lundi 21 décembre 2020

Interventions 2020, Michel Houellebecq Flammari

 

Interventions 2020, Michel Houellebecq Flammarion

 

 


Si Jacques Prévert est un mauvais poète, c’est avant tout parce que sa vision du monde est plate, superficielle et fausse. Elle était déjà fausse de son temps ; aujourd’hui sa nullité apparaît avec éclat, à tel point que l’œuvre entière semble le développement d’un gigantesque cliché. Sur le plan philosophique et politique, Jacques Prévert est avant tout un libertaire ; c’est-à-dire, fondamentalement, un imbécile. Interventions 2020, Michel Houellebecq

 

 

« Ce qui est fonctionnel est forcément beau. » Parti pris surprenant, que le spectacle de la nature contredit en permanence, incitant plutôt à voir la beauté comme une sorte de revanche sur la raison. Si les formes de la nature plaisent à l’œil c’est souvent qu’elles ne servent à rien, qu’elles ne répondent à aucun critère d’efficacité perceptible. Interventions 2020, Michel Houellebecq

 

 

Nous vivons non seulement dans une économie de marché, mais plus généralement dans une société de marché, c’est-à-dire un espace de civilisation où l’ensemble des rapports humains, et pareillement l’ensemble des rapports de l’homme au monde, sont médiatisés par le biais d’un calcul numérique simple faisant intervenir l’attractivité, la nouveauté et le rapport qualité-prix. Interventions 2020, Michel Houellebecq

 

 

L’architecture contemporaine se dote donc implicitement d’un programme simple, qu’on peut résumer ainsi : construire les rayonnages de l’hypermarché social. Interventions 2020, Michel Houellebecq

 

 

La chair du monde est remplacée par son image numérisée ; l’être des choses est supplanté par le graphique de ses variations. Polyvalents, neutres et modulaires, les lieux modernes s’adaptent à l’infinité de messages auxquels ils doivent servir de support. Ils ne peuvent s’autoriser à délivrer une signification autonome, à évoquer une ambiance particulière ; ils ne peuvent ainsi avoir ni beauté, ni poésie, ni plus généralement aucun caractère propre. Interventions 2020, Michel Houellebecq

 

 

Le libéralisme se posait comme assomption et dépassement du sentiment éthique simple au nom d’une vision à long terme du devenir historique de l’humanité. Interventions 2020, Michel Houellebecq

 

 

La logique du supermarché induit nécessairement un éparpillement des désirs ; l’homme du supermarché ne peut organiquement être l’homme d’une seule volonté, d’un seul désir. Interventions 2020, Michel Houellebecq

 

 

Les désirs ont acquis quelque chose d’un peu criard et piaillant : sans être de purs simulacres, ils sont pour une large part le produit de déterminations externes – nous dirons publicitaires au sens large. Interventions 2020, Michel Houellebecq

 

 

Le dérisoire ne parvient plus à être perçu comme fun ; c’est une espèce d’inversion psychologique brutale, qui traduit l’apparition chez l’individu d’un irréductible désir d’éternité. Interventions 2020, Michel Houellebecq

 

 

Contrairement à la musique, contrairement à la peinture, contrairement aussi au cinéma, la littérature peut ainsi absorber et digérer des quantités illimitées de dérision et d’humour. Les dangers qui la menacent aujourd’hui n’ont rien à voir avec ceux qui ont menacé, parfois détruit les autres arts ; ils tiennent beaucoup plus à l’accélération des perceptions et des sensations qui caractérise la logique de l’hypermarché. Interventions 2020, Michel Houellebecq

 

 

Les livres appellent des lecteurs ; mais ces lecteurs doivent avoir une existence individuelle et stable : ils ne peuvent être de purs consommateurs, de purs fantômes ; ils doivent aussi être, en quelque manière, des sujets. Interventions 2020, Michel Houellebecq

 

 

La publicité …/ vise à susciter, à provoquer, à être le désir, ses méthodes sont au fond assez proches de celles qui caractérisaient l’ancienne morale. Elle met en effet en place un Surmoi terrifiant et dur, beaucoup plus impitoyable qu’aucun impératif ayant jamais existé, qui se colle à la peau de l’individu et lui répète sans cesse : « Tu dois désirer. Tu dois être désirable. Tu dois participer à la compétition, à la lutte, à la vie du monde. Si tu t’arrêtes, tu n’existes plus. Si tu restes en arrière, tu es mort. » Niant toute notion d’éternité, se définissant elle-même comme processus de renouvellement permanent, la publicité vise à vaporiser le sujet pour le transformer en fantôme obéissant du devenir. Et cette participation épidermique, superficielle à la vie du monde est supposée prendre la place du désir d’être. Interventions 2020, Michel Houellebecq

 

 

La machine sociale a recommencé à tourner de manière encore plus rapide, encore plus impitoyable (et Mai 68 n’a servi qu’à briser les quelques règles morales qui entravaient encore la voracité de son fonctionnement). Interventions 2020, Michel Houellebecq

 

 

La littérature s’arrange de tout, s’accommode de tout, fouille parmi les ordures, lèche les plaies du malheur. Une poésie paradoxale, de l’angoisse et de l’oppression, a donc pu naître au milieu des hypermarchés et des immeubles de bureaux. Cette poésie n’est pas gaie ; elle ne peut pas l’être. Interventions 2020, Michel Houellebecq

 

 

Produit résiduel de l’impermanence, l’information s’oppose à la signification comme le plasma au cristal ; une société ayant atteint un palier de surchauffe n’implose pas nécessairement, mais elle s’avère incapable de produire une signification, toute son énergie étant monopolisée par la description informative de ses variations aléatoires. Interventions 2020, Michel Houellebecq

 

 

Le but majoritaire de la quête sexuelle n’est pas le plaisir, mais la gratification narcissique, Interventions 2020, Michel Houellebecq

 

 

Compte tenu du système socioéconomique mis en place, compte tenu surtout de nos présupposés philosophiques, il est visible que l’humain se précipite vers une catastrophe à brève échéance, et dans des conditions atroces. Interventions 2020, Michel Houellebecq

 

 

La dissolution progressive au fil des siècles des structures sociales et familiales, la tendance croissante des individus à se percevoir comme des particules isolées, soumises à la loi des chocs, agrégats provisoires de particules plus petites… tout cela rend bien sûr inapplicable la moindre solution politique. Interventions 2020, Michel Houellebecq

 

 

L’art contemporain me déprime ; mais je me rends compte qu’il représente, et de loin, le meilleur commentaire récent sur l’état des choses. Interventions 2020, Michel Houellebecq

 

 

Les déviances poétiques visent au contraire à créer un « effet d’illimitation » où le champ de l’affirmation envahit l’ensemble du monde, sans laisser subsister l’en-dehors de la contradiction. Ceci rapproche le poème de manifestations plus primitives, telles que la lamentation ou le hurlement. Le registre est il est vrai considérablement étendu ; mais les mots sont au fond de même nature que le cri. Dans la poésie ils se mettent à vibrer, ils retrouvent leur vibration originelle ; mais cette vibration n’est pas seulement musicale. À travers les mots, c’est la réalité qu’ils désignent qui retrouve son pouvoir d’horreur ou d’enchantement, son pathos premier. Interventions 2020, Michel Houellebecq

 

 

La mécanique quantique invalide toute possibilité d’une métaphysique matérialiste, et conduit à revoir de fond en comble les distinctions entre l’objet, le sujet et le monde. Interventions 2020, Michel Houellebecq

 

 

Il suffit d’avoir prévu de s’amuser pour être certain de s’emmerder. Interventions 2020, Michel Houellebecq

Boire. L’alcool à doses modérées produit un effet sociabilisant et euphorisant qui reste sans réelle concurrence. Interventions 2020, Michel Houellebecq

 

Je n’ai pas l’impression de faire preuve d’une finesse d’analyse exceptionnelle en diagnostiquant que nous vivons dans un pays dont la population s’appauvrit, a la sensation qu’elle va s’appauvrir de plus en plus, et se montre en outre persuadée que tous ses malheurs viennent de la compétition économique internationale (simplement parce que la « compétition économique internationale », elle est en train de la perdre). Interventions 2020, Michel Houellebecq

A un moment où les mots échangés Au lieu de se changer en éclats de lumière Se tordent autour de vous, étouffent pensées, Les mots ont une matière Interventions 2020, Michel Houellebecq

:Le monde est dissocié ; il se compose d’individus. Les individus se composent d’organes ; les organes de molécules. Le temps s’écoule ; il se sépare en secondes. Le monde est dissocié. Interventions 2020, Michel Houellebecq

Nous ne vivons pas ; nous opérons des mouvements que nous croyons volontaires. La mort ne nous atteindra pas ; nous sommes déjà morts. Interventions 2020, Michel Houellebecq

Chargées d’énergie, des particules circulent dans un espace clos, dans un temps limité. Appelons cet espace la cité ; assimilons l’énergie au désir ; nous obtenons une métaphore de la vie. Interventions 2020, Michel Houellebecq

Les humains sont mobiles et souvent vulnérables Ils se heurtent aux humains pendant quelques années, Puis ils se décomposent en agrégats instables.   Deux particules sont réunies Et leur fonction d’onde est conjointe Puis elles se séparent dans la nuit, Elles s’écartent. Interventions 2020, Michel Houellebecq

Sans nul doute, le XXe siècle restera comme l’âge du triomphe dans l’esprit du grand public d’une explication scientifique du monde, associée par lui à une ontologie matérialiste et au principe de déterminisme local. Interventions 2020, Michel Houellebecq

En somme il y aurait d’un côté la science, le sérieux, la connaissance, le réel. De l’autre la littérature, sa gratuité, son élégance, ses jeux formels ; la production de « textes », petits objets ludiques commentables par l’adjonction de préfixes (para, méta, inter). Interventions 2020, Michel Houellebecq

 « La première – et pratiquement la seule – condition d’un bon style, c’est d’avoir quelque chose à dire. » Interventions 2020, Michel Houellebecq

L’impression qu’il donne sans cesse de s’émerveiller devant son propre émerveillement). Interventions 2020, Michel Houellebecq

Entre le réductionnisme mécaniste et les niaiseries New Age, il n’y a plus rien. Interventions 2020, Michel Houellebecq

J’ai cependant l’intuition que la poésie a un rôle à jouer ; peut-être comme une sorte de précurseur chimique. La poésie ne précède pas seulement le roman ; elle précède aussi, et de manière plus directe, la philosophie. Interventions 2020, Michel Houellebecq

C’est peut-être aussi que la poésie est la seule manière d’exprimer ce manque à l’état pur, à l’état natif ; d’exprimer simultanément chacun de ses aspects complémentaires. Interventions 2020, Michel Houellebecq

La femme n’a inventé ni le pouvoir, ni la compétition, ni la guerre ; cela se sent. Interventions 2020, Michel Houellebecq

Le monde peut être comme il est, c’est son affaire ; ce n’est aucunement pour nous une raison de renoncer à le rendre meilleur. Interventions 2020, Michel Houellebecq

Je crois comme Dostoïevski que l’on devrait demander à tout porteur d’idées généreuses et générales de faire le bonheur d’une personne en particulier.. Interventions 2020, Michel Houellebecq

La vie est de plus en plus réduite à des valeurs d’usage.. Interventions 2020, Michel Houellebecq

Le goût pour les choses normalement agréables s’est perdu.. Interventions 2020, Michel Houellebecq

 

Je ne pense pas que l’Occident ait vraiment envie de vivre.. Interventions 2020, Michel Houellebecq

L’expression négative pure n’est plus acceptée. Interventions 2020, Michel Houellebecq

Nietzsche, Schopenhauer et Spinoza ne passeraient plus aujourd’hui. Le politiquement correct, tel qu’il est devenu, rend inacceptable la quasi-totalité de la philosophie occidentale. Interventions 2020, Michel Houellebecq

De plus en plus de choses deviennent impossibles à penser. Interventions 2020, Michel Houellebecq

C’est un projet qui se tient : une humanité indifférenciée, lisse. Sauf que là on essaie de le faire par castration, par contrainte, et que ça ne peut pas marcher. Interventions 2020, Michel Houellebecq

La philosophie occidentale est un long, patient et cruel dispositif de dressage qui a pour objectif de nous persuader de quelques idées fausses. Interventions 2020, Michel Houellebecq

Il y a beaucoup de joies dans ce monde, mais il y a peu de plaisirs – et si peu qui ne fassent aucun mal.. Interventions 2020, Michel Houellebecq

Fin de la parenthèse humaniste. Interventions 2020, Michel Houellebecq

Décrivant le monde, inscrivant des blocs de réalité, vivants et irréfutables, je les relativise. Une fois transformés en texte écrit ils se teintent d’une certaine beauté irisée, liée à leur caractère optionnel. Interventions 2020, Michel Houellebecq

L’« hyperfestif », l’« envie de pénal », et surtout la tolérance « qui ne tolère plus rien auprès d’elle-même »). Interventions 2020, Michel Houellebecq

L’homme de gauche est mal parti. Interventions 2020, Michel Houellebecq

Contrairement à son aîné, le nouveau progressiste n’identifie pas le progrès par son contenu intrinsèque, mais par son caractère de nouveauté. Il vit en somme dans une sorte d’épiphanie permanente, très hégélienne dans sa niaiserie, où tout ce qui apparaît est bon de par le simple fait de son apparition. Il serait ainsi tout aussi réactionnaire de s’opposer au string qu’au voile islamique, au « Loft » qu’aux prêches de Tariq Ramadan. Tout ce qui apparaît est bon. Interventions 2020, Michel Houellebecq

Descartes innova grandement en séparant, pour la première fois avec une telle netteté, la physique de la métaphysique. En posant face à face les catégories inutiles de la matière et de l’esprit, il créa d’un seul coup les conditions de la plupart des erreurs philosophiques ultérieures. Interventions 2020, Michel Houellebecq

 

Un des vices fondamentaux de l’état métaphysique : la tendance à argumenter au lieu d’observer ; et de voir, là aussi, où nous en sommes. Il suffit également de rappeler la popularité persistante des théories du « contrat social », basées sur la fiction d’individus libres préexistants à la collectivité, et sur la notion de « droits de l’homme », indépendants de tout devoir, qui en découle. Interventions 2020, Michel Houellebecq

Pour que ce sursaut soit efficace, ce n’est pas évident.  Ce n’est pas une chose facile de combattre une secte religieuse. Les policiers, à l’heure actuelle, déjouent pas mal d’attentats, mais une réponse purement policière à une secte religieuse n’a pas de garantie de l’emporter. En général, ce sont plutôt des religions qui l’emportent sur d’autres religions. Interventions 2020, Michel Houellebecq

Il y a aussi un problème musulman. Il y a des sujets sur lesquels Mahomet ne s’est pas exprimé, le comportement en pays laïc, par exemple ; il ne pouvait pas prévoir l’apparition de pays laïcs… En revanche, il s’est abondamment exprimé, à plusieurs reprises et de manière assez claire, sur le comportement à avoir avec les chrétiens et les juifs. Daech est clairement hérétique. C’est quand même étonnant que l’hérésie ne soit pas combattue, qu’il n’y ait pas de fatwas anti-Daech… Interventions 2020, Michel Houellebecq

Tout bonheur est d’essence religieuse. La religion offre la sensation d’être relié au monde, de ne pas être un étranger dans un monde indifférent – ça, Pascal l’a mieux dit que moi. On est effrayé par un monde avec lequel on ne se sent rien de commun, et la religion donne sens au monde, et à votre place dans le monde. Interventions 2020, Michel Houellebecq

En fait, je suis un écrivain du nihilisme (le nihilisme au sens de Nietzsche), il n’y a aucun doute : je suis l’écrivain d’une époque nihiliste, et de la souffrance liée au nihilisme. Interventions 2020, Michel Houellebecq

Après la Révolution la société a perdu ses bases, et que ça ne va pas pouvoir tenir, à long terme, sans religion. Interventions 2020, Michel Houellebecq

Le Catholicisme n’était pas vraiment un monothéisme – ce qui n’est pas entièrement faux : la Vierge, les saints créent des divinités intermédiaires qui amoindrissent la brutalité de la relation qui existe dans le judaïsme et dans le protestantisme. Interventions 2020, Michel Houellebecq

Il y a un point commun fort, c’est qu’il n’y a pas de contradiction à la poésie : c’est un discours absolu qui a pour ambition de poser des phrases sans possibilité de négation. Un autre point commun est que la compréhension totale n’est pas fondamentale : on peut ne pas totalement comprendre des paroles religieuses, comme on n’a pas besoin de tout comprendre quand on écoute de la poésie. Et il y a d’ailleurs des textes qui sont utilisés dans la religion qui ont une vraie valeur poétique : certains psaumes, par exemple. Interventions 2020, Houellebecq

La contemplation, c’est-à-dire le fait de s’abîmer dans l’objet sans former aucune pensée consciente. Interventions 2020, Michel Houellebecq

 

Une nouvelle religion est nécessaire, qu’il faudrait en tout cas une religion compatible avec l’état des sciences. Interventions 2020, Michel Houellebecq

Ecrire implique de prendre sur soi le négatif, tout le négatif du monde, et d’en donner une peinture, de telle sorte que le lecteur puisse être soulagé en ayant vu exprimer cette part négative. Interventions 2020, Michel Houellebecq

Les gens, c’est le moins qu’on puisse dire, ne savent plus comment vivre. Le chaos est si total, le désarroi si généralisé qu’aucun modèle de comportement hérité des siècles anciens ne paraît applicable aux temps que nous vivons. Interventions 2020, Michel Houellebecq

Les êtres aimés ne sont pas toujours ceux qui en seraient dignes. Interventions 2020, Michel Houellebecq

Une des qualités les plus importantes, et les plus rarement évoquées, du romancier, est de savoir choisir ses sujets. Il faut réfléchir, réfléchir longtemps ; puis viser, viser avec tout le soin suffisant, et tirer en plein centre. Interventions 2020, Michel Houellebecq

Cioran note avec brièveté que la croyance en Dieu « était une solution », et qu’on n’en trouvera certainement jamais de meilleure. Parmi les immenses avantages de cette croyance, j’en repère au moins trois. Un, les questions cosmologiques sur l’origine de l’Univers, de l’espace, du temps, etc., se trouvaient ipso facto résolues. Deux, la mort était vaincue (la sienne, et surtout celle des autres). Trois, la possibilité d’une communauté humaine était constituée (vous les reconnaîtrez à ce signe qu’ils s’aiment les uns les autres, etc.). Interventions 2020, Michel Houellebecq

Quant à faire obligatoirement le bonheur d’au moins une créature au cours de sa vie, mais de le faire pratiquement, c’est-à-dire effectivement, je l’érigerais en commandement pour tout homme cultivé, exactement comme je pourrais faire une obligation à tout paysan de planter au moins un arbre dans sa vie, étant donné le déboisement de la Russie. » Interventions 2020, Michel Houellebecq

Que se passerait-il en effet si le Christ revenait et déambulait dans les rues de Rome, prêchant et accomplissant des miracles ? Comment le pape actuel réagirait-il ? Interventions 2020, Michel Houellebecq

Quand on voit la laideur des églises modernes, ces malheureux cubes de béton délavé, hideux parfois, qui ne dominent guère la ligne d’horizon tracée par les pavillons environnants, on comprend surtout que ce qui nous différencie des bâtisseurs de la chrétienté, c’est de « penser fonctionnel » au lieu de dédier la construction à Dieu. C’était mieux avant, quand le surnaturel se voyait partout, jusque dans les flèches des cathédrales, pointées vers le ciel. Interventions 2020, Michel Houellebecq

L’Église n’est sans doute jamais aussi convaincante que lorsqu’elle accompagne une famille en deuil. Ce moment où le prêtre console les cœurs, ce moment précis où il s’adresse à une famille réunie devant un cercueil, ce moment est sans doute celui où l’Église reste vraiment légitime. Interventions 2020, Michel Houellebecq

Selon cette séparation, l’État est laïc, certes, mais à aucun moment il n’est précisé que la société doit être athée. Interventions 2020, Michel Houellebecq

 « Si un homme et une femme s’aiment vraiment, je n’ai pas à entrer dans leur chambre, tout ce qu’ils font est saint. Interventions 2020, Michel Houellebecq»

L’homme est un être de raison – si on veut, cela arrive, de temps en temps. Mais il est avant tout un être de chair, et d’émotion : il serait bien de ne pas l’oublier. Interventions 2020, Michel Houellebecq

 « La restauration du catholicisme dans son ancienne splendeur peut-elle réparer notre civilisation endommagée ? » Là, nous sommes d’accord, c’est beaucoup plus simple, évident presque : la réponse est oui. Interventions 2020, Michel Houellebecq

 

 

 


Plotin, Œuvres complètes: Les Ennéades

Plotin, Œuvres complètes: Les Ennéades





Les passions sont des manières de sentir ou que du moins elles ne sauraient exister sans la sensation[.Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

C’est le propre d’un principe immortel et incorruptible que d’être impassible et de donner à autrui sans en rien recevoir, ou du moins de ne rien tenir que de principes supérieurs. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Un être simple par essence se suffit à lui même tant qu’il reste dans sa nature. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

On ne saurait non plus attribuer à l’âme pure la sensation, ni le raisonnement, ni l’opinion : le raisonnement est l’opération propre de l’âme. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Nous participons de l’essence de l’Âme universelle, essence qui, comme le dit Platon[36], est indivisible parce qu’elle fait partie du monde intelligible, et divisible par rapport aux corps. En effet, elle est divisible relativement aux corps, puisqu’elle se répand dans toute l’étendue de chacun d’eux tant qu’ils vivent ; mais en même temps elle est indivisible, parce qu’elle est une dans l’univers ; elle paraît être présente aux corps, elle les illumine ; elle en forme des êtres vivants, non en faisant un composé du corps et de sa propre essence, mais en restant identique ; elle produit en chacun d’eux des images d’elle-même[37], comme le visage se réfléchit dans plusieurs miroirs. Cette mesure, qu’elles donnent à notre âme comme une forme à une matière, ressemble à la mesure des choses intelligibles[5] ; c’est comme un vestige de ce qu’il y a là-haut de plus parfait. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

L’âme est mauvaise tant qu’elle est mêlée au corps, qu’elle partage ses passions, ses opinions ; elle ne devient meilleure et n’entre en possession de la vertu, que lorsqu’au lieu d’opiner avec le corps, elle pense par elle-même (ce qui est la vraie pensée et constitue la prudence), lorsqu’elle cesse de partager ses passions (ce qui est la tempérance), qu’elle ne craint pas d’être séparée du corps (ce qui est le courage), lorsqu’enfin la raison et l’intelligence commandent et sont obéies (ce qui est la justice). Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Quiconque possède les vertus de l’ordre supérieur possède nécessairement en puissance les vertus inférieures. Mais celui qui possède les inférieures ne possède pas nécessairement les supérieures. Tels sont les principaux caractères de la vie de l’homme vertueux. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

En certaines circonstances, l’homme vertueux se servira-t-il dans ses actions de quelques–unes des vertus inférieures [des vertus civiles] ; mais [alors même], s’élevant à des vertus d’un ordre supérieur, il se créera d’après elles d’autres règles. Par exemple, il ne fera pas consister la tempérance seulement à être modéré, mais il cherchera à se séparer de plus en plus de la matière ; il ne se contentera pas de mener la vie de l’homme de bien, telle que l’exige la vertu civile : il aspirera plus haut encore, il aspirera à la vie des dieux. C’est à eux, et non pas seulement aux hommes de bien, qu’il faut devenir semblable. Chercher seulement à devenir semblable aux hommes de bien, ce serait faire une image en se bornant à la rendre semblable à une autre image qui aurait été faite d’après le même modèle. L’assimilation que nous prescrivons ici consiste à prendre pour modèle un être supérieur. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

VI. La dialectique n’est donc qu’une partie de la philosophie, mais elle en est la partie la plus éminente. En effet, la philosophie a d’autres branches. D’abord, elle étudie la nature [Physique][11], et pour cela elle emprunte le secours de la dialectique comme les autres arts celui de l’arithmétique, quoique la philosophie doive bien plus à la dialectique. Ensuite, la philosophie traite des mœurs : ici encore, c’est la dialectique qui pose les principes ; la Morale n’a plus qu’à en faire naître les bonnes habitudes et à conseiller les exercices qui les engendrent. Il en est de même des vertus rationnelles[12] : c’est à la dialectique qu’elles doivent les principes qui semblent leur appartenir en propre ; car le plus souvent elles s’occupent des choses matérielles [parce qu’elles modèrent les passions]. Les autres vertus[13] impliquent aussi l’application de la raison aux passions et aux actions qui sont propres à chacune d’elles ; seulement la prudence y applique la raison d’une manière supérieure : elle s’occupe plus de l’universel ; elle considère si les vertus s’enchaînent les unes aux autres, s’il faut faire présentement une action, ou la différer, ou en choisir une autre[14]. Or, c’est la dialectique, c’est la science qu’elle donne, la sagesse, qui fournit à la prudence, sous une forme générale et immatérielle, tous les principes dont celle-ci a besoin. Ne pourrait-on sans la dialectique, sans la sagesse, posséder même les connaissances inférieures ? Elles seraient du moins imparfaites et mutilées. D’un autre côté, bien que le dialecticien, le vrai sage n’ait plus besoin de ces choses inférieures, il ne serait jamais devenu tel sans elles ; elles doivent précéder, et elles s’augmentent avec le progrès qu’on fait dans la dialectique. Il en est de même pour les vertus : on peut posséder d’abord les vertus naturelles, puis s’élever, avec le secours de la sagesse, aux vertus parfaites. La sagesse ne vient donc qu’après les vertus naturelles ; alors elle perfectionne les mœurs ; ou plutôt, lorsque les vertus naturelles existent déjà, elles s’accroissent et se perfectionnent avec elle. Du reste, celle de ces deux choses qui précède donne à l’autre son complément. En général, avec les vertus naturelles, on n’a qu’une vue [une science] imparfaite et des mœurs également imparfaites, et ce qu’il y a de plus important pour les perfectionner, c’est la connaissance philosophique des principes d’où elles dépendent. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

L’Homme a la vie parfaite quand il possède, outre la vie sensitive, la raison et la véritable intelligence.  . Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Ce qui prouve que l’homme parvenu à la vie parfaite possède le bonheur, c’est que dans cet état il ne désire plus rien. Que pourrait-il désirer ? Il ne saurait désirer rien d’inférieur : il est uni à ce qu’il y a de meilleur ; il a donc la plénitude de la vie. Son bonheur ne diminuera donc pas dans l’adversité, parce qu’il continue à posséder la vie véritable. S’il perd des parents, des amis, il sait ce que c’est que la mort, et d’ailleurs, ceux qu’elle frappe le savent aussi s’ils sont vertueux. Si le sort de ces parents, de ces amis l’afflige, l’affliction n’atteindra pas la partie intime de son être ; elle ne se fera sentir qu’à cette partie de l’âme qui est privée de raison et dont il ne partagera pas les souffrances. . Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Le sage ne sera donc pas malheureux à cause de la folie des siens ; il ne fera pas dépendre son sort du bonheur ou du malheur d’autrui. . Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

S’il se portait bien, s’il était beau, mais sans le sentir, en serait-il moins bien portant, moins beau ? De même, s’il était sage sans le sentir, il n’en serait pas moins sage. Du reste, cette activité n’est ignorée que d’une partie de lui-même et non de lui. tout entier. . Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Quand la force végétative[20] s’exerce, la perception de son activité n’est pas transmise par la sensibilité au reste de l’homme. . Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Si c’était la force végétative qui constituât notre personne, nous agirions dès qu’elle agit ; mais ce n’est pas elle qui nous constitue : nous sommes l’acte du principe intellectuel, et c’est pour cela que nous agissons quand ce principe agit. . Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Si le miroir est placé en face de l’objet, il se forme une image, et que, si le miroir est éloigné ou qu’il soit mal disposé, il n’y a plus d’image bien que l’objet lumineux continue d’agir. . Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Celui qui exécute un acte de courage ne pense pas non plus, pendant qu’il agit, qu’il agit avec courage. Il en est de même dans une foule d’autres cas ; de sorte qu’il semble que la conscience qu’on a d’un acte en affaiblisse l’énergie, et que, quand l’acte est seul [sans conscience], il soit dans son état de pureté et ait plus de force et de vie. . Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Si l’on réclame des plaisirs pour l’homme vertueux, ce ne sont pas sans doute ceux que recherchent les débauchés ni ceux qu’éprouve le corps. Ces plaisirs ne pourraient lui être accordés sans souiller sa félicité. On ne demande pas non plus sans doute pour lui des excès de foie : à quoi bon en effet ? Sans doute on veut seulement que l’homme vertueux goûte les plaisirs attachés à la présence des biens, plaisirs qui ne doivent ni consister dans le mouvement, ni être accidentels : or il jouit de la présence de ces biens, puisqu’il est présent à lui-même ; est dès lors dans un état de douce sérénité. L’homme vertueux est donc toujours serein, calme, satisfait ; s’il est vraiment vertueux, son état ne peut être troublé par aucune de ces choses que nous appelons des maux. Si l’on cherche une autre espèce de plaisirs dans la vie vertueuse, c’est qu’un cherche autre chose que la vie vertueuse. XIII. Les actions de l’homme vertueux ne sauraient être entravées par la fortune, mais elles pourront varier avec les vicissitudes de la fortune. Toutes seront également belles, et d’autant plus belles peut-être que l’homme vertueux se trouvera placé dans des circonstances plus critiques. Quant aux actes qui concernent la contemplation, s’il en est qui se rapportent à des choses particulières, ils seront tels que le sage pourra les produire après avoir bien cherché et considéré ce qu’il doit faire. Il trouve en lui-même la plus infaillible des règles de conduite, une règle, qui ne lui fera jamais défaut. . Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

On doit regarder comme laid tout objet qui n’est pas entièrement sous l’empire d’une forme et d’une raison, la matière ne pouvant pas recevoir parfaitement la forme [que l’âme lui donne]. . Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Les corps deviennent beaux par leur participation à une raison (κοινωνίᾳ λόγου) qui leur vient de Dieu. . Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Comment, par exemple, l’architecte peut-il juger beau un édifice placé devant ses yeux en le comparant avec l’idée qu’il en a en lui ? . Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Quand les sens aperçoivent dans un objet la forme qui enchaîne, unit et maîtrise une substance sans forme et par conséquent d’une nature contraire à la sienne, qu’ils voient une figure qui se distingue des autres figures par son élégance, alors l’âme, réunissant ces éléments multiples, les rapproche, les compare à la forme indivisible qu’elle porte en elle-même, et prononce leur accord, leur affinité et leur sympathie avec ce type intérieur. . Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

L’homme de bien, apercevant dans un jeune homme le caractère de la vertu, en est agréablement frappé, parce qu’il le trouve en harmonie avec le vrai type de la vertu qu’il a en lui. . Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Quel est donc cet objet qui vous cause ces émotions ? Ce n’est ni une figure, ni une couleur, ni une grandeur quelconque ; c’est cette âme invisible [sans couleur], qui possède une sagesse également invisible, cette âme en qui on voit briller la splendeur de toutes les vertus, quand on découvre en soi ou que l’on contemple chez les autres la grandeur du caractère, la justice du cœur[11], la pure tempérance, la valeur à la figure imposante, la dignité et la pudeur à la démarche ferme, calme, imperturbable, et par dessus tout l’intelligence, semblable à Dieu et éclatante de lumière. . Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

L’âme, affranchie des passions qu’engendre son commerce avec le corps quand elle se livre trop à lui, délivrée des impressions extérieures, purifiée des souillures qu’elle contracte par son alliance avec le corps, enfin réduite à elle-même, dépose cette laideur qui ne lui vient que d’une nature étrangère à la sienne. . Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

lLe courage, la tempérance, toutes les vertus, la prudence même, ne sont qu’une purification. . Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

L’âme purifiée devient une forme, une raison, une essence incorporelle, intellectuelle ; elle appartient tout entière à la divinité, en qui se trouve la source du beau et de toutes les qualités qui ont de l’affinité avec lui. . Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

VIII. Comment faut-il s’y prendre, que faut-il faire pour arriver à contempler cette Beauté ineffable, qui, comme la divinité dans les mystères, reste cachée au fond d’un sanctuaire et ne se montre pas au dehors, pour ne pas être aperçue des profanes ? Qu’il s’avance dans ce sanctuaire, qu’il y pénètre, celui qui en a la force, en fermant les yeux au Spectacle des choses terrestres, et sans jeter un regard en arrière sur les corps dont les grâces le charmaient jadis. S’il aperçoit encore des beautés corporelles, il doit ne plus courir vers elles, mais, sachant qu’elles ne sont que des images, des vestiges et des ombres d’un principe supérieur, il les fuira pour Celui dont elles ne sont que le reflet. Celui qui se laisserait égarer à la poursuite de ces vains fantômes, les prenant pour la réalité, n’aurait qu’une image aussi fugitive que la forme mobile reflétée par les eaux, et ressemblerait à cet insensé qui, voulant saisir cette image, disparut lui-même, dit la fable, entraîné dans le courant[25] ; de même, celui qui voudra embrasser les beautés corporelles et ne pas s’en détacher précipitera, non point son corps, mais son âme, dans les abîmes ténébreux, abhorrés de l’intelligence ; il sera condamné à une cécité complète, et sur cette terre comme dans l’enfer il ne verra que des ombres mensongères. C’est ici réellement qu’on peut dire avec vérité : fuyons dans notre chère patrie[26] . Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Rentre en toi-même et examine-toi. Si tu n’y trouves pas encore la beauté, fais comme l’artiste qui retranche, enlève, polit, épure, jusqu’à ce qu’il ait orné sa statue de tous les traits de la beauté. Retranche ainsi de ton âme tout ce qui est superflu, redresse ce qui n’est point droit, purifie et illumine ce qui est ténébreux, et ne cesse pas de perfectionner ta statue jusqu’à ce que la vertu brille à tes yeux de sa divine lumière, jusqu’à ce que tu voies la tempérance assise en ton sein dans sa sainte pureté[28]. Quand tu auras acquis cette perfection, que tu la verras en toi, que tu habiteras pur avec toi-même, que tu ne rencontreras plus en toi aucun obstacle qui t’empêche d’être un, que rien d’étranger n’altérera plus par son mélange la simplicité de ton essence intime, que tu ne seras plus dans ton être tout entier qu’une lumière véritable, qui ne peut être mesurée par une grandeur, ni circonscrite par une figure dans d’étroites limites, ni s’accroître en étendue à l’infini, mais qui est tout à fait incommensurable parce qu’elle échappe à toute mesure et est au-dessus de toute quantité ; quand tu seras devenu tel, alors, puisque tu es la vue même, aie confiance en toi, parce que tu n’as plus besoin de guide ; regarde attentivement : car ce n’est que par l’œil qui s’ouvre alors en toi que tu peux apercevoir la Beauté suprême. Mais si tu essaies d’attacher sur elle un œil souillé par le vice, impur, et dépourvu d’énergie, ne pouvant supporter l’éclat d’un objet aussi brillant, cet œil ne verra rien, quand même on lui montrerait un spectacle naturellement facile à contempler. Il faut d’abord rendre l’organe de la vision analogue et semblable à l’objet qu’il doit contempler[29]. Jamais l’œil n’eût aperçu le soleil, s’il n’en avait d’abord pris la forme[30] : de même, l’âme ne saurait voir la Beauté si d’abord elle ne devenait belle elle-même. Tout homme doit commencer par se rendre beau et divin pour obtenir la vue du Beau et de la Divinité. Ainsi, il s’élèvera d’abord à l’Intelligence[31], il y contemplera la beauté de toutes les formes, et il proclamera que toute cette beauté réside dans les idées. En effet, tout est beau en elles, parce qu’elles sont les filles et l’essence même de l’intelligence. Au-dessus de l’Intelligence, il rencontrera Celui que nous appelons la nature du Bien, et qui fait rayonner autour de lui la Beauté ; en sorte que, pour nous résumer, ce qui se présente le premier, c’est le Beau. Si l’on veut établir une distinction dans les intelligibles, il faut dire que le Beau intelligible est le lieu des idées, que le Bien, placé au-dessus du Beau, en est la source et le principe ; ou bien placer dans un seul et même principe le Bien et le Beau, mais en regardant ce principe comme le Bien d’abord, et seulement ensuite comme le Beau[32]est un principe possédant une Beauté suprême, principe supérieur aux choses qui sont les meilleures[7] ; il règne dans le monde intelligible[8], étant l’Intelligence même, bien différente de ce que nous appelons les intelligences humaines. Ces dernières en effet sont tout occupées de propositions, discutent sur le sens des mots, raisonnent, examinent la validité des conclusions, contemplent les choses dans leur enchaînement, incapables qu’elles sont de posséder la vérité à priori, et vides de toute idée avant d’avoir été instruites par l’expérience, quoiqu’elles soient cependant des intelligences. Telle n’est pas l’Intelligence première : tout au contraire, elle possède toutes choses ; elle est toutes choses, mais en restant en elle-même ; elle possède toutes choses, mais sans les posséder à la manière ordinaire], les choses qui subsistent en elle ne différant pas d’elle et n’étant pas non plus séparées entre elles : car chacune d’elles est toutes les autres[9], est tout et partout, quoiqu’elle ne se confonde pas avec les autres et qu’elle en reste distincte. . Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Pour mieux déterminer le Mal, on peut se le représenter comme le manque de mesure par rapport à la mesure, comme l’indétermination par rapport au terme, comme le manque de forme par rapport au principe créateur de la forme, comme le défaut par rapport à ce qui se suffit à soi-même, comme l’illimitation et la mutabilité perpétuelle, enfin comme la passivité, l’insatiabilité et l’indigence absolues[14]. Ce ne sont pas là de simples accidents du Mal, c’est pour ainsi dire son essence même : quelque portion du Mal qu’on examine, on y découvre tout cela. . Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Ce qui est le sujet de la figure, de la forme, de la détermination, de la limitation, ce qui doit à autrui ses ornements, mais qui n’a rien de bon par soi-même, ce qui n’est par rapport aux êtres véritables qu’une vaine image, en un mot l’essence du Mal, s’il peut y avoir une telle essence, voilà ce que la raison nous oblige à reconnaître pour le Premier mal, le Mal en soi. . Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Le ciel est pur de tout mal parce qu’il se meut éternellement avec régularité, dans un ordre parfait, parce que dans les astres il n’y a ni injustice ni aucune autre espèce de mal, qu’ils ne se nuisent pas réciproquement dans leur cours et qu’à leurs révolutions préside la plus belle harmonie ; tandis que la terre offre le spectacle de l’injustice, du désordre, parce que notre nature est mortelle et que nous habitons un lieu inférieur. . Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Le Mal est nécessaire parce qu’il faut que le Bien ait son contraire. . Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

La vertu, sans être le Bien en soi, est un bien cependant, un bien qui nous fait dominer la matière. . Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Puisque le Bien ne reste pas seul, il est nécessaire que le Mal existe par l’éloignement du Bien (τῇ ἐϰϐάσει τῇ παρ’ αὐτὸ) [c’est-à-dire par l’infériorité relative des êtres qui, procédant les uns des autres, s’éloignent de plus en plus du Bien]. . Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Comme le feu séparé de la matière ne brûle pas, aucune forme, lorsqu’elle reste en elle-même, ne fait ce qu’elle fait quand elle est dans la matière. . Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

En un mot, le premier mal, c’est ce qui par soi-même manque de mesure ; le second, c’est ce qui tombe dans la défaut de mesure par accident, soit par assimilation, soit par participation. . Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

De même que nos membres sont des parties de notre corps, nous sommes nous-mêmes des parties de l’univers. Les choses sont donc faites les unes pour les autres. Tout est plein de signes, et le sage peut conclure une chose d’une autre. Aussi beaucoup de faits habituels sont-ils prévus par tous les hommes. Tout est coordonné dans l’univers (σύνταξις μία)[25]. C’est en vertu de cette coordination que les oiseaux fournissent des auspices, que les autres animaux nous donnent des présages. Toutes choses dépendent mutuellement l’une de l’autre. Tout conspire à un but unique (σύμπνοια μία[26]) non seulement dans chaque individu, dont les parties sont parfaitement liées ensemble, mais, antérieurement et à un plus haut degré, dans l’univers. . Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

lLÂme, comprenant ou prévoyant les effets de ses œuvres, détermine et enchaîne par eux toutes les choses qui doivent arriver ; elle considère donc les antécédents et les conséquents, et, d’après ce qui précède, prévoit ce qui doit suivre[74]. C’est [parce que les êtres procèdent ainsi les uns des autres] que les races s’abâtardissent continuellement : par exemple, les hommes dégénèrent parce qu’en s’éloignant continuellement et nécessairement [du type primitif] les raisons [séminales] cèdent aux passions de la matière[75]. . Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Plotin explique la génération des êtres par une irradiation. Il représente habituellement le principe suprême des choses comme un foyer de lumière duquel émanent éternellement, sans l’épuiser, des rayons par lesquels il manifeste sa présence sur tous les points de l’infini. Cette lumière n’est autre chose que l’Intelligence divine, comme Plotin le dit dans le livre suivant (§ 5). Le foyer dont elle découle sans interruption, c’est l’Un, au sein duquel l’existence et la pensée se confondent, et qui manifeste sa puissance par l’ensemble des êtres qui lui doivent la vie (liv. IV, § 13 ; liv. IX, § 9). Voici comment Plotin s’exprime à ce sujet dans un passage analogue à celui qui termine ici le § 18 : «  L’Intelligence est le Soleil qui brille là-haut. Considérons-le comme le modèle de la Raison. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

 

La forme des objets sensibles n’étant qu’une image, leur matière n’est également qu’une image. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

 Il est impossible qu’il existe quelque chose sans  l’intelligence et l’âme, Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

En entrant dans la matière, la quantité l’étend-elle pour lui donner la grandeur ? Nullement : la matière n’avait pas été resserrée. La forme donne à la matière la grandeur qu’elle n’avait pas, comme elle lui imprime la qualité dont elle manquait[32]. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Le feu et la chaleur ? La chaleur se trouve dans le feu, mais le feu ne se trouve pas nécessairement compris dans la chaleur ; Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Comment la détermination peut-elle, s’unir à l’infini sans en détruire la nature, puisque cet infini n’est pas tel par accident ? Elle détruirait cet infini s’il était infini en quantité ; mais cela n’a pas lieu. Elle lui conserve au contraire son essence, elle réalise et complète sa nature ; comme la terre qui ne contenait pas de semences [conserve sa nature] quand elle en reçoit, ou la femelle quand elle est fécondée par le mâle ; alors la femelle ne cesse pas d’être femelle ; elle l’est au contraire à un plus haut degré, elle réalise son essence. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

La matière continue-t-elle à être le mal quand elle vient à participer du bien ? Oui, parce qu’antérieurement elle était privée du bien, qu’elle ne le possédait point[61]. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Le corps est la matière avec la raison qui y est présente Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

L’objet éloigné nous paraît voisin, parce que l’impossibilité où nous sommes de distinguer les parties de l’espace intermédiaire ne nous permet pas d’en déterminer exactement la grandeur. Quand la vue ne peut parcourir la longueur d’un intervalle en en déterminant la qualité sous le rapport de la forme, elle ne peut pas non plus en déterminer la quantité sous le rapport de la grandeur. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Il ne faut pas accorder que le monde est mal fait, parce qu’on y souffre mille peines : c’est exiger pour le monde sensible une trop grande perfection et le confondre avec la monde intelligible dont il n’est que l’image (εἰϰών)[33] ? Mais pourrait-il en exister une plus belle image ? Pourrait-il y avoir, après le feu céleste, un feu meilleur que notre feu ? Comment concevoir, après la terre intelligible, une autre terre que celle-ci ? après l’acte par lequel le monde intelligible s’embrasse lui-même, une sphère plus parfaite, plus admirable, mieux ordonnée dans ses mouvements[34] ? Enfin comment concevoir, après le soleil intelligible, un autre soleil que celui qui frappe notre vue ? Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

En nommant une multitude de principes intelligibles (πλῆθος νοητῶν ὀνομάζοντες)[52], ils croient paraître en posséder une connaissance exacte, tandis que, en les supposant si nombreux, ils les rabaissent et les rendent semblables aux êtres inférieurs et sensibles. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Efforce-toi de devenir aussi bon que possible, mais ne t’imagine pas que tu en es seul capable[93] : car alors tu ne serais plus bon. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Les amis de Dieu supportent avec douceur tout ce qui résulte du cours de l’univers, quand il leur survient un accident qui en est une conséquence nécessaire[103]. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Pour posséder un bien, il ne suffit pas d’affirmer qu’on le possède : il y a beaucoup d’hommes qui, sachant parfaitement qu’ils n’ont pas un bien, se vantent néanmoins de le posséder, qui croient le posséder quand ils ne le possèdent pas, ou le posséder seuls quand ils sont les seuls qui ne le possèdent pas. Plotin, Oeuvres omplètes: Les Ennéades

Celui qui se plaint de la nature du monde ne sait donc pas ce qu’il fait, ni jusqu’où va son audace. C’est que beaucoup d’hommes ignorent qu’un enchaînement étroit unit les choses du premier, du second et du troisième rang[130], et descend jusqu’à celles du plus bas degré. Au lieu de blâmer ce qui est inférieur aux premiers principes, il faut se soumettre avec douceur aux lois de l’univers[131], s’élever soi-même aux premiers principes, ne pas éprouver ces terreurs tragiques[132], inspirées à certaines gens par les sphères du monde qui n’exercent sur nous qu’une influence bienfaisante[133]. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Qu’est-ce qui empêche de répéter le nom de Dieu, tout en se laissant dominer par ses passions et en ne faisant rien pour les réprimer ? La vertu, portée à sa perfection, établie solidement dans l’âme par la sagesse, voilà ce qui nous montre Dieu. Sans la véritable vertu, Dieu n’est qu’un mot[152]. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Si Dieu privait le monde de sa présence, il vous en priverait aussi, et vous ne pourriez rien dire ni de lui ni des êtres qui sont  au-dessous de lui. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Qui de ces hommes si orgueilleux est aussi bien ordonné, aussi sage que l’univers, et pourrait même se comparer avec lui sans ridicule, sans absurdité ? Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Quand on voit briller dans un visage une éclatante image de la beauté, on s’élève à l’intelligible[159]. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

il est impossible qu’un être soit réellement beau à l’extérieur, et laid à l’intérieur : car l’extérieur n’est beau que parce qu’il est dominé par l’intérieur [par l’âme qui donne la forme][164]. Ceux qu’on appelle beaux, et qui sont laids intérieurement, n’ont au dehors qu’une beauté mensongère. Si l’on prétend qu’il y a des hommes qui possèdent un beau corps avec une âme laide, j’affirme qu’on n’en a pas vu et qu’on s’est trompé en les croyant beaux, ou que, si l’on a vu de pareils hommes, leur laideur intérieure était accidentelle et qu’ils avaient une âme naturellement belle : car nous rencontrons ici-bas de grands obstacles qui nous empêchent d’arriver à notre fin. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Il faut bien, tant que nous avons un corps, demeurer dans ces maisons construites par l’Âme du monde[166] Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

L’Âme du monde n’est troublée par rien, parce qu’elle est en dehors de toute atteinte. Mais nous, qui sommes ici-bas exposés aux coups de la fortune, repoussons-les par notre vertu, affaiblissons les uns, rendons les autres impuissants par notre constance et par notre grandeur d’âme[170] Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Quand nous nous serons ainsi rapprochés de cette puissance qui est en dehors de toute atteinte, de l’Âme de l’univers et des âmes des astres, nous tâcherons d’en être l’image et de pousser même cette ressemblance jusqu’à l’identité. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Les essences premières n’ont point de cause parce qu’elles existent toujours. Les essences qui dépendent des essences premières tiennent d’elles aussi l’existence. Quant aux choses qui deviennent, elles ont toutes une cause. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

La doctrine (stoïcienne) que toutes choses dérivent l’une de l’autre par un enchaînement fatal détruit la liberté humaine, parce que, dans ce cas, toutes nos déterminations sont des impulsions que nous recevons du Destin. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

L’Intelligence constitue elle-même le monde intelligible, unité vivante et intelligente, permanente et immuable, type de la perfection et de la béatitude. Ensuite, en vertu d’une nécessité inhérente à son essence, elle engendre le monde sensible, qui est le théâtre de la pluralité, de la division, de la lutte des contraires, parce qu’il est un mélange de la matière et de la raison. L’harmonie qu’on y découvre lui est donnée par l’Âme universelle qui le gouverne. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Le mal n’est qu’un défaut de bien[1]. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

On demande comment il se fait que les hommes vicieux obtiennent si souvent tous les avantages auxquels on attache tant de prix, richesses, honneurs, beauté, etc., et que les hommes vertueux aient une condition contraire. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Dieu n’est point responsable des actes volontaires et libres des âmes. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

On ne peut raisonnablement demander à la Providence de venir à chaque instant suspendre les lois de la nature et en interrompre le cours, par son intervention. En effet, l’action de la Providence ne doit pas anéantir la liberté de l’homme : son rôle est d’assurer à chacun, soit ici-bas, soit après la mort, la récompense ou la punition qu’il a méritée par sa conduite. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

 

La Raison de l’univers n’a pas dû donner à tout une perfection uniforme, parce que les inégalités mêmes et les différences des êtres contribuent à la beauté de l’univers.

Si chaque individu, considéré isolément, laisse à désirer, c’est parce qu’il ne peut réunir en lui seul toutes les perfections de son espèce. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Les actes de l’homme, quoiqu’il soit libre, sont compris dans le plan de l’univers, parce que la Providence a tenu compte de notre liberté. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Notre Démon est la puissance immédiatement supérieure à celle qui agit principalement en nous ; selon que nous vivons soit de la vie sensitive, soit de la vie rationnelle, soit de la vie intellectuelle, nous avons pour démon soit la Raison, soit l’Intelligence, soit le Bien. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

La vertu consiste à ce que toutes les facultés soient en harmonie. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

L’Être absolu est impassible : car, possédant de soi et par soi l’existence, il se suffit pleinement à lui-même, il est par conséquent parfait, éternel, immuable, possède la vie et l’intelligence. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

L’éternité est la forme de la vie qui est propre à l’Être intelligible : elle n’est ni l’Être intelligible ni le repos de cet être ; elle est la propriété qu’a sa vie d’être permanente, immuable, indivisible, infinie, et de posséder une plénitude perpétuelle qui exclut la distinction du passé et de l’avenir. Les choses engendrées, au contraire, ne sont rien sans leur futur, parce que leur existence consiste à réaliser continuellement leur puissance. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Eternité, qui dérive de ἀεὶ ὄν (aei on), l’Être qui est toujours. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Source de tous les êtres, la racine de ce grand arbre qui est l’univers. Chaque chose a pour principe une unité plus ou moins simple : en remontant d’unité en unité, on arrive à une unité absolument simple, au-delà de laquelle il n’y a plus rien à chercher, parce qu’elle est le principe, la source et la puissance de tout. Elle ne peut être saisie que par une intuition absolument simple. Sa grandeur se manifeste par les êtres qui en procèdent ; c’est d’elle que l’Intelligence tient sa plénitude. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Si l’âme était uniquement divisible, il n’y aurait pas communauté d’affection dans chacun de nous, ni sympathie entre les âmes. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Si l’âme était uniquement indivisible, elle ne pourrait entrer en rapport avec le corps et l’animer tout entier. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Comme les âmes particulières, l’Âme universelle est à la fois une et multiple, parce qu’elle communique la vie à une multitude d’êtres qui forment une unité ; indivisible et divisible, parce qu’elle est présente à la fois dans toutes les parties du monde qu’elle administre. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

La connaissance de l’âme est la condition de la connaissance des principes dont elle procède et des choses dont elle est elle-même le principe. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

L’Âme universelle n’est pas descendue dans le monde ; mais, par sa procession, elle a produit l’espace, en engendrant à la fois la matière et la forme. Elle a ainsi déterminé, selon son essence propre, l’étendue que le monde occupe : car elle l’a engendré et ordonné de tout temps, non par choix ni par délibération, mais en vertu de sa nature. Étant souverainement maîtresse de la matière, elle l’a façonnée par les raisons séminales, et elle a fait participer tous les êtres à la vie qu’elle possède elle-même. Son rôle est en effet de transmettre à la Nature les idées qu’elle contemple dans l’intelligence divine ; elle en est l’interprète : c’est par elle que tout descend du monde intelligible dans le monde sensible, c’est par elle que tout y remonte. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

L’intelligence est affaiblie par son union avec un corps. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

L’âme est indivisible en elle-même, quand elle produit les opérations qui relèvent de la Raison et de l’Intelligence ; elle est divisible par son rapport avec le corps, quand elle exerce les Sens, la Concupiscence, la Colère, la Puissance végétative et nutritive, parce qu’elle a dans ce cas besoin des organes. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Quand on considère ainsi la nature de l’âme, on voit sa grandeur et sa puissance, on comprend combien sont admirables et divines une telle essence et les essences supérieures. Sans avoir d’étendue, l’âme est présente dans toute étendue ; elle est dans un lieu, et elle n’est cependant pas dans ce lieu[10] ; elle est à la fois divisée et indivise ; ou plutôt, elle n’est jamais divisée réellement, elle ne se divise jamais : car elle demeure tout entière en elle-même. Si elle semble se diviser, ce n’est que par rapport aux corps, qui, en vertu de leur propre divisibilité, ne peuvent la recevoir d’une manière indivisible. Ainsi la division est le fait du corps et non le caractère propre de l’âme[11] Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

 

Si l’âme était absolument une, essentiellement indivisible et une en elle-même, si elle avait une nature incompatible avec la multiplicité et la division, elle ne pourrait en pénétrant le corps l’animer tout entier : se plaçant comme au centre, elle laisserait sans vie toute la masse de l’animal. Il est donc nécessaire que l’âme soit à la fois une et multiple, divisée et indivise, et il ne faut pas nier, comme chose impossible, que l’âme, bien qu’une et identique, soit en plusieurs points du corps à la fois. Si l’on refuse d’admettre cette vérité, on anéantira par cela même cette nature contient et administre l’univers[15], qui embrasse tout en même temps et dirige tout avec sagesse, nature à la fois multiple, parce que les êtres sont multiples, et une, parce que le principe qui contient tout doit être un : c’est par son unité multiple qu’elle communique la vie à toutes les parties de l’univers ; c’est par son unité indivisible qu’elle dirige tout avec sagesse. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Platon a voulu indiquer allégoriquement par ces paroles divines : « De l’essence indivisible et toujours la même, et de l’essence qui devient divisible dans les corps, Dieu forma par leur mélange une troisième espèce d’essence[16]. » Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Déterminer ici quelles sont, parmi les questions qu’on élève sur l’âme, celles qu’on peut résoudre avec certitude, et celles sur lesquelles il faut s’en tenir au doute, en regardant ce doute même comme la récompense de ses recherches. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

 

Si l’Âme universelle et les âmes particulières sont conformes, comment se fait-il que la première ait créé le monde et que les autres ne l’aient point créé, puisqu’elles contiennent aussi chacune toutes choses en elle-même, et que nous avons déjà montré que la puissance productrice peut exister à la fois en plusieurs êtres ? Expliquons-en la raison maintenant. Nous pourrons ainsi examiner et découvrir comment la même essence peut agir, ou pâtir, ou agir et pâtir, d’une manière différente en différents êtres. Comment donc et pourquoi l’Âme universelle a-t-elle fait l’univers, tandis que les âmes particulières en administrent seulement chacune une partie ? Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

L’enfant est de même engendré dans le sein de sa mère, et que cependant l’âme qui entre dans son corps est distincte de celle de sa mère[43]. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Succession que nous établissons ainsi entre ses actes est purement verbale[57] : car il n’y a jamais eu de moment où l’univers ne fût pas animé, où son corps existât sans l’Âme, où la matière subsistât sans avoir de forme[58] Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

L’art en effet est postérieur à la nature : il l’imite en produisant d’obscures et faibles imitations de ses œuvres, des jouets sans prix ni mérite, et il emploie d’ailleurs un grand appareil de machines pour produire ces images[63] Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

L’Âme universelle, au contraire, dominant les corps par la vertu de son essence, les fait devenir et être ce qu’elle veut : car les choses mêmes qui existent depuis le commencement ne peuvent opposer de résistance à sa volonté. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Les êtres que nous appelons des dieux méritent d’être regardés comme tels parce que jamais ils ne s’écartent des intelligibles, qu’ils sont suspendus à l’Âme universelle considérée dans son principe, au moment même où elle sort de l’Intelligence. Ainsi, ces êtres sont des dieux en vertu même du principe auquel ils doivent leur existence, et parce qu’ils se livrent à la contemplation de l’Intelligence, dont l’Âme universelle elle-même ne détache point ses regards. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Une intelligence, tout entière à son objet, ne peut en même temps contempler l’intelligible et penser à une autre chose. L’acte de la pensée n’implique pas le souvenir d’avoir pensé. — Ce souvenir, dira-t-en, est postérieur à la pensée. — Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Lorsque Dieu même ou un dieu inférieur envoya les âmes dans la génération, il donna au visage de l’homme des yeux destinés à l’éclairer[2], il plaça dans le corps les autres organes propres aux sens, prévoyant (προορώμενος (proorômenos)) que l’animal ne pourrait se conserver qu’à la condition de voir les objets placés devant lui, de les entendre et de les toucher, afin de rechercher les uns et d’éviter les autres. Mais comment Dieu le prévit-il ? — Il ne faut pas croire qu’il ait commencé par faire des animaux qui aient péri faute de posséder des sens, et qu’ensuite il en ait donné aux hommes et aux autres animaux afin qu’ils pussent se préserver de la mort[3]. On fera peut-être l’objection suivante : Dieu savait que les animaux seraient exposés au chaud, au froid et aux autres impressions physiques ; par suite de cette connaissance, pour empêcher les animaux de périr, il leur a accordé les sens et les organes destinés à leur servir d’instruments. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Non-seulement la forme (εἶδος (eidos)[19]) d’un être est pour lui sa raison d’être (ce qui est une vérité incontestable), mais encore, si l’on analyse chaque forme considérée en elle-même, on y trouvera sa raison d’être. Il n’y a que ce qui n’a qu’une vie sans réalité et une vaine existence qui ne porte pas en soi sa raison d’être. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Besoin d’acquérir quelque chose. L’homme intelligible est éternel ; il est donc toujours ce qu’il est de son essence d’être. L’être qui devient homme est un être engendré. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Un organe comme l’œil. Ainsi, quand on assigne la cause d’une chose, on explique tout. Pourquoi dans l’homme des yeux, des sourcils ? C’est pour qu’il possède tout ce qui est impliqué dans son essence. Dira-t-on que ces parties du corps lui sont données pour le garantir des dangers ? Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Percevoir les objets sensibles ? Mais il serait absurde que là-haut l’homme possédât de toute éternité la puissance de sentir et qu’il ne sentît qu’ici bas, que cette puissance ne passât à l’acte que quand l’âme est devenue moins bonne [par son union au corps]. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

L’âme disposée de telle façon, présente à la matière disposée de telle façon (puisque l’âme est telle chose, selon qu’elle est dans telle disposition), même sans le corps, est ce qui constitue l’homme[27]. Elle façonne dans le corps une forme à sa ressemblance. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Aussi Intelligence et Vie parfaite. L’Intelligence a pour caractère non d’être une, mais d’être universelle : elle renferme donc toutes les intelligences particulières ; elle est toutes les intelligences et en même temps elle est quelque chose de plus grand. Elle possède la vie non comme Âme une, mais comme Âme universelle, ayant la puissance supérieure de produire les âmes particulières. Elle est enfin l’Animal universel ; par conséquent, elle ne doit pas renfermer l’homme seul [mais encore toutes les autres espèces d’animaux] ; sinon, l’homme seul existerait sur la terre. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Toutes ces vies, qui représentent autant de mouvements, toutes ces intelligences, qui forment une pluralité, ne pouvaient pas être identiques, il fallait donc qu’elles différassent entre elles, et leur différence devait consister à manifester plus ou moins clairement l’intelligence et la vie : celles qui occupent le premier rang sont distinguées par les premières différences, celles qui occupent le deuxième rang par les différences de deuxième espèce, et ainsi de suite. Ainsi, parmi les intelligences, les unes constituent les dieux, les autres les êtres placés au deuxième rang et doués de raison ; d’autres enfin les êtres que nous appelons privés de raison. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Plus les puissances de l’Intelligence se développent, plus elles deviennent imparfaites. Dans leur procession, elles perdent à chaque degré quelque chose, et comme c’est un moindre degré d’être qui constitue tel ou tel animal, son infériorité se rachète par quelque chose de nouveau. Ainsi, à mesure que la vie est moins complète dans l’animal, apparaissent les ongles, les serres, ou les cornes et les dents. Partout où l’intelligence baisse d’un côté, elle se relève d’un autre côté par la plénitude de sa nature, et elle trouve en elle-même de quoi compenser ce qui manque[41]. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

L’Essence universelle est la Pensée qui embrasse la Vie universelle, et qui après une chose en conçoit toujours une autre, parce que, ce qui en elle est identique étant aussi différent, toujours elle divise et toujours elle trouve une chose différente des autres. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Dans le monde intelligible, la vie dont on parcourt le champ est toujours identique à elle-même, mais aussi elle est toujours différente, Il en résulte qu’elle ne nous paraît pas identique, parce que dans son évolution (διέξοδος (diexodos)), qui est identique, elle parcourt des choses qui ne le sont pas ; elle ne change pas pour cela : car elle parcourt des choses différentes d’une manière uniforme et identique. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Ici-bas, nous n’aimons pas les corps pour eux-mêmes, mais pour la beauté qui reluit en eux[76] Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Chaque intelligible est par lui-même ce qu’il est ; mais il ne devient désirable que quand le Bien l’illumine et le colore en quelque sorte, donnant à ce qui est désiré les grâces et à ce qui désire les amours. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Pourquoi, entre plusieurs statues, les plus vivantes paraissent-elles plus belles que d’autres mieux proportionnées ? Pourquoi un animal vivant, fût-il laid, est-il plus beau qu’un animal en peinture, ce dernier eût-il d’ailleurs une forme plus parfaite ? C’est que la forme vivante nous paraît plus désirable, c’est qu’elle a une âme, c’est qu’elle est plus conforme au Bien ; c’est enfin que l’âme est colorée par la lumière du Bien, qu’éclairée par lui elle en est comme plus éveillée et plus légère, et qu’à son tour elle allége, elle éveille et fait participer du Bien, autant qu’il en est capable, le corps dans lequel elle réside. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Le bien de la matière, c’est la forme : car la matière la recevrait avec plaisir si elle devenait sensible. Le bien du corps, c’est l’âme : car sans elle il ne saurait ni exister ni durer. Le bien de l’âme, c’est la vertu ; puis, plus haut, l’Intelligence. Le bien de l’Intelligence enfin, c’est le principe que nous nommons la Nature première (πρώτη φύσις (prôtê phusis)). Chacun de ces biens produit quelque chose dans l’objet dont il est le bien : il lui donne soit l’ordre et la beauté [comme la forme le fait à la matière], soit la vie [comme l’âme le fait au corps], soit la sagesse et le bonheur [comme l’Intelligence le fait à l’âme]. Enfin, le Bien communique à l’Intelligence ce que nous disons passer de lui en elle : il lui donne d’être un acte émané du Bien et il répand sur elle ce que nous appelons sa lumière. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

La forme est en effet le vestige de Celui qui n’a pas de forme. Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

L’âme doit donc écarter d’elle tout mal, tout bien même, en un mot toute chose, quelle qu’elle soit, pour recevoir Dieu seule à seul[116] Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades

Il résulte de là que le Bien ne se pense lui-même Plotin, Oeuvres complètes: Les Ennéades