mardi 30 juin 2020

Les Gaullois réfractaires…Philippe de Villiers – T - Fayard


Les Gaullois réfractaires…Philippe de Villiers – T - Fayard


Le Tragique est revenu dans nos vies. Cette fois-ci, on était tous à l’intérieur du Bataclan. Personne ne fut épargné. L’ennemi nous tirait dessus dans le noir, au hasard, et il menaçait finalement de nous descendre tous par la contagion de rafales imprévisibles. Les Gaullois réfractaires…Philippe de Villiers


Les mondialistes veulent acclimater, dans nos vieux pays, la société multidéculturée. Il y a, aujourd’hui, chez nous, un quart des jeunes qui ne se sentent pas du tout français… L’islam est leur patrie. Comment pourraient-ils désirer cette nouvelle patrie qui ne s’aime plus elle-même ? Les Gaullois réfractaires…Philippe de Villiers


Chantal Delsol a résumé cette posture inquiétante : « Quand on commence à traiter son vis-à-vis de noms de maladies, c’est qu’il s’agit non plus d’adversaires mais d’ennemis, et donc d’un combat haineux à la vie à la mort2. » Les Gaullois réfractaires…Philippe de Villiers


Les glissements sémantiques vont suivre, le vocabulaire va changer peu à peu : on ne parle plus de gouvernement mais de gouvernance, de loi mais de régulation, de frontière mais d’espace, de peuple mais de société civile. On ne cherche plus à sauver son âme mais à « sauver la planète ». Les Gaullois réfractaires…Philippe de Villiers


Liliboboïsme, né en mai 1968 de l’accouplement fécond des bourgeois – les libéraux – et des bohèmes – les libertaires. Les Gaullois réfractaires…Philippe de Villiers


Les experts en marketing désignent les dernières résistances à faire sauter, après les autres communautés d’affection et d’appartenance : l’ultime obstacle est le patriarcat, car le « bon père de famille » serait un mauvais consommateur. Il vaut mieux cibler des individus isolés plutôt que des communautés et leur vendre la quête du bonheur personnel par le consumérisme. Les Gaullois réfractaires…Philippe de Villiers


Nous avons vu se déployer un capitalisme sauvage, planétaire, qui a choisi dans un premier temps l’aliénation américaine et désormais l’aliénation chinoise. Les Gaullois réfractaires…Philippe de Villiers


 « La mondialisation est un système de spoliation dans lequel ce sont les pauvres des pays riches qui subventionnent les riches des pays pauvres. » Les Gaullois réfractaires…Philippe de Villiers


La phrase de Lénine : « Les guerres sont des accélérateurs de l’histoire. » Eh bien, les pandémies aussi. Les Gaullois réfractaires…Philippe de Villiers


Cette pandémie restera dans l’histoire comme une allégorie planétaire de la mondialisation sauvage. Les Gaullois réfractaires…Philippe de Villiers


Le temps disruptif de l’homo zappiens Les Gaullois réfractaires…Philippe de Villiers

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L’homme devient, sous un totalitarisme universel, bétail doux, poli et tranquille. » Les Gaullois réfractaires…Philippe de Villiers


L’art politique consiste à capter les signaux faibles et à lire dans l’événement qui survient ce qui relève de l’instant et ce qui appartient au temps long. Les Gaullois réfractaires…Philippe de Villiers


Il ne fallait pas être grand clerc pour comprendre que la promiscuité planétaire met en danger chaque minute de nos vies. Les systèmes complexes qui en résultent amplifient l’effet papillon des calamités qu’on peut estimer à l’avance de survenance probable et de nature inconnue. Les catastrophes se délocalisent et se diffusent à la vitesse de la lumière. Les Gaullois réfractaires…Philippe de Villiers


À chaque fois, enveloppée de moraline, l’Idéologie a gagné, le Réel a perdu. fruit d’un irénisme qui les a portés à croire que le monde sans frontières, renvoyant à l’idée de fraternité universelle, exigeait une France toujours plus généreuse, toujours plus dépouillée, toujours moins souveraine, toujours plus offerte. Les Gaullois réfractaires…Philippe de Villiers


En cherchant des esclaves au bout du monde, nous avons fabriqué de nouveaux maîtres. Ils nous tiennent en leur caprice. Par nos commandes, ils nous commandent. Les Gaullois réfractaires…Philippe de Villiers


Les citoyens sont devenus des consommateurs compulsifs. Les Gaullois réfractaires…Philippe de Villiers


La marchandisation de nos rêves, de nos désirs, de nos mondes les plus intimes, nous maintient dans l’euphorie Les Gaullois réfractaires…Philippe de Villiers


La richesse va se déplacer, cher ami. Il faut vivre avec son temps. Nous laisserons aux pays pauvres les secteurs primaire et secondaire, où la valeur ajoutée est faible, et nous nous spécialiserons dans le tertiaire et le quaternaire,  c’est-à-dire les services et la matière grise, où la valeur ajoutée est forte. Les Gaullois réfractaires…Philippe de Villiers


Je jette à l’encan une réplique qui va m’attirer de nouveaux sarcasmes : — Monsieur le Premier ministre, imaginons que nous perdions ce que vous appelez le primaire – l’agriculture et la pêche – et le secondaire – les usines –, êtes-vous bien sûr que le secteur tertiaire des services suffira à compenser la perte de richesse et d’emplois ? — C’est une évidence… La nouvelle économie… c’est le mouvement du monde… Et si le mouvement du monde, c’était que les Indiens et les Chinois sortent du rail et se mettent à former des ingénieurs ? Après nous avoir piqué nos primeurs et nos industries, supposons qu’ils se mettent à créer des laboratoires et à fabriquer de la high-tech ? Les Gaullois réfractaires…Philippe de Villiers


Car le libre-échange universel a eu quatre conséquences : la désindustrialisation massive, la prolétarisation de la classe moyenne, la partition territoriale et, parallèlement à l’épuisement de l’Amérique, la montée au firmament de la Chine. La puissance s’est déplacée, elle a changé de continent. C’est un incroyable chassé-croisé : l’usine du monde en est devenue le laboratoire. Les Gaullois réfractaires…Philippe de Villiers


De pays développé, nous nous sommes réveillés en pays enveloppé. comme le dit une femme voilée de Chanteloup-les-Vignes, à l’adresse des contempteurs de son foulard islamique : « La Santé est votre nouvelle religion, le masque est un tissu comme un autre. Le confinement est en accord avec notre religion. »  Hier, un homme qui refusait de serrer la main d’une femme était soupçonné de fondamentalisme ; aujourd’hui, serrer la main de la voisine, c’est un geste qui peut être ressenti comme criminogène. décision n’est plus dans les mains des grands élus, mais de la machine à gouverner. Les Gaullois réfractaires…Philippe de Villiers


Les Lumières ne nous envoient plus qu’un semblant de clarté qui vacille. Les Gaullois réfractaires…Philippe de Villiers

Il y a, en France, des centaines d’enclaves étrangères qui ne veulent plus penser à la française, qui refusent d’obéir à nos lois, qui n’ont aucune envie de pratiquer notre art de vivre. Ces enclaves considèrent que la France est une puissance étrangère, une puissance coloniale, que la police est une « armée d’occupation ». L’islamo-gauchisme encourage cette invasion-colonisation. Les Gaullois réfractaires…Philippe de Villiers



mardi 16 juin 2020

Emmanuelle Coccia, Métamorphoses - T -, Boutiques Rivages


Emmanuelle Coccia, Métamorphoses - T -, Boutiques Rivages


La vie de tout être vivant ne commence pas avec sa propre naissance : elle est beaucoup plus ancienne. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Si notre vie commence bien avant notre naissance, elle se termine bien après notre mort. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses.
Le fait d’avoir des yeux, des oreilles, des poumons, un nez, du sang chaud, nous le partageons avec des millions d’autres individus, avec des milliers d’autres espèces – et dans toutes ces formes, nous ne sommes que partiellement humains. Chaque espèce est la métamorphose de toutes celles qui l’ont précédée. Une même vie qui se bricole un nouveau corps et une nouvelle forme afin d’exister différemment. C’est la signification la plus profonde de la théorie darwinienne de l’évolution, celle que la biologie et le discours public ne veulent pas entendre : les espèces ne sont pas des substances, des entités réelles. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses.
Chaque moi est un véhicule pour la Terre, un navire qui permet à la planète de voyager sans se déplacer. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses.
La naissance n’est pas simplement l’émergence du nouveau, elle est aussi l’égarement du futur dans un passé sans limite. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses.
Naître se résume à cela : la preuve que nous ne sommes rien d’autre que la métamorphose, une petite modification d’une partie infime de la chair du monde. Mais la partie du corps de notre mère que nous avons incorporée au nôtre – ainsi que la partie apparemment plus petite de notre père – n’est qu’une étape dans une chaîne sans fin de transformations et d’incorporations. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Tous les vivants sont, d’une certaine manière, un même corps, une même vie et un même moi qui continue à passer de forme en forme, de sujet en sujet, d’existence en existence. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
On naît toujours dans un corps autre : c’est exactement cela qu’on appelle nature. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Naître c’est ajouter un maillon à la chaîne de transformation de la vie. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Être né.e.s signifie n’être rien d’autre qu’une reconfiguration, une métamorphose d’autre chose. Être né.e.s, c’est-à-dire être la nature, signifie devoir construire, bâtir, son propre. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Corps à partir de la Terre, à partir de toute la matière du monde disponible de cette planète dont nous sommes à la fois la modification et l’expression, l’articulation et le pli. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Tout ce que nous avons à faire est d’explorer la mémoire matérielle et spirituelle de notre corps. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Toute naissance est gémellaire : monde et sujet sont des jumeaux hétérozygotes, nés simultanément et incapables de se définir l’un sans l’autre. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Nous vivons dans une culture produite et dominée par ceux qui, par définition, n’ont jamais eu l’expérience de donner naissance aux autres : les mâles. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Ce noyau pré-individuel, pré-personnel et sans genre prédéfini est un laboratoire à la fois intime et universel, un espace-temps. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Métamorphose qui change la mère, l’enfant, l’espèce humaine et aussi la planète. Ce n’est pas la Terre qui couve et engendre les vivants, ce sont les vivants qui par leur gestation accouchent différemment de la Terre. Donner naissance signifie donc laisser passer la Terre dans son corps pour la porter ailleurs. Tout accouchement est une continuation de la tectonique des plaques, du mouvement qui permet à Gaïa de changer sa place. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
La théologie chrétienne a contribué à rendre impensable la naissance en la laissant sortir de tout cadre naturaliste, en arrivant à opposer naissance et nature, en la pensant comme miracle. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Si Dieu participe de la naissance, il devra s’incarner dans n’importe quel être naturel : un bœuf, un chêne, une fourmi, une bactérie, un virus. Si la naissance amène le salut, c’est dans n’importe quelle naissance, à n’importe quel moment, à n’importe quel endroit. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Toute naissance est à la fois une forme de divinisation, de transmission de la substance divine, mais aussi et surtout de métamorphose des dieux. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
« Nous ne pouvons admettre qu’une forme vivante est plus semblable à Dieu qu’une autre » : l’unité du vivant est la trace de la divinité. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Toute naissance est le processus de migration des dieux. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
« Ce que nous appelons hérédité n’est peut-être que le transfert à la descendance de la plus grande partie de la tâche. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Pénible de liquider les traumatismes. » Notre identité génétique « représente la somme des impressions traumatiques léguées par nos ancêtres et retransmises par les individus » : notre ADN est une collection d’« engrammes », de hiéroglyphes de toutes les batailles, et surtout les défaites, vécues par tous les vivants dont nous incarnons la volonté de rachat et de salut. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Nous sommes certes un morceau de ce monde, mais un morceau duquel nous avons dû changer la forme. Nous sommes une poignée d’atomes et de corps qui étaient – tous – déjà là et auxquels nous avons voulu, pu, dû, imposer une nouvelle direction, un nouveau destin, une nouvelle forme de vie. Nous sommes une métamorphose de cette planète. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
La métamorphose n’a jamais de terme. Le moi est toujours un différentiel. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Une hérédité exprime la possibilité de s’approprier et de modifier ce qui appartenait à autrui. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Dans le cœur de chaque être vivant, il y a une perspective sur toutes choses. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Tout objet technique est censé reproduire le sujet et sa volonté à l’extérieur de son corps : le monde devient donc une prolongation du moi. C’est l’exact inverse de ce qui arrive dans la métamorphose. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Si toute politique est la science de la diversité, c’est aux maîtres de la diversification qu’il faut demander comment vivre ensemble. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
La forme n’est jamais ce qu’on nous donne une fois pour toutes à la naissance, elle est ce que nous continuons à construire et à défaire à chaque instant de notre existence. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
La métamorphose serait simplement un mouvement de révélation, d’épanouissement paroxystique du vivant, au même titre que la floraison. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
« De très nombreux animaux naturels sont de véritables chimères. » . Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
La métamorphose existe parce que tout vivant se retrouve à passer, dans une même ligne de vie, par les expériences et les mondes les plus divers : elle est un couloir qui permet au vivant de ne pas être obligé de vivre plusieurs vies simultanément et aux deux de cohabiter sans se fondre entièrement. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Changer de forme – se métamorphoser – signifie toujours avoir la force de faire de son corps un œuf capable de créer et de véhiculer une nouvelle identité. Tout moi est un œuf – et nous sommes un moi seulement parce que nous gardons en nous cette puissance métamorphique dont tout œuf est l’expression. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
La métamorphose est tout d’abord cette puissance de tout vivant à couver en son sein cette capacité de faire varier la vie qui l’anime. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Est jeune toute vie où la forme reste l’objet d’un travail poétique, tout vivant qui ne peut pas se reconnaître entièrement dans la forme qui l’abrite. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
À travers la métamorphose, un corps se fait espace à habiter par des formes toujours étrangères. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
La métamorphose est la propriété des corps qui ne se séparent jamais de leur enfance. À l’inverse, seulement un corps qui n’est plus capable de vivre son enfance – ou qui, en prévision de cela, a transféré cette expérience dans un autre corps en se reproduisant – cessera de se métamorphoser. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Jeunesse cesse et la vieillesse … sont des forces organiques et spirituelles qui cohabitent à tout instant dans la vie de tout individu. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
La jeunesse donc n’est pas un âge : c’est une force de rajeunissement (Verjüngung) qui est d’égale intensité que la force de vieillissement, même si elle y est opposée, et qui se manifeste tout au long de la vie de l’individu. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Le rajeunissement existe indépendamment de l’histoire et de la biographie des vivants, il est une force structurale qui anime les corps à tout moment. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Tous les êtres vivants éclosent et fabriquent l’enfance future, qui n’appartient pas seulement à eux, mais à la Terre entière. Le vivant lui-même, d’ailleurs, pourrait être considéré comme un processus de rajeunissement de la planète. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
L’histoire de la vie sur Terre est la tentative de rajeunir la planète – la destruction de son identité géologique. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Nous sommes habitués à penser la technique comme une conséquence du manque biologique de l’individu. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Selon Kapp, tout objet technique, tout instrument, n’est que la projection à l’extérieur du corps d’une structure organique dans une relation isomorphe parfaite. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Nous devrions apprendre à voir dans chaque objet technique un cocon qui permet cette transmutation : un ordinateur, un téléphone, un marteau, une bouteille ne sont pas simplement des extensions du corps humain – ce sont, au contraire, des maniements du monde qui rendent possible un changement de l’identité personnelle, du moins éthologique, si ce n’est sur le plan anatomique. Même un livre est un cocon qui permet de redessiner son propre esprit. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
La fleur est la preuve et la manifestation d’un principe de plasticité anatomique et somatique absolue : avoir un corps ne signifie plus exister sous une forme, mais avoir la puissance de traduire toute forme dans une autre. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Chacun de nous passera par tout. Nous sommes un même monde et une même substance. Les trous de notre auto-conscience et de notre mémoire ne sont que cela : l’émergence des autres « moi » dans notre esprit. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Les cocons sont partout. Ils n’attendent pas l’appel à la conversion ou à la révolution. À l’intérieur d’eux se construit sans cesse un futur méconnaissable et imprédictible qui a déjà obligé plusieurs fois chacun de nous, et tout ce qui nous entoure, à changer d’anatomie. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Très souvent, nous essayons de masquer ce qui s’y joue, nous faisons de cette expérience deprendre la vie d’un autre, quelque chose de différent de nous, une expérience esthétique supérieure, faite de saveurs, d’odeurs et de couleurs abstraites. Dans l’assiette, nous ne rencontrons plus un agneau, une tomate, une fraise, mais des qualités abstraites de goût, de couleur ou de matière tactile : l’idée d’acide, astringent, sucré, salé, liquide, solide, jaune, vert, brun ou rouge. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Ce profond sentiment de culpabilité s’exprime dans le débat sur le végétarisme : nous nous sentons tellement coupables du fait que notre vie implique la mort d’autres êtres vivants que nous préférons établir. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Limite arbitraire, une frontière artificielle entre les êtres vivants qui souffrent (les animaux) et ceux qui ne souffrent pas (les plantes) . Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Manger signifie transfuser la vie des autres dans notre corps. Peu importe qu’il soit mort, cuit, fumé ou desséché, nous avons besoin de corps vivants : ce que nous mangeons est toujours et seulement la vie. Manger, c’est fusionner deux vies en une seule. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
La vie va de corps en corps, d’espèce en espèce, sans jamais être pleinement satisfaite de la forme sous laquelle elle se trouve. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Manger n’est rien de plus que cela : la preuve qu’il n’y a qu’une seule vie, commune à tous les êtres vivants, apte à circuler entre corps et entre espèces. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
La politique de Gaïa n’est que cette construction quotidienne d’une chair commune à tous. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Les vivants, que chacun utilise, mais qui circule non seulement de lieu en lieu mais de corps en corps, d’individu en individu, d’espèce en espèce. Cette politique, que le langage religieux de l’Antiquité européenne et asiatique avait appelée transmigration, métempsycose ou réincarnation, est radicalement anti-domestique, et cela dans un double sens. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Aucune espèce ne peut se limiter à habiter son propre corps. Elle est obligée de rentrer dans la maison charnelle de l’autre, l’occuper, s’y intégrer, devenir le corps de l’autre, la chair d’autres espèces. Nous ne faisons que migrer, transmigrer ou, à l’inverse (dans le cas où nous sommes mangés par les autres), devenir la maison d’autres individus et d’autres espèces. Nous ne pouvons jamais rester seuls chez nous, à la maison. Nous ne pouvons jamais regarder le corps de l’autre comme sa maison. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Personne n’est jamais chez soi, surtout pas dans son propre corps. Voilà ce que nous enseigne l’alimentation. Personne sur Terre n’a une maison, non seulement nous n’avons pas de possessions, des choses qui nous appartiennent par nature ou par généalogie, mais tout doit être négocié, fait et refait sans cesse. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Plumwood estime que la crise écologique que nous vivons ne pourra être dépassée que si l’on arrive à admettre « l’égalité et la réciprocité dans le réseau alimentaire » . Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
La mort devient ainsi le prétexte pour soustraire notre corps du cycle de réciprocité que toute existence terrestre. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Les différents corps humains divisent la vie substantiellement : il y a autant de vies qu’il existe de corps. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
L’esprit, le souffle, « erre d’un lieu à l’autre et de celui-ci revient à l’origine, il occupe les corps que tu veux », rappelait encore Ovide : « Des bêtes il passe aux hommes et de nous aux bêtes, en aucun temps il meurt ; comme la cire facile prend de nouvelles figures, ne reste pas comme elle était, ne garde pas la même forme pourtant est la même, ainsi l’âme est toujours la même, je te le dis, elle migre dans des figures variées. » La résurrection chrétienne est une déformation de ce mythe que l’on retrouve aussi dans les écrits de Platon. Elle promet une seule réincarnation et non une série infinie. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Lorsque j’écoute attentivement un ami mon moi est sous occupation du moi des autres. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Tout ce qui vit le fait par métamorphose : une répétition transformative de ce qui l’a précédé. Rien de ce qui vit aujourd’hui en nous, tout en ayant derrière soi des infinités d’autres vies, n’a jamais vécu cette même vie. Le recyclage qu’impose la métamorphose au moindre bout de matière de ce monde est ce qui empêche toute forme de cycle, toute forme de retour de l’identique. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Au fond, l’écriture génétique – l’écriture de la réincarnation – nous permet de mieux comprendre ce que parler veut dire. Ce n’est pas la génétique qu’il faut aborder en suivant la métaphore linguistique, c’est plutôt l’inverse : la langue fait à l’esprit ce que les gènes font aux corps. Le mot divise un esprit dans des portions qui peuvent se réincarner partout séparément de tous ceux qui les accompagnaient ou l’ont accompagné. Toute conversation, tout acte de pensée, est un échange d’identité spirituelle, une mosaïque de personnalités et de petits moi qui viennent d’ailleurs et qui ne cessent de voyager. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
« métamorphose intergénérationnelle » . Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Phénomène naturel remarquable et jusqu’à présent inexplicable d’un animal produisant une progéniture qui ne ressemble à aucun moment à sa mère, mais qui, d’autre part, elle-même produit une progéniture qui revient dans sa forme et sa nature à la mère, de sorte que la mère animale ne rencontre sa ressemblance dans sa propre couvée mais dans sa descendance du deuxième, troisième ou quatrième degré de la génération » . Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Tout vivant n’est qu’un recyclage de son corps, un patchwork construit à partir d’une matière ancestrale. C’est grâce à nous et en chacun de nous qu’elle peut dire : « moi ». La vie de la planète est une immense et inarrêtable métamorphose. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Et ces arches ne cessent d’embrouiller les archives et les cartographies qui permettraient de décrire une histoire et une géographie claires du cosmos. Elles sont toujours en avance ou en retard, elles ne restent jamais sur place. À cause d’elles, impossible de synchroniser. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Impossible de supposer à l’histoire passée une importance supérieure au futur dans la définition de l’identité de tout être. À cause d’elles, impossible de distinguer notre enfance de celle du monde. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Cette ancienneté, cette vitalité, n’est pas qu’un atout. Elle est la marque et la substance de la fragilité de toute forme : tout ce qui existe porte en soi la nécessité de changer sa peau et son visage, est animé par une vie qui ne pourra jamais être contenue dans les limites qui la contiennent. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
 « L’écologie, écrit Haeckel, est la science de l’économie de la nature », la « physiologie des relations réciproques des organismes entre eux et avec leur environnement » . Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
« L’écologie est dans une large mesure la science des populations communautaires. » Sa question a été, depuis le début, la particularité de la sociabilité non humaine, mais cette sociabilité a toujours été calquée sur la maison humaine. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
La condition de possibilité de l’écologie est « la limitation des conditions d’existence des organismes, quelle que soit leur espèce » . Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
L’écologie est déjà, par son nom, une forme d’anti-totémisme qui doit prouver que tout chez le non-humain se structure comme l’unité sociale domestique de base chez les humains. Nous avons régulièrement tendance à projeter sur les plantes et les animaux notre propre expérience de la sociabilité. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Sans en être parfaitement consciente, dans sa structure générale, dans ses orientations, dans ses concepts fondamentaux, l’écologie a été une étrange invitation à imaginer les êtres vivants non humains aux frontières domiciliaires. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Dans sa tentative de questionner la relation entre les vivants, l’écologie a fini pour projeter en dehors des villes – sur les espaces soi-disant « sauvages » – un ordre très bourgeois, et très XIXe siècle, de la vie. On reste à la maison, il ne faut pas sortir, et l’espace est défini par les lois de la propriété et de la propreté. En essayant de sauvegarder le non-humain, l’écologie a été l’une des plus grandes agences d’anthropisation du monde et d’humanisation du non-humain. Le monde, grâce à elle, ressemble à un immense jardin Schreber où toute forme de vie respecte aimablement les frontières qu’on lui a imposées. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Selon Isaak Biberg, l’économie de la nature est « la très sage disposition des êtres naturels institués par le souverain créateur selon laquelle ceux-ci tendent à des fins communes et ont des fonctions réciproques » . Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
« Économie », en effet, doit être compris ici dans son sens ancien, soit celui de la science de la maison, de l’oikos, du domestique, par opposition à la science de la politique. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
(l’esclave défini par Aristote comme « instrument animé » . Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Du point de vue épistémologique, du moins, l’écologie et le capitalisme sont frères : ils appartiennent à la même famille et défendent des intérêts similaires. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
La transformation des espèces est un phénomène écologique, c’est-à-dire social. Le destin génétique et morphologique de chaque espèce n’est pas la conséquence d’équilibres purement chimiques ou géologiques, mais de phénomènes sociaux d’une forme très spécifique de socialité : la compétition et la guerre. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
G râce à la sélection naturelle que la génération mutuelle du vivant produit une utilité marginale, rend possible l’amélioration des espèces et permet de renforcer l’utilité des autres. La théorie darwinienne marque à la fois la dissolution et le triomphe de l’économie de la nature et de ses présupposés théologiques : tout, même et surtout la guerre et la compétition entre les individus et les espèces, a une fonction et contribue à créer un ordre intérieur. La guerre n’est qu’une astuce pour rendre la grande Maison plus puissante et plus forte. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
L’écologie est impossible, car rien ne pourra jamais rester sur place : toute association d’êtres vivants à un lieu ne peut jamais se penser par le prisme de l’autochtonie. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Pour socialiser, il faut migrer, changer de lieu et tranformer un lieu. Il est impossible de vivre, c’est-à-dire de rencontrer des vivants, sans voyager. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Tous les êtres vivants font de leur relation à l’espace un moyen de métamorphose de soi et du monde qu’ils habitent. S’installer dans un lieu signifie le transformer. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Une norme humaine et trop humaine tente, de diverses manières, de forcer les non-humains à adopter les formes sociales typiques des États du XIXe siècle aux frontières fermées. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Reconnaître la métamorphose de la Terre, c’est libérer les êtres vivants de cette étrange captivité : ils ne se limitent pas à habiter Gaïa, ils la portent dans leur ventre – ils l’emmènent avec eux, partout où ils vont. Ils n’habitent pas tel ou tel territoire, ils sont un sol qui ne cesse de changer sa géographie et sa texture. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
La coïncidence entre l’agriculture (et l’élevage) et la politique était encore évidente dans la tradition platonicienne (jusqu’à son renversement avec Nietzsche) ou dans la tradition biblique, où la politique était souvent comparée à l’attitude pastorale. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Être dans le monde signifie, pour chaque espèce, vivre dans l’espace conçu et construit par d’autres. Vivre signifie donc toujours occuper, envahir un espace étranger et négocier ce que pourrait être un espace partagé. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Chaque fois qu’une abeille, un chêne, une bactérie, change son environnement pour rendre sa propre vie possible, cette espèce change aussi celui des autres. Ainsi, l’architecture n’est pas seulement la relation active entre une espèce et le monde, mais la relation nécessaire entre elles. C’est en tant qu’architecte du monde que chaque espèce est en relation avec les autres. L’architecture n’est pas seulement une affaire humaine, ce n’est pas seulement un fait culturel, ce n’est même pas la relation entre une espèce et l’espace, une forme de vie et son monde. C’est le paradigme de la relation interspécifique. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Toute espèce trouve son esprit, son intelligence, sa faculté de penser toujours et exclusivement dans sa relation à d’autres espèces. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
L’intellect n’est pas une chose, c’est une relation. Il n’existe pas dans notre corps, mais dans la relation que notre corps établit avec beaucoup d’autres corps. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Ce que nous appelons esprit est toujours une association entre la vie de deux espèces. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Il faudrait, au contraire, imaginer que pour toute espèce, l’intellect est incarné dans une autre espèce. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Ce que nous appelons évolution n’est rien de plus qu’une sorte d’agriculture interspécifique généralisée, un croisement cosmique – qui n’est pas nécessairement destiné à l’utilité des uns et des autres. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Chacun de nous, comme tout vivant et toute espèce, est un élément d’une métamorphose collective. Un sol pour d’autres vivants et d’autres espèces. C’est en tant que sol des autres que nous avons une puissance d’agir. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Lorsque l’art s’est établi comme avant-garde, il a cessé de remplir une fonction esthétique. Il s’est libéré de la tâche de produire de la beauté, de décorer l’existant, de le mettre en harmonie. En se prétendant contemporain, c’est-à-dire en prétendant incarner une forme de temps et non une forme d’espace ou de matière, l’art est devenu une pratique collective de la divination du futur. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
L’art est l’espace dans lequel une société parvient à rendre visible ce qu’elle ne peut confesser, penser ou imaginer. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Pratique d’une métamorphose collective des espèces. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
La vie n’est pas quelque chose autour de nous mais quelque chose qui nous traverse de l’intérieur. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Il n’y a pas d’environnement – ni de vie environnante –, il y a seulement un flux, un continuum dont nous sommes l’acte de métamorphose. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Une même et seule vie qui nous anime n’arrête pas de modifier. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Les corps, d’exploiter la matière pour se changer d’habits, de ciseler différemment le corps de Gaïa. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Si toute espèce est intrinsèquement interspécifique, contrairement à ce que nous avons cru et répété pendant des siècles, toute connaissance et toute science, à chaque instant de son développement, à chaque latitude géographique et culturelle, est une forme de totémisme. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Le virus est la force qui permet à chaque corps de développer sa propre forme, comme s’il existait désincarné du corps, libéré, flottant, la pure puissance de métamorphose. Voilà ce qu’est l’avenir, une force de développement et de reproduction de la vie qui ne nous appartient pas, qui n’est pas une propriété exclusive d’un individu ni même commune et partagée, mais plutôt un pouvoir flottant à la surface de tous les autres corps. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
L’avenir est une maladie qui oblige les individus et les populations à se transformer. Une maladie qui nous empêche de penser notre identité comme quelque chose de stable, de définitif, de réel. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses










 Emmanuelle Coccia, Métamorphoses - T -, Boutiques Rivages



La vie de tout être vivant ne commence pas avec sa propre naissance : elle est beaucoup plus ancienne. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Si notre vie commence bien avant notre naissance, elle se termine bien après notre mort. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses.
Le fait d’avoir des yeux, des oreilles, des poumons, un nez, du sang chaud, nous le partageons avec des millions d’autres individus, avec des milliers d’autres espèces – et dans toutes ces formes, nous ne sommes que partiellement humains. Chaque espèce est la métamorphose de toutes celles qui l’ont précédée. Une même vie qui se bricole un nouveau corps et une nouvelle forme afin d’exister différemment. C’est la signification la plus profonde de la théorie darwinienne de l’évolution, celle que la biologie et le discours public ne veulent pas entendre : les espèces ne sont pas des substances, des entités réelles. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses.
Chaque moi est un véhicule pour la Terre, un navire qui permet à la planète de voyager sans se déplacer. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses.
La naissance n’est pas simplement l’émergence du nouveau, elle est aussi l’égarement du futur dans un passé sans limite. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses.
Naître se résume à cela : la preuve que nous ne sommes rien d’autre que la métamorphose, une petite modification d’une partie infime de la chair du monde. Mais la partie du corps de notre mère que nous avons incorporée au nôtre – ainsi que la partie apparemment plus petite de notre père – n’est qu’une étape dans une chaîne sans fin de transformations et d’incorporations. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Tous les vivants sont, d’une certaine manière, un même corps, une même vie et un même moi qui continue à passer de forme en forme, de sujet en sujet, d’existence en existence. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
On naît toujours dans un corps autre : c’est exactement cela qu’on appelle nature. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Naître c’est ajouter un maillon à la chaîne de transformation de la vie. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Être né.e.s signifie n’être rien d’autre qu’une reconfiguration, une métamorphose d’autre chose. Être né.e.s, c’est-à-dire être la nature, signifie devoir construire, bâtir, son propre. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Corps à partir de la Terre, à partir de toute la matière du monde disponible de cette planète dont nous sommes à la fois la modification et l’expression, l’articulation et le pli. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Tout ce que nous avons à faire est d’explorer la mémoire matérielle et spirituelle de notre corps. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Toute naissance est gémellaire : monde et sujet sont des jumeaux hétérozygotes, nés simultanément et incapables de se définir l’un sans l’autre. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Nous vivons dans une culture produite et dominée par ceux qui, par définition, n’ont jamais eu l’expérience de donner naissance aux autres : les mâles. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Ce noyau pré-individuel, pré-personnel et sans genre prédéfini est un laboratoire à la fois intime et universel, un espace-temps. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Métamorphose qui change la mère, l’enfant, l’espèce humaine et aussi la planète. Ce n’est pas la Terre qui couve et engendre les vivants, ce sont les vivants qui par leur gestation accouchent différemment de la Terre. Donner naissance signifie donc laisser passer la Terre dans son corps pour la porter ailleurs. Tout accouchement est une continuation de la tectonique des plaques, du mouvement qui permet à Gaïa de changer sa place. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
La théologie chrétienne a contribué à rendre impensable la naissance en la laissant sortir de tout cadre naturaliste, en arrivant à opposer naissance et nature, en la pensant comme miracle. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Si Dieu participe de la naissance, il devra s’incarner dans n’importe quel être naturel : un bœuf, un chêne, une fourmi, une bactérie, un virus. Si la naissance amène le salut, c’est dans n’importe quelle naissance, à n’importe quel moment, à n’importe quel endroit. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Toute naissance est à la fois une forme de divinisation, de transmission de la substance divine, mais aussi et surtout de métamorphose des dieux. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
« Nous ne pouvons admettre qu’une forme vivante est plus semblable à Dieu qu’une autre » : l’unité du vivant est la trace de la divinité. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Toute naissance est le processus de migration des dieux. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
« Ce que nous appelons hérédité n’est peut-être que le transfert à la descendance de la plus grande partie de la tâche. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Pénible de liquider les traumatismes. » Notre identité génétique « représente la somme des impressions traumatiques léguées par nos ancêtres et retransmises par les individus » : notre ADN est une collection d’« engrammes », de hiéroglyphes de toutes les batailles, et surtout les défaites, vécues par tous les vivants dont nous incarnons la volonté de rachat et de salut. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Nous sommes certes un morceau de ce monde, mais un morceau duquel nous avons dû changer la forme. Nous sommes une poignée d’atomes et de corps qui étaient – tous – déjà là et auxquels nous avons voulu, pu, dû, imposer une nouvelle direction, un nouveau destin, une nouvelle forme de vie. Nous sommes une métamorphose de cette planète. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
La métamorphose n’a jamais de terme. Le moi est toujours un différentiel. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Une hérédité exprime la possibilité de s’approprier et de modifier ce qui appartenait à autrui. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Dans le cœur de chaque être vivant, il y a une perspective sur toutes choses. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Tout objet technique est censé reproduire le sujet et sa volonté à l’extérieur de son corps : le monde devient donc une prolongation du moi. C’est l’exact inverse de ce qui arrive dans la métamorphose. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Si toute politique est la science de la diversité, c’est aux maîtres de la diversification qu’il faut demander comment vivre ensemble. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
La forme n’est jamais ce qu’on nous donne une fois pour toutes à la naissance, elle est ce que nous continuons à construire et à défaire à chaque instant de notre existence. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
La métamorphose serait simplement un mouvement de révélation, d’épanouissement paroxystique du vivant, au même titre que la floraison. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
« De très nombreux animaux naturels sont de véritables chimères. » . Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
La métamorphose existe parce que tout vivant se retrouve à passer, dans une même ligne de vie, par les expériences et les mondes les plus divers : elle est un couloir qui permet au vivant de ne pas être obligé de vivre plusieurs vies simultanément et aux deux de cohabiter sans se fondre entièrement. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Changer de forme – se métamorphoser – signifie toujours avoir la force de faire de son corps un œuf capable de créer et de véhiculer une nouvelle identité. Tout moi est un œuf – et nous sommes un moi seulement parce que nous gardons en nous cette puissance métamorphique dont tout œuf est l’expression. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
La métamorphose est tout d’abord cette puissance de tout vivant à couver en son sein cette capacité de faire varier la vie qui l’anime. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Est jeune toute vie où la forme reste l’objet d’un travail poétique, tout vivant qui ne peut pas se reconnaître entièrement dans la forme qui l’abrite. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
À travers la métamorphose, un corps se fait espace à habiter par des formes toujours étrangères. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
La métamorphose est la propriété des corps qui ne se séparent jamais de leur enfance. À l’inverse, seulement un corps qui n’est plus capable de vivre son enfance – ou qui, en prévision de cela, a transféré cette expérience dans un autre corps en se reproduisant – cessera de se métamorphoser. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Jeunesse cesse et la vieillesse … sont des forces organiques et spirituelles qui cohabitent à tout instant dans la vie de tout individu. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
La jeunesse donc n’est pas un âge : c’est une force de rajeunissement (Verjüngung) qui est d’égale intensité que la force de vieillissement, même si elle y est opposée, et qui se manifeste tout au long de la vie de l’individu. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Le rajeunissement existe indépendamment de l’histoire et de la biographie des vivants, il est une force structurale qui anime les corps à tout moment. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Tous les êtres vivants éclosent et fabriquent l’enfance future, qui n’appartient pas seulement à eux, mais à la Terre entière. Le vivant lui-même, d’ailleurs, pourrait être considéré comme un processus de rajeunissement de la planète. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
L’histoire de la vie sur Terre est la tentative de rajeunir la planète – la destruction de son identité géologique. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Nous sommes habitués à penser la technique comme une conséquence du manque biologique de l’individu. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Selon Kapp, tout objet technique, tout instrument, n’est que la projection à l’extérieur du corps d’une structure organique dans une relation isomorphe parfaite. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Nous devrions apprendre à voir dans chaque objet technique un cocon qui permet cette transmutation : un ordinateur, un téléphone, un marteau, une bouteille ne sont pas simplement des extensions du corps humain – ce sont, au contraire, des maniements du monde qui rendent possible un changement de l’identité personnelle, du moins éthologique, si ce n’est sur le plan anatomique. Même un livre est un cocon qui permet de redessiner son propre esprit. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
La fleur est la preuve et la manifestation d’un principe de plasticité anatomique et somatique absolue : avoir un corps ne signifie plus exister sous une forme, mais avoir la puissance de traduire toute forme dans une autre. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Chacun de nous passera par tout. Nous sommes un même monde et une même substance. Les trous de notre auto-conscience et de notre mémoire ne sont que cela : l’émergence des autres « moi » dans notre esprit. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Les cocons sont partout. Ils n’attendent pas l’appel à la conversion ou à la révolution. À l’intérieur d’eux se construit sans cesse un futur méconnaissable et imprédictible qui a déjà obligé plusieurs fois chacun de nous, et tout ce qui nous entoure, à changer d’anatomie. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Très souvent, nous essayons de masquer ce qui s’y joue, nous faisons de cette expérience deprendre la vie d’un autre, quelque chose de différent de nous, une expérience esthétique supérieure, faite de saveurs, d’odeurs et de couleurs abstraites. Dans l’assiette, nous ne rencontrons plus un agneau, une tomate, une fraise, mais des qualités abstraites de goût, de couleur ou de matière tactile : l’idée d’acide, astringent, sucré, salé, liquide, solide, jaune, vert, brun ou rouge. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Ce profond sentiment de culpabilité s’exprime dans le débat sur le végétarisme : nous nous sentons tellement coupables du fait que notre vie implique la mort d’autres êtres vivants que nous préférons établir. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Limite arbitraire, une frontière artificielle entre les êtres vivants qui souffrent (les animaux) et ceux qui ne souffrent pas (les plantes) . Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Manger signifie transfuser la vie des autres dans notre corps. Peu importe qu’il soit mort, cuit, fumé ou desséché, nous avons besoin de corps vivants : ce que nous mangeons est toujours et seulement la vie. Manger, c’est fusionner deux vies en une seule. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
La vie va de corps en corps, d’espèce en espèce, sans jamais être pleinement satisfaite de la forme sous laquelle elle se trouve. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Manger n’est rien de plus que cela : la preuve qu’il n’y a qu’une seule vie, commune à tous les êtres vivants, apte à circuler entre corps et entre espèces. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
La politique de Gaïa n’est que cette construction quotidienne d’une chair commune à tous. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Les vivants, que chacun utilise, mais qui circule non seulement de lieu en lieu mais de corps en corps, d’individu en individu, d’espèce en espèce. Cette politique, que le langage religieux de l’Antiquité européenne et asiatique avait appelée transmigration, métempsycose ou réincarnation, est radicalement anti-domestique, et cela dans un double sens. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Aucune espèce ne peut se limiter à habiter son propre corps. Elle est obligée de rentrer dans la maison charnelle de l’autre, l’occuper, s’y intégrer, devenir le corps de l’autre, la chair d’autres espèces. Nous ne faisons que migrer, transmigrer ou, à l’inverse (dans le cas où nous sommes mangés par les autres), devenir la maison d’autres individus et d’autres espèces. Nous ne pouvons jamais rester seuls chez nous, à la maison. Nous ne pouvons jamais regarder le corps de l’autre comme sa maison. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Personne n’est jamais chez soi, surtout pas dans son propre corps. Voilà ce que nous enseigne l’alimentation. Personne sur Terre n’a une maison, non seulement nous n’avons pas de possessions, des choses qui nous appartiennent par nature ou par généalogie, mais tout doit être négocié, fait et refait sans cesse. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Plumwood estime que la crise écologique que nous vivons ne pourra être dépassée que si l’on arrive à admettre « l’égalité et la réciprocité dans le réseau alimentaire » . Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
La mort devient ainsi le prétexte pour soustraire notre corps du cycle de réciprocité que toute existence terrestre. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Les différents corps humains divisent la vie substantiellement : il y a autant de vies qu’il existe de corps. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
L’esprit, le souffle, « erre d’un lieu à l’autre et de celui-ci revient à l’origine, il occupe les corps que tu veux », rappelait encore Ovide : « Des bêtes il passe aux hommes et de nous aux bêtes, en aucun temps il meurt ; comme la cire facile prend de nouvelles figures, ne reste pas comme elle était, ne garde pas la même forme pourtant est la même, ainsi l’âme est toujours la même, je te le dis, elle migre dans des figures variées. » La résurrection chrétienne est une déformation de ce mythe que l’on retrouve aussi dans les écrits de Platon. Elle promet une seule réincarnation et non une série infinie. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Lorsque j’écoute attentivement un ami mon moi est sous occupation du moi des autres. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Tout ce qui vit le fait par métamorphose : une répétition transformative de ce qui l’a précédé. Rien de ce qui vit aujourd’hui en nous, tout en ayant derrière soi des infinités d’autres vies, n’a jamais vécu cette même vie. Le recyclage qu’impose la métamorphose au moindre bout de matière de ce monde est ce qui empêche toute forme de cycle, toute forme de retour de l’identique. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Au fond, l’écriture génétique – l’écriture de la réincarnation – nous permet de mieux comprendre ce que parler veut dire. Ce n’est pas la génétique qu’il faut aborder en suivant la métaphore linguistique, c’est plutôt l’inverse : la langue fait à l’esprit ce que les gènes font aux corps. Le mot divise un esprit dans des portions qui peuvent se réincarner partout séparément de tous ceux qui les accompagnaient ou l’ont accompagné. Toute conversation, tout acte de pensée, est un échange d’identité spirituelle, une mosaïque de personnalités et de petits moi qui viennent d’ailleurs et qui ne cessent de voyager. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
« métamorphose intergénérationnelle » . Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Phénomène naturel remarquable et jusqu’à présent inexplicable d’un animal produisant une progéniture qui ne ressemble à aucun moment à sa mère, mais qui, d’autre part, elle-même produit une progéniture qui revient dans sa forme et sa nature à la mère, de sorte que la mère animale ne rencontre sa ressemblance dans sa propre couvée mais dans sa descendance du deuxième, troisième ou quatrième degré de la génération » . Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Tout vivant n’est qu’un recyclage de son corps, un patchwork construit à partir d’une matière ancestrale. C’est grâce à nous et en chacun de nous qu’elle peut dire : « moi ». La vie de la planète est une immense et inarrêtable métamorphose. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Et ces arches ne cessent d’embrouiller les archives et les cartographies qui permettraient de décrire une histoire et une géographie claires du cosmos. Elles sont toujours en avance ou en retard, elles ne restent jamais sur place. À cause d’elles, impossible de synchroniser. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Impossible de supposer à l’histoire passée une importance supérieure au futur dans la définition de l’identité de tout être. À cause d’elles, impossible de distinguer notre enfance de celle du monde. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Cette ancienneté, cette vitalité, n’est pas qu’un atout. Elle est la marque et la substance de la fragilité de toute forme : tout ce qui existe porte en soi la nécessité de changer sa peau et son visage, est animé par une vie qui ne pourra jamais être contenue dans les limites qui la contiennent. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
 « L’écologie, écrit Haeckel, est la science de l’économie de la nature », la « physiologie des relations réciproques des organismes entre eux et avec leur environnement » . Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
« L’écologie est dans une large mesure la science des populations communautaires. » Sa question a été, depuis le début, la particularité de la sociabilité non humaine, mais cette sociabilité a toujours été calquée sur la maison humaine. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
La condition de possibilité de l’écologie est « la limitation des conditions d’existence des organismes, quelle que soit leur espèce » . Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
L’écologie est déjà, par son nom, une forme d’anti-totémisme qui doit prouver que tout chez le non-humain se structure comme l’unité sociale domestique de base chez les humains. Nous avons régulièrement tendance à projeter sur les plantes et les animaux notre propre expérience de la sociabilité. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Sans en être parfaitement consciente, dans sa structure générale, dans ses orientations, dans ses concepts fondamentaux, l’écologie a été une étrange invitation à imaginer les êtres vivants non humains aux frontières domiciliaires. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Dans sa tentative de questionner la relation entre les vivants, l’écologie a fini pour projeter en dehors des villes – sur les espaces soi-disant « sauvages » – un ordre très bourgeois, et très XIXe siècle, de la vie. On reste à la maison, il ne faut pas sortir, et l’espace est défini par les lois de la propriété et de la propreté. En essayant de sauvegarder le non-humain, l’écologie a été l’une des plus grandes agences d’anthropisation du monde et d’humanisation du non-humain. Le monde, grâce à elle, ressemble à un immense jardin Schreber où toute forme de vie respecte aimablement les frontières qu’on lui a imposées. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Selon Isaak Biberg, l’économie de la nature est « la très sage disposition des êtres naturels institués par le souverain créateur selon laquelle ceux-ci tendent à des fins communes et ont des fonctions réciproques » . Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
« Économie », en effet, doit être compris ici dans son sens ancien, soit celui de la science de la maison, de l’oikos, du domestique, par opposition à la science de la politique. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
(l’esclave défini par Aristote comme « instrument animé » . Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Du point de vue épistémologique, du moins, l’écologie et le capitalisme sont frères : ils appartiennent à la même famille et défendent des intérêts similaires. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
La transformation des espèces est un phénomène écologique, c’est-à-dire social. Le destin génétique et morphologique de chaque espèce n’est pas la conséquence d’équilibres purement chimiques ou géologiques, mais de phénomènes sociaux d’une forme très spécifique de socialité : la compétition et la guerre. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
G râce à la sélection naturelle que la génération mutuelle du vivant produit une utilité marginale, rend possible l’amélioration des espèces et permet de renforcer l’utilité des autres. La théorie darwinienne marque à la fois la dissolution et le triomphe de l’économie de la nature et de ses présupposés théologiques : tout, même et surtout la guerre et la compétition entre les individus et les espèces, a une fonction et contribue à créer un ordre intérieur. La guerre n’est qu’une astuce pour rendre la grande Maison plus puissante et plus forte. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
L’écologie est impossible, car rien ne pourra jamais rester sur place : toute association d’êtres vivants à un lieu ne peut jamais se penser par le prisme de l’autochtonie. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Pour socialiser, il faut migrer, changer de lieu et tranformer un lieu. Il est impossible de vivre, c’est-à-dire de rencontrer des vivants, sans voyager. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Tous les êtres vivants font de leur relation à l’espace un moyen de métamorphose de soi et du monde qu’ils habitent. S’installer dans un lieu signifie le transformer. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Une norme humaine et trop humaine tente, de diverses manières, de forcer les non-humains à adopter les formes sociales typiques des États du XIXe siècle aux frontières fermées. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Reconnaître la métamorphose de la Terre, c’est libérer les êtres vivants de cette étrange captivité : ils ne se limitent pas à habiter Gaïa, ils la portent dans leur ventre – ils l’emmènent avec eux, partout où ils vont. Ils n’habitent pas tel ou tel territoire, ils sont un sol qui ne cesse de changer sa géographie et sa texture. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
La coïncidence entre l’agriculture (et l’élevage) et la politique était encore évidente dans la tradition platonicienne (jusqu’à son renversement avec Nietzsche) ou dans la tradition biblique, où la politique était souvent comparée à l’attitude pastorale. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Être dans le monde signifie, pour chaque espèce, vivre dans l’espace conçu et construit par d’autres. Vivre signifie donc toujours occuper, envahir un espace étranger et négocier ce que pourrait être un espace partagé. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Chaque fois qu’une abeille, un chêne, une bactérie, change son environnement pour rendre sa propre vie possible, cette espèce change aussi celui des autres. Ainsi, l’architecture n’est pas seulement la relation active entre une espèce et le monde, mais la relation nécessaire entre elles. C’est en tant qu’architecte du monde que chaque espèce est en relation avec les autres. L’architecture n’est pas seulement une affaire humaine, ce n’est pas seulement un fait culturel, ce n’est même pas la relation entre une espèce et l’espace, une forme de vie et son monde. C’est le paradigme de la relation interspécifique. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Toute espèce trouve son esprit, son intelligence, sa faculté de penser toujours et exclusivement dans sa relation à d’autres espèces. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
L’intellect n’est pas une chose, c’est une relation. Il n’existe pas dans notre corps, mais dans la relation que notre corps établit avec beaucoup d’autres corps. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Ce que nous appelons esprit est toujours une association entre la vie de deux espèces. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Il faudrait, au contraire, imaginer que pour toute espèce, l’intellect est incarné dans une autre espèce. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Ce que nous appelons évolution n’est rien de plus qu’une sorte d’agriculture interspécifique généralisée, un croisement cosmique – qui n’est pas nécessairement destiné à l’utilité des uns et des autres. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Chacun de nous, comme tout vivant et toute espèce, est un élément d’une métamorphose collective. Un sol pour d’autres vivants et d’autres espèces. C’est en tant que sol des autres que nous avons une puissance d’agir. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Lorsque l’art s’est établi comme avant-garde, il a cessé de remplir une fonction esthétique. Il s’est libéré de la tâche de produire de la beauté, de décorer l’existant, de le mettre en harmonie. En se prétendant contemporain, c’est-à-dire en prétendant incarner une forme de temps et non une forme d’espace ou de matière, l’art est devenu une pratique collective de la divination du futur. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
L’art est l’espace dans lequel une société parvient à rendre visible ce qu’elle ne peut confesser, penser ou imaginer. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Pratique d’une métamorphose collective des espèces. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
La vie n’est pas quelque chose autour de nous mais quelque chose qui nous traverse de l’intérieur. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Il n’y a pas d’environnement – ni de vie environnante –, il y a seulement un flux, un continuum dont nous sommes l’acte de métamorphose. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Une même et seule vie qui nous anime n’arrête pas de modifier. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Les corps, d’exploiter la matière pour se changer d’habits, de ciseler différemment le corps de Gaïa. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Si toute espèce est intrinsèquement interspécifique, contrairement à ce que nous avons cru et répété pendant des siècles, toute connaissance et toute science, à chaque instant de son développement, à chaque latitude géographique et culturelle, est une forme de totémisme. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Le virus est la force qui permet à chaque corps de développer sa propre forme, comme s’il existait désincarné du corps, libéré, flottant, la pure puissance de métamorphose. Voilà ce qu’est l’avenir, une force de développement et de reproduction de la vie qui ne nous appartient pas, qui n’est pas une propriété exclusive d’un individu ni même commune et partagée, mais plutôt un pouvoir flottant à la surface de tous les autres corps. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
L’avenir est une maladie qui oblige les individus et les populations à se transformer. Une maladie qui nous empêche de penser notre identité comme quelque chose de stable, de définitif, de réel. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses









 Emmanuelle Coccia, Métamorphoses - T -, Boutiques Rivages


La vie de tout être vivant ne commence pas avec sa propre naissance : elle est beaucoup plus ancienne. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Si notre vie commence bien avant notre naissance, elle se termine bien après notre mort. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses.
Le fait d’avoir des yeux, des oreilles, des poumons, un nez, du sang chaud, nous le partageons avec des millions d’autres individus, avec des milliers d’autres espèces – et dans toutes ces formes, nous ne sommes que partiellement humains. Chaque espèce est la métamorphose de toutes celles qui l’ont précédée. Une même vie qui se bricole un nouveau corps et une nouvelle forme afin d’exister différemment. C’est la signification la plus profonde de la théorie darwinienne de l’évolution, celle que la biologie et le discours public ne veulent pas entendre : les espèces ne sont pas des substances, des entités réelles. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses.
Chaque moi est un véhicule pour la Terre, un navire qui permet à la planète de voyager sans se déplacer. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses.
La naissance n’est pas simplement l’émergence du nouveau, elle est aussi l’égarement du futur dans un passé sans limite. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses.
Naître se résume à cela : la preuve que nous ne sommes rien d’autre que la métamorphose, une petite modification d’une partie infime de la chair du monde. Mais la partie du corps de notre mère que nous avons incorporée au nôtre – ainsi que la partie apparemment plus petite de notre père – n’est qu’une étape dans une chaîne sans fin de transformations et d’incorporations. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Tous les vivants sont, d’une certaine manière, un même corps, une même vie et un même moi qui continue à passer de forme en forme, de sujet en sujet, d’existence en existence. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
On naît toujours dans un corps autre : c’est exactement cela qu’on appelle nature. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Naître c’est ajouter un maillon à la chaîne de transformation de la vie. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Être né.e.s signifie n’être rien d’autre qu’une reconfiguration, une métamorphose d’autre chose. Être né.e.s, c’est-à-dire être la nature, signifie devoir construire, bâtir, son propre. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Corps à partir de la Terre, à partir de toute la matière du monde disponible de cette planète dont nous sommes à la fois la modification et l’expression, l’articulation et le pli. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Tout ce que nous avons à faire est d’explorer la mémoire matérielle et spirituelle de notre corps. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Toute naissance est gémellaire : monde et sujet sont des jumeaux hétérozygotes, nés simultanément et incapables de se définir l’un sans l’autre. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Nous vivons dans une culture produite et dominée par ceux qui, par définition, n’ont jamais eu l’expérience de donner naissance aux autres : les mâles. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Ce noyau pré-individuel, pré-personnel et sans genre prédéfini est un laboratoire à la fois intime et universel, un espace-temps. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Métamorphose qui change la mère, l’enfant, l’espèce humaine et aussi la planète. Ce n’est pas la Terre qui couve et engendre les vivants, ce sont les vivants qui par leur gestation accouchent différemment de la Terre. Donner naissance signifie donc laisser passer la Terre dans son corps pour la porter ailleurs. Tout accouchement est une continuation de la tectonique des plaques, du mouvement qui permet à Gaïa de changer sa place. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
La théologie chrétienne a contribué à rendre impensable la naissance en la laissant sortir de tout cadre naturaliste, en arrivant à opposer naissance et nature, en la pensant comme miracle. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Si Dieu participe de la naissance, il devra s’incarner dans n’importe quel être naturel : un bœuf, un chêne, une fourmi, une bactérie, un virus. Si la naissance amène le salut, c’est dans n’importe quelle naissance, à n’importe quel moment, à n’importe quel endroit. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Toute naissance est à la fois une forme de divinisation, de transmission de la substance divine, mais aussi et surtout de métamorphose des dieux. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
« Nous ne pouvons admettre qu’une forme vivante est plus semblable à Dieu qu’une autre » : l’unité du vivant est la trace de la divinité. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Toute naissance est le processus de migration des dieux. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
« Ce que nous appelons hérédité n’est peut-être que le transfert à la descendance de la plus grande partie de la tâche. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Pénible de liquider les traumatismes. » Notre identité génétique « représente la somme des impressions traumatiques léguées par nos ancêtres et retransmises par les individus » : notre ADN est une collection d’« engrammes », de hiéroglyphes de toutes les batailles, et surtout les défaites, vécues par tous les vivants dont nous incarnons la volonté de rachat et de salut. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Nous sommes certes un morceau de ce monde, mais un morceau duquel nous avons dû changer la forme. Nous sommes une poignée d’atomes et de corps qui étaient – tous – déjà là et auxquels nous avons voulu, pu, dû, imposer une nouvelle direction, un nouveau destin, une nouvelle forme de vie. Nous sommes une métamorphose de cette planète. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
La métamorphose n’a jamais de terme. Le moi est toujours un différentiel. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Une hérédité exprime la possibilité de s’approprier et de modifier ce qui appartenait à autrui. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Dans le cœur de chaque être vivant, il y a une perspective sur toutes choses. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Tout objet technique est censé reproduire le sujet et sa volonté à l’extérieur de son corps : le monde devient donc une prolongation du moi. C’est l’exact inverse de ce qui arrive dans la métamorphose. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Si toute politique est la science de la diversité, c’est aux maîtres de la diversification qu’il faut demander comment vivre ensemble. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
La forme n’est jamais ce qu’on nous donne une fois pour toutes à la naissance, elle est ce que nous continuons à construire et à défaire à chaque instant de notre existence. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
La métamorphose serait simplement un mouvement de révélation, d’épanouissement paroxystique du vivant, au même titre que la floraison. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
« De très nombreux animaux naturels sont de véritables chimères. » . Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
La métamorphose existe parce que tout vivant se retrouve à passer, dans une même ligne de vie, par les expériences et les mondes les plus divers : elle est un couloir qui permet au vivant de ne pas être obligé de vivre plusieurs vies simultanément et aux deux de cohabiter sans se fondre entièrement. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Changer de forme – se métamorphoser – signifie toujours avoir la force de faire de son corps un œuf capable de créer et de véhiculer une nouvelle identité. Tout moi est un œuf – et nous sommes un moi seulement parce que nous gardons en nous cette puissance métamorphique dont tout œuf est l’expression. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
La métamorphose est tout d’abord cette puissance de tout vivant à couver en son sein cette capacité de faire varier la vie qui l’anime. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Est jeune toute vie où la forme reste l’objet d’un travail poétique, tout vivant qui ne peut pas se reconnaître entièrement dans la forme qui l’abrite. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
À travers la métamorphose, un corps se fait espace à habiter par des formes toujours étrangères. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
La métamorphose est la propriété des corps qui ne se séparent jamais de leur enfance. À l’inverse, seulement un corps qui n’est plus capable de vivre son enfance – ou qui, en prévision de cela, a transféré cette expérience dans un autre corps en se reproduisant – cessera de se métamorphoser. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Jeunesse cesse et la vieillesse … sont des forces organiques et spirituelles qui cohabitent à tout instant dans la vie de tout individu. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
La jeunesse donc n’est pas un âge : c’est une force de rajeunissement (Verjüngung) qui est d’égale intensité que la force de vieillissement, même si elle y est opposée, et qui se manifeste tout au long de la vie de l’individu. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Le rajeunissement existe indépendamment de l’histoire et de la biographie des vivants, il est une force structurale qui anime les corps à tout moment. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Tous les êtres vivants éclosent et fabriquent l’enfance future, qui n’appartient pas seulement à eux, mais à la Terre entière. Le vivant lui-même, d’ailleurs, pourrait être considéré comme un processus de rajeunissement de la planète. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
L’histoire de la vie sur Terre est la tentative de rajeunir la planète – la destruction de son identité géologique. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Nous sommes habitués à penser la technique comme une conséquence du manque biologique de l’individu. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Selon Kapp, tout objet technique, tout instrument, n’est que la projection à l’extérieur du corps d’une structure organique dans une relation isomorphe parfaite. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Nous devrions apprendre à voir dans chaque objet technique un cocon qui permet cette transmutation : un ordinateur, un téléphone, un marteau, une bouteille ne sont pas simplement des extensions du corps humain – ce sont, au contraire, des maniements du monde qui rendent possible un changement de l’identité personnelle, du moins éthologique, si ce n’est sur le plan anatomique. Même un livre est un cocon qui permet de redessiner son propre esprit. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
La fleur est la preuve et la manifestation d’un principe de plasticité anatomique et somatique absolue : avoir un corps ne signifie plus exister sous une forme, mais avoir la puissance de traduire toute forme dans une autre. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Chacun de nous passera par tout. Nous sommes un même monde et une même substance. Les trous de notre auto-conscience et de notre mémoire ne sont que cela : l’émergence des autres « moi » dans notre esprit. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Les cocons sont partout. Ils n’attendent pas l’appel à la conversion ou à la révolution. À l’intérieur d’eux se construit sans cesse un futur méconnaissable et imprédictible qui a déjà obligé plusieurs fois chacun de nous, et tout ce qui nous entoure, à changer d’anatomie. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Très souvent, nous essayons de masquer ce qui s’y joue, nous faisons de cette expérience deprendre la vie d’un autre, quelque chose de différent de nous, une expérience esthétique supérieure, faite de saveurs, d’odeurs et de couleurs abstraites. Dans l’assiette, nous ne rencontrons plus un agneau, une tomate, une fraise, mais des qualités abstraites de goût, de couleur ou de matière tactile : l’idée d’acide, astringent, sucré, salé, liquide, solide, jaune, vert, brun ou rouge. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Ce profond sentiment de culpabilité s’exprime dans le débat sur le végétarisme : nous nous sentons tellement coupables du fait que notre vie implique la mort d’autres êtres vivants que nous préférons établir. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Limite arbitraire, une frontière artificielle entre les êtres vivants qui souffrent (les animaux) et ceux qui ne souffrent pas (les plantes) . Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Manger signifie transfuser la vie des autres dans notre corps. Peu importe qu’il soit mort, cuit, fumé ou desséché, nous avons besoin de corps vivants : ce que nous mangeons est toujours et seulement la vie. Manger, c’est fusionner deux vies en une seule. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
La vie va de corps en corps, d’espèce en espèce, sans jamais être pleinement satisfaite de la forme sous laquelle elle se trouve. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Manger n’est rien de plus que cela : la preuve qu’il n’y a qu’une seule vie, commune à tous les êtres vivants, apte à circuler entre corps et entre espèces. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
La politique de Gaïa n’est que cette construction quotidienne d’une chair commune à tous. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Les vivants, que chacun utilise, mais qui circule non seulement de lieu en lieu mais de corps en corps, d’individu en individu, d’espèce en espèce. Cette politique, que le langage religieux de l’Antiquité européenne et asiatique avait appelée transmigration, métempsycose ou réincarnation, est radicalement anti-domestique, et cela dans un double sens. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Aucune espèce ne peut se limiter à habiter son propre corps. Elle est obligée de rentrer dans la maison charnelle de l’autre, l’occuper, s’y intégrer, devenir le corps de l’autre, la chair d’autres espèces. Nous ne faisons que migrer, transmigrer ou, à l’inverse (dans le cas où nous sommes mangés par les autres), devenir la maison d’autres individus et d’autres espèces. Nous ne pouvons jamais rester seuls chez nous, à la maison. Nous ne pouvons jamais regarder le corps de l’autre comme sa maison. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Personne n’est jamais chez soi, surtout pas dans son propre corps. Voilà ce que nous enseigne l’alimentation. Personne sur Terre n’a une maison, non seulement nous n’avons pas de possessions, des choses qui nous appartiennent par nature ou par généalogie, mais tout doit être négocié, fait et refait sans cesse. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Plumwood estime que la crise écologique que nous vivons ne pourra être dépassée que si l’on arrive à admettre « l’égalité et la réciprocité dans le réseau alimentaire » . Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
La mort devient ainsi le prétexte pour soustraire notre corps du cycle de réciprocité que toute existence terrestre. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Les différents corps humains divisent la vie substantiellement : il y a autant de vies qu’il existe de corps. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
L’esprit, le souffle, « erre d’un lieu à l’autre et de celui-ci revient à l’origine, il occupe les corps que tu veux », rappelait encore Ovide : « Des bêtes il passe aux hommes et de nous aux bêtes, en aucun temps il meurt ; comme la cire facile prend de nouvelles figures, ne reste pas comme elle était, ne garde pas la même forme pourtant est la même, ainsi l’âme est toujours la même, je te le dis, elle migre dans des figures variées. » La résurrection chrétienne est une déformation de ce mythe que l’on retrouve aussi dans les écrits de Platon. Elle promet une seule réincarnation et non une série infinie. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Lorsque j’écoute attentivement un ami mon moi est sous occupation du moi des autres. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Tout ce qui vit le fait par métamorphose : une répétition transformative de ce qui l’a précédé. Rien de ce qui vit aujourd’hui en nous, tout en ayant derrière soi des infinités d’autres vies, n’a jamais vécu cette même vie. Le recyclage qu’impose la métamorphose au moindre bout de matière de ce monde est ce qui empêche toute forme de cycle, toute forme de retour de l’identique. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Au fond, l’écriture génétique – l’écriture de la réincarnation – nous permet de mieux comprendre ce que parler veut dire. Ce n’est pas la génétique qu’il faut aborder en suivant la métaphore linguistique, c’est plutôt l’inverse : la langue fait à l’esprit ce que les gènes font aux corps. Le mot divise un esprit dans des portions qui peuvent se réincarner partout séparément de tous ceux qui les accompagnaient ou l’ont accompagné. Toute conversation, tout acte de pensée, est un échange d’identité spirituelle, une mosaïque de personnalités et de petits moi qui viennent d’ailleurs et qui ne cessent de voyager. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
« métamorphose intergénérationnelle » . Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Phénomène naturel remarquable et jusqu’à présent inexplicable d’un animal produisant une progéniture qui ne ressemble à aucun moment à sa mère, mais qui, d’autre part, elle-même produit une progéniture qui revient dans sa forme et sa nature à la mère, de sorte que la mère animale ne rencontre sa ressemblance dans sa propre couvée mais dans sa descendance du deuxième, troisième ou quatrième degré de la génération » . Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Tout vivant n’est qu’un recyclage de son corps, un patchwork construit à partir d’une matière ancestrale. C’est grâce à nous et en chacun de nous qu’elle peut dire : « moi ». La vie de la planète est une immense et inarrêtable métamorphose. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Et ces arches ne cessent d’embrouiller les archives et les cartographies qui permettraient de décrire une histoire et une géographie claires du cosmos. Elles sont toujours en avance ou en retard, elles ne restent jamais sur place. À cause d’elles, impossible de synchroniser. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Impossible de supposer à l’histoire passée une importance supérieure au futur dans la définition de l’identité de tout être. À cause d’elles, impossible de distinguer notre enfance de celle du monde. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Cette ancienneté, cette vitalité, n’est pas qu’un atout. Elle est la marque et la substance de la fragilité de toute forme : tout ce qui existe porte en soi la nécessité de changer sa peau et son visage, est animé par une vie qui ne pourra jamais être contenue dans les limites qui la contiennent. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
 « L’écologie, écrit Haeckel, est la science de l’économie de la nature », la « physiologie des relations réciproques des organismes entre eux et avec leur environnement » . Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
« L’écologie est dans une large mesure la science des populations communautaires. » Sa question a été, depuis le début, la particularité de la sociabilité non humaine, mais cette sociabilité a toujours été calquée sur la maison humaine. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
La condition de possibilité de l’écologie est « la limitation des conditions d’existence des organismes, quelle que soit leur espèce » . Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
L’écologie est déjà, par son nom, une forme d’anti-totémisme qui doit prouver que tout chez le non-humain se structure comme l’unité sociale domestique de base chez les humains. Nous avons régulièrement tendance à projeter sur les plantes et les animaux notre propre expérience de la sociabilité. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Sans en être parfaitement consciente, dans sa structure générale, dans ses orientations, dans ses concepts fondamentaux, l’écologie a été une étrange invitation à imaginer les êtres vivants non humains aux frontières domiciliaires. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Dans sa tentative de questionner la relation entre les vivants, l’écologie a fini pour projeter en dehors des villes – sur les espaces soi-disant « sauvages » – un ordre très bourgeois, et très XIXe siècle, de la vie. On reste à la maison, il ne faut pas sortir, et l’espace est défini par les lois de la propriété et de la propreté. En essayant de sauvegarder le non-humain, l’écologie a été l’une des plus grandes agences d’anthropisation du monde et d’humanisation du non-humain. Le monde, grâce à elle, ressemble à un immense jardin Schreber où toute forme de vie respecte aimablement les frontières qu’on lui a imposées. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Selon Isaak Biberg, l’économie de la nature est « la très sage disposition des êtres naturels institués par le souverain créateur selon laquelle ceux-ci tendent à des fins communes et ont des fonctions réciproques » . Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
« Économie », en effet, doit être compris ici dans son sens ancien, soit celui de la science de la maison, de l’oikos, du domestique, par opposition à la science de la politique. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
(l’esclave défini par Aristote comme « instrument animé » . Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Du point de vue épistémologique, du moins, l’écologie et le capitalisme sont frères : ils appartiennent à la même famille et défendent des intérêts similaires. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
La transformation des espèces est un phénomène écologique, c’est-à-dire social. Le destin génétique et morphologique de chaque espèce n’est pas la conséquence d’équilibres purement chimiques ou géologiques, mais de phénomènes sociaux d’une forme très spécifique de socialité : la compétition et la guerre. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
G râce à la sélection naturelle que la génération mutuelle du vivant produit une utilité marginale, rend possible l’amélioration des espèces et permet de renforcer l’utilité des autres. La théorie darwinienne marque à la fois la dissolution et le triomphe de l’économie de la nature et de ses présupposés théologiques : tout, même et surtout la guerre et la compétition entre les individus et les espèces, a une fonction et contribue à créer un ordre intérieur. La guerre n’est qu’une astuce pour rendre la grande Maison plus puissante et plus forte. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
L’écologie est impossible, car rien ne pourra jamais rester sur place : toute association d’êtres vivants à un lieu ne peut jamais se penser par le prisme de l’autochtonie. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Pour socialiser, il faut migrer, changer de lieu et tranformer un lieu. Il est impossible de vivre, c’est-à-dire de rencontrer des vivants, sans voyager. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Tous les êtres vivants font de leur relation à l’espace un moyen de métamorphose de soi et du monde qu’ils habitent. S’installer dans un lieu signifie le transformer. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Une norme humaine et trop humaine tente, de diverses manières, de forcer les non-humains à adopter les formes sociales typiques des États du XIXe siècle aux frontières fermées. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Reconnaître la métamorphose de la Terre, c’est libérer les êtres vivants de cette étrange captivité : ils ne se limitent pas à habiter Gaïa, ils la portent dans leur ventre – ils l’emmènent avec eux, partout où ils vont. Ils n’habitent pas tel ou tel territoire, ils sont un sol qui ne cesse de changer sa géographie et sa texture. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
La coïncidence entre l’agriculture (et l’élevage) et la politique était encore évidente dans la tradition platonicienne (jusqu’à son renversement avec Nietzsche) ou dans la tradition biblique, où la politique était souvent comparée à l’attitude pastorale. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Être dans le monde signifie, pour chaque espèce, vivre dans l’espace conçu et construit par d’autres. Vivre signifie donc toujours occuper, envahir un espace étranger et négocier ce que pourrait être un espace partagé. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Chaque fois qu’une abeille, un chêne, une bactérie, change son environnement pour rendre sa propre vie possible, cette espèce change aussi celui des autres. Ainsi, l’architecture n’est pas seulement la relation active entre une espèce et le monde, mais la relation nécessaire entre elles. C’est en tant qu’architecte du monde que chaque espèce est en relation avec les autres. L’architecture n’est pas seulement une affaire humaine, ce n’est pas seulement un fait culturel, ce n’est même pas la relation entre une espèce et l’espace, une forme de vie et son monde. C’est le paradigme de la relation interspécifique. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Toute espèce trouve son esprit, son intelligence, sa faculté de penser toujours et exclusivement dans sa relation à d’autres espèces. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
L’intellect n’est pas une chose, c’est une relation. Il n’existe pas dans notre corps, mais dans la relation que notre corps établit avec beaucoup d’autres corps. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Ce que nous appelons esprit est toujours une association entre la vie de deux espèces. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Il faudrait, au contraire, imaginer que pour toute espèce, l’intellect est incarné dans une autre espèce. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Ce que nous appelons évolution n’est rien de plus qu’une sorte d’agriculture interspécifique généralisée, un croisement cosmique – qui n’est pas nécessairement destiné à l’utilité des uns et des autres. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Chacun de nous, comme tout vivant et toute espèce, est un élément d’une métamorphose collective. Un sol pour d’autres vivants et d’autres espèces. C’est en tant que sol des autres que nous avons une puissance d’agir. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Lorsque l’art s’est établi comme avant-garde, il a cessé de remplir une fonction esthétique. Il s’est libéré de la tâche de produire de la beauté, de décorer l’existant, de le mettre en harmonie. En se prétendant contemporain, c’est-à-dire en prétendant incarner une forme de temps et non une forme d’espace ou de matière, l’art est devenu une pratique collective de la divination du futur. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
L’art est l’espace dans lequel une société parvient à rendre visible ce qu’elle ne peut confesser, penser ou imaginer. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Pratique d’une métamorphose collective des espèces. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
La vie n’est pas quelque chose autour de nous mais quelque chose qui nous traverse de l’intérieur. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Il n’y a pas d’environnement – ni de vie environnante –, il y a seulement un flux, un continuum dont nous sommes l’acte de métamorphose. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Une même et seule vie qui nous anime n’arrête pas de modifier. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Les corps, d’exploiter la matière pour se changer d’habits, de ciseler différemment le corps de Gaïa. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Si toute espèce est intrinsèquement interspécifique, contrairement à ce que nous avons cru et répété pendant des siècles, toute connaissance et toute science, à chaque instant de son développement, à chaque latitude géographique et culturelle, est une forme de totémisme. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
Le virus est la force qui permet à chaque corps de développer sa propre forme, comme s’il existait désincarné du corps, libéré, flottant, la pure puissance de métamorphose. Voilà ce qu’est l’avenir, une force de développement et de reproduction de la vie qui ne nous appartient pas, qui n’est pas une propriété exclusive d’un individu ni même commune et partagée, mais plutôt un pouvoir flottant à la surface de tous les autres corps. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses
L’avenir est une maladie qui oblige les individus et les populations à se transformer. Une maladie qui nous empêche de penser notre identité comme quelque chose de stable, de définitif, de réel. Emmanuelle Coccia, Métamorphoses