jeudi 2 juillet 2020

Généalogie de la Morale, Frédéric Nietzche, Mercure de France

 

Généalogie de la Morale, Frédéric Nietzche, Mercure de France


 

Les « hommes de haute naissance » avaient le sentiment d’être les « heureux » ; ils n’avaient pas besoin de construire artificiellement leur bonheur en se comparant à leurs ennemis, en s’en imposant à eux-mêmes (comme font tous les hommes du ressentiment) ; et de même en leur qualité d’hommes complets, débordants de vigueur et, par conséquent, nécessairement actifs, ils ne savaient pas séparer le bonheur de l’action, — chez eux, l’activité était nécessairement mise au compte du bonheur. Généalogie de la Morale, Frédéric Nietzche

 

L’homme du ressentiment n’est ni franc, ni naïf, ni loyal envers lui-même. Une telle race composée d’hommes du ressentiment finira nécessairement par être plus prudente que n’importe quelle race aristocratique, aussi honorera-t-elle la prudence en une tout autre mesure : elle en fera une condition d’existence de premier ordre, tandis que chez les hommes de distinction la prudence prend facilement un certain vernis de luxe et de raffinement . Généalogie de la Morale, Frédéric Nietzche

 

Oui, le destin fatal de l’Europe est là — ayant cessé de craindre l’homme, nous avons aussi cessé de l’aimer, de le vénérer, d’espérer en lui, de vouloir avec lui. L’aspect de l’homme nous lasse aujourd’hui. — Qu’est-ce que le nihilisme, si ce n’est cette lassitude-là ?... Nous sommes fatigués de l’homme... Généalogie de la Morale, Frédéric Nietzche

 

 

Exiger de la force qu’elle ne se manifeste pas comme telle, qu’elle ne soit pas une volonté de terrasser et d’assujettir, une soif d’ennemis, de résistance et de triomphes, c’est tout aussi insensé que d’exiger de la faiblesse qu’elle manifeste de la force. Généalogie de la Morale, Frédéric Nietzche

 

Une douceur mielleuse englue chaque son. Un mensonge doit transformer la faiblesse en mérite, cela n’est pas douteux — il en est comme vous l’avez dit. » —   — Après !   — « Et l’impuissance qui n’use pas de représailles devient, par un mensonge, la « bonté » ; la craintive bassesse, « humilité » ; la soumission à ceux qu’on hait, « obéissance » (c’est-à-dire l’obéissance à quelqu’un dont ils disent qu’il ordonne cette soumission, — ils l’appellent Dieu). Généalogie de la Morale, Frédéric Nietzche

 

 


mercredi 1 juillet 2020

Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche, T – Le livre de Poche


Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche, T – Le livre de Poche



C'est comme si je regardais les choses et les gens en étant mort depuis longtemps - ils me touchent, m'effraient et me réjouissent, mais de si loin1. » Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche, préface Marc Sautet

LLa vie n'est pas une bonne chose, que ce n'est pas « une bonne affaire », puisque la somme des plaisirs que l'individu peut connaître au cours de son existence ne compensera jamais la quantité de douleurs qu'implique le simple fait de vivre sur terre : Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche, préface Marc Sautet


Les parties les plus inertes des couches supérieures de la société, accompagnées par leurs parasites littéraires, se croient autorisées à se mettre sous la protection du pessimisme le plus sérieux, afin de masquer autant que faire se peut le vide et la vanité de leur propre existence. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche, préface Marc Sautet


Nietzsche sait comment, sous les assauts de la douleur, le corps finit par commander à l'esprit, comment s'impose le désir d'en finir, Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche, préface Marc Sautet


Que la bourgeoisie allemande ait fait une mauvaise affaire, cela ne l'autorise pas à faire de son malheur une loi universelle. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche, préface Marc Sautet


L'Aufklärung, de la philosophie des Lumières, elles sont porteuses de cet impératif, sapere aude, « ose savoir ! », lancé par Kant au début du siècle, qui les a émancipées à tout jamais du joug idéologique du clergé, mais qui, désormais, face à l'absurdité du cours des choses, les laisse sans recours, sans consolation. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche, préface Marc Sautet


Kant avait donc fortement contribué à convaincre ses contemporains que Dieu était une hypothèse inutile, aisément remplaçable par les deux forces à l'œuvre dans la nature : la force d'attraction et la force de répulsion. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche, préface Marc Sautet


Qu'est-ce que les « Lumières », en effet, si ce n'est ce flux de confiance dans l'aptitude de l'homme à comprendre sa place dans le cosmos sans recourir aux fables de son enfance ? Cette jubilation, l'Europe la doit à l'hypothèse lumineuse de Copernic, selon laquelle ce n'est pas la Terre qui occupe le centre du monde, mais le Soleil. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche, préface Marc Sautet


En laissant libre cours à la nouvelle vision du monde et aux méthodes d'investigation scientifique du réel, elle se privait irréversiblement de tout moyen de consolation en cas de malheur. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche, préface Marc Sautet


Le jour où il lui apparut vain d'aspirer à l'Être, il ne lui resta plus qu'à se laisser aspirer par le Néant. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche, préface Marc Sautet


En affirmant que Dieu n'a pas survécu à la révolution copernicienne, Le Gai Savoir reprend l'une des thèses les plus spectaculaires du philosophe berlinois. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche, préface Marc Sautet


Les historiens, les archéologues, les botanistes, et les géologues conjuguent bientôt leurs efforts pour établir une chronologie fiable du passé de l'humanité, et l'on allait bientôt devoir admettre qu'à la surface de cette planète perdue dans l'immensité de l'Univers, l'espèce humaine avait dû naître fort tardivement, à la suite d'une longue évolution de la chaîne des formes vivantes, dont l'un des derniers maillons, la famille des primates, avait fini par donner l'homo sapiens, lointain ancêtre de l'homme moderne. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche, préface Marc Sautet


Faute  d'avoir encore un Dieu, l'homme ne doit-il pas en devenir un ? Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche, préface Marc Sautet


La joie a pour condition la douleur, et non pas sa suppression, ni même son atténuation. Vouloir abolir la souffrance n'est pas Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche, préface Marc Sautet


La voie de la divinisation de l'espèce humaine, mais celle de son abêtissement. Si l'homme est un animal, comme l'a suffisamment montré Darwin, il ne peut en finir avec la souffrance qu'en régressant à l'état de bétail domestiqué, parqué, et par conséquent stupide. Qu'on satisfasse ce désir, qui couve dans les masses ouvrières, et loin de devenir un dieu, l'homme redeviendra une bête ! Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche, préface Marc Sautet


Oui à la cruauté de la vie - et non à la compassion. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche, préface Marc Sautet


J'habite ma propre demeure, Jamais je n'ai imité personne, Et je me moque de tous les maîtres Qui ne se moquent pas d'eux-mêmes. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche, préface Marc Sautet

Jaune surlignement | Emplacement: 1,552



La comédie de l'existence n'est pas encore « devenue consciente » d'elle-même, nous sommes encore à l'époque de la tragédie, l'époque des morales et des religions. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche,  

L'homme doit de temps en temps croire qu'il sait pourquoi il existe, son espèce ne peut pas prospérer sans une confiance périodique en la vie ! Sans la foi en la raison dans la vie. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche,

Un animal qui protège ses petits au péril de sa vie ou qui, lorsqu'il est en rut, suit la femelle jusqu'à la mort, ne songe ni au péril ni à la mort ; sa raison, là aussi, fait une pause, car le plaisir que lui procure sa couvée ou sa femelle et la crainte d'en être privé le dominent entièrement . Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche,  
Il est très rare qu'une nature supérieure conserve assez de raison pour comprendre et pour traiter les hommes ordinaires en tant qu'hommes ordinaires. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche,  

Ce sont les esprits les plus forts et les plus méchants qui ont jusqu'à présent fait faire les plus grands progrès à l'humanité : sans cesse ils ont rallumé les passions qui s'endormaient - toute société organisée endort les passions Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche,  
Ce qui est neuf, cependant, est de toute façon le mal, étant ce qui conquiert et veut renverser les vieilles bornes et les piétés anciennes ; et ce n'est que ce qui est ancien qui puisse être le bien ! Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche,

La question de savoir si la science est à même de donner des buts nouveaux à l'activité de l'homme, après avoir donné la preuve qu'elle peut en enlever et en détruire - Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche,

Nous avons tous en nous des plantations et des jardins inconnus ; et, pour me servir d'une autre image, nous sommes tous des volcans en travail qui auront leur heure d'éruption : il est vrai que personne ne sait si ce moment est proche ou lointain, le bon Dieu lui-même l'ignore. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche,  

Notre amour du prochain - n'est-il pas un désir impérieux de nouvelle propriété35 ? Et n'en est-il pas de même de  notre amour de la science, de la vérité et, en général, de tout désir de nouveauté ? Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

L'objet de la possession s'amoindrit généralement par le fait qu'il est possédé. Le plaisir nous prenons à nous-mêmes veut se maintenir en transformant en nous-mêmes quelque chose de toujours nouveau, — c'est là ce que l'on appelle posséder. Jaune surlignement | Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Il y a bien çà et là, sur la terre, une espèce de continuation de l'amour où ce désir avide que deux personnes ont l'une pour l'autre fait place à un nouveau désir, à une nouvelle avidité, à une soif commune, supérieure, d'un idéal placé au-dessus d'elles : mais qui connaît cet amour ? Qui l'a vécu ? Son véritable nom est amitié. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Peut-être connais-tu des hommes, dans ton entourage, qui ne doivent se regarder eux-mêmes qu'à une certaine distance pour se trouver supportables, séduisants et vivifiants ; il faut leur déconseiller la  connaissance de soi. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche
On accuse de relâchement une société dont s'empare la corruption : il est visible, en effet, qu'alors diminue l'estime dont jouissent la guerre et le plaisir de faire la guerre, et qu'on aspire aux agréments de la vie avec autant d'ardeur que l'on aspirait autrefois aux honneurs de la guerre et de la gymnastique. Mais ce qu'on ne voit pas, c'est que cette vieille énergie populaire, cette passion populaire, que la guerre et les tournois transfiguraient de manière magnifique, s'est éparpillée maintenant en passions privées innombrables qui sont seulement moins visibles. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

C'est donc précisément aux époques de « relâchement » que la tragédie court les maisons et les rues, que naissent le grand amour et la grande haine et que la flamme de la connaissance s'élève avec éclat vers le ciel. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Les hommes de la corruption sont spirituels et calomniateurs ; ils savent qu'il y a encore d'autres façons d'assassiner que par le poignard et le guet-apens, - ils savent aussi que l'on croit tout ce qui est bien dit. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

il faut attendre que « les mœurs se corrompent » pour que ces êtres que l'on nomme tyrans commencent à paraître : ce sont les précurseurs et, en quelque sorte, les prototypes*25 des individus. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Encore un peu de patience, et ce fruit, qui est le fruit des fruits, sera suspendu, mûr et doré, à l'arbre du peuple, - or, ce n'est qu'à cause de ces fruits que cet arbre existe ! Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Son canon intérieur dit : « Je ne veux rien voir qui soit en contradiction avec l'opinion courante sur les choses ! Suis-je fait, moi, pour découvrir des vérités nouvelles ? Il y en a déjà trop d'anciennes ». Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Vivre — cela signifie : être cruel et implacable contre tout ce qui, en nous, devient faible et vieux, et pas seulement en nous. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Pourquoi l'homme serait-il maintenant plus méfiant et plus méchant ? — « Parce qu'il a maintenant une science, — parce qu'il a besoin d'une science ! » Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Les explosifs — Si l'on considère quel besoin d'exploser gît dans la force des jeunes hommes, on ne s'étonnera plus de voir comme ils manquent de finesse et de discernement pour se décider en faveur de telle ou telle cause : ce qui les attire, c'est le spectacle de l'ardeur qui entoure une cause et, en quelque sorte, de voir la mèche allumée, - et non la cause en elle-même. C'est pourquoi les séducteurs les plus subtils s'entendent à leur faire espérer l'explosion plutôt qu'à les persuader par des raisons : ce n'est pas avec des arguments qu'on gagne les barils de poudre61 ! Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Le succès ou l'insuccès sont pour lui avant tout des réponses. Cependant, se fâcher de ce que quelque chose ne réussisse pas, ou même éprouver des remords - il laisse cela à ceux qui n'agissent que parce qu'on le leur ordonne, et qui s'attendent à des coups si leur gracieux maître n'est pas satisfait du résultat. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Se trouver un travail pour avoir  un salaire — voilà ce qui rend aujourd'hui presque tous les hommes égaux dans les pays civilisés ; pour eux tous le travail est un moyen et non la fin ; c'est pourquoi ils mettent peu de finesse au choix du travail, pourvu qu'il procure un gain abondant. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

La loi se rapporte aux exceptions de la moralité des mœurs ; et les punitions les plus dures frappent ce qui est conforme aux mœurs du peuple voisin. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche
Le bonheur et la misère intérieure des hommes leur sont échus en partage selon leur croyance en tel ou tel motif - et non pas par ce qui fut le motif véritable ! Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Autrefois, on ne savait rien de cette instabilité de toutes choses humaines, la moralité des mœurs maintenait la croyance que toute la vie intérieure de l'homme était fixée avec d'éternels crampons à la nécessité d'airain. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

On exige maintenant une certaine convention de la passion - mais à aucun prix on ne voudrait la passion elle-même ! Malgré cela, on finira par l'atteindre et nos descendants posséderont une sauvagerie véritable, et non pas seulement la sauvagerie et la grossièreté des manières. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Cela a donc été la rareté, et l'ignorance de cette rareté, qui rendait noble. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Ce que réclame cette jeune génération, c'est que ce soit du dehors que lui vienne et se manifeste - non pas le bonheur - mais le malheur ; et leur  imagination s'occupe déjà d'avance à en faire un monstre, afin d'avoir ensuite un monstre à combattre. Si ces êtres avides de détresse sentaient en eux la force de faire du bien en eux-mêmes, pour eux-mêmes, ils s'entendraient aussi à se créer, en eux-mêmes, une détresse propre et personnelle. Leurs sensations pourraient alors être plus subtiles, et leurs satisfactions résonner comme une musique de qualité ; tandis que maintenant, ils remplissent le monde de leurs cris de détresse et, par conséquent, trop souvent, en premier lieu, de leur sentiment de détresse ! Ils ne savent rien faire d'eux-mêmes - c'est pourquoi ils crayonnent au mur le malheur des autres : ils ont toujours besoin des autres ! Et toujours d'autres autres ! — Pardonnez-moi mes amis, j'ai osé peindre au mur mon bonheur. Jaune surlignement Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Ne pas être mort et pourtant n'être plus vivant ? Comme un être intermédiaire, un esprit silencieux, contemplatif, glissant et flottant ? Oui ! Passer au-dessus de l'existence ! C'est cela ! C'est là ce qu'il faudrait ! Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Toutes les femmes sont pleines de finesse lorsqu'il s'agit d'exagérer leur faiblesse, elles sont même pleines d'ingéniosité dans l'invention des faiblesses pour se donner l'apparence de fragiles ornements qu'un grain de poussière ferait souffrir. C'est ainsi qu'elles se défendent contre la vigueur et le « droit du plus fort ». Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Il est donc besoin des intellects vertueux — hélas ! je veux employer le mot qui prête le moins à équivoque - il est besoin de la bêtise vertueuse, d'inébranlables batteurs de mesure à l'esprit lent, pour que les croyants de la grande croyance générale demeurent ensemble et continuent à exécuter leur danse : c'est une nécessité de premier ordre qui le commande et l'exige ici. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Sans cet art nous vivrions tout en premier plan et entièrement sous le charme de cette optique qui fait paraître énorme le plus proche et le plus vulgaire, comme si c'était la vérité par excellence. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Il ne faut pas croire « sur parole » les personnages d'opéra, mais « sur les sons » ! Voilà la différence, voilà la belle dénaturation pour laquelle on va à l'opéra ! Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Dans la bonne société37, il ne faut jamais prétendre avoir raison, complètement et seul, comme le veut la logique pure : de là la petite dose de déraison dans tout esprit*13 français. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

ils s'empressaient de les remplacer par ce qui était actuel et romain. Ils semblent avoir voulu nous dire : « Ne devons-nous pas rénover ce qui est ancien et nous y loger à notre façon ? N'avons-nous pas le droit d'insuffler notre âme à ce cadavre ? Car enfin, il est mort et tout ce qui est mort est si laid ! »

Ils ne savaient pas jouir du sens historique, le passé et l'étranger leur étaient pénibles et pour eux, en tant que Romains, c'était là une incitation à une conquête romaine. En effet, traduire c'était alors conquérir, en négligeant l'historique, mais encore en ajoutant une allusion à un événement contemporain et, avant tout, en effaçant le nom du poète pour y mettre le sien - on n'avait pas pour autant le sentiment de voler, on agissait, au contraire, avec la meilleure conscience de l'Imperium Romanum. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche
Les amoureux du fantastique en l'homme soutiennent aussi la doctrine du caractère instinctif de la morale ; ils raisonnent ainsi : « Si l'on a vénéré de tout temps comme divinité supérieure ce qui est utile, d'où a bien pu venir la poésie ? Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Les Grecs disaient que l'hexamètre avait été inventé à Delphes45 — le rythme devait là aussi exercer une contrainte. Interroger l'oracle - cela signifie primitivement (d'après l'étymologie probable du mot prophétie) : rendre certain l'aléatoire ; on croit pouvoir contraindre l'avenir en gagnant Apollon à sa cause : Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche
Quelque chose de plus utile que le rythme ? Par lui on pouvait tout faire : accélérer un travail d'une façon magique ; forcer un dieu à apparaître, à être présent, à écouter ; accommoder l'avenir d'après sa volonté ; décharger sa propre âme d'un trop-plein quelconque (la peur, la manie, la pitié, la vengeance), et non seulement sa propre âme mais encore celle du plus méchant démon, — sans le vers on n'était rien, par le vers on devenait presque un dieu. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche
Toute abstraction veut être débitée avec une voix moqueuse, comme une malice à l'endroit de la poésie ; Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche
Qu'il y a mille plaisirs de la guerre, sans oublier les défaites, dont les gens dépourvus de poésie, ceux que l'on appelle les hommes prosaïques, ne savent rien du tout : Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Savage Landor, l'auteur des Imaginary Conversations, qui fussent dignes d'être appelés maîtres de la prose58. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Je ne suis pas de ceux qui pensent avec la plume à la main, et moins encore de ceux qui s'abandonnent à leurs passions devant l'encrier ouvert, assis sur leur chaise et fixant le papier. Je me fâche ou j'ai honte de tout écrit : écrire est pour moi comme faire mes Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche
j'ai de la répugnance à en parler même en symbole. — B : Mais pourquoi écris-tu alors ? — A : Hélas ! mon cher, soit dit entre nous, je n'ai pas encore trouvé jusqu'à présent d'autre moyen de me débarrasser de mes pensées. — B : Et pourquoi veux-tu en être débarrassé ? — A : Pourquoi je veux ? Est-ce que je veux, seulement ? J'y suis forcé. - B : Bon ! Bon ! Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Bien à tort ? c'est l'indémontrable doctrine de la volonté unique73(« toutes causes ne sont que causes occasionnelles de l'apparition de la volonté, en tel temps, en tel lieu », Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

La volonté de vie se trouve entière et indivise dans chaque être, même le plus misérable, aussi complète que dans la totalité de tous ceux qui furent, sont et seront »), Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche
C'est la négation de l'individu (« tous les lions ne sont en somme qu'un seul lion », « la multiplicité des individus n'est qu'apparence », tout comme l'évolution n'est qu'apparence ;

Schopenhauer appelle la pensée de Lamarck Il suffit que sa vie ait raison devant elle-même et qu'elle garde raison : - cette vie qui s'adresse à chacun nous pour s'écrier : « Sois un homme et ne me suis pas, — c'est toi-même qu'il faut suivre ! Toi-même86 ! » Notre vie, elle aussi, doit garder raison devant nous-mêmes ! Nous aussi, nous devons croître et nous épanouir librement et sans crainte, dans un innocent amour de nous-mêmes, par notre propre personnalité. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

La passion est meilleure que le stoïcisme et la simulation, qu'être sincère, même dans le mal, vaut mieux que de se perdre soi-même dans la moralité de la tradition, qu'un homme libre peut être bon autant que méchant, mais qu'un homme assujetti est une honte pour la nature et ne participe à aucune consolation, ni divine, ni terrestre ; Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Dans presque chaque discours du premier homme d'État allemand, alors même qu'il se fait entendre par le porte-voix impérial96, il y a un accent que l'oreille d'un étranger repousse avec répugnance ; mais les Allemands le supportent, - ils se supportent eux-mêmes. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Avec les sons, on parvient à séduire les hommes et à leur faire accepter toutes les erreurs et toutes les vérités : qui donc serait capable de réfuter un son ? » Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Pour qu'une doctrine devienne arbre, il faut que l'on ait foi en elle pendant un certain temps : pour que l'on ait foi en elle, il faut qu'elle soit considérée comme irréfutable. L'arbre a besoin de tempêtes, de doutes, de vers rongeurs, de méchanceté, pour lui permettre de manifester l'espèce et la force de son germe ; qu'il se brise s'il n'est pas assez fort. Mais un germe n'est toujours que détruit - et jamais réfuté !

Lart, en tant que consentement à l'illusion. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Il faut de temps en temps nous reposer de nous-mêmes, en nous regardant de haut, avec une distance artistique, pour rire, pour pleurer sur nous ; il faut que nous découvrions le héros et aussi le fou que cache notre passion de la connaissance Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Il faut, de-ci, de-là, nous réjouir de notre folie pour pouvoir rester joyeux de notre sagesse100. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Nous devons aussi pouvoir nous placer au-dessus de la morale : et non seulement nous y placer, avec la raideur inquiète de quelqu'un qui craint à chaque moment de glisser et de tomber, mais aussi pouvoir planer et jouer au-dessus d'elle ! Comment pourrions-nous pour cela nous passer de l'art, nous passer des fous ? - et tant que vous aurez encore honte de vous-mêmes, en quoi que ce soit, vous ne pourrez pas être des nôtres ! Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Dieu est mort1 : mais ainsi sont faits les hommes qu'il y aura peut-être encore pendant des milliers d'années des cavernes où l'on montrera son ombre - et nous, il nous faut encore vaincre son ombre. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Il n'est ni parfait, ni beau, ni noble4, et ne veut devenir rien de tout cela, il ne tend absolument pas à imiter l'homme ! Il n'est touché par aucun de nos jugements esthétiques et moraux ! Il ne possède pas non plus d'instinct de conservation et, d'une façon générale, pas d'instinct du tout ; il ignore aussi toutes les lois. Gardons-nous de dire qu'il y a des lois dans la nature. Il n'y a que des nécessités : personne ne commande, personne n'obéit, personne ne désobéit. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Gardons-nous de penser que le monde crée éternellement du nouveau. Il n'y a pas de substances éternellement durables ; la matière est une erreur pareille à celle du dieu des Éléates5. Quand donc aurons-nous fini de nous ménager ? Quand toutes ces ombres de Dieu ne nous troubleront-elles plus ? Quand aurons-nous entièrement dépouillé la nature de ses attributs divins ? Quand retrouverons-nous la nature pure, innocente ? Quand pourrons-nous, nous autres hommes, redevenir nature ? Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Pendant longtemps, très longtemps, l'intellect n'a produit que des erreurs ; quelques-unes de ces erreurs se trouvèrent être utiles à la survie de l'espèce ; celui qui tomba sur elles ou bien les reçut par héritage, lutta pour lui et ses descendants avec plus de bonheur. Beaucoup de ces articles de foi erronés, transmis par héritage, ont fini par devenir une sorte de fonds commun de l'espèce humaine, Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche
La force de la connaissance ne réside pas dans son degré de vérité, mais dans son ancienneté, son degré d'assimilation, son caractère de condition vitale. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Il suffit de considérer la science comme une humanisation des choses, Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Nous avons devant nous un continuum*12 dont nous isolons quelques parties ; de même que nous ne percevons jamais un mouvement que comme une série de points isolés, en réalité nous ne le voyons donc pas, nous l'induisons. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Un intellect qui verrait cause et effet comme un continuum et non, à notre façon, comme un morcellement arbitraire, qui verrait le flot des événements, - nierait l'idée de cause et d'effet et toute détermination. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Nous sommes encore éloignés de voir se joindre à la pensée scientifique, les facultés artistiques et la sagesse pratique de la vie, de voir se former un système organique supérieur par rapport auquel le savant, le médecin, l'artiste et le législateur, tels que nous les connaissons maintenant, apparaîtront comme d'insuffisantes antiquités ! Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

L'image que nous voyons pour la première fois, nous la construisons immédiatement à l'aide des vieilles expériences que nous avons faites, chaque fois, selon le degré de notre probité et de notre équité. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Partout où nous rencontrons une morale, nous rencontrons une évaluation et une hiérarchie des actions et des instincts humains. et, en regard des transformations importantes des troupeaux et des communautés, des États et des sociétés que l'on peut prévoir, on peut prophétiser qu'il y aura encore des morales très divergentes. La moralité, c'est l'instinct du troupeau dans l'individu. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

La science est une chose de deuxième rang, ce n'est pas une chose dernière, absolue, un objet digne de la passion », Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Dans l'Antiquité, la dignité et la légitimité de la science étaient amoindries par le fait que, même parmi ses disciples les plus fervents, l'aspiration à la vertu se trouvait au premier rang et qu'on croyait avoir décerné à la connaissance la plus haute louange en la glorifiant comme le meilleur chemin pour parvenir à la vertu. C'est une chose nouvelle dans l'histoire que la connaissance veuille être plus qu'un moyen. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

il n'y a plaisir, déplaisir et volonté que chez les êtres intellectuels ; l'énorme majorité des organismes n'en éprouve rien. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

La résolution chrétienne de trouver le monde laid et mauvais a rendu le monde laid et mauvais. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Le pessimisme allemand est essentiellement de la langueur hivernale, sans oublier l'effet de l'air renfermé et du poison répandu par les poêles dans les habitations allemandes. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

 « Ce n'est que si tu te repens que Dieu te sera miséricordieux » — de telles paroles provoqueraient l'hilarité du Grec et sa colère ; il s'écrierait : « Voilà des sentiments d'esclaves ! » Le christianisme suppose un Dieu puissant, d'une puissance suprême, et pourtant un  Dieu vengeur. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

L'extrême utilité du polythéisme — Que chaque individu puisse édifier son propre idéal pour en déduire sa loi, ses plaisirs et ses droits, Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Où l'on domine il y a des masses : où il y a des masses il y a un besoin d'esclavage. Où il y a de l'esclavage les individus sont en petit nombre et ils ont contre eux les instincts de troupeau et la conscience. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

De l'origine des religions - Le besoin métaphysique n'est pas la source des religions, comme le prétend Schopenhauer53, il n'en est que le rejeton*38. Sous l'empire des idées religieuses on s'est habitué à la représentation d'un « autre monde » (d'un « arrière-monde », d'un « sur-monde » ou d'un « sous-monde ») et la destruction des illusions religieuses vous laisse l'impression d'un vide angoissant et d'un manque. - Alors renaît, de ce sentiment, un « autre monde », mais loin d'être un monde religieux, ce n'est plus qu'un monde métaphysique. Or, ce qui dans les temps primitifs a conduit à admettre la réalité d'un « autre monde » ne fut pas un instinct et un besoin, mais une erreur d'interprétation de certains phénomènes de la nature54, un embarras de l'intelligence. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Qu'était la philosophie, quand le doute était considéré comme un péché de l'espèce la plus dangereuse et, en outre, comme un blasphème envers l'amour éternel, comme une défiance de tout ce qui était bon, élevé, pur et pitoyable ? - Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Trouver toute chose profonde - c'est là une qualité gênante : elle fait que l'on force constamment sa vue et que l'on finit toujours par trouver plus qu'on avait désiré. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

L'égoïsme est la loi de la perspective dans le domaine du sentiment. D'après cette loi, les choses les plus proches paraissent grandes et lourdes, tandis qu'en s'éloignant tout décroît en dimension et en poids. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

La misanthropie est la conséquence d'un trop avide amour de l'humanité, d'une sorte d'« anthropophagie », - mais qui donc t'a poussé à avaler les hommes comme les huîtres, mon prince Hamlet59 ? Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Celui qui se sait profond s'efforce d'être clair62 ; celui qui voudrait sembler profond à la foule s'efforce d'être obscur. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Nos pensées sont les ombres de nos sentiments, - toujours plus obscures, plus vides, plus simples que ceux-ci. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Le premier musicien serait pour moi celui qui ne connaîtrait que la tristesse du plus profond bonheur et qui ignorerait toute autre tristesse. Il n'y a pas eu jusqu'à présent de pareil musicien. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche
Il vaut mieux se laisser voler que d'avoir autour de soi des épouvantails, Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

On n'entend que les questions auxquelles on est capable de trouver une réponse. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

D'ordinaire, il est dépourvu de pensées, - mais à l'occasion il en a de mauvaises. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Il y a une façon de nous interroger qui nous fait non seulement oublier nos meilleures raisons, mais qui éveille encore en nous une opposition et une répugnance contre toute espèce de raisons : - c'est une façon d'interroger bien abêtissante, un vrai tour d'adresse des hommes tyranniques ! Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Du sacrifice et de l'esprit du sacrifice, les victimes pensent autrement que les spectateurs ; mais jamais on ne leur a laissé la parole. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Je crains que les animaux ne prennent l'homme pour un être comme eux qui, par malheur, a perdu son bon sens d'animal, - je crains qu'ils ne le considèrent comme l'animal absurde, comme l'animal qui rit et pleure, comme l'animal néfaste. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Son être tout entier ne convainc pas - cela vient de ce qu'il n'a jamais su taire une bonne action qu'il avait faite. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Même les pensées, on ne peut pas les rendre tout à fait par des mots. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Toute habitude rend notre main plus malicieuse et notre malice moins adroite. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Qu'importe un livre qui ne sait même pas nous transporter au-delà de tous les livres ? Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Tant que Prométhée éprouve de la pitié pour les hommes et se sacrifie pour eux, il est heureux et grand par soi-même ; mais lorsqu'il devient jaloux de Zeus et des hommages que les mortels apportent à celui-ci, - c'est alors qu'il souffre. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

 « Plutôt continuer à avoir des dettes que de les payer avec une monnaie qui ne porte pas notre effigie ! »  Ainsi le veut notre souveraineté. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche
 « Bien et mal sont les préjugés de Dieu », - dit le serpent. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche.

Un seul a toujours tort ; mais à deux commence la vérité. - Un seul ne peut se prouver, mais quand ils sont deux on ne peut déjà plus les réfuter. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Qu'est-ce que l'originalité ? Voir quelque chose qui n'a pas encore de nom, ne peut pas encore être nommé, quoique cela se trouve devant tous les yeux. Tels sont les hommes habituellement qu'il leur faut un mot pour voir la chose. - Les hommes originaux sont généralement ceux qui donnent des noms aux choses. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche
Les vérités de l'homme ? — Ce sont ses erreurs irréfutables. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Qu'est-ce qui rend héroique ? — Aller en même temps au-devant de ses plus grandes douleurs et de ses plus hauts espoirs. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Que dit ta conscience ? — « Deviens ce que tu es 89 . » Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Où sont les plus grands dangers ? — Dans la pitié. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Qu'aimes-tu chez les autres ? — Mes espoirs. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Quel est le sceau de la liberté réalisée ? - Ne plus avoir honte de soi-même. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Je veux apprendre toujours davantage à considérer comme beau ce qu'il y a de nécessaire dans les choses : - ainsi je serai de ceux qui rendent belles les choses. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Y a-t-il une séduction plus dangereuse que de retirer sa foi aux dieux d'Épicure4, ces insouciants inconnus, pour croire à une divinité quelconque, soucieuse et mesquine, qui connaîtrait personnellement chaque petit cheveu sur notre tête5 et que les services les plus détestables ne dégoûteraient point ? Eh bien ! — je veux dire : malgré tout cela, - laissons en repos les dieux et aussi les génies serviables pour nous contenter d'admettre que maintenant notre habileté, pratique et théorique, à interpréter et à arranger les événements atteint son apogée. Ne pensons pas non plus trop de bien de cette dextérité de notre sagesse, quand nous sommes surpris de la merveilleuse harmonie que produit le jeu de notre instrument : une harmonie trop belle pour que nous osions nous l'attribuer à nous-mêmes. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

En effet, si quelqu'un joue avec nous, c'est le hasard : à l'occasion, il nous conduit la main, ce cher hasard, et la providence la plus sage ne saurait imaginer de musique plus belle que celle qui réussit alors sous notre folle main. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Qu'il fallût que nous devenions étrangers, ainsi le voulait la loi qui nous transcende et c'est pourquoi nous nous devons du respect, par quoi sera sanctifié davantage encore le souvenir de notre amitié de jadis ! Il existe probablement une énorme courbe invisible, une route stellaire, où nos voies et nos buts différents se trouvent compris*5 comme de petites étapes, élevons-nous à cette pensée ! Mais notre vie est trop courte et notre vue trop faible pour que nous puissions être plus que des amis dans le sens de cette altière possibilité ! - Et ainsi nous voulons croire à notre amitié d'étoiles, dussions-nous être ennemis sur la terre. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche


Architecture pour ceux qui cherchent la connaissance Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Joie de l'aveuglement - « Mes pensées, dit le Voyageur à son ombre15, doivent m'indiquer où je me trouve : mais elles ne doivent pas me révéler où je vais. J'aime l'ignorance de l'avenir et je ne veux pas périr à m'impatienter et à goûter par anticipation les choses promises. » Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Nous n'avons pas à instituer pour eux des confesseurs, des exorcistes et des donneurs d'absolution ! C'est une nouvelle justice qui importe*16 ! Et une nouvelle sanction ! Il est besoin de nouveaux philosophes ! La terre morale, elle aussi, est ronde16 ! La terre morale, elle aussi, a ses antipodes ! Les antipodes, eux aussi, ont droit à l'existence ! Il reste encore un autre monde à découvrir - et plus  d'un ! Aux vaisseaux, vous autres philosophes ! Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Une seule chose compte - « Donner du style » à son caractère - c'est là un art considérable qui se rencontre rarement ! Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

On reconnaîtra toujours la noblesse à ce qu'elle n'a pas peur d'elle-même, à l'incapacité de faire quelque chose de honteux, au besoin de s'élever dans les airs sans hésitation, de voler où nous sommes poussés, - nous autres oiseaux nés libres22 ! Où que nous allions, tout devient libre et ensoleillé autour de nous. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Au fond de mon âme, j'éprouve même de la reconnaissance pour toute ma misère physique et ma maladie23 et tout ce que je puis avoir d'imparfait - puisque tout cela me laisse cent échappées par où je puis me dérober aux habitudes durables. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Avoir une réputation faite était autrefois une chose d'extrême nécessité ; et partout où la société est dominée par l'instinct de troupeau, pour chaque individu, donner son caractère et ses occupations comme invariables est maintenant encore ce qu'il a de plus opportun, même quand ils ne le sont pas. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Bonne volonté de celui qui cherche la connaissance, sans se décourager d'être sans cesse forcé de se déclarer contre l'opinion qu'il professait jusqu'ici et de se méfier en général de tout ce qui menace de se fixer - qui est ici condamnée et décriée. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Le sentiment de celui qui cherche la connaissance étant en contradiction avec la « solide réputation », il est considéré comme déshonnête*21, tandis que la pétrification des opinions a pour elle tous les honneurs : Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

J'ai saisi cette idée au vol, et vite j'ai pris les premiers mots venus pour la fixer, de crainte qu'elle ne s'envole de nouveau. Et maintenant elle est morte Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

De ces mots stériles ; elle est là suspendue, flasque sous ce lambeau verbal - et en la regardant, je me rappelle à peine encore comment j'ai pu avoir un tel bonheur en attrapant cet oiseau. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Le monde s'emplit toujours davantage pour celui qui s'élève dans les hauteurs de l'humanité, de plus en plus d'hameçons lui sont lancés, l'intérêt grandit autour de lui, et dans la même proportion ses catégories de plaisir et de déplaisir, - l'homme supérieur devient toujours en même temps plus heureux et plus malheureux. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Nous qui méditons et sentons, c'est nous qui faisons pour de bon et sans cesse quelque chose qui n'existe pas encore : à savoir ce monde toujours grandissant d'appréciations, de couleurs, d'évaluations, de perspectives, de degrés, d'affirmations et de négations.

Car il faut savoir se perdre pour un temps si l'on veut apprendre quelque chose des êtres que nous ne sommes pas nous-mêmes. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Lorsque nous exerçons notre esprit critique, ce n'est là rien d'arbitraire et d'impersonnel - c'est du moins très souvent une preuve qu'il y a en nous . Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Des forces vivantes et agissantes qui dépouillent une écorce. Nous nions et nous y sommes obligés puisque quelque chose en nous veut vivre et s'affirmer, quelque chose que nous ne connaissons, que nous ne voyons peut-être pas encore ! - Ceci en faveur de la critique. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Je veux davantage, je ne suis pas de ceux qui cherchent. Je veux créer pour moi mon propre soleil. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Non ! La vie ne m'a pas déçu ! Je la trouve au contraire d'année en année plus riche, plus désirable et plus mystérieuse, - depuis le jour où m'est venue la grande libératrice, cette pensée que la vie pouvait être une expérience de celui qui cherche la connaissance - et non un devoir, non une fatalité, non une duperie ! Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Un dommage est rarement plus d'une heure un dommage ; d'une façon ou d'une autre, un présent nous est en même temps tombé du ciel - par exemple une force nouvelle, ne fût-ce même qu'une nouvelle occasion de force ! Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Notre vie est-elle vraiment assez douloureuse et assez odieuse pour l'échanger avec avantage contre le stoïcisme d'un genre de vie pétrifié ? Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Les formes disparaissent à vue d'œil dans ce labeur frénétique, de même périssent aussi le sentiment de la forme, l'oreille et l'œil pour la mélodie du mouvement. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Le sentier de notre propre ciel traverse toujours la volupté de notre propre enfer. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Les grands problèmes exigent tous le grand amour, et seuls les esprits vigoureux, nets et sûrs en sont capables, les esprits à base solide, car ils se reposent sur eux-mêmes. Il y a une différence considérable entre un penseur qui prend personnellement position en face de ses problèmes, de telle sorte qu'il trouve en eux sa destinée, sa peine et aussi son plus grand bonheur, et celui qui s'approche de ses problèmes d'une façon « impersonnelle » celui qui n'y touche et ne les appréhende qu'avec les antennes de la froide curiosité. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Personne n'a donc examiné jusqu'à présent la valeur de ce médicament, le plus célèbre de tous, de ce médicament que l'on appelle morale : il faudrait, pour cela, avant toute autre chose, qu'elle fût mise en question. Eh bien ! c'est précisément là notre tâche. - Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Car l'homme est un animal qui vénère ! Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Le monde ne vaut pas ce que nous nous sommes imaginés qu'il valait, Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Dès qu'un homme arrive à la conviction fondamentale qu'il doit être commandé, il devient « croyant » ; à ce fut la Révolution Française qui plaça définitivement et solennellement le sceptre dans la main du « brave homme » (du mouton, de l'âne, de l'oie, et de tout ce qui est incurablement plat et braillard, mûr pour la maison de fous des « idées modernes »). Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Pour les immondices de l'âme, il est aussi besoin de canaux d'écoulement et d'eaux propres qui purifient, il est besoin de rapides fleuves d'amour et de cœurs vaillants, humbles et purs qui se prêtent à un tel service sanitaire non public, qui se sacrifient - car c'est bien là un sacrifice où le prêtre est et demeure la victime. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

C'est la modestie qui s'inventa en Grèce le mot « philosophe » et qui laissa aux comédiens de l'esprit le superbe orgueil de s'appeler sages, - la modestie de monstres de fierté et d'indépendance comme Pythagore et Platon32. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Il semble que nous autres Européens, nous ne pouvons absolument pas nous passer de cette mascarade qui s'appelle habillement. -). L'Européen se travestit avec la morale parce qu'il est devenu un animal malade, infirme, estropié, qui a de bonnes raisons pour être « apprivoisé », puisqu'il est presque un avorton, quelque chose d'inachevé*24, 33, de faible et de gauche... Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Les véritables inventions des fondateurs de religion sont, d'une part : d'avoir fixé une façon de vivre déterminée, des mœurs de tous les jours, qui agissent comme une disciplina voluntatis*25 et suppriment en même temps l'ennui ; et d'autre part : d'avoir donné justement à cette vie une interprétation au moyen de quoi elle semble enveloppée de l'auréole d'une valeur supérieure, en sorte qu'elle devient maintenant un bien pour lequel on lutte et sacrifie parfois sa vie. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche
Pour être fondateur de religion il faut de l'infaillibilité psychologique dans la découverte d'une catégorie d'âmes déterminées et moyennes, d'âmes qui n'ont pas encore reconnu qu'elles sont de même espèce. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

La conscience n'est en somme qu'un réseau de communications d'homme à homme, - ce n'est que comme telle qu'elle a été forcée de se développer : l'ermite solitaire et la bête de proie auraient pu s'en passer. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

La conscience ne fait pas proprement partie de l'existence individuelle de l'homme, mais plutôt de ce qui appartient chez lui à la nature de la communauté et du troupeau ; que, par conséquent, la conscience n'est développée d'une façon subtile que par rapport à son utilité pour la communauté et le troupeau, donc que chacun de nous, malgré son désir de se comprendre soi-même aussi individuellement que possible, malgré son désir « de se connaître soi-même », ne prendra toujours conscience que de ce qu'il y a de non individuel chez lui, de ce qui est « moyen en lui, - que notre pensée elle-même est sans cesse majorée*29 en quelque sorte par le caractère propre de la conscience, par le « génie de l'espèce » qui la commande - et retraduite dans la perspective du troupeau. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Nous ne possédons absolument pas d'organe pour la connaissance, pour la « vérité » : Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

La jubilation du connaisseur ne serait-elle pas la jubilation de la sécurité reconquise ?... Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Tel philosophe considéra le monde comme « connu » lorsqu'il l'eut ramené à l'« idée ». Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Désormais la force constructive est paralysée ; le courage de tirer des plans à longue échéance se décourage ; les génies organisateurs commencent à manquer : — qui donc oserait encore entreprendre des œuvres pour l'achèvement desquelles il faudrait pouvoir compter sur des milliers d'années ? Car cette croyance fondamentale est en train de disparaître, cette croyance au nom de laquelle quelqu'un ne peut compter, promettre, tirer des plans pour l'avenir, sacrifier à ses plans que dans la mesure où s'affirme le principe que l'homme n'a de valeur, de sens, qu'autant qu'il est une pierre dans un grand édiftce : ce pour quoi il faut avant tout qu'il soit solide, qu'il soit « pierre »... Et avant tout qu'il ne soit pas - comédien ! Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Pour construire cet édifice tout nous manque et, avant tout, les matériaux de construction. Nous tous, nous ne sommes plus des matériaux pour une société : Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

La conscience n'est qu'un accident de la représentation et non un attribut nécessaire et essentiel de celle-ci53, que ce que nous appelons conscience, loin d'être la conscience elle-même, n'est donc qu'une condition de notre monde intellectuel et moral (peut-être une condition maladive) Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche,

Hegel, qui bouleversa toutes les habitudes logiques, bonnes et mauvaises, lorsqu'il osa enseigner que les idées spécifiques naissent l'une de l'autre55 : ce principe prépara les esprits européens au dernier grand mouvement philosophique, le darwinisme - car sans Hegel point de Darwin. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

il est pour lui une victoire, définitive et difficilement remportée, de la conscience européenne, l'acte le plus fécond de deux mille ans d'éducation dans le sens de la vérité, pour s'interdire finalement le mensonge de la foi en Dieu... On voit ce qui a en somme triomphé du Dieu chrétien : c'est la morale chrétienne elle-même, la notion de véracité appliquée avec une rigueur toujours croissante, c'est la conscience chrétienne aiguisée dans les confessionnaux et qui s'est transformée jusqu'à devenir la conscience scientifique, la probité intellectuelle à tout prix59. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche
Lorsque nous rejetons ainsi l'interprétation chrétienne, condamnant le « sens » qu'elle donne comme un faux-monnayage, nous sommes saisis immédiatement et avec une insistance terrible, par la question schopenhauérienne : l'existence a-t-elle donc un sens ? Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Il rendit au prêtre le commerce sexuel avec la femme, alors que la vénération dont est capable le peuple, et avant tout la femme du peuple, repose aux trois-quarts sur la croyance qu'un homme qui est exceptionnel sur ce point sera aussi une exception sur d'autres points, - c'était là justement ce qui plaidait de la manière la plus subtile et la plus insidieuse en faveur de la croyance populaire en quelque chose de surhumain dans l'homme, au miracle, au Dieu sauveur dans l'homme. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Stoïcisme de l'attitude (— comme le stoïcisme cache bien ce qu'on n'a pas !...), Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche


La prétention des philosophes à la sagesse, cette prétention - la plus folle et la plus immodeste - qui a été soulevée çà et là sur la terre, ne fut-elle pas toujours jusqu'à présent, aux Indes comme en Grèce, avant tout un refuge. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

L’éducation, qui sanctifie tant de mensonges, Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Par amour, l'homme et la femme entendent des choses différentes, - et c'est une des conditions de « l'amour » chez les deux sexes que l'un ne suppose pas chez l'autre le même sentiment, la même idée de l'amour. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Mon corps tout entier, que demande-t-il en fin de compte à la musique ? Je crois qu'il demande un allégement : comme si toutes les fonctions animales devaient être accélérées par des rythmes légers, hardis, effrénés et sûrs d'eux ; comme si la vie d'airain et de plomb devait être transmuée dans l'or de mélodies délicates et douces. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Nous autres artistes96, il y a en nous une inquiétante discordance ; notre goût, d'une part, et notre force créatrice, d'autre part, sont séparés d'une façon singulière ; ils demeurent séparés et ont une croissance particulière, - je veux dire qu'ils ont des degrés et des temps différents de vieillesse, de jeunesse, de maturité, de décomposition, de putréfaction. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Le pessimisme romantique est le dernier grand événement dans la destinée de notre civilisation. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Al'oreille de messieurs les mécanistes, et mis sur leur conscience, eux qui aujourd'hui aiment à se mêler aux philosophes et qui s'imaginent absolument que la mécanique est la science des lois premières et dernières, sur lesquelles, comme sur un fondement, toute existence doit être édifiée. Cependant, un monde essentiellement mécanique serait essentiellement dépourvu de sens ! Si l'on jugeait de la valeur d'une musique d'après ce qu'on est capable d'en compter, d'en calculer, d'en mettre en formules - combien absurde serait une telle évaluation « scientifique » de la musique ! Qu'en aurait-on saisi, compris, reconnu ? Rien, strictement rien de ce qui est « musique » !... Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Aller au pas - quelle existence ! Cette allure-là rend allemand et lourd. J'ai dit au vent de m'emmener, L'oiseau m'a appris à planer. Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

J'ai appris en volant, ce qui me bernait. Je sens la sève qui monte et le courage Pour une vie nouvelle et un jeu nouveau... Penser seul c'est la sagesse, Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Chanson à danser Vent de mistral, chasseur de nuages, Tueur de tristesse, balayeur du ciel, Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Toi qui mugis, comme je t'aime ! Ne sommes-nous pas tous deux les prémices D'une même origine, au même sort Éternellement prédestinés ? Là, sur les glissants chemins de falaise, J'accours en dansant à ta rencontre, Dansant, selon que tu siffles et chantes : Toi qui viens sans navire et sans rame Comme le frère le plus libre de la liberté, Et t'élances sur les mers sauvages. À peine éveillé, j'ai entendu ton appel, Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

J'ai dévalé les falaises, Jusqu'au mur jaune de la mer. Salut ! Déjà comme les clairs flots D'un torrent diamantin, tu descendais Victorieusement de la montagne. Dans les airs nivelés du ciel*9, J'ai vu galoper les chevaux, J'ai vu le carrosse qui te porte. J'ai même vu le geste de la main Qui, sur le dos des coursiers, Comme l'éclair abat son fouet, Je t'ai vu descendre du char, Afin d'accélérer ta course, Je t'ai vu courir comme une flèche et Pousser droit dans la vallée, - Comme un rayon d'or traverse Les roses de la première aurore. Danse maintenant sur mille dos, Sur le dos des lames, des lames perfides - Salut à qui crée des danses nouvelles ! Dansons de mille manières, Que notre art soit nommé - libre ! Qu'on appelle gai - notre savoir16 ! Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Une fleur pour notre gloire, Et deux feuilles pour une couronne ! Dansons comme des troubadours*10 Parmi les saints et les putains, Dansons entre Dieu et le monde ! Celui qui, avec les vents, ne sait pas danser, Celui qui doit s'envelopper de châles, Tel un vieillard infirme, Celui qui est hypocrite, Arrogant et vertueux comme une oie, Qu'il quitte notre paradis. Secouons la poussière des routes, Au nez de tous les malades, Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Chassons*11 les rejetons des malades, Purifions toute la côte De l'haleine des poitrines sèches Et des yeux sans courage ! Chassons qui trouble le ciel, Noircit le monde, attire les nuages ! Éclairons le royaume des cieux ! Mugissons... toi le plus libre De tous les esprits libres, avec toi Mon bonheur mugit comme la tempête. - - Et, pour que le souvenir De ce bonheur soit éternel, prends l'héritage, Prends cette couronne avec toi ! Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche

Jette-la là-haut, jette-la plus loin, Empare-toi de l'échelle qui mène au ciel, Et accroche-la - aux étoiles ! Le Gai Savoir, Frédéric Nietzsche