mardi 21 mai 2019

La Pensée Ecologique, Timothy Morton, Zelma


La Pensée Ecologique, Timothy Morton, Zelma


Il n’y a pas de royaumes plus ambigus que ceux de l’art et du langage. p. 39

Nos catégories actuelles ne sont pas gravées dans le marbre. p. 41

Avoir une hypothèse signifie avoir l’esprit ouvert – la supposition est peut-être fausse. p. 47

Les humains ne doivent pas agir parce qu’une figure d’autorité puissante les y a incités, mais mus par le sentiment d’un espace ouvert. p. 47

Satan représente l’égo boursouflé qui veut qu’on le voie vraiment grand. p. 48

« Donnez-moi un point d’appui, et je soulèverai le Monde. » p. 49

Grâce à Google Earth, on a constaté que les vaches s’orientaient selon l’axe nord-sud de la Terre11. Ce phénomène n’était pas à la portée des gens soi-disant bien « enchâssés » dans le « monde vécu ». p. 50

Plus nous connaissons le risque, plus le risque s’étend. Le risque se démocratise, et la démocratie devient la gestion du risque. p. 50

Nous ne pouvons pas « dé-penser » le risque. Le sentiment de puissance phénoménal et le fantasme sadique, voyeuriste, d’être capable de tout voir (sur Google Earth, YouTube et le reste) s’accompagnent d’une vulnérabilité périlleuse. p. 50

C’est « l’Occident » qui est obsédé par le lieu, en pensant qu’il existe une chose immuable, réelle et indépendante, nommée « lieu », qui aurait progressivement été sapée par la modernité, le capitalisme, la technologie, ou tout ce que vous voudrez. L’obsession du lieu empêche toute vision véritablement écologique.p.. 51

L’environnementalisme de Heidegger est une version triste, fasciste, une version de bonsaï rabougri contraint de pousser dans un minuscule pot de fleurs en fer devant un chalet de la Forêt-Noire. p. 54

Allusion au réchauffement climatique. Le temps qu’il fait n’est plus la toile de fond en apparence neutre sur laquelle des événements adviennent. p. 55

La pensée écologique suscite l’émoi parce que le maillage se manifeste dans nos domaines sociaux, psychiques et scientifiques. p. 56

Dans une situation où tout est potentiellement signifiant, nous sommes perdus. p. 59

Schizophrène. Il est incapable de distinguer entre l’information (premier plan) et le bruit (arrière-plan)31. Ainsi il entend des voix provenant du radiateur, mais les paroles sont pour lui un gargouillis insignifiant. Tout paraît faire sens de façon menaçante, mais il ne peut en saisir le sens. p. 59

Il n’y a pas d’« extérieur » à cet univers d’où effectuer des mesures impartiales. p. 59

En langage philosophique, nous ne sommes pas seulement en train de perdre des niveaux « ontologiques » de signifiance. Nous perdons le niveau « ontique », le niveau physique auquel nous nous fions depuis si longtemps. pp. 59-60

Il est important de ne pas paniquer et, chose étrange à dire, de ne pas surréagir à la déchirure du réel.p. 60

Le pire, c’est que nous perdons le sol sous nos pieds au moment précis où nous comprenons à quel point nous sommes dépendants de lui. p. 60


« On ne résoudra pas le réchauffement climatique parce que j’ai changé des “p…” d’ampoules électriques chez moi. C’est une entreprise collective36. » p. 62

Le discours restrictif efface les questions de plaisir et de joie du tableau écologique.p. 70

Selon l’expression de Marx58. Je dis que le discours restrictif transforme l’écologie en un puritanisme personnel et interpersonnel. p. 70

Penser réellement le maillage signifie se débarrasser de l’idée qu’il a un centre. Il n’y a aucun être au « milieu » – d’ailleurs que signifierait le « milieu » ? Le plus important ? Comment un être peut-il être plus important qu’un autre être ? C’est un problème pour l’éthique environnementale qui simplifie parfois les choses à l’extrême afin d’obliger les gens à agir. p. 71

Ce que nous appelons Nature est en réalité de l’histoire solidifiée. p. 78

Le Naturel est une illusion temporelle : comme les saisons, les choses paraissent statiques parce qu’on ne les voit pas changer, et quand elles changent, elles le font de manière plus ou moins prévisible. p. 80

Si vous retracez l’histoire de l’évolution, vous n’y verrez ni rime ni raison – ou plutôt, vous y verrez des rimes incroyables et des raisons complexes mais aucun progrès (nulle téléologie) et aucun point culminant. Les humains ne sont pas le mystérieux « point oméga » que prétendait un certain évolutionniste chrétien89. Les humains ne sont pas la culmination de quoi que ce soit ; ils ne sont même pas une culmination. p. 81

Nous ne pouvons jamais exactement présumer de qui, de ce que sont les étranges étrangers, s’ils sont un « qui » ou un « quoi ». p. 84

La compassion humaine découle des instincts sociaux primaires des autres êtres sensibles95.
p. 84

L’industrie signifie la répétition, l’automatisation et la création d’un junkspace. p. 94

L’idée de lieu authentique est un mythe occidental puissant, mais les cultures autochtones possèdent des traditions qui incluent le cosmos.  p. 96

Dévoilée par la NASA, Google Earth ou la cartographie du réchauffement climatique. Plus nous obtenons d’informations dans notre avidité de tout voir, plus notre sentiment d’un monde profond, riche et cohérent paraîtra hors d’atteinte : il semblera avoir disparu dans le passé (nostalgie) ou n’appartenir qu’à d’autres (primitivisme). p. 98

Sentiment de perte est une illusion créée par notre point de vue contemporain. Nous pourrions lire les symboles phalliques récemment découverts, tracés sur les toits de propriétaires qui ne se doutaient de rien – symboles ne pouvant être vus qu’avec l’aide de Google Earth. p. 98

Heidegger disait poétiquement qu’on n’entend jamais le vent en soi mais seulement la tempête qui siffle dans la cheminée, le vent dans les arbres126. p. 100

L’histoire des formes du vivant est comme un livre auquel il manque de nombreuses pages : on ne peut les déduire que des quelques pages restantes. pp. 106-107

Non, nous nous retournons sur ce moment de l’Histoire quelques siècles plus tard et nous l’appelons Renaissance. La causalité marche à rebours. On ne peut nommer les choses que rétrospectivement. p. 108

Les humains sont peut-être des « animaux », mais les « animaux » ne sont pas des « animaux ». p. 108

Parce que la causalité marche à rebours, il n’y a pas lieu de se poser la question d’un quelconque « dessein intelligent ». La causalité à rebours signifie qu’il n’y a aucune intentionnalité. L’intentionnalité vient se greffer aux formes évolutives du vivant bien après.
p. 109

Marx, Freud et Darwin décrivent des processus qui ont lieu dans notre dos. Nous ne pouvons pas voir l’évolution, ni le secret de la forme-marchandise, ni l’inconscient. p. 112
À la base de la vie, il y a l’ADN qui n’a aucun arôme particulier52. Il n’y a pas un ADN à arôme de chimpanzé ou à arôme humain ; nous partageons 98 % de notre ADN avec les chimpanzés et 35 % avec les jonquilles. p. 115

La théorie de l’évolution déconstruit la « vie » elle-même. p. 115

Consultez The Algorithmic Beauty of Plants (« La Beauté algorithmique des plantes »), un texte magnifiquement illustré et disponible en ligne58. p. 117

S’il n’y a pas d’espèce en tant que telle, il ne peut pas non plus y avoir de race en tant que telle.p. 119

La détermination du moment où nous aurons affaire à un programme IA, et non pas à un programme simplement “bizarre”, nous donnera beaucoup de fil à retordre. pp. 122-123

Le danger en politique et en philosophie, c’est de considérer que nous avons réussi à dépasser l’idéologie, que nous pouvons nous tenir en dehors, disons, de la réalité « humaniste ». p. 129

L’anthropocentrisme, c’est l’idée que l’« humain » occupe un non-lieu privilégié, qui est à la fois au-dedans et en dehors du maillage. p. 129

Dès lors qu’on admet qu’il existe une Nature dont notre pensée peut s’écarter, tout ce qu’on pense devient suspect. pp. 129-130

L’expérience était si intense que je n’étais même pas sûr de la vivre ou qu’il y ait eu un moi susceptible de la vivre. Pendant les jours qui ont suivi, je me suis senti bizarre et vide. » Nous ne savons pas si les êtres sensibles sont des machines ou pas. Et il serait dangereux de croire que nous pourrions le savoir. La profondeur intérieure n’est peut-être qu’une illusion. p. 135

Les textes sont des bouteilles à la mer. Le lecteur est l’avenir du texte. p. 136

Ma prise de conscience de votre prise de conscience de ma prise de conscience de votre être à venir affecte-t-elle cet écrit ? p. 136

L’environnementalisme s’est fait piéger par les idéologies de la masculinité, la performance ultime de la non-performance, l’imitation ultime de la Nature.p. 138

La subjectivité est une part de la réalité à laquelle il est impossible d’échapper. pp. 140-141

Le « retour à la Nature » rejoue désespérément le mythe du self-made man, excluant l’amour, la chaleur, la vulnérabilité et l’ambiguïté.p. 142

Une  forme de technologie. Les champs et les fossés sont de la technologie. Les grands singes et leurs bâtons à termites sont technologiques. p. 146

L’étrange étranger n’est pas seulement l’« autre » – le « moi » est cet autre. Puisqu’il n’y a pas de moi (solide, durable, indépendant, singulier), nous sommes l’étrange étranger. « Je est un autre138. » p. 147

Dans une série de formes progressant insensiblement depuis une créature qui ressemble à un grand singe jusqu’à l’homme tel qu’il existe maintenant, il serait impossible de déterminer un point fixe auquel on pourrait appliquer le terme “homme”152. p. 150

Là où apparaît l’étrange étranger, il y a des intensités que nous ne pouvons pas comprendre.
. 154

Ce n’est pas difficile d’aimer la Nature comme un espace ouvert inspirant l’effroi. Ça l’est beaucoup plus d’aimer les êtres inquiétants, repoussants qui ne portent pas si facilement un visage humain. Certains de ces êtres sont des humains. L’une des tâches de la pensée écologique est de découvrir comment aimer l’inhumain : pas seulement le non-humain p. 154

L’inhumain est le noyau étrangement étrange de l’humain. p. 154

La pensée écologique plonge dans la dimension esthétique. Elle fait place à ce que nous appelons, de façon inadéquate, le subjectif et la subjectivité. p. 157

Pour obtenir l’écologie, nous devons renoncer à la Nature. Mais comme nous sommes depuis longtemps dépendants de la Nature, le renoncement sera douloureux. Renoncer à un fantasme est plus difficile que de renoncer à la réalité. Le culte de la Nature fait penser à un homosexuel dépressif qui ne serait pas sorti du placard, et qui affirmerait avec insistance qu’il est hétéro171. La mélancolie a l’aspect « maladif » d’une dévotion excessive, d’une fidélité excessive aux ténèbres de l’instant présent. p. 159

Descartes a promu un dualisme du sujet et de l’objet que beaucoup considèrent comme un des fondements de la catastrophe écologique. p. 159

La pensée écologique subvertit l’idéalisme, puisque la position depuis laquelle nous pouvons être idéalistes est la coexistence175. p. 160

On n’a pas besoin d’une raison ; on se contente de faire ce qu’on doit faire, et on y réfléchira après. Voilà pourquoi cela s’appelle une décision éthique. Elle n’a pas besoin d’être prouvée ni justifiée. On agit, c’est tout. pp. 164-165

Au stade esthétique, on fait les choses parce qu’elles sont agréables ou qu’elles en ont l’air. Au stade éthique, l’agréable – voire la validité rationnelle, qui est peut-être aussi une sorte d’ordre esthétique – n’a aucune importance. p. 165

Il est donc possible d’être en même temps et pour les mêmes raisons pleinement conscient et totalement spontané.p. 166

La chanson O Superman de Laurie Anderson propose un sample répété de sa voix et une lugubre série de messages enregistrés11. Cette voix est typique du matériau de l’art postmoderne : des formes d’une existence incompréhensible, indicible. Certains diront que c’est une existence inerte, pure – l’art comme suintement. C’est un médium où le sens et le non-sens coexistent. Ce médium suintant a quelque chose de physique que j’appelle ambiance12. p. 170

Dans les espaces ouverts par l’ambiance, nous voyons l’histoire – la Nature n’en est qu’une version réifiée, plastifiée. L’« ici » est un maillage de présences et d’absences enchevêtrées, et non un concept fondamental, localiste, antiglobal. pp. 171-172

Le vocabulaire religieux est dangereux : il risquerait d’instituer l’écologie comme une autre sorte de super-être hors du maillage, hors de l’impermanence et de l’évanescence évidentes de la réalité. p. 172

L’art est une sorte d’ombre de l’avenir qui plane sur notre monde présent17. p. 173

Au-delà de tout, l’art est un « désœuvrement » plutôt qu’une œuvre d’art précieuse en tant que telle23. p. 174

La dérive est « une technique du passage hâtif à travers des ambiances variées27.p. 176

Il faut parfois jouer longtemps avant de pouvoir jouer comme soi-même. p. 180

L’improvisation, c’est l’adaptation plus la prise de conscience. p. 180

Dans la terminologie des Lumières, la Créature est pleine d’humanité – essentiellement humaine. Elle fait preuve d’une humanité et d’une compassion, surtout à travers ses paroles, qui ne cessent de frapper de nouveaux lecteurs, troublés par son extrême dignité (il y a encore du chemin à faire à propos du statut de personne). p. 185

Frankenstein lui-même. Tout l’intérêt du roman est dans le défi lancé par la Créature aux êtres humains. Vous pensez avoir une éthique ? Vous vous croyez les êtres les plus raisonnables, les plus intelligents sur Terre ? Pouvez-vous aimer et traiter avec bienveillance un être aussi laid que moi, aussi incertain de son statut de personne que moi ? Pouvez-vous pardonner à un autre être sa violence, vous qui exécutez et torturez au nom de la raison et de la justice ? p. 185

Réplicants : des êtres dont le cœur même n’est qu’un artifice, une simple somme de souvenirs. pp. 185-186

Le post-humanisme (une tendance actuelle dans les sciences humaines) associe trop facilement (i) une déconstruction de l’humanité – de l’animalité et de toutes les formes du vivant – en des ensembles de processus algorithmiques semblables à ceux d’une machine. p. 186

L’humanisme ne doit être dénoncé que parce qu’il n’est pas suffisamment humain52.p. 187

Les humanistes devraient publier sur Internet la liste des expériences qu’ils souhaiteraient voir réaliser. pp. 187-188

« La conscience est-elle intentionnelle ? » Une réponse négative fournirait une très bonne raison de ne pas nuire aux formes du vivant. Si nous pouvons démontrer que la conscience n’est pas une sorte de bonus, récompensant une constitution sophistiquée, mais un mode par défaut fourni avec le logiciel, alors les vers de terre seront conscients au sens le plus plein du terme.  p. 188

L’esprit n’a peut-être pas de règles ancrées en lui pour analyser la réalité. pp. 189-190

Le connexionnisme soutient que les phénomènes mentaux naissent de systèmes interconnectés. Autrement dit, il n’y a pas d’esprit en tant que tel parce que l’esprit naît toujours de réseaux qui interagissent, dont l’un au moins doit être un système qui traite les données telles que les sensations et les perceptions.p. 191

L’argument de Varela implique que, bien que nous puissions réduire les phénomènes mentaux à des mécanismes, le tout (le cerveau) est plus grand que la somme de ses parties. Cela met en œuvre une logique double et simultanée. Nous avons des composants minuscules et un grand moi : c’est à la fois du réductionnisme et du holisme. p. 191

La réalité paraît trouée de l’intérieur, comme si on se rendait compte qu’on flottait dans le cosmos. p. 192

Cela affecte notre sens de l’orientation, qui dépendait traditionnellement d’un arrière-plan, que nous l’appelions Nature, monde du vivant ou biologie.p. 192

S’il n’y a pas d’arrière-plan, il n’y a pas de premier plan. Ce monde qui nous fait défaut est un réel problème, un vrai problème.pp. 192-193

Il y a eu un certain nombre de révolutions coperniciennes dans la pensée humaine, au sujet de la raison et de la société, révolutions qui ont déplacé le champ de l’action humaine. p. 194

Croire en un moi, c’est croire en un objet, même s’il semble plus subtil qu’une chaise ou une brique. La vision du non-moi est plus « subjective », d’une certaine façon. En n’ayant aucune représentation objectale de moi-même, en admettant mon incapacité à me définir moi-même, je suis plus honnête. 197-198

La subjectivité est comme un matelas à eau : comprimez-le quelque part, il se gonfle ailleurs.
p. 198

Le capitalisme ne réglera décidément pas les choses. Il est réactif ; or nous avons besoin de proactivité. p. 200

Lress deux guerres mondiales furent les désastres de l’âge du nationalisme, le réchauffement climatique est celui de l’âge de la globalisation. Les deux guerres mondiales, c’est du nationalisme qui a déraillé, quelque chose que le système ne pouvait plus maîtriser. p. 200

L’espoir d’un avenir meilleur est précisément ce qui bloque l’action écologique. p. 203

L’action écologique ne sera jamais agréable et le non-monde n’aura jamais l’air élégant. p. 203

L’idée, quelle que soit la manière dont on l’exprime, qu’en prenant soin de la Terre on se sentira mieux – ne fonctionnent pas. p. 204

Ne pas troquer notre dualisme, notre mécanisme, contre quelque chose qui aurait meilleur aspect, p. 204

Et si, au bout du compte, la Nature en tant que telle, l’idée d’un extérieur radical au système social, était un fantasme capitaliste, voire, précisément, le fantasme capitaliste ? pp. 205-206

Au nom de quoi pouvons-nous utiliser cet « être » pour instaurer un « devoir être » ? p. 207

Le localisme, le nationalisme et l’immersion dans le bain idéologique du monde vécu ne sont plus à la hauteur91. Ce dont nous avons besoin, c’est d’une « communauté sans présupposé et sans objet92 ». p. 208

Les collectivités écologiques doivent être des totalités ouvertes et non closes. p. 208

« Se perdre dans les choses, se perdre au point de ne pouvoir concevoir que des choses96. p. 209

Laisser-être , c’est le revers de la médaille de l’idéologie du laissez-faire. Il y a une agressivité passive dans cette injonction à laisser tranquille, à écarter toute « interférence » humaine. p. 210

Accepter la réalité du réchauffement climatique signifierait que la réalité n’est pas équipée pour le libertarianisme ni pour l’individualisme, les hiérarchies rigides ou tout autre vache sacrée de la droite. p. 211

L’expression préférée des réactionnaires est « réchauffement climatique anthropogène », ce qui lui donne un côté geek et flippant). p. 212

Dans dix mille ans, le plutonium existera encore. Les hyperobjets ne se décomposent pas dans le temps d’une vie. Ils ne brûlent pas sans eux-mêmes nous brûler (en libérant des rayons, des dioxines, etc.). p. 213

Pourtant, réfléchir à ces matériaux engage à quelque chose d’ordre religieux parce qu’ils transcendent notre propre mort. p. 214

Mais pour s’attaquer à la pollution, au dérèglement climatique, aux radiations, il faut penser et agir grand, ce qui signifie penser et agir collectivement. Cela implique des données conscientes. Il faudra choisir d’agir et de penser ensemble. Nous n’allons pas tomber par hasard sur les solutions adéquates. La société n’est pas un groupe de molécules entrant aléatoirement en collision sous l’effet d’un mouvement brownien. p. 215

Perdre un fantasme, c’est plus difficile que de perdre une réalité –p. 219


lundi 13 mai 2019

Culture Numérique, Dominique Cardon, Presses de SciencesPo.


Culture Numérique, Dominique Cardon, Presses de SciencesPo.



La réforme protestante, le libre arbitre et le développement du marché ont l’imprimé comme point de départ. Les changements sont intellectuels, religieux, psychologiques autant qu’économiques ou politiques. Voilà pourquoi il est utile de dire que le numérique est une culture.

L’information numérique est omniprésente. En toute situation nous disposons d’une expertise, de moyens d’action et de possibilités d’interactions qui n’existaient pas auparavant.

L’esprit de la Silicon Valley : l’innovation est à la fois une solution technique et un projet politique. En Europe, nous avons sans doute cessé de croire à la convergence entre progrès de la technique et progrès de l’humanité, mais ce n’est pas le cas des entreprises de la Silicon Valley.

L’histoire des sciences et des techniques enseigne qu’une invention ne s’explique pas uniquement par la technique. Elle contient aussi la société, la culture et la politique de son époque.

L’informatique, pour le dire simplement, est un calcul que nous confions à une machine.

Le monde dans lequel nous vivons, écrivons et parlons est essentiellement analogique. Alors que le signal analogique, propre à l’écriture manuscrite, à la photographie argentique et à la voix, est une forme continue qui oscille entre une valeur minimale et une valeur maximale, le signal numérique, lui, est discontinu et ne peut prendre que deux valeurs : 0 ou 1.

Le langage informatique consiste à transformer un signal analogique (continu) en signal numérique à l’aide de seulement deux valeurs, 0 et 1, en suivant au plus près l’évolution de la courbe analogique.

Assemblage à la fois technique, politique et culturel qui prend progressivement forme entre 1960 et 1990 pour donner naissance à ce que l’on appellera internet. Cette histoire a ceci de particulier qu’elle associe, dès sa naissance, le contrôle et la liberté.

Un réseau distribué, qui soit idiot au centre et intelligent à la périphérie.

Internet résulte non seulement d’un assemblage de technologies mais aussi d’une invention dans le processus d’innovation. Il favorise l’intelligence collective parce qu’il est, lui-même, le fruit de l’intelligence collective.

Il est important de souligner ce trait de la culture hacker : il s’agit d’une aristocratie des compétents, dont la valeur centrale est le mérite, soit une reconnaissance qui s’acquiert en gagnant de la réputation grâce à ses prouesses.

Dans tout processus d’innovation, la coévolution des techniques et des sociétés peut faire prendre des routes très différentes à un système sociotechnique.

En bonne place dans la mythologie d’internet, l’une des premières communautés en ligne s’est constituée comme le prolongement des communautés réelles de la contre-culture du début des années 1970.

Hog Farm – qui se revendique comme une communauté de « nudistes de l’esprit »

Ils investissent ce monde virtuel des mêmes préoccupations de régénération du lien social. Les hippies replacent leur rêve d’exil et de refondation dans les échanges numériques.

 « communauté virtuelle ».

Les premières communautés d’internet qui sont à l’origine de cette idée de séparation entre le « en ligne » et le « hors-ligne » considèrent le monde virtuel plus riche, plus authentique et plus vrai que la vie réelle, et non pas futile, trompeur et dangereux comme le voient les critiques aujourd’hui. Le virtuel, c’est un espace pour réinventer, en mieux, les relations sociales. Ensuite, la communauté virtuelle est pensée comme une ouverture sans frontières sur le monde. Elle subvertit les clivages et les barrières sociales et culturelles. S’il faut séparer le réel et le virtuel, soutiennent les pionniers des mondes numériques, c’est justement pour abolir les différences entre les individus. Grâce à leur avatar, les internautes peuvent virtuellement changer de sexe, d’âge ou de nationalité, ils peuvent expérimenter une grande variété d’identités. La frontière virtuelle est vue comme un moyen de recomposer le monde social pour le rendre moins segmenté et plus ouvert – une vision qui reste utopique car en réalité, le public de The Well présente une incroyable homogénéité sociale, culturelle et politique.

Aujourd’hui, les acteurs du web ne disent jamais qu’ils s’adressent à un public, une clientèle, une audience ou un marché mais toujours à une communauté.

À Davos, le 8 février 1996, John Perry Barlow prononce un discours qui restera dans les annales comme une sorte de Constitution. Intitulé la « Déclaration d’indépendance du cyberespace », ce discours n’est pas sans rappeler la geste de la conquête de l’Ouest.

Fabriqué et conquis par un groupe d’acteurs hétéroclite – communautés en ligne, ingénieurs, développeurs, hackers, hippies et passionnés – ce territoire autonome n’appartient qu’à ses concepteurs, à ceux qui en ont façonné les outils et défini les principes sans se référer aux règles du marché ou de l’État.

États. Le mantra de ces pionniers, « changer la société sans prendre le pouvoir », inspirera beaucoup de mouvements sociaux des années 2000.

La technologie est investie du pouvoir thaumaturgique de révolutionner la société. L’innovation numérique doit permettre de faire tomber les hiérarchies, de court-circuiter les institutions et de bousculer les ordres sociaux traditionnels. La technologie est véritablement pensée comme un instrument d’action politique. Les entreprises de la Silicon Valley deviennent porteuses d’un discours sur le pouvoir salvateur du numérique. Jamais la croyance dans l’idée que les problèmes du monde peuvent être réparés par la technologie – par les réseaux sociaux, les big data, les applications mobiles, les algorithmes ou l’intelligence artificielle – n’a été aussi forte qu’aujourd’hui.

Comment les hippies et les hackers sont-ils parvenus à créer des empires un capitalisme high-tech ? C’est le récit que propose l’ouvrage de Rémi Durand, L’Évangélisme technologique. De la révolte hippie au capitalisme high-tech de la Silicon Valley, Paris, FYP Éditions, 2018.

Faire dialoguer les consciences de l’humanité à travers des fiches rangées dans des milliers de tiroirs

En moins de 20 ans, 85% de la population française s’est connectée à internet, soit beaucoup plus rapidement qu’elle n'a adopté l’électricité, la télévision et le réfrigérateur.

L’innovation ne prend pas naissance dans le marché, mais chez des utilisateurs qui ont un engagement intense, passionné et ingénieux dans l’activité que leur invention va transformer.

Riche, originale et un peu floue, la notion de bien commun est une des principales valeurs du web. Pour le dire avec plus d’emphase, le commun est le projet politique – l’utopie – des mondes numériques. Par commun, on entend l’idée que certains biens numériques, notamment ceux qui ont été produits, rassemblés ou édités par les communautés du web, doivent être accessibles, partageables et transformables par tous et par quiconque, et que c’est la communauté qui définit elle-même les règles de gestion des biens communs qu’elle fabrique.

L’idée sous-jacente est que la liberté est contagieuse. Ce dont on bénéficie du fait du travail de la communauté doit être rendu à la communauté et ne peut être aliéné.

Logique de l’« open-quelque chose » : open access, open education, open data, open innovation, open food, etc.

C’est un travail dans lequel les personnes s’auto-motivent, avec pour conséquence que personne ne donne explicitement d’ordre à d’autres. La valeur des individus est établie selon des critères essentiellement méritocratiques : c’est l’apport de chacun à la fabrication du bien collectif qui fait l’objet d’une reconnaissance par les pairs et qui confère un statut au sein de la communauté.

C’est le partage des connaissances, des inventions et des contenus de toutes sortes (photos, musique, œuvres d’art, etc.) qui favorise la consommation, la créativité et l’invention.

Utopie du logiciel libre. Du bricolage informatique à la réinvention sociale,

Les développeurs de logiciels libres travaillent de façon bénévole et peuvent ensuite valoriser leur réputation sur le marché du travail

La grande originalité Wikipédia de son fonctionnement est de permettre à une foule d’internautes de produire des contributions d’une qualité surprenante sans que l’on ait au préalable vérifié leurs compétences.

Telle est la première leçon de Wikipédia : la compétence n’est pas consubstantielle à un statut ou à un diplôme ; c’est une qualité que l’on démontre par la pratique.

Apprendre, ce n’est pas verser le savoir d’un cerveau compétent vers des cerveaux incompétents.

Wikipédia : c’est l’encyclopédie des ignorants. Les participants ne sont pas compétents, ils le deviennent parce qu’ils s’obligent mutuellement à respecter des procédures qui mobilisent leur intelligence.

Deux dynamiques en apparence contradictoires : la fièvre marchande de la nouvelle économie d’une part, les communautés produisant des biens communs, d’autre part. Cette dualité est, dès l’origine, consubstantielle à la culture numérique.

Le web est une infrastructure d’échanges décentralisés rendant possible toutes sortes d’agencements collectifs qui peuvent aussi bien prendre la forme de marchés que de communautés.

Intelligence collective.

L’information numérique est un bien non rival puisque sa consommation par un internaute n’empêche pas un autre de consommer la même information.

 « Capitalisme cognitif ». Tous ceux qui publient, partagent, produisent sur le web augmentent l’attractivité du réseau.

L’intelligence n’est pas dans les personnes, elle est dans le dispositif qui les coordonne.

C’est la foule des internautes qui permet à Google d’être pertinent.

En produisant des liens hypertexte, c’est-à-dire un bien informationnel non rival – accessible par tous –, les internautes produisent une externalité positive que Google transforme en intelligence collective.

Un algorithme comme le moteur de recherche – transforme les activités de chacun pour leur donner une nouvelle valeur.

En agrégeant les activités individuelles des internautes, les plateformes produisent une intelligence collective dont la valeur peut être redistribuée aux internautes (modèle génératif des biens communs) ou être monétisée sur d’autres marchés au profit de la plateforme (modèle extractif).

Certaines grandes entreprises du web, moteurs de recherche, plateformes de réseaux sociaux se trouvent dans la position d’agréger les activités des internautes et d’en extraire une valeur, une intelligence collective, dont elles conservent le bénéfice.

Sauver le monde. Vers une économie post-capitaliste avec le peer-to-peer, Paris, Les Liens qui libèrent, 2015.

La naissance du web marque une transformation profonde de l’espace public. Qui a le droit de s’exprimer en public ? Pour dire quoi et à qui ? Le web a bouleversé la plupart des paramètres de l’espace public traditionnel, dans lequel un faible nombre d’émetteurs s’adressaient à des publics silencieux.

Potentiellement, n’importe qui peut prendre la parole pour dire n’importe quoi ;

Ce  qui est visible et ce qui est important ne se recouvrent plus du tout.

Nous ne sommes pas exactement la même personne quand nous interagissons avec notre famille, nos collègues et amis ou avec des inconnus. Ce que l’on dit et la manière dont on le dit ne cessent de varier selon la distance spatiale, le degré de retenue ou de familiarité souhaité, le besoin d’être sérieux ou de blaguer, la franchise ou le tact, etc.

Quels signes de notre identité livrons-nous sur les réseaux sociaux ? Certains peuvent être liés à ce que nous sommes et d’autres à ce que nous faisons ; certains peuvent être réalistes et d’autres, des projections de ce que nous aimerions être.

Identité virtuelle, mais le terme de virtuel est trompeur car on le comprend trop souvent comme un simulacre, une duperie, un déguisement de soi. Or, virtuel ne s’oppose pas à réel, mais à actuel ; il veut donc dire potentiel. Nous projetons sur les réseaux sociaux une image de nous-même qui est un désir, un devenir possible, bref Une image que l’on aimerait valoriser et faire reconnaître par les autres. L’identité est à la fois un présent et une projection de soi.

un signe de soi

On entend souvent dire qu’en ligne tout le monde déballe tout et n’importe quoi de sa vie devant tout le monde. Rien ne paraît plus faux lorsque l’on observe le très fin réglage de la visibilité auquel procèdent ensemble les plateformes et les utilisateurs pour que ces derniers puissent « se cacher pour se voir » (paravent), se « montrer tout en se cachant » (clair-obscur), « tout montrer et tout voir » (phare) ou enfin « se voir, mais caché » (mondes virtuels)

Ceux qui écoutaient silencieusement se sont connectés les uns aux autres pour se parler, et ils font parfois tellement de bruit que l’on n’entend plus ceux qui, auparavant, leur parlaient du haut d’une inaccessible tribune : les médias, les experts, les politiciens, etc.

L’espace de diffusion de l’information et le système conversationnel de sa réception sont désormais intimement liés. Facebook, Instagram et Whatsapp aspirent une partie de la sociabilité conversationnelle, qui a toujours existé mais qui s’évaporait dans les cafés, les salles de classe, les cantines, les lieux de fête ou de travail.

Le lien social est renforcé de toutes les manières possibles à travers le nouvel appareillage de médiations technologiques.

Les réseaux sociaux des mondes virtuels instaurent un modèle de « double vie ». Les internautes découplent les relations en ligne et les relations hors ligne. On n’a pas nécessairement envie de découvrir le vrai visage de celui avec qui on a échangé si longtemps dans des habits d’elfe.

La possibilité de faire une découverte de façon involontaire, par une sorte de hasard bienheureux. Rien à voir avec le tirage aléatoire d’une bille blanche dans un sac de billes noires : la sérendipité suppose que l’on organise l’environnement afin de réunir les meilleures conditions d’une bonne surprise. Sur les réseaux sociaux, c’est en choisissant les « bons amis » que l’on peut faire des découvertes qui nous surprennent et nous intéressent.

Les discours d’aujourd’hui s’inquiètent du fait que les réseaux sociaux enferment les internautes dans une bulle dont ils ne peuvent sortir, que cette bulle exploite leurs biais cognitifs, qu’ils sont manipulés par les algorithmes des plateformes.

Ce système de navigation produit bel et bien de la diversité, de la nouveauté et de la surprise. Il repose sur la capacité des internautes à construire eux-mêmes le bon écosystème informa-tionnel

L’hypothèse que les internautes ont les capacités de faire pour eux-mêmes les meilleurs choix plutôt que de laisser les journalistes – les gatekeepers – choisir pour eux.

Les réseaux sociaux numériques, même s’ils nous isolent parfois derrière un écran, contribuent à augmenter légèrement notre tissu social.

Les réseaux sociaux du web offrent une nouvelle infrastructure à la vie sociale ; ils permettent aux internautes de garder des liens faibles, de ne pas perdre de vue des relations qui, à défaut, se seraient évanouies, et d’accroître le champ des opportunités : demander conseil, trouver des orientations pour un emploi, découvrir un pays, un chanteur ou un bon plan.

Antonio Casilli, Les Liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ?,

Les personnalités réservées, discrètes ou timides n’ont guère de chance sur le web.

Le nombre d’amis est étroitement corrélé avec le nombre d’informations personnelles que les utilisateurs ont révélé sur leur fiche de profil. Plus on se dévoile, plus on étend sa visibilité. Sur le web, l’exposition de soi est une technique relationnelle.

L’exposition de soi en ligne est commandée par une attente : celle d’être reconnu par les autres. La mécanique est partout la même : on ne s’affiche pas pour s’afficher, ni par narcissisme comme le soutiennent certains psychologues, mais pour que les autres likent, commentent ou partagent ce que l’on a exposé.

Les réseaux sociaux constituent des petits théâtres dans lesquels chacun conforte son estime de soi lorsqu’il reçoit des signes positifs des autres.

Sur le web, l’identité est largement hétéro-déterminée, c’est-à-dire construite par le regard des autres.

Loin d’être la somme de données objectives et complètes sur la vie des individus, la réputation en ligne est le fruit d’un travail intense que mènent les internautes pour soustraire, maquiller, partitionner et sélectionner certaines de ces données.

Les formes d’individuation contemporaine favorisent un « contrôle du décontrôle ».

Avec les réseaux sociaux, les internautes ne s’inventent pas une sorte de vie parallèle. Ils amplifient leur vie réelle en donnant une nouvelle dimension aux situations vécues (une fête, un voyage, une rencontre, un concert, etc).

L’élévation du capital culturel de nos sociétés. L’augmentation du niveau de diplôme des individus contribue à intensifier le rapport à soi et invite à afficher sa singularité à travers son identité numérique.

La vie privée, notamment dans le droit européen, est considérée comme un bien collectif à partir duquel, au nom de la dignité de la personne humaine, sont érigées un ensemble de normes communes. Ces normes se rattachent à des valeurs supposément partagées par toute la société comme le tact, la pudeur et la discrétion. Une telle conception, univoque et générale, se trouve aujourd’hui fragilisée par le désir des individus de définir eux-mêmes la teneur de leur vie privée et de ne pas laisser à d’autres le soin de le faire pour eux. Construite comme un droit de protection, la vie privée est de plus en plus conçue comme une liberté. Elle ne disparaît pas : elle s’individualise.

Chaque individu réclame de fixer sa propre définition du privé et du public, de ce qu’il veut montrer ou cacher.

Changement culturel caractérisé par une augmentation générale des loisirs créatifs et par le désir des individus de s’approprier les connaissances, les œuvres ou l’information de façon plus active. Ils ne souhaitent plus simplement consommer, mais aussi faire, participer à la création culturelle en incluant une partie d’eux-mêmes dans ce qu’ils fabriquent et partagent.

Les images ne sont plus destinées à être stockées dans des albums ou au fond d’un disque dur, mais à être partagées et échangées. Support de la sociabilité numérique, la photographie est devenue une technique conversationnelle,

Le fan est très productif. Il fabrique des objets, des images, des vêtements, des contenus, des collections d’information.

Un regard, un clin d’œil, une manière d’enregistrer le monde, et voilà un petit musée personnel qui se montre et se partage.

La formation de ces communautés en ligne de passionnés peut s’expliquer à l’aide de la notion sociologique de force des coopérations faibles.

L’expression des passions sur les plateformes du web doit d’abord se comprendre comme un mode de socialisation dans les univers connectés à travers un projet de réalisation de soi et de reconnaissance.

On se montre, on s’exprime et on partage comme jamais auparavant.

La vie privée n’a pas disparu, mais les utilisateurs ont un rapport de plus en plus complexe au contexte dans lequel ils exposent les informations accessibles aux autres.

En conséquence de quoi les acteurs traditionnels de la vie démocratique voient leur autorité, leur rôle et leurs prérogatives fortement ébranlés.

L’avènement de la démocratie électronique (dans une sorte de référendum continu, chacun, après le travail, votera les décisions du jour) et la disparition des partis (puisque nous pourrons substituer aux représentants politiques des citoyens révocables). Cette vision d’une entrée triomphale dans une sorte de post-démocratie horizontale est cependant naïve et erronée.

Essor depuis la société des individus connectés : pétitions en ligne, vidéos à très haute popularité, circulation de hashtags, collectifs d’activistes menant des actions sur le web, mouvements sociaux se coordonnant sur les réseaux sociaux, etc.

Comme l’observe Pierre Rosanvallon dans La Contre-Démocratie, le centre de gravité des démocraties s’est déplacé vers la société. démocratie internet ou de société des connectés.

L’effet global du numérique sur les institutions politiques : dans l’esprit utopiste évoqué au chapitre 1, il encourage la liberté d’expression, l’auto-organisation et les critiques à l’encontre de la forme restreinte et fermée de la démocratie représentative.

Des effets démocratiques du numérique : « How Internet Will (One Day) Transform Government », TED Talks, 2012, https://www.ted.com/talks/clay_shirky_how_the_internet_will_one_day_transform_government

Le refus de désigner un porte-parole qui parlerait au nom du groupe et la méfiance vis-à-vis de tout effet de notoriété est une constante de ces mouvements.

Tout le monde peut s’exprimer en tant que membre d’Anonymous. Nous n’avons pas de dirigeants. Uniquement des sensibilités. Nous n’avons pas d’objectifs. Uniquement des résultats. Nous ne pouvons pas être arrêtés, car nous ne sommes qu’une idée. Nous ne pouvons pas être effacés, car nous sommes transparents.

L’engagement tient souvent au motif que c’est par la délibération mutuelle entre égaux que des thèmes de mobilisation émergent du collectif ; ils ne peuvent être fixés préalablement à l’engagement.

Les mobilisations par le réseau ne peuvent rester purement numériques. Très vite, apparaît la nécessité de créer des points de centralité, de susciter des événements dans le monde réel afin que chacun, derrière son écran, puisse visualiser la forme collective du mouvement.

Le hashtag est un drapeau que l’on plante dans le brouillard du web.

Pour s’adapter aux mondes numériques, il faut être capable de réinventer son modèle, de produire des innovations qui prennent en compte à la fois les nouvelles pratiques

L’abonnement aux sites de streaming : il lui a fallu à la fois comprendre les formes d’écoute musicale, par papillonnage, et abandonner l’idée de faire payer la musique à l’unité.

Le média qui leur permet le mieux de suivre l’actualité, les Français citent la télévision largement devant les autres (42 %), internet venant en deuxième place (23 %), la presse écrite en troisième (18 %) suivie de la radio (11 %).

Il faut en moyenne moins de 3 heures pour qu’un événement couvert par un site d’information le soit également par un autre. La moitié des événements couverts sont repris au bout de 25 minutes et un quart d’entre eux, au bout de 230 secondes.

64 % de l’information publiée en ligne était un copié-collé pur et simple.

Désormais, des outils de monitoring, tel Chartbeat, donnent à chaque journaliste la possibilité de suivre minute par minute le nombre de clics, de partages et de commentaires de son article.

Certains médias en ligne publient simultanément le même article avec deux titres différents, puis observent leur performance dans Chartbeat pendant une heure avant de conserver le plus efficace.

Dès qu’il est question du numérique, on a tendance à unifier les marchés (« c’est sur internet »), alors qu’en réalité ces deux comptes ne jouent pas dans la même division.

Lorsque les acteurs du haut de l’échelle de visibilité d’internet ne se préoccupent pas des informations du bas, ou veillent à ne pas les relayer, les fake news ont une circulation limitée, et leur audience reste faible.

Civic tech, traduit bien la sociologie particulière de ceux qui le portent : des jeunes urbains, diplômés, intéressés par la politique mais déçus par la démocratie représentative ou méfiants à l’égard des structures partisanes ou syndicales.

Utiliser les ressources du numérique pour transformer les règles du jeu politique ou pour intensifier les engagements dans le cadre des règles existantes.

Prendre en main directement les questions démocratiques, en inventant des dispositifs numériques qui servent l’intérêt général.

On peut se demander si cette vision de la démocratie n’est pas une idéalisation abstraite, très pertinente pour les populations socialement intégrées, mais assez peu pour les banlieues et les milieux populaires qui n’y participent pas.

Comment peut-on exercer un tel pouvoir sur l’économie sans être un gros employeur ? Comment les GAFA sont-ils parvenus à modifier les règles de l’industrie et du capitalisme

L’imaginaire contemporain est imprégné de l’idée pastorale d’un retour au monde d’avant la division du travail et des rôles sociaux : une société de makers avec les fablabs, d’artisans avec les plateformes de fabrication personnelle comme Etsy, de loisirs créatifs avec les sites de cuisine, de scrapbook, de récits de voyages.

Si Uber peut se déployer si rapidement à travers le monde c’est parce qu’il n’a pas besoin d’acheter de voiture, ni de recruter ou de former des conducteurs.

La gratuité, au cœur de très nombreux services d’internet pour les utilisateurs, est en réalité la stratégie commerciale d’un modèle économique qui monétise sur un autre marché le volume et l’activité d’utilisateurs qui ne payent pas.

Pendant que l’internaute charge la page web qu’il désire consulter, son profil est mis aux enchères par un automate afin que des robots programmés par les annonceurs se disputent le meilleur prix pour placer leur bandeau publicitaire. L’ensemble de l’opération dure moins de 100 millisecondes.

Google Ads utilise une information très précieuse que lui fournit l’utilisateur : le futur. Ce que nous écrivons dans la barre recherche du moteur, c’est une question, une demande, une chose que nous ne savons pas, que nous aimerions connaître ou faire.

Système de crédit social destiné à répondre aux dysfonctionnements chroniques de l’application des lois et des règlements. Le projet consiste à agréger, pour chaque citoyen chinois, des évaluations concernant leur comportement civil, le remboursement de leurs crédits (credit score) et d’autres informations extraites de leurs activités numériques, afin d’interdire l’accès à certains services (comme prendre l’avion) à ceux dont le credit score serait mauvais.

Soshana Zuboff, qui défend l’idée d’un « capitalisme de la surveillance » : après avoir exploité la terre et la force de travail, le capitalisme s’apprête à marchandiser les individus en les transformant en flux de données disponibles pour augmenter les profits.

Les big data ne sont rien sans outils pour les rendre intelligibles, pour transformer les données en connaissances. Face aux données massives, nous avons besoin d’algorithmes.

Les algorithmes ne sont pas neutres. Ils renferment une vision de la société qui leur a été donnée par ceux qui les programment – et par ceux qui paient ceux qui les programment dans les grandes entreprises du numérique.

Pour pouvoir personnaliser les résultats de recherche, l’algorithme a besoin de données individuelles – ce qui n’était pas nécessaire lorsqu’il produisait le même classement pour tous.

La dynamique sociale et culturelle qui a conduit les internautes à s’émanciper de l’autorité des médias traditionnels pour décider eux-mêmes des informations qui les intéressent plutôt que de subir une information qu’ils jugent ennuyeuse, moyenne, reflétant les goûts communs et les produits standards.

Sur les réseaux sociaux, les utilisateurs choisissent leur niche selon un principe affinitaire

Facebook, Twitter, Pinterest et Instagram se sont ainsi couverts de chiffres et de petits compteurs, des « gloriomètres » pour reprendre une expression de Gabriel Tarde.

un nouveau marché s’est constitué, le social media listening ou social media monitoring, afin de permettre aux entreprises de mesurer sur de grands tableaux de bord la répercussion de leurs messages sur les réseaux, d’identifier des influenceurs et surtout d’observer les messages qui viennent des internautes, notamment en cas de bad buzz.

Pour justifier le développement de ces techniques prédictives, les architectes des nouveaux algorithmes des big data cherchent à disqualifier les jugements humains. Les individus, soutiennent-ils, manquent de sagesse et de discernement, font des estimations systématiquement trop optimistes, anticipent mal les effets futurs en préférant le présent, se laissent déborder par leurs émotions, s’influencent mutuellement et ne raisonnent pas de façon probabiliste. À grand renfort de travaux de psychologie et d’économie comportementales, les promoteurs des big data assurent qu’il ne faut faire confiance qu’aux conduites réelles des personnes, et non à ce qu’elles prétendent faire lorsqu’elles s’expriment sur le web social.

Les algorithmes prédictifs ne donnent pas une réponse à ce que les individus prétendent vouloir faire, mais à ce qu’ils font vraiment sans vouloir se l’avouer.

Intelligence artificielle. Si l’on voulait être rigoureux, il serait préférable de parler d’apprentissage automatique (machine learning) pour désigner la percée technologique que nous connaissons aujourd’hui et qui est en grande partie une conséquence de l’augmentation des capacités de calcul des ordinateurs

Qu’est-ce qui n’allait pas dans l’idée d’une machine raisonnant logiquement ? Tout simplement, que le fonctionnement de la pensée humaine est impossible à reproduire. Nous prenons très rarement des décisions à partir de règles de raisonnement que nous saurions expliciter. Nos jugements sont aussi faits d’émotions, d’éléments irrationnels, de spécifications liées au contexte et de toute une série de facteurs implicites ; bref, la décision ne se laisse pas capturer par des règles formalisables.

Je veux écrire un programme qui convertit en degrés Celsius une température donnée en degrés Fahrenheit. Pour cela, il existe une règle simple : il faut soustraire 32 de la température en celcius et diviser le résultat par 1,8 (9/5). Une approche symbolique en intelligence artificielle consisterait à enseigner cette règle à la machine. Une approche par apprentissage propose une solution toute différente : au lieu de coder la règle dans la machine, on lui donne seulement des exemples de correspondance entre des températures en degrés Celsius et en degrés Fahrenheit ; on entre les données de cette liste d’exemples, et le calculateur s’en sert pour trouver lui-même la règle de conversion. Voilà, de manière très simplifiée, comment fonctionnent les méthodes d’apprentissage et ce sont principalement à ces méthodes que l’on fait référence quand on parle aujourd’hui d’intelligence artificielle.

Les traducteurs automatiques « avalent » tous ces textes pour améliorer leurs modèles. La machine ne cherche plus à comprendre la grammaire, elle fait des scores probabilistes sur les meilleurs exemples.

À la suite de Chris Anderson annonçant « la fin de la théorie » dans un article à succès, « The End of Theory », beaucoup d’observateurs ont déploré que ces nouvelles formes de calcul ne permettaient plus de connaître le monde.

Si l’intelligence est la capacité à varier les heuristiques, les cadres d’interprétations et les visions du monde, c’est-à-dire à faire des prédictions de façon non pas modulaire mais méta-modulaire, alors les machines spécialisées n’ont pas cette intelligence.



vendredi 3 mai 2019

C’est çà la France, Barbara Lefebvre, Albin Michel


C’est çà la France, Barbara Lefebvre, Albin Michel

La logique binaire « gentils progressistes » contre « méchants nationalistes » construite par Emmanuel Macron écrase toute perspective multidimensionnelle. p. 11

Ce serait manquer de nuance dans l’analyse politique et de connaissance des singularités historiques de chaque état que mettre dans le même sac Trump, Poutine, Bolsonaro, Erdogan, Orban, Salvini, Kurz, Modi, Duterte ! Pris un à un, ces « nationalismes » répondent à leur propre crise sociale et politique. p. 11.

Plus la mondialisation creuse les inégalités, plus elle montre l’injustice produite par son modèle technologique de plus en plus orwellien, plus les peuples reviendront à l’échelle nationale. p. 12

Toutes les identités nationales se construisent selon un modèle commun qu’Anne-Marie Thiesse a clairement explicité : « Des ancêtres fondateurs, une histoire multiséculaire continue qui établit le lien entre les origines et le présent, des héros qui sont des exemples de civisme et de morale, une langue spécifique, des œuvres culturelles remarquables (en littérature, peinture, musique), des monuments historiques et des lieux de mémoire, des traditions populaires, des paysages emblématiques. pp. 12-13

Le fil des générations est brisé. Chacune se vit comme la première de son espèce.
p. 13

Beaucoup de temps a été perdu à espérer que l’Union européenne se substituerait à la nation sans contestation. p. 14

L’identité nationale doit être revivifiée sur des ancrages anciens et nouveaux d’unité et d’attachement à la France, à sa culture, son histoire, ses paysages, et non en la fondant sur des divisions ethniques ou religieuses, des rancœurs mémorielles concurrentes, des pénitences indéfinies qui alimentent les hontes françaises, autant que la haine de soi. p. 14

On n’a fait qu’inventer des substituts tel le chauvinisme sportif qu’on fait passer pour du patriotisme…p. 17

Comment expliquer qu’à des époques où n’existaient ni la CAF ni la Sécurité sociale, les Français faisaient montre d’un puissant patriotisme ? Une fois encore, c’est la domination de l’intérêt individuel et sa légitimation par un État fragilisé, ce sont les multitudes de « j’ai le droit à » qui ont eu raison du bien commun. p. 18

Peu importe que ce modèle se fracasse contre le réel du terrorisme, il faut continuer de nourrir la mythologie du « vivre-ensemble ». pp. 24-25

Les GAFA savent exploiter l’émotion populaire pour collecter des données.p. 25

L’ultragauche et les mouvances indigénistes s’unissaient dans la même détestation de l’Occident démocratique. p. 26

Contradiction politique à défendre à la fois le mariage homosexuel et l’islam politique ! p. 26

Lien idéologique entre la gauche révolutionnaire et les courants islamistes. p. 27

 « La patrie des jeunes, c’est Apple ! Le drapeau français, ils l’ont foutu dehors. Il n’y a rien de patriotique. » pp. 31-32

La politique est faite de symboles, c’est parfois même tout ce qu’il en reste. p. 36

Nos critères contemporains servent de boussole morale pour juger notre histoire et expliquent les anachronismes des boutiquiers de l’indignation…p. 50

Dissoudre dans le relativisme bien-pensant. p. 51

Le parti du « pasdamalgame » était né. Il règne toujours. p. 52

Notre construction nationale ne s’est pas faite sur un critère de « pureté ethnoraciale ». p. 53

Pour exister autant que se sentir exister, les peuples ont besoin d’enracinement et d’unité, en particulier dans les périodes troublées où la perception collective des changements qui s’opèrent indique que le pire est toujours possible. p. 54

Et si le naufrage de la France catholique était un des signes d’une décomposition plus générale de l’identité commune ? p. 56

Les religions sont des structurants identitaires fondamentaux, conscients ou inconscients, que l’Occident a eu tort de balayer comme s’il ne s’agissait que de naïvetés ancestrales.p. 58

Qui peut imaginer qu’en moins de deux siècles, la modernité ait « désintoxiqué » le corps social du « venin » religieux ? p. 59

Si la religion issue du modèle judéo-chrétien est récusée par la doxa qui se plaît à la décrire comme désuète, voire réactionnaire, on tolère en revanche la religiosité comme méthode de développement personnel pour peu qu’on la revête d’un habit plus chic appelé « spiritualité ». pp. 59-60

L’orthopraxie de l’islam séduit davantage car elle engage l’individu physiquement, et précisément certains musulmans convertis ou reborn sont en recherche d’implication totalisante. p. 60

L’institution scolaire prêche la foi dans le progrès, célèbre le rationalisme, encourage l’anticléricalisme, annonce l’émancipation de l’individu par les savoirs comme on annonçait la Bonne nouvelle. On peut se demander si la crise dans laquelle s’enfonce notre éducation depuis trente ans ne reflète pas l’échec de ce projet idéologique originel ? pp. 61-62

La démocratie impose une nouvelle condition sociale créant ces « hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs dont ils remplissent leurs âmes » décrits par Tocqueville.p. 62

Le peuple français s’est peu à peu dilué en de multiples minorités. Elles sont à présent légitimées dans leur existence politique et sociale sous le nom de « communautés ». p. 63

Durant les Trente Glorieuses, la transformation des sociétés occidentales en sociétés de masse, de loisir et de consommation, sur fond de libération des mœurs, a été perçue par la majorité des catholiques comme une évolution inéluctable. pp. 63-64

L’histoire de la chrétienté européenne est-elle un mythe ? Oui à écouter Pierre Moscovici. On postule donc que l’Europe politique se construira sur un terrain historique vierge, son identité ne se rattachant à rien de commun, sinon aux intérêts strictement économiques des uns et des autres, des uns contre les autres.p. 69

L’islam ne peut prendre paisiblement sa place en France que si l’État n’est pas laïque, car la laïcité est selon lui un principe étranger à la pensée et la théologie islamique. Étant entendu que le catholicisme n’a aucune chance de retrouver son statut de religion d’État d’avant 1830, la situation décrite par Houellebecq n’est pas pour autant dépourvue de sens. p. 72

Seul un discours de type religieux peut être audible pour les musulmans afin de définir les contours de leur insertion dans la nation française. p. 72

Repentance occidentale articulée autour de la « victimisation du musulman » p. 72

Des intellectuels ou des élus n’hésitent plus à parler de « Frères musulmans modérés », sans oublier les « salafistes quiétistes » apparemment comparables à des bonzes tibétains. p. 73

Si La Libre pensée veut bien « bouffer du curé », elle ne veut en revanche pas « bouffer de l’imam » ! p. 74

La religion (islam) est alors un socle plus résistant que la raison d’État ou la défense d’intérêts nationaux, puisque c’est la vérité de Dieu, échappant à toute explication rationnelle, qui justifie le combat. p. 75

Mohamed est « le sceau ». Lui vient révéler la parole authentique d’Allah pervertie par l’interprétation rabbinique juive et l’association trinitaire christique. p. 76

À la différence de l’islam, le judéo-christianisme n’a cessé de pousser l’homme à s’émanciper au nom du libre arbitre. p. 78

La raison émancipatrice s’est transformée au cours du XIXe siècle en une « religion du progrès », en un culte de la technique et des machines, finalement un outil au service d’un asservissement économique. p. 78

La raison dépérit à mesure que croît la rationalité, et à mesure qu’elle cesse d’appartenir et d’obéir à l’individu pour passer du côté des organisations géantes. C’est alors qu’il y a rationalité sans raison7. » p. 79

Prophétie nietzschéenne : « Dieu est mort : il ne vous reste plus rien qui ait de la nécessité9. » p. 79

Quelle figure consensuelle incarne le peuple français aujourd’hui sinon la victime, dans cette société qui ne pense plus que sur le registre de l’émotion ? p. 81

On présente comme un signe de progrès tout ce qui censure pour n’offenser aucune minorité. p. 83

Le juif israélien se transforme en nazi tandis que le Palestinien devient la victime juive ressuscitée. pp. 86-87

Il y aura désormais deux camps : ceux qui condamnent l’usage du terrorisme armé et ceux qui l’excusent, voire le justifient, comme une forme de rétribution historique pour les crimes occidentaux. p. 87

La France du remords épuise l’esprit et le corps social, exaspère ceux qui veulent faire nation sur des bases politiques et culturelles communes et non sur le ressassement des rancunes. pp. 88-89

Position unanime de nos États pacifistes européens dont les élites dirigeantes ont déconstruit consciencieusement l’idée de nation. p. 119

Les historiens sont des individus insérés dans leur époque, dans leur classe sociale, dans leur culture, dans leur vécu intime. Et la politisation de certains historiens a transformé chez eux l’analyse critique en prêchi-prêcha idéologique. p. 149

Plus question que l’histoire soit un manteau d’Arlequin, elle doit ressembler à l’habit immaculé du pénitent. p. 149

La démocratie des droits de l’homme ne suffit pas à créer une identité commune. Instrumentalisés par des groupes minoritaires qui les confisquent au nom de leurs intérêts particuliers, les droits de l’homme se retournent contre le bien commun. p. 151

L’universalité émancipatrice des droits de l’homme a cédé la place à l’hyper-individualisme oppresseur. p. 152

Nous assistons en réalité à la substitution de nouveaux mythes identitaires aux mythes unitaires nationaux. p. 157

La postmodernité a dévasté le champ historique. p. 159

Reconnaissance et indemnisation, mais surtout pénitence éternelle des descendants des vainqueurs. Ils prétendent les exiger pour leurs ancêtres, mais tirent un profit personnel de cette rente morale. On est désormais victime par héritage. p. 159

Nous vivons dans une « égocratie transgressive » qui assène ses « synthèses-minute, potages planétaires et autres dévoilements massifs de la vérité des origines à nos jours » p. 164

Il aura suffi de quelques enseignants passés à la moulinette pédagauchiste pour tenter de déshonorer d’Estienne d’Orves. Grands redresseurs de torts de l’histoire nationale, ils ont exigé que leur nouveau lycée de Carquefou ne porte pas le nom du résistant. p. 175

S’il est heureux que notre temps ne soit pas celui du « nationalisme intégral », n’est-il pas fâcheux qu’il soit celui du relativisme intégral ?  p. 177

Que peut comprendre aujourd’hui un Français de moins de 40 ans à la crise sociale, économique et environnementale dans laquelle sont plongés non seulement notre agriculture, mais le pays tout entier ?  p. 182

La géographie scolaire actuelle se résume à la géographie humaine économique, arrimée aux sciences sociales bien davantage qu’à l’histoire. p. 183

On s’est mis à « réaménager » le territoire pour laisser circuler le mastodonte mécanique. p. 188

En quinze ans, le temps de travail sera divisé par quatre mais l’agriculteur ne cessera plus jamais de travailler pour… rembourser ses dettes. p. 196

L’endettement d’un agriculteur français de moins de 40 ans est en moyenne de 200 000 euros selon les chiffres officiels du ministère de l’Agriculture. p. 196

Méthode habituelle du marketing : vider les mots de leur sens en espérant en effacer la réalité. p. 199

La France continue de s’affaiblir parce qu’elle cultive la haine de soi, la honte d’elle-même. p. 211

Les discours allient désormais habilement lexique managérial et vulgate du coaching en développement personnel avec sa terminologie « positive et inclusive ». p. 213)