samedi 23 mai 2020

Conseils d’un père à son fils, Régis Debray, Folio


Conseils d’un père à son fils, Régis Debray,  Folio



Les chansons d’auteur ne sont pas des feux de paille et, non contentes de tout dire sur l’air du temps, elles se gravent dans notre mémoire mille fois mieux qu’une thèse ou un essai. Debray, Régis. Conseils d’un père à son fils p. 37

Ce qui soude une génération, où que ce soit, c’est un accord tacite sur ce qui est bon à penser et donc sur les désaccords dignes d’attention. Debray, Régis. Conseils d’un père à son fils p. 44


Cest le partage d’un même passé plus que d’un même espace qui peut convaincre notre espèce de faire un seul peuple,Debray, Régis. Conseils d’un père à son fils p. 45

Et c’est une veine, qu’on soit pour si peu de chose dans notre vie. Cela laisse de la place aux autres. Sache, pitchoun (« petit », en provençal, c’est affectueux), que nul ne forge son identité à soi seul, et que ceux qui t’appellent à être l’auteur de ton existence, en artiste du moi, sont des égolâtres et des jean-foutre. « Pourquoi un tableau ou une maison sont-ils des objets d’art, mais non pas notre vie ? » se demande M. Foucault. Réponse : parce qu’un architecte est libre de ses épures et de ses matériaux, et que l’artiste peintre peut choisir ses tubes chez le marchand de couleurs. Alors que, pour nous, l’air du temps fixe le cahier des charges – à notre insu. En 1960, le fond de toile était rouge ; il est passé ensuite au rose, puis au vert, et maintenant la bannière US étoile nos T-shirts. Chaque décennie sa dominante mais, en tout cas, la page n’est jamais blanche, et le moule jamais vide. Debray, Régis. Conseils d’un père à son fils pp. 56-57

Le risque de l’« acosmisme » comme Hannah Arendt appelle la « fuite dans l’histoire mondiale ». Ils se croient à la maison à six mille kilomètres de chez eux, qu’ils soient porteurs de la Justice prolétarienne ou de la Libre Entreprise, Debray, Régis. Conseils d’un père à son fils p. 62

Là où il y a une bagarre en cours, débrouille-toi pour ne jamais être l’étranger. Debray, Régis. Conseils d’un père à son fils p. 63

À gauche, la société sans la nation, sans les poètes et sans Jeanne d’Arc. Elle fait l’affaire des sociologues, des socialos et des juristes ; à droite, la nation sans la société, et sans lutte des classes. Elle fait l’affaire des décorés, des aèdes et des antiquaires. Chacun son filon, et son trou noir. Debray, Régis. Conseils d’un père à son fils pp. 64-65

Faire la sourde oreille aux dégoûtés de la France moisie, toujours prêts à accuser un « grand cadavre à la renverse » d’avoir manqué à ses obligations quand elle n’en a contracté aucune puisque c’est nous qui l’en avons lestée sans qu’elle y soit pour rien. Debray, Régis. Conseils d’un père à son fils p. 66

Ou un corps expéditionnaire faire du nation building en Afghanistan, casser l’État irakien, armer les islamistes en Syrie, etc., sans prêter la moindre attention à la
langue, aux mœurs et à l’histoire. Debray, Régis. Conseils d’un père à son fils p. 71

Mais qui croit en quelque chose se croit lui-même beaucoup plus qu’il n’est, condition du succès. Debray, Régis. Conseils d’un père à son fils p. 77

Politique intérieure : gauche toute, « on fait cracher les riches et on redistribue ». Politique économique : centre, « il faut bien, avant de la redistribuer, créer de la richesse », donc des patrons, qui tireront la couverture à eux, et des salariés, qui paieront la TVA. Politique étrangère : droite vieux jeu, « qu’on ne vienne pas piétiner nos plates-bandes ni nous forcer la main, je ne suis pas forcé de vous ressembler ».
Debray, Régis. Conseils d’un père à son pp. 84-85

Je n’aurais pas raté le coche et manqué le virage sur l’aile de l’esprit d’Occident, direction Katmandou, quand les hippies, au milieu des sixties, ont lâché Prométhée et Jésus pour le Dalaï-Lama. Et, dans la foulée, l’ancestrale éthique de l’effort et du travail, où l’on ne comptait pas sa peine, pour cette économétrie du bonheur où toute contrariété a son tarif et son indemnité. En dépavant les rues de Paris, Debray, Régis. Conseils d’un père à son fils p. 85

Moins il y a de prestige moral chez les politiques, plus il y a de prestige politique chez les moralistes. Debray, Régis. Conseils d’un père à son p. 89

L’apostrophe de Zola à la « une » d’un quotidien, J’accuse. C’est bien notre fonction. Non pas expliquer, explorer, reconstituer, comprendre mais chapitrer, morigéner, dénoncer, fustiger. Raisonnement facultatif, allumage recommandé. La polémique procède ad rem, le pamphlet ad hominem (avec un penchant vers la droite), mais les deux ont tout intérêt à accrocher la diatribe à un héros du Who’s who, un wanted déjà bien repéré. Debray, Régis. Conseils d’un père à son fils p. 92

Ne supportant pas la distance entre ce qui devrait être et ce qui est, ce preux, mi-évangéliste, mi-urgentiste, entend rendre le réel conforme à son idée. Épris de solutions expéditives et expéditionnaires, ne s’embarrassant pas plus d’histoire que de géographie, ce saint Michel a le don du coup de menton et de la mise en demeure des « lâches qui nous gouvernent ». Debray, Régis. Conseils d’un père à son pp. 98-99


Et c’est quand les adeptes du mouvement chrétien se sont mis à penser grec et parler latin qu’ils ont pu damer le pion aux Grecs et aux Latins. Si Luther n’avait pas été un bon moine augustin, la chrétienté serait restée papiste. Bref, commence par tapoter bien gentiment sur l’épaule des importants sans faire l’ours ou le snob.
Debray, Régis. Conseils d’un père à son fils p. 110

« Il faut choisir entre comprendre et réagir. » Entre se donner du champ et donner de la voix. Debray, Régis. Conseils d’un père à son fils p. 114

« Sont actuelles les pensées qui nous permettent de nous situer dans le temps et de juger le présent pour ce qu’il vaut, mais ces pensées sont souvent intempestives. »
Debray, Régis. Conseils d’un père à son fils p. 114

On peut juger improbable, chez nous, le retour de l’esclavage au sens propre (on a trouvé des équivalents plus lénifiants), du droit divin ou de l’ordalie dans les cours d’assises mais on a vu venir le IIIe Reich après la République de Weimar, Pinochet après Allende, et on voit, dans maints pays, la théocratie succéder à la démocratie, et le droit du sang au droit du sol, alors qu’après le tracteur, la pénicilline ou la calculette, l’araire à manche de bois, la décoction miraculeuse, le boulier ou l’abaque débarrassent le plancher. Debray, Régis. Conseils d’un père à son fils p. 121

Tous les documents disponibles, depuis l’âge du bronze, indiquent un bipède assez stable dans ses fondamentaux : xénophobe, peureux, agressif, veule, cupide dès qu’il le peut et prêt aux pires étripages dès qu’on l’a persuadé que son vis-à-vis était le diable en personne. Debray, Régis. Conseils d’un père à son fils p. 122

Raison de plus pour rester ouvert aux surprises du monde. Garde-toi de fermer ta porte à l’inconnu qui passe. Debray, Régis. Conseils d’un père à son fils p. 123

Nos fausses routes sont-elles le prix à payer pour garder notre liberté de mouvement, et renouveler de loin en loin notre carapace de certitudes autoprotectrices, souvent des plis de paresse ou de courtoisie.Debray, Régis. Conseils d’un père à son fils p. 129

Echapper à la plaie de notre époque, qui est de vouloir se faire aimer, complaire à tous, et racoler des fans. Debray, Régis. Conseils d’un père à son fils p. 130

 « De tout ce qui jamais advint, rien ne doit être considéré comme perdu par l’Histoire. » Debray, Régis. Conseils d’un père à son fils (p. 132

Sapiens face à Sapiens, Pascal Picq, Flammarion


Sapiens face à Sapiens, Pascal Picq, Flammarion


Un nouveau transhumanisme postule que, si l’humanité est parvenue à son pinacle, alors il faut avoir recours au « solutionnisme » technologique pour dépasser cette condition de nature, autrement dit, se dégager de l’évolution. Or il n’en est rien. Nous réalisons que ce que nous sommes dépend précisément des choix culturels et techniques de nos ancêtres – ainsi de l’alimentation – et de nos modes de vie contemporains. Picq, Pascal. Sapiens face à Sapiens

Une part croissante des populations humaines « décroche » partout dans le monde : cela se traduit en termes de santé, d’espérance de vie, de libido, de capacités cognitives, de fécondité… Une mal-évolution de plus en plus dramatique. Picq, Pascal. Sapiens face à Sapiens

Forte est la tentation de glisser dans la facilité et le confort, une servitude volontaire et délétère qui anéantit tout ce qui a fait l’aventure de la lignée humaine depuis 2 millions d’années : relations sociales, cultures, activités physique et sexuelle, mobilité… Picq, Pascal. Sapiens face à Sapiens


Homo sapiens peut-elle s’adapter aux conséquences fulgurantes de son succès depuis 40 000 ans et à son amplification sans précédent depuis un demi-siècle ? Picq, Pascal. Sapiens face à Sapiens

Aujourd’hui, la diversité des populations provient en partie de gènes captés par hybridations multiples avec des espèces sœurs tout aussi humaines que Sapiens. Picq, Pascal. Sapiens face à Sapiens

Notre lignée devient « humaine » en inventant la coévolution entre notre biologie et nos milieux technico-culturels, ce que j’appelle la deuxième coévolution. Picq, Pascal. Sapiens face à Sapiens p. 10
Toute évolution est un compromis, et plus une espèce connaît un fort accroissement démographique, plus elle modifie ses environnements ; il lui faut alors s’adapter aux conséquences. Depuis que je suis né, la population humaine a triplé et vieilli. Les conséquences en sont l’effondrement des écosystèmes, le dérèglement climatique et l’urbanisation massive. Les conséquences de ces conséquences se font encore à peine ressentir, mais nous sommes entrés dans une phase critique de l’évolution humaine qui se traduit déjà par de profondes transformations anthropologiques. Picq, Pascal. Sapiens face à Sapiens

En toile de fond, pesant sur l’humanité, la menace des contraintes de la nature, l’impact de celle-ci sur notre espèce via les nombreux sévices qui lui sont infligés. L’humanité sera-t-elle capable de s’en affranchir ? Picq, Pascal. Sapiens face à Sapiens

L’adaptation des « premiers hommes » faisait intervenir l’usage d’outils, en particulier pour la préparation de la nourriture : cela eut comme conséquence possible une réduction de la taille des mâchoires et des dents. Alors, s’agit-il ici précisément de coévolution ? Picq, Pascal. Sapiens face à Sapiens

Ce processus de réduction des molaires de la dernière vers la première qui n’affecte pas la dentition antérieure est une caractéristique séculaire de l’évolution du genre Homo d’Erectus à Sapiens. Picq, Pascal. Sapiens face à Sapiens

À partir d’Homo erectus, les humains ne se déplacent plus que d’une seule allure : le trot. Pour marcher ou courir, Homo erectus avance alternativement une jambe d’un côté avec un bras de l’autre. Picq, Pascal. Sapiens face à Sapiens

Le choix de la pierre, les formes obtenues par leur symétrie et leur équilibre, la qualité des retouches témoignent d’une recherche esthétique. Plus encore, la reconstitution des chaînes opératoires – l’ensemble des gestes nécessaires à la fabrication – mobilise des capacités cognitives identiques à celles utilisées pour le langage. Le geste et la parole procèdent de la même façon, que ce soit pour faire un biface ou une phrase ; les retouches, par exemple, sont l’équivalent cognitif des récursions de nos discours. L’anatomie de leur main le permet, comme celle de la partie antérieure du cerveau gauche pour le langage. Erectus invente les premiers modes d’expression symbolique. Picq, Pascal. Sapiens face à Sapiens

Actuellement, nombre de personnes en quête d’une vision naïve de la vie de nos ancêtres ont adopté des régimes basés sur des nourritures végétales et animales crues. Plus minces que la moyenne de la population, elles souffrent chroniquement de déficits en calories et les femmes ont des problèmes sévères de fertilité. Car, même en vivant dans un environnement citadin, avec des aliments de bonne qualité produits par l’agriculture, sans risque de rupture d’approvisionnement et nonobstant les moyens efficaces proposés par nos ustensiles de cuisine pour les préparer, les « crudistes » souffrent régulièrement de déficiences physiologiques. Picq, Pascal. Sapiens face à Sapiens

Actuellement, nombre de personnes en quête d’une vision naïve de la vie de nos ancêtres ont adopté des régimes basés sur des nourritures végétales et animales crues. Plus minces que la moyenne de la population, elles souffrent chroniquement de déficits en calories et les femmes ont des problèmes sévères de fertilité. Car, même en vivant dans un environnement citadin, avec des aliments de bonne qualité produits par l’agriculture, sans risque de rupture d’approvisionnement et nonobstant les moyens efficaces proposés par nos ustensiles de cuisine pour les préparer, les « crudistes » souffrent régulièrement de déficiences physiologiques. Picq, Pascal. Sapiens face à Sapiens pp. 72-73.

L’hypothèse canonique de la viande procède de l’idée que sa digestibilité favorise l’absorption au niveau du petit intestin, tandis que la part du régime incorporant des nourritures végétales dégradées par le microbiote dans le gros intestin régresse. Une transformation biologique et physiologique considérable en découle, avec, d’un côté, la réduction de la taille du gros intestin et du cæcum et, de l’autre, l’augmentation de la taille du cerveau. Est-ce que cette évolution a commencé avec Erectus ? Picq, Pascal. Sapiens face à Sapiens p. 74

Notre ventre se comprend comme notre « deuxième cerveau » : ce que nous mangeons nourrit et influence nos capacités cognitives.Picq, Pascal. Sapiens face à Sapiens p. 75

Par-delà la mode actuelle de l’altruisme, les études comparées en éthologie montrent que les sociétés qui pratiquent la solidarité, la coopération et l’altruisme s’adaptent mieux et résistent mieux aux périodes de crise Picq, Pascal. Sapiens face à Sapiens p. 90


Toute bonne recherche s’appuie sur de bonnes questions et non sur des clichés jamais questionnés. Picq, Pascal. Sapiens face à Sapiens p. 91

Depuis qu’existent les sciences du lointain passé de l’homme, la préhistoire et la paléoanthropologie ont été asservies à une idéologie du progrès qui centre tout sur un Occident triomphant et dominateur depuis la Renaissance, renvoyant les autres civilisations et surtout les peuples dits traditionnels à des stades inférieurs d’une histoire universelle dominée par les Européens, ce qu’on appelle l’évolutionnisme culturel. Par conséquent, on a négligé toutes les capacités d’innovation des autres peuples, que ce soit dans l’histoire et, a fortiori, dans la préhistoire. Picq, Pascal. Sapiens face à p. 205

Nos grands navigateurs de la Renaissance revivront cette aventure, mais, partout où ils accostèrent, il y avait déjà des hommes, les premiers vrais conquérants des Nouveaux Mondes qui les y avaient précédés en des temps qu’ils ne pouvaient pas imaginer ; eux étaient portés par d’autres imaginaires et représentations du monde.
Picq, Pascal. Sapiens face à Sapiens p. 208

Savoir si les civilisations répondent à des projets humains nonobstant la nature ou en réaction à des changements climatiques. Picq, Pascal. Sapiens face à Sapiens  (p. 212

Nous avons constamment négligé un facteur à propos de l’évolution : plus les espèces ont du succès, plus elles doivent s’adapter aux conséquences de ce succès… Picq, Pascal. Sapiens face à Sapiens p. 213

Jean-Baptiste de Lamarck (1744-1829) est le fondateur du transformisme, une théorie évolutionniste qui décrit comment les espèces s’adaptent en réponse aux facteurs de l’environnement. C’est de l’innovation active où, selon une expression célèbre, les nécessités sont les mères des inventions. Seulement, ce postulat contient une conséquence arbitraire : si les conditions ne changent pas, alors à quoi bon inventer ? Dans le processus lamarckien, il y a adéquation de fait entre les problèmes et leurs solutions. Picq, Pascal. Sapiens face à Sapiens p. 218

L’histoire de l’humanité se raconte toujours sur le mode solutionniste, des premières pierres taillées au transhumanisme actuel avec, en filigrane, des inventions portées au crédit des seuls hommes, les mâles, qui dégagent l’humanité des contingences naturelles, ce que ne peuvent faire les femmes, trop contraintes par leur nature. Il en va très différemment dans les mondes darwiniens, où les inventions précèdent les innovations. En d’autres termes, les caractères ou les inventions n’apparaissent pas en réponse à un besoin, mais attendent d’être sélectionnés : les solutions attendent leurs problèmes. Il en va ainsi de la génétique et de tous les mécanismes produisant des variations, comme la sexualité ; on découvre qu’il en est de même pour les innovations techniques et leurs usages, notamment dans le cadre de la révolution numérique actuelle, où l’on parle de darwinisme artificiel. Picq, Pascal. Sapiens face à Sapiens pp. 218-219

Nous sommes tellement ancrés dans ce qui est devenu le dogme lamarckien – mais Lamarck n’y est pour rien – que l’on n’a pas vu venir la révolution numérique. Tant que nos penseurs politiques et économiques de toutes obédiences – nourris de conceptions progressistes de la philosophie et de l’histoire – n’ont pas compris « à quoi ça sert », ils méprisent les inventions. Picq, Pascal. Sapiens face à Sapiens p. 220

Nos penseurs s’efforcent de comprendre en quoi une invention peut servir un monde existant, mais ils ne saisissent pas qu’elles vont changer le monde tel qu’il est. Préserver les acquis plutôt que d’envisager de nouveaux acquis. Picq, Pascal. Sapiens face à Sapiens p. 220

On note ces profonds changements dans les activités physiques sur fond de sédentarité accrue et de moindre déplacement, par rapport à ce qu’on connaissait pour la collecte ou la chasse. À cela s’ajoute la propagation des maladies contagieuses liées à la concentration des habitants. Picq, Pascal. Sapiens face à Sapiens p. 226

La pensée axiale. Ce concept a été proposé par le philosophe Karl Jaspers au siècle dernier pour décrire les émergences simultanées et indépendantes de nouveaux systèmes de pensée philosophiques et religieux dans les civilisations gréco-romaine, perse, indienne et chinoise avec l’écriture et les écritures, ce qu’on appelle aussi la naissance de la raison graphique. Picq, Pascal. Sapiens face à p. 242

La théorie mémétique admet que nos systèmes de pensée contiennent des éléments qui se diffusent comme des gènes – les mèmes, qui seraient aux représentations du monde ce que les gènes sont à notre biologie, donc au cœur des processus coévolutifs, tout en rappelant que les gènes et les mèmes n’ont aucune relation fonctionnelle. Picq, Pascal. Sapiens face à Sapiens p. 245.

Si toute l’histoire de l’humanité sapienne a été celle de chasseurs-collecteurs, celle-ci a tout au plus 10 000 ans, soit à peu près un cinquantième de l’histoire évolutive de Sapiens en tant qu’espèce. Les agricultures et les éleveurs façonnent son évolution biologique et culturelle, tandis que l’histoire ne marque son empreinte qu’à partir des âges des métaux, plus précisément du bronze et du fer, avec les premières cités-États et les empires, il y a seulement 5 000 ans. Quant à la Révolution industrielle, elle s’est opérée il y a deux siècles. Une prodigieuse verticalisation du monde en découle depuis lors, avec des différences économiques considérables dans la diversité des populations actuelles. Mais voilà que, d’un coup, toutes ces sociétés humaines se retrouvent connectées dans l’espace digital darwinien et nonobstant leurs immenses différences économiques et culturelles. Pour la première fois depuis 10 000 ans, toutes les sociétés humaines s’engagent dans la révolution numérique avec la diversité de leurs héritages biologiques et culturels. Picq, Pascal. Sapiens face à pp. 246-247

Les religions qui « sont dans le monde » et les religions « orientées vers d’autres mondes ». Picq, Pascal. Sapiens face à p. 257

Cette conception hiérarchique et progressiste de l’évolution et de l’histoire, datant du temps de la domination de la culture occidentale sur la nature et les autres peuples, nous entrave si l’on veut comprendre l’importance des changements climatiques et des dégradations des écosystèmes pour l’avenir de l’humanité. De même pour notre incapacité à comprendre, non pas le retour, mais l’émergence des autres peuples et civilisations toujours ignorés – voire méprisés – dans le cadre mondialisé de la révolution numérique. La controverse récente entre [notre] l’histoire et ce qu’on appelle l’histoire-monde en témoigne. Picq, Pascal. Sapiens face à Sapiens p. 261

Depuis les Lumières, de nombreuses avancées ont été accomplies. Mais Condorcet était bien loin d’imaginer ce qu’il adviendrait de ces « bons sauvages » devenus « primitifs » du temps de Darwin et proches de l’extinction à l’époque de Lévi-Strauss (les « peuples premiers » au bord du précipice). De même pour les biodiversités sauvages et domestiques, sans oublier les guerres mondiales, la bombe atomique et les capacités d’autodestruction des hommes, ou la bombe démographique à retardement par le nombre et le vieillissement. Comment l’un des apôtres les plus brillants du progrès aurait-il perçu les controverses actuelles sur l’environnement et l’avenir de l’humanité, avec en filigrane de forts courants de contestation de l’humanisme, comme dans le posthumanisme, et le nouveau repentir de groupes qui revisitent l’histoire et ses « erreurs » : les premiers hommes n’auraient jamais dû quitter les forêts, la chasse et manger de la viande ; les Néolithiques n’auraient jamais dû inventer les agricultures ; les acteurs des Lumières n’auraient jamais dû mettre en place la Révolution industrielle ; ou encore la génération des baby-boomers est accusée de tous les maux… Une révolution générationnelle qui revendique la haine de ses aînés, d’Erectus à ses parents. Reprenons les grandes transitions de l’évolution humaine avec un regard axial ; comme pivot du changement et de ses valeurs. Picq, Pascal. Sapiens face à Sapiens pp. 262-263

D’un point de vue cognitif, de nouvelles représentations du monde, et plus spécifiquement des rapports entre les humains et la nature, accompagnent l’émergence de ces nouvelles économies, non sans influences entre elles. Naissance de nouvelles divinités et de nouveaux cultes, avec une tendance à humaniser les divinités et à tenter la maîtrise voire la domination de la nature. Les pratiques des cultes se font de plus fréquemment dans les villages et dans les maisons. Picq, Pascal. Sapiens face à pp. 274-275

Les génomes de chasseurs-collecteurs subissent des facteurs de sélection. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, des choix culturels créent des facteurs de sélection naturelle. Picq, Pascal. Sapiens face à p. 276

Les sociétés s’articulent en trois grandes classes : nobles et guerriers – clergés et lettrés – paysans dans les campagnes et artisans dans les villes selon leurs divers métiers (poterie, métallurgie, menuiserie, taille de la pierre, etc.) Picq, Pascal. Sapiens face à p. 279

Une part considérable des inventions techniques est dédiée aux armes, ce qui est toujours le cas. Picq, Pascal. Sapiens face à p. 280

Capacité des élites à imposer des conceptions officielles du monde, même si elles se heurtent à d’autres représentations ou tout simplement au bon sens (naturel). Par exemple, le dualisme qui oppose homme/animal ou nature/culture est une construction ontologique puissante produite par des clercs qui encore de nos jours, occupe les chaires de philosophie et des humanités en général, et contre laquelle bataillent les anthropologues, éthologues, les évolutionnistes et les cognitivistes.

Les fourches caudines du dualisme, valorisant toujours les conceptions idéelles par rapport aux approches matérialistes – et vulgaires – des sciences. Les élites forgent leurs idéologies de la domination en inventant des conceptions du monde qui justifient leur mépris des conditions matérialistes de production et imposent l’obligation morale de les nourrir et de leur assurer des privilèges. Picq, Pascal. Sapiens face à Sapiens p. 280

L’un des moyens techniques les plus efficaces pour la diffusion des mèmes est le commerce ; les idées et les biens voyagent de concert. Mais d’autres agents empruntent ces routes des idées et des biens : les agents pathogènes. Des maladies civilisationnelles comme la grippe, apparue en Chine, ne cessent depuis cette époque de décimer les populations, comme l’épidémie si dévastatrice de 1918. Picq, Pascal. Sapiens face à Sapiens pp. 281-282

Les divinités égyptiennes ont des corps humains avec des têtes d’animaux, à l’exception de Thot, le protecteur des érudits et des scripts, représenté par un babouin hamadryas. (C’est la première – et dernière – incursion d’un singe déifié dans la pensée du bassin méditerranéen.) Ailleurs, d’autres religions polythéistes s’orientent aussi vers la domination d’un dieu sur les autres, comme Zoroastre, Ahura Mazda ou encore le terrible dieu Baal. À défaut d’être humains, les dieux s’humanisent, comme ceux de l’Olympe, Picq, Pascal. Sapiens face à Sapiens p. 283

Après le geste suspendu d’Abraham, les sacrifices d’humains disparaissent. Les sacrifices d’animaux persistent de nos jours, même dans les grands monothéismes, des pratiques les plus réelles aux plus symboliques.Picq, Pascal. Sapiens face à Sapiens p. 284

Cette conception inepte postulant que les autres espèces, à l’instar des singes, sont restées en panne d’évolution ou que les autres peuples, cultures ou civilisations seraient englués dans leur archaïsme. Il n’y a rien de plus faux, sauf chez les idéologues de toutes obédiences universitaires accrochés à leurs dogmes anthropocentrique et progressiste. Même celles et ceux qui, de nos jours, pensent trouver chez les peuples dits racines des leçons de philosophie de la vie s’égarent.
Picq, Pascal. Sapiens face à Sapiens p. 285.

J’appartiens à la génération qui a connu le progrès comme jamais l’histoire de la lignée humaine n’en avait connu. Depuis la Renaissance et l’humanisme, puis les Lumières au XVIIIe siècle, suivies de la Révolution industrielle au XIXe siècle, de la croissance dans la seconde moitié du XXe siècle, l’humanité a vu sa condition s’améliorer grâce aux savoirs, aux sciences, aux techniques et aux avancées sociales. Picq, Pascal. Sapiens face à Sapiens p. 287

Les autres pays ne se contentent plus de consommer les biens et les services des nations industrialisées ou de les produire à moindre coût. Désormais, ils innovent et inventent d’autres formes de développement économique. La Chine et d’autres pays d’extrême Asie, bien sûr, mais aussi l’Afrique, qui court-circuite deux siècles d’âge industriel. Picq, Pascal. Sapiens face à Sapiens p. 293

Pour les pays de l’hémisphère Nord, l’accroissement démographique est davantage dû à l’allongement de la vie qu’à la natalité (avec une réduction comme jamais de la mortalité infantile) Picq, Pascal. Sapiens face à Sapiens p. 295

Les jeunes enfants se construiront cognitivement et socialement avec des parents âgés et en retrait des activités économiques. La retraite sera consacrée à la procréation et non plus à la transmission filiale entre grands-parents et petits-enfants. Décidément, jamais les questions de filiation n’auront été aussi vives dans nos sociétés postmodernes. Picq, Pascal. Sapiens face à pp. 296-297

Partout dans le monde, l’évolution des techniques médicales autour de la procréation et les choix des « parents », qu’ils soient motivés par la nécessité, un désir fantasmé d’un type d’enfant ou différentes formes d’eugénisme positif ou négatif, bousculent les modes de procréation, de la conception aux premiers âges de la vie. Picq, Pascal. Sapiens face à Sapiens pp. 298-299

Depuis Homo erectus, les sociétés humaines ont inventé une très grande diversité de relations de parenté et de filiation, ce qui représente l’un des sujets d’études majeurs de l’anthropologie. Un fait nouveau toutefois. Alors que jusqu’à présent tout enfant, quel que soit son mode de procréation, s’inscrivait dans une parenté et une filiation, donc sans questionner ses ancêtres, on voit aussi désormais des personnes se mettre en quête d’autres ancêtres ; ni plus ni moins qu’une inversion anthropologique. À notre époque, on choisit ses enfants comme on choisit ses ancêtres. Picq, Pascal. Sapiens face à Sapiens p. 300

En se baladant sur les réseaux à la recherche des dix à vingt principales menaces qui pèsent sur l’avenir de l’humanité en 2019, on lit, par ordre d’inquiétude décroissant : les conséquences du dérèglement climatique ; les migrations provoquées par celui-ci, les catastrophes naturelles ; les fraudes massives sur les data – les cyber-attaques et l’intelligence artificielle ; les catastrophes industrielles ; l’effondrement de la biodiversité ; la raréfaction de l’accès à l’eau ; ou encore les bulles spéculatives de la finance. Il y a deux décennies, les principaux sujets d’inquiétude étaient plutôt d’ordre céleste – on parlait des météorites – ou liés à la tectonique des plaques… En fait, les idéologies du progrès et de la croissance sont incapables de questionner leur croyance en la destinée de l’humanité, si ce n’est à travers ces vilaines causes naturelles. Pourtant, en deux décennies, les principales menaces pesant sur l’avenir de l’humanité sont devenues d’origine humaine : maladies, industries, économies, urbanisation, pollutions…Picq, Pascal. Sapiens face à Sapiens p. 310



Réflexions sur la révolution en France, Edmund Burke,


Réflexions sur la révolution en France, Edmund Burke, Les belles Lettres

Burke défendait les hiérarchies traditionnelles. Pour Burke, l’aristocratie, comme la monarchie et toutes les autres conventions du code traditionnel de l’honneur, sont pour tous les hommes une protection, parce qu’elles adoucissent la domination, mais surtout parce qu’elles dissimulent la nature animale de l’homme, en donnant au respect et à l’admiration une base vécue que le travail des Lumières risque toujours de ruiner. Burke, Edmund. Réflexions sur la Révolution en France

Il serait aussi ridicule de tenter de fixer l’hérédité de la beauté que celle de la sagesse. Quelle que soit la sagesse, c’est comme une plante sans semence, on peut la cultiver quand elle paraît, mais on ne saurait la reproduire à volonté. Il y a toujours une quantité suffisante à toutes les fins dans la masse de la société ; mais elle n’a pas de point fixe, elle grandit continuellement. Burke, Edmund. Réflexions sur la Révolution en France

Le préjugé est bon en son temps, car il rend heureux. Il ramène les peuples à leur centre, les rattache plus solidement à leur souche, les rend plus florissants selon leur caractère propre, plus ardents et par conséquent aussi plus heureux dans leurs penchants et leurs buts. Burke, Edmund. Réflexions sur la Révolution en France

Dans le contenu de sa critique, en revanche, Genz reste très proche de Burke : il reproche à la Déclaration d’avoir érigé en principes politiques les droits présents dans l’état de nature Burke, Edmund. Réflexions sur la Révolution en France

La doctrine de la Déclaration aboutit à une contradiction permanente entre théorie et pratique. En fait, le mérite propre de Gentz .Burke, Edmund. Réflexions sur la Révolution en France

La supériorité des « préjugés » sur le jugement individuel manifeste clairement l’infirmité de la Raison humaine.Burke, Edmund. Réflexions sur la Révolution en France

La Constitution anglaise est « le plus bel équilibre de forces qu’on ait jamais vu dans le monde », alors même qu’elle n’est pas le produit d’une action délibérée189, mais l’« ouvrage des circonstances190 », et sa valeur vient de sa fidélité toujours maintenue aux formes traditionnelles (féodales) de la représentation. Burke, Edmund. Réflexions sur la Révolution en France

Constant y analyse les raisons qui font croire à la supériorité des préjugés sur les principes rationnels. La force des préjugés vient de ce qu’ils sont liés au monde vécu traditionnel, alors que, si l’on ignore les « principes intermédiaires » qui les rendraient praticables198, les « principes » semblent heurter de front les intérêts constitués : Lorsqu’on jette tout à coup, au milieu d’une association d’hommes, un principe premier, séparé de tous les principes intermédiaires qui le font descendre jusqu’à nous et l’approprient à notre situation, l’on produit sans doute un grand désordre ; car le principe arraché à tous ses entours, dénué de tous ses appuis, environné de choses qui lui sont contraires, détruit et bouleverse ; mais ce n’est pas la faute du principe premier qui est adopté, c’est celle des principes intermédiaires qui sont inconnus : ce n’est pas son admission, c’est leur ignorance qui plonge tout dans le chaos. […] Les préjugés, au contraire, ont eu ce grand avantage, qu’étant la base des institutions, ils se sont trouvés adaptés à la vie commune par un usage habituel : ils ont enlacé étroitement toutes les parties de notre existence ; ils sont devenus quelque chose d’intime ; ils ont pénétré dans toutes nos relations ; et la nature humaine, qui s’arrange toujours de ce qui est, s’est bâtie, des préjugés, une espèce d’abri, une sorte d’édifice social, plus ou moins parfait, Edmund. Réflexions sur la Révolution en France

Il est vrai, comme l’avait dit Burke, que le jacobinisme est d’abord une insurrection du talent et de l’énergie contre la « société. Burke, Edmund. Réflexions sur la Révolution en France

D’où vient, dans ces conditions, la force persuasive des Réflexions sur la révolution en France ? Leur charme naît de l’art incomparable avec lequel Burke a su évoquer les limites que la finitude humaine donne à l’action politique : l’impossibilité de déchirer sans traumatisme le « voile » des conventions, la nécessité où nous sommes de comprendre le lien social à partir d’un « monde de la vie » dont les principes ne sont jamais totalement explicitables, l’enracinement de l’émancipation elle-même dans la dépendance qui marque toute éducation. Burke, Edmund. Réflexions sur la Révolution en France

Pour les individus, l’effet de la liberté est de leur permettre de faire ce qui leur plaît ; voyons donc ce qu’il leur plaira de faire avant de nous risquer à des félicitations que bientôt peut-être il faudra changer en condoléances. Burke, Edmund. Réflexions sur la Révolution en France

Tout bien considéré, la révolution française est la plus étonnante qui soit jamais survenue dans le monde. Les choses les plus surprenantes y sont souvent produites par les moyens et dans les conditions les plus absurdes et les plus ridicules ; et, semble-t-il, par les agents les plus méprisables. Tout paraît hors de nature dans ce chaos étrange où la légèreté le dispute à la férocité et où tous les crimes se mêlent indistinctement à toutes les folies. Comment cette monstrueuse tragi-comédie n’inspirerait-elle pas tour à tour, et parfois même tout ensemble, les sentiments les plus opposés ? Burke, Edmund. Réflexions sur la Révolution en France


Le zèle du docteur Price est de nature bien singulière. Il aspire à la propagation non de ses propres idées, mais de n’importe lesquelles ; non point à la diffusion de la vérité, mais à l’universalisation de la contradiction. Burke, Edmund. Réflexions sur la Révolution en France

Vos anciens états vous assuraient de tous ces avantages ; mais vous avez préféré agir comme si vous n’aviez jamais constitué une société ni formé un ordre civil, et qu’il vous fallait tout refaire à neuf. Vous avez mal commencé parce que vous avez commencé par mépriser tout ce qui vous appartenait. Burke, Edmund. Réflexions sur la Révolution en France

La liberté s’accorde avec la loi, mais celle-ci trouve dans une liberté disciplinée le meilleur des auxiliaires. Vous eussiez bénéficié d’un système fiscal productif, mais qui ne serait oppressif pour personne. Vous eussiez disposé, pour alimenter les caisses de l’État, d’un commerce florissant. Vous auriez eu une constitution libre ; une monarchie puissante ; une armée disciplinée ; un clergé réformé et respecté ; une noblesse moins fière mais pleine de caractère, prête à encourager au mérite et non à l’étouffer ; vous auriez eu un Tiers d’esprit libéral, qui éveillerait l’émulation de la noblesse et lui fournirait de nouvelles recrues ; vous auriez eu un peuple protégé, content, laborieux et obéissant, un peuple formé à rechercher et à reconnaître le bonheur que procure la vertu dans tous les états de la vie. C’est dans ce bonheur et dans cette vertu que consiste la véritable égalité morale parmi les hommes, et non pas dans ces fictions monstrueuses qui, en inspirant des idées fausses et des espérances vaines à des hommes destinés à cheminer dans l’obscurité d’une vie laborieuse, ne servent qu’à alourdir et à envenimer l’inégalité de fait à laquelle elles ne peuvent mettre fin. Burke, Edmund. Réflexions sur la Révolution en France


En s’éclairant de ces fausses lumières, la France a payé plus cher pour s’attirer d’incontestables calamités que tout autre pays pour se procurer les biens les plus certains. Burke, Edmund. Réflexions sur la Révolution en France