le conduire à penser par lui-même, à s’affranchir des autorités établies, comment peut-on assurer cette autonomie en commençant par mettre une élite intellectuelle à l’abri de la critique ? Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Kant insistera fortement sur ce point : l’Aufklärung est facile en théorie mais difficile et long à réaliser en pratique, car les hommes veulent toujours dépasser le stade de la critique (c’est-à-dire aller au-delà des limites de leur entendement, avoir des certitudes et non des doutes) Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

L’intellectuel est voué à disparaître en tant qu’homme qui pense à la place des autres : penser pour d’autres c’est une absurdité qui condamne la notion même d’intellectuel Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

La grande nouveauté des Lumières repose sur leur ambition pédagogique et militante, sur leur volonté de rompre avec l’ésotérisme et le secret afin de toucher un plus large public. Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

La question qu’il se pose est : peut-on se rêver en Socrate luttant contre les préjugés, en Prométhée offrant le savoir aux hommes, et vivre une vie de bon père de famille, de notable respecté de la République des lettres ? Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

 « On ne pense, on ne parle avec force que du fond de son tombeau : c’est là qu’il faut se placer, c’est de là qu’il faut s’adresser aux hommes18. » Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières

Si le philosophe parle en vain pour le moment, il écrit et pense utilement pour l’avenir20. » Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières