mercredi 17 février 2021

Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit, L’Observatoire

 

Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit, L’Observatoire




Une conscience aiguë des limites émerge comme l’autre face de notre présent. Chacun sait désormais que la planète est unique, les ressources d’énergie en quantité finie, l’expansion sans mesure impossible. Plus de croissance illimitée sur une Terre limitée. […]Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Notre époque tient dans cette tension entre un toujours plus et un toujours moins, la croissance et la décroissance, le désir d’illimité et la conscience des limites. » Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Les uns désirent, partout, et par tous les moyens, effacer les limites. Les autres, au contraire, veulent les réimposer, autoritairement, et à tout prix. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Depuis les dernières décennies du XXe siècle, ce désir de suppression est porté et nourri par la mondialisation, la révolution numérique, l’expansion des révolutions technologiques autant que par l’essor du capitalisme financier et la disparition d’horizons à long terme au profit d’un « présentisme » triomphant. Il sous-tend aussi bien le projet transhumaniste de fusion entre humains et machines que la négation des limites entre humains et animaux, le changement de la relation à la nature, le brouillage des genres et de la différence des sexes, la confusion croissante entre vie privée et vie publique… Sous ces visages différents, une seule et même tentation est à l’œuvre : dissoudre les limites, considérées comme des entraves. Et viser la fusion… Reste à comprendre avec quoi. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Nous faisons l’expérience quotidienne de la coexistence permanente entre humains et « machines de compagnie » : assistants vocaux répondant à nos demandes, robots conçus pour pallier la solitude des personnes âgées, intelligences artificielles mimant nos émotions… Et ce n’est qu’un début. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Les êtres humains ne seraient plus utilisateurs de machines, comme récemment. Ils constitueraient des pièces, relativement peu fiables, d’un système de robots où ils n’occuperaient qu’une fonction intermittente. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

 « Nous », souligne Tristan Garcia, désignait autrefois exclusivement « nous, les humains ». Le droit considérait les animaux simplement comme des choses, non comme des personnes. Aujourd’hui, « nous » tend de plus en plus à signifier « nous, les vivants », englobant ainsi les êtres dotés de sensibilité (« sentients5 »), qu’ils soient animaux ou humains. Ce changement entraîne de multiples conséquences. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Sensibilité qui permet d’avoir conscience de soi, de dire « moi », résulte d’une organisation spécifique et ne saurait être élargie à d’autres éléments de l’univers, sans abus de pensée et de langage. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Se répète toujours le même rêve : être débarrassé des identités qui assignent, quelles qu’elles soient. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

il n’était jamais venu à l’esprit de qui que ce soit de soutenir que cette séparation première des êtres humains en deux sexes – ancrée dans la physiologie, les organes et les hormones – puisse et doive être intégralement effacée. Pour une part des esprits contemporains, c’est désormais chose faite. Dès lors que fut remplacé le « sexe » – inné, biologique, psycho-corporel – par le « genre » – acquis, social, conventionnel. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

On en est arrivé à postuler que les identités sexuelles devraient tout à la société, rien à la nature. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

 « Nous sommes de l’humus, écrit-elle, pas des homo, pas des anthropos. Nous sommes du compost, pas des post-humains. » Jadis, l’informe, le décomposé, l’humus étaient ce que l’humain fuyait, ce qu’il laissait derrière lui pour se construire. Par un étrange retournement de l’histoire, cette décomposition devient son avenir, par-delà masculin et féminin. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Cette ouverture de soi aux regards des autres renforce le sentiment que moins subsisteraient de limites, plus on serait heureux et libres. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Au lieu d’avoir d’abord conscience de soi, et ensuite d’être jugé, reconnu ou trahi par les autres, ils donnent l’impression de devoir passer par le filtre des autres pour prendre conscience d’eux-mêmes. En quelque sorte, leur intériorité se trouve externalisée. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

S’activer pour que soient préservées des limites.

Les mouvements populistes rameutent des peurs, des ressentiments et des haines que nous ne partageons en aucune manière. Ils signalent le trouble et l’inquiétude qu’engendrent la tentation et les dérives du sans-limite. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

À ceux qui veulent ôter les limites font donc face ceux qui les figent et les rigidifient. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

L’écologie est tout entière du côté des limites, de leur prise en compte et de leur mise en œuvre, à l’inverse de la tentation de l’effacement. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Personne ne doit oublier qu’au long de l’histoire rien ne s’est montré plus dangereux que la conviction d’agir au nom du Bien. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Pour le bien de l’humanité, dans le but d’assurer à tous un avenir radieux, des crimes colossaux ont été commis. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Légitime souci des limites à l’implacable dictature du limitariat. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Convaincue que le modèle économique occidental est l’ennemi à abattre, que son extension à toute la planète la mène à sa ruine, que ce système ne peut ni comprendre ni changer, cette frange militante persiste à vouloir tout abattre, comme au XIXe siècle, en recyclant les lambeaux d’un paléomarxisme éteint. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Les adeptes de la « collapsologie », terme inventé en 2015 par l’ingénieur agronome Pablo Servigne et Raphaël Stevens, expert en résilience des systèmes socio-écologiques. Cette collapsologie se veut « science de l’effondrement» mais reconnaît quand même au passage qu’elle se fonde essentiellement sur une « certitude intuitive ». Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Insensiblement, la collapsologie se mue en « collapsosophie », à laquelle on se « convertit » pour mettre en pratique une prétendue « sagesse de l’effondrement ». Non dénuée d’ambiguïté. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Opposition simple, tranchée, manichéenne, entre ceux qu’on pourrait appeler les goodies et les badies des limites. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Supposons, en effet, que toutes les limites soient effacées. On se retrouverait dans un continuum unique, où l’on circulerait indéfiniment, passant d’un moment à un autre, d’une espèce à une autre, d’un genre à un autre… pratiquement sans transition. Cette abolition des contours ferait perdre la notion de l’existence des autres et jusqu’à sa propre identité, désormais non repérable. Personne n’étant quoi que ce soit de délimité ni de définissable, personne ne serait rien. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

En restant entre soi, en parquant les « autres » au-dehors, en coupant les ponts, on constitue une uniformité, une sorte d’homogénéité restreinte contre le magma menaçant que l’on imagine grouiller de l’autre côté de la frontière. La limite qui enferme pour protéger exclut le dehors, le diabolise et le désincarne. Elle empêche, elle aussi, toute existence réelle, vivante, c’est-à-dire en relation avec d’autres que soi. À l’intérieur de l’espace enclos par une limite pétrifiée, il n’y a plus personne, car il n’y a plus d’autre. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

L’horizon, par lui-même, ne départage rien, si aucun regard ne s’y porte. Il n’existe comme limite que pour un esprit. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

La bonne mesure de nos possessions nous est donnée par le corps : l’important est que ma chaussure ait la taille de mon pied, voilà tout ce dont j’ai besoin. Les suppléments superflus font basculer dans une autre dimension. Que la chaussure devienne dorée, luxueusement ornée, colorée comme ceci ou cela, ouvre sur la démesure. Comme le désir sera toujours infiniment plus grand que le pied, il tend vers le sans-limite, le toujours plus, indéfiniment. La mesure du corps serait la borne à ne pas franchir. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Nous ne pouvons acquérir de connaissances qu’à l’intérieur des limites de notre champ d’expérience. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Transgresser, par plaisir, par rébellion systématique, avec la conviction qu’aucune limite ne vaut, ne s’impose, ne doit être respectée, c’est à la fois un trait de caractère et une tendance croissante de l’époque que nous vivons. . Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Toute pensée suppose une délimitation des idées, et que toute parole suppose une distinction des sons, des mots, des sens. . Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

La démesure multiforme de l’hubris débouche donc constamment sur la négation de l’existence des autres. . Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Les proportions des statues, l’harmonie des temples, l’équilibre des lois constituent plutôt des défenses édifiées contre le désordre, le chaos et la sauvagerie qui régnaient, qui couvent toujours, qu’il faut tenir en bride de façon permanente. . Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Socrate répond, de façon lapidaire : « Tu penses qu’il faut s’exercer à avoir plus que les autres, en fait tu ne fais pas attention à la géométrie »… Réponse étonnante. En effet, si vouloir toujours plus pour soi est bien un signe d’hubris que la sagesse doit s’employer à contrecarrer, que vient donc faire ici la géométrie ? En réalité, si elle constitue évidemment la connaissance rationnelle des lignes, formes et points, et de leurs relations, la géométrie est aussi la science qui concerne les limites, de manière exemplaire. Elle traite des proportions et des propriétés intrinsèques des figures. Son savoir se fonde sur la compréhension, par la raison, de l’ordre interne qui existe dans le monde des formes. . Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

 

« Connais-toi toi-même » que reprend Socrate ne signifie nullement, comme on le croit souvent aujourd’hui, « Sache quel caractère est le tien, découvre tes points forts et tes faiblesses ». Il faut la comprendre non dans un sens psychologique, mais réellement cosmique c’est-à-dire « Comprends la place spécifique occupée par l’être humain, au-dessus des animaux, en dessous des dieux. Entre ces limites, tu es humain, tu ne l’es plus si tu te prends pour un autre, immortel ou bête ». . Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Parvenir à n’être ni téméraire ni lâche (tout comme ni paresseux ni suractif, ni vantard ni timide, etc.) exige un réel travail sur soi. Rien à voir avec un centrisme mou, une position de repli. Le juste milieu s’atteint de haute lutte. Nous le croyons « médiocre », les Anciens le jugeaient glorieux. . Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Le secret du bonheur consisterait à façonner nos désirs à la taille de nos besoins. Si l’on s’en tient à cette limite naturelle, il n’y a plus d’hubris, tout s’ajuste. La « tempête de l’âme », celle des désirs effrénés et contradictoires, se calme. . Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Projeter des catégories modernes sur les réalités antiques. . Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Devient responsable de sa vie éternelle – félicité et béatitude, ou souffrances et damnation. Selon son parcours durant une existence terrestre unique et brève, le chrétien perd ou gagne une éternité céleste de Paradis ou d’Enfer. . Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Péché originel, saint Augustin, à la fin du IVe siècle, imagine en effet que les humains naissent nécessairement du mauvais côté. La limite étant outrepassée en amont, indépendamment de leurs actes. . Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

En célébrant l’infinité du monde, Giordano Bruno exultait de voir s’effondrer le vieux rempart du péché, la diabolisation de la chair, les limites étroites de l’existence ancienne. . Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Le plus important, en fin de compte, n’est pas la carte des continents ni même celle du ciel. Les places respectives de l’humain et de la nature, les limites de nos pouvoirs et de nos savoirs, voilà ce qui bouge de manière décisive avec la modernité. . Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Pourquoi la fumée monte-t-elle vers le ciel ? Parce qu’elle émane du feu, et rejoint son « lieu naturel », qui est le « haut du monde ». Pourquoi la pierre lancée retombe-t-elle ? Parce qu’elle est constituée de terre et rejoint son « lieu naturel », qui est le « bas du monde ». Telles étaient, schématiquement, les réponses d’Aristote. . Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Pour être objectif, il faut laisser de côté ses croyances, ses sentiments, ses espérances. . Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

 « Plus nous comprenons comment marche le monde, plus nous sommes en mesure d’avancer. » Cette injonction va s’imposer. . Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Penser le progrès requiert certaines conditions : il faut avant tout se représenter le temps comme linéaire et non cyclique. Il faut que l’histoire se déroule en droite ligne, selon la flèche du temps. Au contraire de l’ancienne conception grecque du temps circulaire où le cosmos s’efface, recommence, tourne en rond, où le progrès n’existe pas, puisqu’une fois conquis il est effacé au tour suivant. L’idée de progrès suppose un avenir ouvert, indéfini, à construire. . Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Le progrès représente toujours un « mieux » dans le temps, une amélioration considérée comme telle en fonction d’une certaine conception de ce qui est souhaitable et désirable : santé, sécurité, prospérité, paix, etc. . Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Chaque lumière projette des ombres. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Francis Bacon, ainsi formulé dans les dernières lignes de La Nouvelle Atlantide5 : « Reculer les bornes de l’Empire humain, en vue de réaliser toutes les choses possibles. L’important est la réalisation, pas son sens ni sa justification. Tout ce qui est faisable est à faire. Tout le faisable est un progrès. » Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Ce dépassement moderne comme le passage d’un univers fixe, où les limites sont édictées du dehors – par Dieu, par l’Église, par le roi, par le statut de chacun dans une hiérarchie sociale traditionnelle –, à un monde mobile, où les règles sont décidées du dedans par des individus eux-mêmes, qui se considèrent comme souverains. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Les normes et limites fixées par d’autres (hétéronomie) cèdent la place à celles qu’on se donne à soi-même (autonomie). Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Les espoirs placés dans les sciences se sont retrouvés disqualifiés, se transformant peu à peu en défiance ou en crainte. La foi en l’histoire s’est amoindrie, l’espoir collectif s’est éclipsé. L’idée de progrès s’est faite « slogan », « cliché », mythe trompeur. Les horizons temporels se sont estompés, le passé n’étant plus que mémoire, l’avenir n’étant plus désirable ni même figurable. Il ne restait qu’à consommer, des équipements ménagers et des loisirs, et des bouffées de radicalité rêvant d’extirper du monde toute limite. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Le marquis de Sade en fut un précurseur exemplaire, lui qui affirmait désirer la transgression même et encore lorsqu’elle n’avait plus aucune raison d’être. Croire que dans la surenchère de blasphèmes qui émaille ses œuvres il cherche à choquer les esprits religieux, à les faire souffrir, en affirmant sa propre incroyance, est insuffisant. En fait, Sade a besoin de ces signes religieux pour jouir de les bafouer, de les souiller, bien qu’ils soient, à ses yeux, totalement dépourvus de signification. S’adressant à Dieu, il proclame : « Je voudrais qu’un moment tu pusses exister/Pour jouir du plaisir de te mieux insulter. » Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Toute l’œuvre de Foucault est centrée sur l’exploration des limites, pour les scruter et les contester à la fois, pour ébranler, fragiliser, saper les dispositifs de pouvoirs que, selon lui, elles génèrent. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Romain Rolland complimente Freud, lui dit partager ses analyses, mais regrette de ne pas voir prise en compte la « sensation religieuse4 ». Il nomme ainsi un sentiment qu’il affirme éprouver fortement, comme des millions d’hommes, indépendamment des dogmes, des Églises, des révélations et des croyances, et qu’il décrit en ces termes : « Le fait simple et direct de la sensation de l’“éternel” (qui peut très bien n’être pas éternel, mais simplement sans bornes perceptibles, et comme océanique). » Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Notre actuel sentiment du Moi, poursuit Freud, n’est donc qu’un résidu rétréci d’un sentiment beaucoup plus largement étendu, étendu même à tout, qui correspondait à un lien plus intime du Moi avec le monde environnant. » Devenir un individu consisterait, dans cette optique, à passer de l’illimité indistinct aux limites, de l’océanique au terrestre, du tout aux singularités. Le chemin inverse, vers l’océanique, la dilution de soi, la fusion cosmique serait, selon Freud, une régression. que la suppression méthodique des catégories et la dissolution des limites constituent un vecteur clé de cette culture. Dans l’histoire intellectuelle de l’Inde, la doctrine qui l’emporta sur toutes les autres privilégie l’identité parfaite de la conscience et de l’Absolu par annulation de toutes les limites et de toutes les différences. Nous les croyons réelles, à tort, alors qu’elles ne sont qu’illusoires. personne, indépendamment de tout contexte, qu’il est donné soit de privilégier une existence avec des contours, soit de s’en délivrer pour fusionner avec l’univers. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Le recours permanent à l’idéologie de la belle âme, l’intolérance à l’égard de l’exception se note à l’exaspération devant qui se refuse à son étreinte généreuse et à sa religion de l’humanité7 », note à juste titre l’écrivain Éric Marty. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

 « Dé-création » du monde, autrement dit une annihilation fictive du réel et de tout ce qui peut être perçu, dit ou pensé. Car tout n’existe que selon un principe de séparation. Lui seul fait exister. Aucune chose, aucun organisme, aucun vocable, aucune idée ne pourrait être s’il n’était d’abord, pour pouvoir exister, séparé du reste. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Ceux qui tendent à effacer les limites jugent la séparation néfaste. Dans un mouvement à rebours, ils veulent en finir avec elle, prônent le retour à une indistinction avec une Nature idéalisée, rêvent de fusionner avec le grand Tout du sans-limites. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Seule la limite offre la possibilité de faire lien, de tenir ensemble, d’unir ce qui vient d’être séparé. Ici, unir ne signifie pas confondre, relier ne signifie pas annuler l’écart. C’est au contraire la fusion-confusion qui rend impossible une relation, quelle qu’elle soit… faute de termes indépendants à relier. Il n’est possible de réunir que des éléments identifiables comme tels. La limite conditionne et détermine leur existence. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

La séparation est la condition de la relation. La limite est garante de ce mouvement. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Faut qu’existent des autres pour faire vivre les relations, ensemble. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Des autres séparés de nous, nous séparés d’eux, pour qu’une relation soit possible, garante des intégrités de tous. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Sans limite, impossible d’isoler une idée d’une autre, impossible de les comparer, de les opposer, de les rapprocher, de les combiner. Il faut, au préalable, avoir cerné leurs contours, leur avoir donné forme. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

C’est ce qu’on peut dire qui délimite et organise ce qu’on peut penser… Ce qu’Aristote nous donne pour un tableau de conditions générales et permanentes n’est que la projection conceptuelle d’un état linguistique donné5 », et serait donc relatif… Faut-il en conclure que d’autres langues feront penser autrement les délimitations du monde ? Évidemment oui. Le découpage des catégories et des notions n’est pas le même en hébreu, en chinois, en sanskrit, en wolof ou en d’autres savoir elle-même. Ainsi les astronomes de l’Antiquité ou de la Renaissance ne savaient-ils rien des trous noirs. Ils n’en ignoraient rien non plus, à proprement parler, puisqu’ils n’avaient pas la moindre idée de leur existence. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Dans Qu’est-ce que s’orienter dans la pensée ?10 le philosophe montre que le travail de la pensée consiste à « s’orienter géographiquement », comme avec une boussole, en opérant des différenciations. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

À partir de notre intuition sensible, structurée a priori par l’espace et le temps, les activités de la pensée procèdent d’abord par spatialisation. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Métaphore picturale, la technique du sfumato mise au point par Léonard de Vinci, obtenue par superposition de plusieurs couches de peinture donnant aux contours d’un sujet un aspect évanescent, incertain… Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

C’est sans doute une des raisons pour lesquelles l’époque actuelle en perdant ses perspectives temporelles a perdu le sens des limites. Cette métamorphose de la relation collective au temps a commencé à affecter les sociétés occidentales au cours de la seconde moitié du XXe siècle. Elle a été décrite par des historiens, sociologues et anthropologues sous le nom de « présentisme18 ». Avec comme traits principaux : du côté du passé, une représentation de l’héritage historique qui s’affaiblit. Le poids des événements d’hier n’est plus ressenti, la conscience de l’histoire et de ses continuités fait place à la célébration intermittente d’un « devoir de mémoire ». Du côté de l’avenir, les buts à atteindre collectivement deviennent flous ou irreprésentables. Les lendemains ne sont plus attirants ni même figurables, le sens des actions communes n’apparaît pas. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Déploiement des réseaux sociaux issus de la révolution numérique et de la menace qu’ils font peser sur la représentation de l’intimité en ces temps de transparence exacerbée. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Les récepteurs que nous sommes acquièrent une forme d’autonomie relative, qui leur permet, s’ils le veulent, d’agir à leur tour. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

D’interdits et de protection distincts, l’instauration de compromis, instables et destinés à évoluer. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

C’est ainsi que l’infini se retrouve « sous la garde du fini24 », sous la garde de la limite. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Descartes évoque l’« idée de l’infini en moi ». Il se demande, dans la troisième de ses Méditations métaphysiques25, comment expliquer que les êtres humains, dont la vie est limitée et toutes les sensations bornées, puissent avoir pareille idée de l’infini. Elle ne peut provenir de leurs expériences vécues, puisqu’elle les excède toutes. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

La limite n’est plus fermeture mais ouverture. Et l’attention ne se porte plus sur ce qui se cache derrière ou dans le simple reflet de l’horizon, mais plutôt sur sa présence en nous, sur cet au-delà intérieur qui déjoue les certitudes trop rapides sur son caractère indépassable. « Accepter les limites ne bouche pas l’horizon. Cela permet d’aller plus loin sans se perdre27. » Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

L’horizon « en nous » devient ainsi figure de la limite qui ferme et ouvre l’espace et le regard, sépare et réunit terre et ciel, fini et infini. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

En finir avec les visions simplistes, manichéennes, qui représentent la limite comme essentiellement dérangeante, punitive, fardeau attentatoire à notre liberté. Pour rappeler que les limites signent l’humain, en sont la condition, qu’elles fondent la pensée, permettent la vie. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

La » civilisation, à partir des Lumières, désignait un processus – lent, mais constant et universel – de polissage de l’humanité, qui était censée abandonner, peu à peu, la rudesse pour adopter des mœurs pacifiées, l’ignorance pour acquérir des savoirs, les rapports de force pour se fier aux institutions… Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Un des signes de la crise actuelle des limites est la désuétude où l’idée de civilisation est tombée. Soit on ne sait plus ce qu’elle veut dire, soit on l’accuse d’être le masque de toutes les vilenies possibles, le faux nez de la colonisation, de l’esclavagisme, de l’impérialisme, de la domination occidentale… Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

La séparation des vies est au principe de leur possibilité d’union. La condition d’existence de l’autre est d’être distinct de moi (et réciproquement : je n’existe qu’à la condition d’être distinct de l’autre). La limite qui nous disjoint rend possible de nous rejoindre. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Et « intolérance ». Car on se trompe encore en croyant que la tolérance consiste uniquement à défaire les limites. Bien entendu, on peut et doit abolir des censures, laisser dire, laisser faire. Mais à la condition, impérative, que des limites soient posées. « Pour être tolérant, il faut fixer les limites de l’intolérable », soulignait l’écrivain Umberto Eco2. Sans limites, pas d’autre, pas d’éthique, pas de tolérance. Toutefois, jamais une personne isolée ne trace ces limites, ne les transforme, harmonise ou entrelace toute seule. Ce travail est collectif. Le sens des limites est sens du politique. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Sortir de la négligence envers les limites aussi bien que de la crispation idéologique et autoritaire suppose de retrouver le sens du politique. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Le désintérêt, la désaffection, le mépris croissant dont fait l’objet la dimension politique du monde sont profondément liés à l’indifférence envers les limites. En retrouver le sens, c’est aussi, pour une part, réinventer, et réendosser le sens du politique. Tout simplement parce que cette sphère est celle où les limites se tissent, se trament, se confrontent, se négocient et s’arbitrent. Non sans tâtonnements. Non sans erreurs. Mais obstinément. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Plaidoyer en faveur de limites bien comprises, conçues à la fois comme butoirs et comme points de levier, Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

 

 

 

 

 

 

Apocalypse cognitive, Gérald Bronner - t – P

 

Apocalypse cognitive, Gérald Bronner - t – Puf



 « Peut-être la suprême vertu, en notre siècle, serait-elle de regarder en face l’inhumanité sans perdre la foi dans les hommes. » Raymond Aron Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

L’indignation morale qui devenait permanente – déjà – servait de cache-misère à ma génération, pas moins courageuse que les autres mais qui ne trouverait plus d’occasion d’être véritablement héroïque. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

L’histoire ne s’arrête jamais. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Aujourd’hui, quelqu’un qui détient un compte sur un réseau social peut directement apporter la contradiction, sur la question des vaccins par exemple, à un professeur de l’Académie nationale de médecine. Le premier peut même se targuer d’une audience plus nombreuse que le second. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Très incommode la vision biblique du monde qui avait prévalu pendant des centaines d’années, et l’on peut dire que les modèles intellectuels proposés par la science sont entrés en concurrence hostile avec ceux proposés par la religion concernant certaines conceptions du monde. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

seuls 22 % considèrent que « les êtres humains se sont développés sur des millions d’années à partir de formes de vie moins avancées, et que Dieu n’a rien à voir dans ce phénomène ». Ils n’étaient que 9 % en 1983, mais il reste que les tenants des thèses religieuses de la biologie demeurent – toutes sensibilités confondues – plus de 70 % aujourd’hui des habitants de la première puissance mondiale. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

 

Seuls 22 % considèrent que « les êtres humains se sont développés sur des millions d’années à partir de formes de vie moins avancées, et que Dieu n’a rien à voir dans ce phénomène ». Ils n’étaient que 9 % en 1983, mais il reste que les tenants des thèses religieuses de la biologie demeurent – toutes sensibilités confondues – plus de 70 % aujourd’hui des habitants de la première puissance mondiale. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Même les platistes – qui défendent la théorie selon laquelle la Terre est plate – connaissent aujourd’hui une certaine audience puisqu’ils ont tenu leur premier congrès international en 2018. Ils aiment d’ailleurs à rappeler qu’ils ont « des membres tout autour du monde » [sic]. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Le cœur de cette théorie « évolutionniste » vaut pour les idées relevant du vrai et du faux comme pour celles relevant du bien et du mal, et repose sur le concept de raisons qu’il nomme « transsubjectives » parce qu’elles ont « une capacité à être endossées par un ensemble de personnes, même si l’on ne peut parler à leur propos de validité objective7 ». Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Ce temps de cerveau libéré, qu’allons-nous en faire ? v

D’entre toutes les civilisations intelligentes possibles, l’humanité fera-t-elle partie de celles qui peuvent surmonter leur destin évolutionnaire ? Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Ainsi, pour la première fois depuis ses origines, l’homme se trouvera face à face avec son véritable, son éternel problème – quel usage faire de sa liberté, comment occuper les loisirs que la science et les intérêts composés lui auront assurés, comment vivre sagement et agréablement, vivre bien ? Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Aujourd’hui, en France, le temps de travail représente 11 % du temps éveillé sur toute une vie alors qu’il représentait 48 % de ce temps en 1800 ! Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Tous ces dispositifs aboutissent à un progrès spectaculaire de notre disponibilité mentale au cours du temps. L’humanité s’est peu à peu affranchie de contraintes qui la rendaient peu disponible à l’usage de certaines de ses fonctions cognitives supérieures. Cette histoire du temps de cerveau libéré est une autre façon de penser notre histoire commune. Nos prédécesseurs ont beaucoup rêvé à ce moment que nous sommes en train de vivre. Mais avaient-ils vu que ce rêve pourrait se transformer en cauchemar ? Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Thalès de Milet, dont Aristote (1991, I, 983b, 20) écrit qu’il fut le fondateur de la philosophie des « physiciens » ou « physiologues ». Pour eux, il fallait chercher des causes naturelles aux choses plutôt que des explications surnaturelles par le biais des mythes. Jean Brun souligne : Thalès a peut-être eu le mérite […] de ne pas se demander ce qui était avant ce qui est, mais de chercher de quoi le monde est fait (1989, p. 17). Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Prédominance du comment sur le pourquoi. Le processus prendra des milliers d’années, certes, mais en passant de l’animisme au polythéisme, du polythéisme au monothéisme et jusqu’à des formes de religion où la figure de Dieu devient de plus en plus abstraite et lointaine, on aboutit à une forme de désenchantement du monde, selon la formule de Max Weber. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Ils gagnent en sécurité matérielle ce qu’ils perdent en sécurité cognitive car l’univers n’est plus expliqué (et imparfaitement) que par le comment et non plus par le pourquoi. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Si l’on peut par un mécanisme simuler un acte ou une pensée, ne va-t-on pas aboutir à l’évidence que tout n’est que tristes engrenages et processus désincarnés ? Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Abandonner l’idée de singer le fonctionnement de l’esprit humain pour miser sur la force brute de la machine : l’escalade de la vitesse de calcul ne fait que commencer. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

La façon la plus ordinaire que nous avons d’anticiper le futur est de concevoir qu’il sera à l’image d’une tangente imaginaire que nous traçons à partir des données passées et présentes. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Ils révèlent enfin que la machine, moins porteuse de stéréotypes, a tendance à introduire beaucoup plus de diversité dans ses propositions que ne le ferait un cerveau humain. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Les intelligences artificielles pourraient ainsi nous libérer de certains de nos a priori culturels et mieux ouvrir nos esprits au possible. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

On peut s’attendre à ce que tout ce qui peut être automatisé dans les activités humaines le soit. Ce sont donc à présent nos activités cognitives mêmes qui sont l’objet de l’invasion du numérique. Cette perspective est effrayante car, au-delà du mythe apocalyptique d’une machine qui prendrait le pouvoir, elle nous confronte à la possibilité obsédante que nous ne soyons que des machines évoluées. Que resterait-il de notre humanité s’il était démontré que tout en nous pouvait être algorithmisé ? Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Elles sont incapables – et peut-être définitivement – d’explorer l’univers des possibles lorsque cet univers n’a pas déjà été circonvenu. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

 Dois-je mettre mon pull rouge ou mon pull bleu aujourd’hui ? : cette tâche d’arbitrage ne peut être l’objet d’un algorithme. Par conséquent, il n’est pas certain que cette avancée des machines nous dépouille de notre humanité : au contraire, sans doute nous habilitera-t-elle à utiliser ce que nous avons de plus spécifiquement humain en nous libérant de tout ce qui peut être automatisé. De sorte que si l’on accepte d’être optimiste, on peut se demander : et si l’invasion des robots nous rendait plus humains ? L’arrivée massive de ces prothèses cognitives va permettre à l’humanité de se libérer de tâches algorithmiques qui n’étaient pas à la hauteur des formidables potentialités de son cerveau. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

 « Dormeurs sentinelles » : des individus qui sont sur le qui-vive, habités du sentiment qu’ils pourraient manquer quelque chose. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

le réel s’est fractionné en une multitude de micro-événements qui créent chez beaucoup d’entre nous, bien au-delà des seuls adolescents, une forme d’addiction. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Internet, parce qu’il est l’outil le plus puissant à ce jour de la fluidification entre l’offre et la demande, permet d’ajuster l’agenda de ses désirs à la libre disponibilité de propositions. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Le problème, c’est que les médias traditionnels sont en train d’agir et de se comporter comme les médias sociaux le font. Il se transpose une culture de médias sociaux dans le média traditionnel. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Après une catastrophe, les ressources récoltées découlaient mécaniquement de l’exposition médiatique de l’événement : 18 % de dons en plus tous les 700 mots supplémentaires écrits dans la presse et 13 % pour chaque minute à la télévision. La récolte des fonds est un bon outil pour rendre visible cette balance déréglée de notre perception des risques. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Pour des raisons de survie économique, les médias conventionnels se tournent facilement vers des sujets à propos desquels il existe une demande importante. Cet ajustement réciproque entre l’offre et la demande s’est toujours produit dans l’histoire des médias mais Internet offre, plus qu’aucun autre dispositif, la possibilité massive de cet ajustement. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Ainsi, nombre d’associations qui, à juste titre, se préoccupent des questions climatiques, n’hésitent pas à demander aussi la fin du recours à l’énergie nucléaire. Le débat est difficile mais il est possible de se souvenir que cette énergie – qui n’est pas sans risque, c’est entendu – est l’une des  plus vertueuses en matière d’émission de gaz à effet de serre. Le dernier rapport du GIEC32 – auquel ces associations ne manquent pas de se référer constamment – ne l’oublie pas, lui, puisque dans les quatre scénarios qu’il envisage pour limiter le réchauffement climatique, il est toujours question d’une augmentation de la part du nucléaire dans le mix énergétique. Dans l’état actuel de la connaissance, il est possible d’être contre le nucléaire, il est possible de vouloir lutter ici et maintenant contre le réchauffement climatique, mais il n’est pas vraiment cohérent de faire les deux en même temps. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Il est compréhensible que des peuples qui se sentent en insécurité parce qu’ils croient vivre dans un monde empoisonné, ou en décadence, ou encore simplement parce qu’ils ont le sentiment qu’ils perdent de leur autonomie et de leur souveraineté, réclament une reprise de contrôle de leur environnement. Est-ce pour ce type de raisons qu’une partie non négligeable des peuples démocratiques se déclarent prêts à renoncer à une part de leur liberté pour plébisciter un pouvoir autoritaire ? Toujours est-il qu’un sondage de l’Ifop34 a montré récemment qu’en France, 41 % des répondants se déclaraient favorables à l’établissement d’une forme autoritaire de pouvoir, même si cela impliquait moins de contrôle démocratique. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Réseaux sociaux – qui sont devenus nos habitats numériques – Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Dans la vie ordinaire, la proximité spatiale entre les individus les enjoint souvent à éviter d’utiliser l’insulte ou l’invective. Ce n’est pas que la chose soit impossible mais elle est plus rare car en faire usage, c’est prendre le risque de payer instantanément le prix de son agressivité : les réseaux sociaux n’offrent pas cette garantie pacificatrice. Les échanges sur Internet incitent à ce que le professeur John Suler (2004) appelle la « désinhibition numérique ». Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Sidérante extension que permet l’hyper-conséquentialisme ? Le monde est enserré dans un filet de causalités si complexe que n’importe qui, et en particulier ceux qui bénéficient de cette asymétrie sociale qu’on appelle le pouvoir, peut être jugé responsable d’une partie des malheurs qui y surviennent. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

N’importe quel drame, n’importe quel accident mortel est inscrit dans un ensemble grand de causes partielles que le zèle moral peut désigner une armée de responsables. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

N’importe lequel d’entre nous qui, par une déclaration malheureuse, une blague pas toujours du meilleur goût ou une simple expression qui ne plaît pas, peut être tenu responsable de rendre le monde plus sombre. Le risque d’excommunication est d’autant plus fort que les opérateurs de l’hyper-conséquentialisme éructent leur indignation au milieu du silence des gens raisonnables, qui ne souhaitent pas être entraînés dans la fosse. Ceux qui sont traînés dans la boue courent par ailleurs le risque d’une forme de radicalisation. En effet, les seules mains qui se tendront vers eux sont celles d’extrémistes de tout poil qui ont pour ainsi dire renoncé à la considération morale de la norme. Il se trouve que nul ne peut être à la hauteur des exigences morales de cet hyper-conséquentialisme car l’injonction d’assumer des conséquences qui se situent en deçà de notre vigilance consciente est tout simplement inhumaine. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Ceux qui peuvent revendiquer d’une façon ou d’une autre le statut de victime. À ceux-là, une forme d’innocence adamique est conférée, aux autres, une responsabilité morale dès la naissance. C’est la reformulation du péché originel par l’hyper-conséquentialisme. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Choquer ne saurait être un but en soi, mais vouloir se mettre à l’abri de propos perturbants, c’est la négation même de l’acte de transmission du savoir. La théorie de l’évolution peut choquer certains croyants, par exemple, il n’en demeure pas moins que la connaissance a des droits que la croyance ne peut pas revendiquer. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

 

Jouant sur la polysémie du terme « violence », la rhétorique hyper-conséquentialiste suppose une relation d’équivalence grossière entre la violence symbolique et la violence physique, qui seraient à distinguer par le degré plutôt que par la nature. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

 Certains problèmes sociaux peuvent sembler insolubles parce que la réduction de leur prévalence porte les individus à élargir la définition implicite qu’ils ont d’un phénomène. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Les violences objectives ont beau avoir diminué massivement sur le long cours de l’histoire, comme le montre Steven Pinker (2017), on finit par en voir sans cesse même dans un environnement pacifié parce que subrepticement, on a modifié la conception même que l’on se fait de la violence. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Cette sensibilité exacerbée du marché cognitif à la conflictualité crée des attitudes opportunistes, c’est-à-dire une tentation pour certains acteurs de jouer de la culture du conflit pour se faire remarquer. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Le clash est un passage obligé pour qui veut obtenir et consolider une position légitime, le clash est recherché, créé s’il le faut artificiellement, car il est un très bon produit pour capter notre disponibilité mentale. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Survenue d’une forme d’imprévu parfaitement prévisible, qui est l’un des principaux attracteurs de notre attention. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Lors du procès, l’un des deux harceleurs répond à la question du juge : pourquoi une telle méchanceté ? : « Je ne vais pas dire que c’était pour gagner des points sur le forum ou des points internet mais… c’est presque ça51. » Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Ensauvagement du Web, qui fait fondre comme neige au soleil une partie de notre capital de disponibilité mentale tout en dévoilant certaines de nos faces cachées. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Dans le monde du vivant, l’inédit veut donc dire : « danger potentiel », mais aussi : « opportunité ». Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

La poursuite jusqu’à l’obsession de ce qui fait événement est particulièrement sensible pour les médias d’informations en continu. Ils nous offrent parfois le spectacle d’un suspens vide, prenant des élans de commentateurs sportifs pour gloser une énième fois sur les mêmes images d’une poubelle qui brûle. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

C’est pourquoi ils se trompent sur la nature humaine, ceux qui, à travers l’histoire, ont rêvé de sociétés purgées de toutes les incertitudes de nos vies. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Les cités imaginées par More, Cabet, Campanella et d’autres empruntent à la rigoureuse géométrie et lancent toutes la promesse d’une vie débarrassée des grandes incertitudes humaines : famine, guerre, maladie, angoisse liée à l’altérité amoureuse, pauvreté ou délinquance… La gouvernance politique, en s’inspirant de la meilleure ingénierie de l’époque et en promulguant quelques lois peu nombreuses mais astucieuses, y a réussi à concevoir une société parfaitement égalitaire. Nourriture et habits sont fournis gratuitement pour tous. L’éducation est dispensée sans distinction de sexe ni d’origine sociale. Et pourtant, lorsque l’on se plonge dans ces textes, c’est plutôt l’impression d’un enfer que d’un paradis qui se dégage. Leur programme, aussi imaginaire soit-il66, ne permet d’abolir l’incertitude qu’au prix d’une négation des distinctions interindividuelles et donc des libertés fondamentales. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Exploration du possible, le désir de surprise et l’appétit pour l’imprévu. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Ceux qui vivent de la diffusion de l’information doivent sans cesse remonter la pente de la routinisation que notre esprit fait subir à tout signal redondant. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Ces dix dernières années, près de 300 personnes sont mortes par « selficides ». C’est le terme désignant les individus qui ont payé de leur vie le fait d’avoir voulu prendre une photo d’eux-mêmes trop près d’un gouffre, d’un train en mouvement ou en plaquant un pistolet contre leur tempe en matière de plaisanterie. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Le développement de la photographie nous a permis de démultiplier notre image. Qu’on y songe : il se prenait moins d’un milliard de photographies par an en 1930 alors qu’on en compte aujourd’hui, chaque année, près de 1 000 milliards ! Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Quand l’inégalité est la loi commune d’une société, les plus fortes inégalités ne frappent point l’œil ; quand tout est à peu près de niveau, les moindres le blessent  […]. C’est à ces causes qu’il faut attribuer la mélancolie singulière que les habitants des sociétés démocratiques font souvent voir au sein de leur abondance89. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Facebook, ne cache pas que les algorithmes du célèbre réseau social ont été conçus pour créer et renforcer des addictions qui ressemblent à celles des joueurs frénétiques devant les machines à sous. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

59 % des personnes qui partagent des articles sur les réseaux sociaux n’ont lu que les titres et rien de leurs contenus. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Cette dérégulation a pour conséquence de fluidifier sur bien des sujets la rencontre entre une offre et une demande, et ce, en particulier sur le marché cognitif. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

La dérégulation du marché cognitif fait aboutir en acte ce qui n’existait que sous la forme d’une potentialité. Sur le temps long de l’histoire, cette potentialité a été contrariée par toutes formes de régulation ou d’incommodités : censure, interdits religieux, obstacles géographiques, limites informationnelles, paternalisme plus ou moins bienveillant… Aujourd’hui, par l’entremise de la dérégulation du marché cognitif, l’offre et la demande s’entrelacent pour le meilleur et pour le pire, et nous contraignent à scruter une image réaliste de nous-mêmes. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

L’objectif d’un certain nombre de marketeurs et de publicitaires est de nous faire confondre le plaisir et le bonheur. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Ce que nous pouvons comprendre du monde nous est suggéré par une représentation préalable. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

L’offre, surtout lorsqu’elle cherche à survivre dans un environnement devenu ultra-concurrentiel, est tentée de proposer des récits amorcés par la peur ou l’indignation, par exemple. Disons-le autrement : l’offre s’indexe de plus en plus sur la demande supposée. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Lorsqu’une mesure devient un objectif, elle cesse d’être une bonne mesure. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Déclaration d’indépendance des États-Unis, Thomas Jefferson, énonçait en 1785 dans ses Notes on the State of Virginia : « Seule l’erreur a besoin du soutien du gouvernement. La vérité peut se débrouiller toute seule. » Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

 « La quantité d’énergie nécessaire à réfuter des idioties est supérieure à celle qu’il faut pour les produire. » Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Rétablir la vérité est souvent plus coûteux que de la travestir. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Alexis de Tocqueville soulignait-il qu’« une idée fausse, mais claire et précise, aura toujours plus de puissance dans le monde qu’une idée vraie, mais complexe » Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Lorsqu’un esprit est distrait et qu’il doit décider rapidement, il a statistiquement tendance à endosser des croyances fausses125. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

La période de la pandémie, et en particulier celle du confinement qui a été observé un peu partout dans le monde, a agi comme un incubateur de crédulité. La raison la plus évidente est que ce temps d’isolement spatial a coïncidé avec un recours plus massif à Internet et aux réseaux sociaux126. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Une  partie des internautes à fréquenter des formes de raisonnements faux mais vraisemblables. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Toujours le même périmètre idéologique : trahison du peuple, doute sur les vaccins, climato-scepticisme, rhétorique appelant au bon sens, et bien souvent complotisme. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

 

Plus il existe d’informations disponibles, plus il est aisé d’en trouver au moins une qui confirme nos croyances –, Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Description présentée au premier groupe : Steve est intelligent, travailleur, sanguin, critique, têtu et envieux. Description présentée au deuxième groupe : Steve est envieux, têtu, critique, sanguin, travailleur et intelligent. Le psychologue constata que dans le premier cas, les sujets de l’expérience avaient une opinion de Steve supérieure à celle que se faisaient les individus confrontés à la seconde description. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Plus nous rencontrons le même argument, les mêmes posts ou le même tweet, plus nous avons l’impression qu’il est vrai132. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

John Perry Barlow explique que grâce à Internet, désormais, « ce que l’esprit humain crée peut être reproduit et distribué à l’infini pour un coût nul. L’acheminement global de la pensée n’a plus besoin de [n]os usines ». Apocalypse cognitive, Gérald Bronnr

Nous créerons une civilisation de l’esprit dans le cyberespace. Puisse-t-elle être plus humaine et plus juste que le monde issu de vos gouvernements133. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Dans toute initiation, si l’on veut entrevoir le Paradis, il faut d’abord en passer par l’Enfer. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

 « La réalité, c’est ce qui continue d’exister lorsqu’on cesse d’y croire. » Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Assurons-nous bien du fait avant que de nous inquiéter de la cause. » Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

On entend parfois dire que si les humains consomment des produits culturels médiocres, c’est parce que l’on ne leur fait pas des propositions de qualité. À l’inverse, les plus pessimistes affirment que les individus ont des goûts médiocres et sont incapables de se tourner vers des spectacles exigeants. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Ainsi a-t-on pu supposer qu’il suffirait de rendre gratuits les musées pour que les masses populaires les visitent avec plus d’assiduité. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Les mass-médias comme des entreprises de manipulation visant à asservir les foules en les uniformisant et en diffusant une nouvelle forme de culture d’évasion et de divertissement plutôt qu’une confrontation à la réalité,. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Comme le déclarait dans les années 1920 Charles Kettering, de la General Motors : « La clé de la prospérité économique, c’est la création d’une insatisfaction organisée2. » Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

 

Les grandes firmes ne répondent pas tant aux demandes des individus qu’elles ne les fabriquent. Selon lui, elles agissent, par le truchement de la publicité notamment, en créant artificiellement des manques que le produit qu’elles proposent viendra combler. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

L’échelle de temps qui constitue notre expérience directe n’est pas en mesure de nous faire prendre conscience que 99,9 % des espèces qui ont existé un jour ont disparu aujourd’hui. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Thèse de l’homme dénaturé par le marché rend des services idéologiques, mais elle empêche de penser l’homme révélé par le marché. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Jamais prendre de pari sur le goût du plus grand nombre. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Les big data sont des outils de dévoilement très puissants de notre médiocrité commune. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Ce n’est pas la qualité de l’information qui lui assure une bonne diffusion mais plutôt la satisfaction cognitive qu’elle procure. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Les mass-médias sont une usine déterritorialisée, dans laquelle les spectateurs se fabriquent eux-mêmes de façon à correspondre aux protocoles libidinaux, politiques, temporels, corporels et, bien entendu, idéologiques, d’un capitalisme en voie d’intensification croissante (2006, p. 112). Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Si l’on emploie dix minutes si précieuses pour dire des choses si futiles, c’est que les choses si futiles sont en fait très importantes dans la mesure où elles cachent des choses précieuses s’enfermer dans un oligopole cognitif et de n’être alimenté que par des sources d’information qui vont dans le même sens. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Ceux que décrivent la théorie de l’homme dénaturé. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

D’une certaine façon, tous ces auteurs sont un peu les enfants de Rousseau, qui est l’incarnation philosophique de cette anthropologie naïve. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Il parie sur l’idée que c’est la multitude qui pervertit l’individu. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Le thème de l’autosuffisance, si présent dans l’idéologie décroissante, par exemple, est un signe patent de la détestation du présent : un présent colonisé, à la faveur de la division intensive du travail, par une forme de mécanisation et même d’algorithmisation de nos gestes. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

 

Ils en viennent à trouver le monde déshumanisé, alors même que la représentation qu’ils se font de l’humanité n’est guère réaliste. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Discours religieux, qui ne veut pas voir que les êtres humains sont, par exemple, éminemment intéressés par la sexualité. Et pourtant, cet attrait est impitoyablement révélé par les données massives qui émergent du marché cognitif. Mais plutôt que d’accepter cette part de notre humanité, les religions ont inventé un état adamique et une dénaturation par le péché originel. Plutôt que de chercher à aménager des compulsions qui peuvent être funestes, elles préfèrent en nier la naturalité. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

La classe dominante a plus d’un tour dans son sac. Le plus pernicieux d’entre eux est la domination même des esprits, qui contraint les dominés à aimer le système qui les asservit. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Ces idées rousseauistes d’un homme dénaturé ont imprégné notre façon de voir le monde. Elles conduisent même à penser que tous les invariants révélés par la dérégulation du marché cognitif ne sont qu’artificiels. Nous avons vu les services idéologiques que rend cette partition entre l’essentiel et l’accidentel, mais elle en rend un autre. Augmenter l’empire de l’accidentel sur l’essentiel, comme le font les travaux sur la construction sociale, par exemple, est porteur d’un grand espoir : on autorise l’idée qu’il est possible de tout changer puisque le monde est malléable. Plus nous concentrons nos efforts pour montrer que tel élément de notre vie, y compris biologique, n’est rien d’autre qu’une construction sociale, plus nous étendons les frontières de l’action politique. Toutes les utopies sont alors possibles, il suffit de le décider. C’est là une perspective réjouissante, mais qui n’est jamais dénuée d’intentions dont on peut craindre qu’elles sont plus politiques que scientifiques. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Le pouvoir est inhérent à toute société […] une société parfaitement homogène, où les relations réciproques entre les individus et les groupes élimineraient toute opposition et toute coupure, paraît une société impossible. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

L’écart cruel qui existe entre une représentation anthropologique naïve et l’univers des probables tel qu’il est prédit par les invariants de l’espèce. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Cette vaine tentative reflète malgré tout la pertinence de nos idées, car tout ne fut pas négatif et l’échec ne tient pas aux idées libertaires mais peut-être au fait qu’elles furent mal appliquées ou mal digérées. Ce maudit communisme anarchiste qui n’a pas fini de nous séduire, va bien finir par vivre (2001). Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Les mesures d’audience fournissent désormais des preuves empiriques. Avant, on pouvait facilement blâmer les journalistes pour avoir appliqué leurs propres stéréotypes […] mais aujourd’hui, informés de toutes ces données d’audience, ils peuvent affirmer […] qu’ils répondent simplement à la nature humaine20. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Existe des conflits au cœur même de notre cerveau. La résolution de ces conflits vient souvent de ce que nous acceptons de céder à des satisfactions à court terme en nous promettant de régler le problème à long terme. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Les informations et les choix qui nous sont proposés sur les réseaux sociaux, les plateformes d’achat de livres ou de consommation de fictions, dépendent des traces d’intérêt que nous avons déjà laissées dans cet univers. De la sorte, le risque est grand que les algorithmes amplifient la médiocrité de nos choix et nous y enferment plutôt qu’ils nous aident à nous en émanciper et à édifier nos esprits. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Programmés pour tirer profit des traces sociales que nous laissons un peu partout, ceux-ci amplifient jusqu’à la déraison la logique de ces traces, au point parfois de créer des effets pervers préoccupants. Cathy O’Neil montre, par exemple, que les notations automatiques des enseignants ont aggravé les inégalités qu’elles prétendaient corriger ou que les processus d’attribution de crédit ont tendance à renforcer les logiques discriminatoires qui y président. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Il est vrai que la dérégulation du marché de l’information rend visibles des aspirations auparavant confinées. La volonté de parler directement au « peuple » et de faire parler directement le « peuple » est une des autres narrations possibles de la fluidification de l’offre et de la demande. Les thèmes de cette fiction politique sont bien connus et anciens mais les méthodes, elles, très modernes. C’est pourquoi on peut qualifier ceux qui proposent cette interprétation de la situation de néo-populistes. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Les démocraties, dès les premiers moments historiques qui les ont fait advenir, ont ménagé un espace plus ou moins formel de contrôle du politique, toujours suspect de trahir le peuple. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Structure argumentative que se construisent certains mythes du complot. Ceux-ci convoquent souvent une avalanche d’arguments disparates pour semer la confusion dans l’esprit de qui est disposé à douter de la réalité historique, et un certain nombre peuvent paraître convaincants sans être vrais. Le célèbre argument is fecit cui prodest (à qui profite le crime), utilisé comme prologue dans toutes les théories conspirationnistes, est particulièrement représentatif de cette démagogie cognitive qui s’épanouit dans le monde contemporain. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Symptômes de la démagogie cognitive. Une analyse spécifique de la rhétorique de Donald Trump montre que, de tous ses prédécesseurs, il est celui qui utilise le moins la pensée analytique et parle avec le plus de témérité. Le président ne représente donc pas tant une anomalie historique que la continuation caricaturale d’une tendance de fond. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

 

L’anthropologue Edward T. Hall (1974). Le terme « proxémie », sous sa plume, désignait la distance minimum que les individus maintiennent entre eux au cours de leurs interactions. Le terme « proxémie politique » indique ici une distance symbolique plutôt que spatiale. Lorsque ces corps essentiels à la vie démocratique que sont les élus et les électeurs ont l’un de l’autre des représentations fantasmées, la proxémie politique atteint un niveau critique. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

La transparence permettra de lever les malentendus entre ceux qui exercent le pouvoir et ceux qui le subissent. La seconde prétend réformer nos systèmes politiques en en renouvelant les formes d’expression par la démocratie participative : une façon parfois de délégitimer les experts pour renouer avec le bon sens populaire. Ces deux recours sont légitimes d’un point de vue démocratique mais problématiques au regard de leurs applications pratiques33. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Rire confère une impression illusoire de complicité, donc de proximité. Il est l’outil idéal de la désintermédiation. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

On ne cesse de voir opposé le « bon sens » au cynisme des experts, par exemple. C’est également pour cette raison sans doute croyance se trouve contaminée par le désir : dans le doute, crois ce que tu souhaites vrai ! Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Sondage Ifop indiquait-il que les sympathisants de La France insoumise et du Rassemblement national croyaient, plus que les autres, aux vertus de l’hydroxychloroquine. Celle-ci était presque devenue une molécule d’opposition, voire de contestation. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

En témoigne le fait que les sondés se sentant Gilets jaunes lui affichaient un soutien particulièrement marqué (80 %). Un autre sondage, mené par Harris Interactive en mai 202042, indiquait que, si 45 % de l’ensemble des sondés déclaraient avoir une « bonne opinion » du professeur, sa cote de popularité grimpait à 72 % chez les sympathisants du Rassemblement national et chez ceux de La France insoumise. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Il existe même des cabinets de conseils prédictifs fondés sur les allégations d’auteurs de science-fiction. PwC propose ainsi ses services aux 500 entreprises les plus riches du monde, parmi lesquelles Visa ou Pepsi, en convoquant les romans d’anticipation pour favoriser l’innovation. Ces nouvelles techniques de planification pour les entreprises portent des noms très explicites comme future casting ou encore world building51. Un appariement s’opère donc entre la fiction et le possible parce qu’entre tous les mondes explorables, notre imagination s’oriente vers ceux qui ont déjà fait valoir leur puissance d’évocation par la fiction. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Sidérante extension que permet l’hyper-conséquentialisme ? Le monde est enserré dans un filet de causalités si complexe que n’importe qui, et en particulier ceux qui bénéficient de cette asymétrie sociale qu’on appelle le pouvoir, peut être jugé responsable d’une partie des malheurs qui y surviennent. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

N’importe quel drame, n’importe quel accident mortel est inscrit dans un ensemble grand de causes partielles que le zèle moral peut désigner une armée de responsables. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

N’importe lequel d’entre nous qui, par une déclaration malheureuse, une blague pas toujours du meilleur goût ou une simple expression qui ne plaît pas, peut être tenu responsable de rendre le monde plus sombre. Le risque d’excommunication est d’autant plus fort que les opérateurs de l’hyper-conséquentialisme éructent leur indignation au milieu du silence des gens raisonnables, qui ne souhaitent pas être entraînés dans la fosse. Ceux qui sont traînés dans la boue courent par ailleurs le risque d’une forme de radicalisation. En effet, les seules mains qui se tendront vers eux sont celles d’extrémistes de tout poil qui ont pour ainsi dire renoncé à la considération morale de la norme. Il se trouve que nul ne peut être à la hauteur des exigences morales de cet hyper-conséquentialisme car l’injonction d’assumer des conséquences qui se situent en deçà de notre vigilance consciente est tout simplement inhumaine. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Ceux qui peuvent revendiquer d’une façon ou d’une autre le statut de victime. À ceux-là, une forme d’innocence adamique est conférée, aux autres, une responsabilité morale dès la naissance. C’est la reformulation du péché originel par l’hyper-conséquentialisme. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Choquer ne saurait être un but en soi, mais vouloir se mettre à l’abri de propos perturbants, c’est la négation même de l’acte de transmission du savoir. La théorie de l’évolution peut choquer certains croyants, par exemple, il n’en demeure pas moins que la connaissance a des droits que la croyance ne peut pas revendiquer. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

Jouant sur la polysémie du terme « violence », la rhétorique hyper-conséquentialiste suppose une relation d’équivalence grossière entre la violence symbolique et la violence physique, qui seraient à distinguer par le degré plutôt que par la nature. Apocalypse cognitive, Gérald Bronner