mercredi 23 juin 2021

L'Extinction de l'homme: - T - Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

 

L'Extinction de l'homme: - T - Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

 



 


Les antispécistes y tiennent : il ne faudrait pas dire « les animaux » mais « les animaux non humains », puisque l’homme serait un animal… comme un autre. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

Respecter l’animal, c’est juger que l’homme, par la place qu’il occupe au sein du vivant, est doté d’une responsabilité qui lui intime des devoirs ; libérer l’animal, c’est au contraire admettre que celui-ci dispose de droits. On peut donc, et distinguer ici le véganisme, qui est un mode de vie, et l’antispécisme qui est un courant intellectuel. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

Les gender studies à leurs débuts : elles n’ont concerné tout d’abord qu’un nombre restreint d’intellectuels, assez marginalisés y compris au sein de leur propre champ disciplinaire. Mais quarante ans plus tard, leur hégémonie est presque totale : tout le monde ou presque s’accorde malheureusement à penser que l’identité sexuelle n’est qu’une construction sociale, et l’on n’en débat plus vraiment – même les manuels scolaires l’enseignent. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

L’antispécisme est une véritable révolution2. Une révolution qui touche directement à l’idée que nous nous faisons de l’homme, et qui remet en cause la supériorité des intérêts humains sur ceux des autres animaux. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

Pour la science, l’homme est certes le plus intelligent des animaux mais il n’est qu’un animal comme un autre. Sauf qu’à l’inverse, il est rigoureusement impossible de démontrer que les antispécistes ont raison, car il n’est pas davantage possible de démontrer que l’homme est juste un animal. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

La biologie n’est pas la seule science qui ait quelque chose à dire au sujet de l’animal – et, surtout, de l’homme. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

Réduit à sa dimension biologique, il ne reste plus rien d’humain dans l’homme. C’est le grand danger de l’antispécisme : nous faire oublier qui nous sommes. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

La psychologie, la sociologie, l’histoire, la littérature, la philosophie, enseignent combien l’homme tient en réalité une place à part dans l’univers. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

l’antispécisme voue aux religions monothéistes, et en particulier à l’anthropologie judéo-chrétienne, une haine féroce) L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

Accepter qu’il existe des vérités que nous ne pouvons pas démontrer par la seule force d’un raisonnement logique peut paraître assez scandaleux aux yeux de beaucoup d’entre nous car nous sommes des esprits cartésiens. Nous faisons pourtant l’expérience quotidienne de telles vérités, certaines parmi les plus profondes de notre existence. L’amour qui unit deux êtres n’est jamais démontrable et aucun raisonnement L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

 « Tout croire ou tout nier » : c’est l’alternative, radicale, qu’Albert Camus nous laisse dans La Peste. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

Toutes nos certitudes ne sont pas des vérités établies par la raison : certaines sont plutôt le fruit d’une expérience. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

La science vient parfois ébranler notre expérience et nous révèle que les choses ne sont pas toujours telles que nous les sentons : ce n’est pas le Soleil qui tourne autour de la Terre, mais l’inverse. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

L’antispécisme plonge la pensée des hommes dans le néant, puisqu’il affirme que ni nos philosophies ni nos cultures ne sont suffisamment importantes pour constituer un éventuel « propre de l’homme ». L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

Pris au sérieux, l’antispécisme entend supprimer la frontière morale qui sépare l’espèce humaine des autres espèces. Cela revient à prêcher la fin de l’humanité – l’extinction de l’homme. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

absurde qu’une théorie conçue et propagée par des hommes puisse servir à notre propre destruction. Pourtant, depuis qu’il maîtrise l’arme nucléaire, l’homme est techniquement Capable d’effacer toute trace de vie humaine sur terre ; avec l’antispécisme, il vient d’acquérir à nouveau la faculté de se supprimer lui-même, mais cette fois par la pensée. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

En apparence ue pensée semble toujours inoffensive. Pourtant il n’en est rien : les idées, lorsqu’elles sont venimeuses, peuvent être des armes d’une dangerosité redoutable. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

Qu’il est impossible d’accorder la même valeur à la vie humaine et à la vie animale sans du même coup déprécier la première, c’est-à-dire sans animaliser l’homme. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

Notre humanité est bien fragile. Le vieillard le sait bien, qui, certes, a acquis une grande sagesse tout au long de sa vie d’homme, mais voit ses forces s’amenuiser et ses capacités disparaître peu à peu pour laisser place à une dépendance qu’aucun animal sauvage n’accepterait de subir. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

L’humanisme aussi, qui longtemps a garanti nos frontières d’avec le monde animal, est parvenu à l’âge de la sénilité. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

Séparation stricte entre l’humain et l’animal est aussi vieux que cette certitude elle-même. Celle-ci fut patiemment édifiée au cours des siècles, jusqu’à triompher avec l’âge d’or de l’humanisme ; elle était prospère encore au temps des Lumières, bien qu’affaiblie déjà, et désormais elle semble ne plus cesser de décliner, comme la lumière du jour décroît à mesure que le soleil a quitté son zénith. Et dans la pénombre contemporaine, le combat contre l’humanisme sent venir l’heure de sa victoire définitive. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

Légitimité de l’espèce humaine est plus que jamais menacée1, L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

L’ultime stade de l’affirmation humaine est selon lui un « humanisme exclusif », celui du positivisme scientifique né au XVIIIe siècle, qui consiste à placer l’homme au-dessus des autres êtres afin que tout rival soit exclu du piédestal sur lequel l’homme se hisse lui-même. Cette prouesse prométhéenne ne rabaisse plus seulement les animaux ou tous les êtres vivants non humains mais Dieu lui-même, comme l’énonce la formule de Karl Marx : « La conscience humaine est la divinité suprême, devant la face de laquelle il ne saurait y avoir aucune autre divinité. » L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

Désormais, l’humanité sera seule gardienne d’elle-même, lasse d’avoir trop longtemps confié la clé de ses remparts aux dieux qui la veillaient. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

L’homme comprend que s’il n’y a pas de Dieu (ou si l’homme est Dieu, mais cela ne revient-il pas au même ?), il devient dès lors très difficile de croire encore dans la supériorité de l’homme sur l’animal, dont Dieu s’était fait jusque-là le garant. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

La naissance du mot « humanisme » est concomitante à l’apparition de cet humanisme athée. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

Ceux qui se sont opposés au régime carnivore étaient presque toujours des penseurs « antisystème », au point que l’on peut se demander si, plus que la question de la viande en elle-même, ce n’est pas une critique plus générale du système de valeurs ou de la religion de leur temps qui a intéressé les végétariens. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

Pythagore croit dans la métempsychose, le passage de l’âme humaine dans un corps d’animal après la mort, ce qui le conduit à sacraliser la vie animale au même titre que celle des hommes puisque les âmes peuvent résider aussi bien dans des corps humains que dans des corps animaux8. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

Gandhi fait longuement référence à Salt pour rejeter tout végétarisme pensé exclusivement sur des arguments ayant trait à la santé : « Les fondements sur lesquels repose une association végétarienne, proclamant un principe végétarien, ne peuvent et ne doivent être que moraux18. » L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

Le végétarisme et par la suite les thèses antispécistes ont connu davantage de succès dans les pays protestants que catholiques). L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

Pour les déontologistes, une action est bonne si elle est conforme au devoir de celui qui l’accomplit ; pour les utilitaristes, elle est bonne si elle augmente le bonheur collectif (la somme des bonheurs de chaque individu). Les utilitaristes confondent donc le bien avec le bonheur, et même, parfois, avec le plaisir. On dit encore des utilitaristes qu’ils sont « conséquentialistes » : ce sont les conséquences d’une action qui les intéressent, plus que l’action en elle-même. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

L’utilitarisme refuse fermement d’admettre qu’il existe des principes moraux universels ou une quelconque loi de la nature. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

Qui se chargera de tirer la ligne de démarcation qui sépare les degrés divers de la vie animale, en commençant par l’homme, et descendant de proche en proche jusqu’à la plus humble créature capable de distinguer la souffrance de la jouissance ? La distinction sera-t-elle établie par la faculté de la raison ou celle de la parole ? L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

Que tant que le racisme était toléré dans le monde, une réflexion plus aboutie sur la libération des animaux était impossible25. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

Pas une égalité de traitement entre les animaux et les hommes (qui serait absurde puisque les animaux n’auraient que faire de la plupart de nos droits), mais une égalité de considération. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

La sentience n’est pas seulement la sensibilité, mais la capacité à avoir conscience des afflictions sensibles que l’on ressent. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

Cultural studies, un champ de recherches transdisciplinaires mêlant le regard de la sociologie, de l’anthropologie, de la philosophie, de la littérature et de l’étude des arts en général, pour interroger les représentations culturelles d’une société donnée. Ce courant né, dans les années 1960 au Royaume-Uni sous l’impulsion de Richard Hoggart, Raymond William et Stuart Hall, a suscité un vif intérêt en France, au point qu’on regroupe les travaux de philosophes comme Jacques Derrida, Gilles Deleuze ou Michel Foucault, dans les années 1970, sous le nom de French Theory. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

l’éthologie, qui prouvent l’existence plus ou moins développée de formes de conscience animale, est permis de se demander si son combat antispéciste n’est pas mû davantage par la recherche de l’acte transgressif en lui-même que par une adhésion au projet de libération animale. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

Combat commun contre l’essentialisme, c’est-à-dire, selon elles, le fait de recourir à l’idée de nature pour expliquer les différences culturelles entre individus.

Haraway : son idée est que nature et culture ne peuvent plus être séparées, car l’histoire commune des hommes et des animaux et la possibilité d’une tendresse réciproque rend cette distinction obsolète. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

Le philosophe français Jean-François Braunstein, qui a également eu le courage de la lire, note que pour Haraway, « le projet explicite n’est pas seulement celui d’une fusion mystique avec la nature, il est aussi celui d’une destruction de toute pensée objective et rationnelle42 ». L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

L’unité originelle du monde. En somme, la différenciation est une invention des hommes pour construire leur pensée, mais elle les pousse à commettre des injustices, qui ne peuvent être réparées qu’au moyen d’une déconstruction ou même d’une destruction méthodique de toutes ces prétendues distinctions. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

Les élus de la ville de Strasbourg ont ainsi pu assister à un débat surréaliste au conseil municipal de leur ville, le 21 septembre 2020, alors que, sous l’égide de la toute nouvelle maire (EELV) Jeanne Barseghian, les élus de la majorité écologiste décidaient de mettre en place une « mission d’information et d’évaluation pour la gestion du rat en ville et des animaux liminaires dans l’habitat ». L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

L’antispécisme ne naît pas du surgissement spontané d’une préoccupation envers les animaux, mais procède au contraire d’une progression continue de l’attention portée par nos sociétés aux catégories opprimées. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

Un jour viendra où la libération des animaux semblera tout aussi évidente que l’est désormais la libération des esclaves ou des femmes – autant de combats qui, jadis, n’allaient pas de soi et supposaient un engagement courageux. Cette référence est évidemment, pour l’antispécisme, un gage de légitimité : quiconque continuerait de penser que les discriminations « spécistes » sont légitimes se verrait du même coup suspecté de sexisme, de racisme et même d’esclavagisme. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

Saint Paul : « Il n’y a plus ni juif ni païen, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus l’homme et la femme1 », toutes les distinctions ne s’évanouissant plus dans l’union avec le Christ prêchée par l’apôtre, mais dans la lutte sociale et le renversement du maître par l’opprimé. Il n’y a plus ni animal ni homme ! s’écrient les antispécistes. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

L’accomplissement de la raison dans l’histoire doit tendre vers l’abolition des frontières morales, l’indistinction de tous les êtres dans une seule et même loi de justice et de paix. Avec l’antispécisme, il s’agit de vaincre l’ultime injustice, la barbarie suprême dont procéderaient toutes les autres. Car pour beaucoup de défenseurs des animaux, la cruauté dont nous faisons preuve à l’égard des bêtes est intimement semblable aux violences que nous infligeons aux autres hommes. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

L’antispécisme est le prolongement de ce cri. Il veut que cela finisse. Cela ? Non pas seulement la cruauté envers les animaux, mais la cruauté en elle-même. Guérir l’homme de la violence, une fois pour toutes. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

Moyennisation des sociétés rend obsolète la distinction entre bourgeoisie et prolétariat. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

La société n’est pas, ou n’est plus, fondée selon eux sur l’exploitation économique des ouvriers par les propriétaires capitalistes, mais sur des « hégémonies » au sens gramscien, c’est-à-dire des relations de pouvoir favorisant les intérêts des puissants (et notamment des mâles, des Blancs ou des hétérosexuels). L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

Aymeric Caron, qui a contribué à vulgariser les thèses antispécistes en France7, le clame haut et fort : « La protection animale est le marxisme du XXIe siècle8 » ! L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

Une bonne part de la gauche socialiste, comme l’a montré le philosophe français Jean-Claude Michéa, a abandonné la lutte des classes pour n’être plus qu’une « religion du progrès15 ». L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

Guérilla intellectuelle, qui vise notamment à s’emparer de l’université comme d’une place forte d’où partent ensuite tous les mouvements de conquête visant peu à peu à instaurer l’hégémonie des nouveaux credos professés par ces justiciers du XXIe siècle. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

L’urgence d’une libération des animaux : il suffit pour cela que les premiers voient dans les animaux des prolétaires, et que les seconds les considèrent comme des minorités. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

Libéralisme économique désormais hors de tout contrôle et qui a instigué un relativisme absolu quant à la nature de nos civilisations et des principes qui les fondent) est un puits sans fonds : la conquête des droits importe moins par ses résultats que par l’acte en lui-même, le mouvement continuel de lutte qui anime ses adeptes. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

L’histoire du progressisme rappelle la légende de saint Georges et du dragon. Après des siècles de désespoir et de superstition, saint Georges est revenu dans le monde aux environs du XVIe siècle, prenant cette fois les traits de la Raison moderne. Les premiers dragons qu’il affronta de sa lance furent d’abord le despotisme et l’intolérance religieuse. Puis, après avoir triomphé, il resta là un moment car d’autres problèmes requéraient son intervention, comme l’esclavage, les conditions de détention des prisonniers ou la misère sociale. Au XIXe siècle, sa lance ne trouva pas le repos : elle s’enfonça cette fois dans les écailles des privilèges insolents de l’aristocratie. Mais contrairement à saint Georges, le progressisme n’a pas su prendre sa retraite. Plus il triomphait et plus son rêve de dépouiller une fois pour toutes le monde de ses dragons l’obsédait, à tel point qu’il devenait incapable de s’arrêter de combattre. Il lui fallait des dragons. Les affronter était sa seule raison d’être, il avait besoin de nouvelles causes à défendre – les pauvres, les exploités, les peuples colonisés, discriminés ou sous-développés. Mais tel un guerrier sénile, il finit par perdre son souffle à force de pourchasser des dragons de plus en plus minuscules – car les vrais dragons, eux, étaient devenus très difficiles à terrasser. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

On en vient à vouloir « décoloniser les arts » au point d’interrompre une pièce d’Eschyle jouée à la Sorbonne, ou qu’au nom du féminisme on finit par promouvoir l’écriture inclusive, on combat davantage des lézards que des dragons. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

Sans combustible, la flamme progressiste s’éteindrait vite… La cause des animaux est pour certains de ses militants une aubaine : avec l’antispécisme, les guerriers de la justice sociale en ont pour au moins deux siècles de lutte. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

Inscrire la lutte pour la libération animale dans la continuité de ces autres mouvements de libération semble chez tous ces penseurs aller de soi. L’argument est pourtant pernicieux, car si l’on accepte cette filiation, alors on est contraint, soit de tout approuver d’un bloc et d’établir une équivalence absolue entre le féminisme (antisexisme), l’antiracisme et l’antispécisme ; soit de tout refuser et de ne pas seulement passer pour un complice des bouchers et des éleveurs, mais aussi un promoteur du patriarcat et de la ségrégation raciale, voire de l’esclavage. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

Le combat pour les animaux a pratiquement toujours été un combat mené par des urbains » L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

Se demander si la perte du contact avec la faune sauvage ou avec les animaux de ferme n’a pas contribué à changer le regard que leur portent nos sociétés urbanisées, les animaux étant davantage idéalisés aujourd’hui qu’autrefois. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

Une femme noire peut être doublement rejetée, à la fois parce qu’elle n’est pas un homme et parce qu’elle n’est pas blanche. Mais cette notion fut rapidement galvaudée par de nombreux militants pour en faire un appel à une « convergence » de toutes les luttes. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

La magie de la convergence des luttes est de permettre du même coup une disculpation et une convergence des détestations : la souffrance animale n’est pas le fait du groupe humain dans son ensemble, elle est seulement l’un des nombreux crimes commis par le même et éternel coupable : l’homme blanc hétérosexuel. Ce qui n’a pas échappé à l’œil avisé de Mathieu Bock-Côté : « C’est notre civilisation qui est d’abord et avant tout visée par cette mouvance. L’homme occidental ne cesse de trouver de nouvelles manières de s’accuser25 » écrivait-il dans Le Figaro. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

L’élevage comme un « holocauste » et même un « nolocauste », terme insistant sur le fait que, dans l’élevage, la naissance des animaux est programmée en vue de leur meurtre. Dans un déluge verbeux de néologismes et d’expressions douteuses, elle n’hésite pas à parler de « crime contre l’animalité ». L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

Antinazisme, antispécisme : même combat… Quant aux bouchers et aux éleveurs, la sentence est terrible : ils ne seraient ni plus ni moins que des SS, et un jour viendra peut-être où leurs « crimes » seront jugés par un nouveau tribunal de Nuremberg. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

Dès lors que l’on est antispéciste, toutes les formes de terrorisme animaliste se trouvent justifiées : s’il est vrai que le fait de tuer des animaux pour en faire de la viande est aussi moralement scandaleux que de commettre un génocide, tous les moyens semblent permis pour mettre un terme à cette barbarie, fussent-ils illégaux – puisqu’ils sont légitimes. Les violences commises contre les bouchers et les éleveurs, les incendies d’abattoirs… relèvent donc, du point de vue des antispécistes, d’une croisade menée au nom de la justice. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

 « Il ne faut pas renier l’intelligence. Elle est l’instrument de sa propre négation : elle s’affirme encore en se niant – et elle survit à son suicide. » L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

Nous vivons fort heureusement dans un monde où l’égalité de tous, sans distinction de race, de sexe ou de religion, n’est plus seulement un grand mot mais une réalité de plus en plus concrète. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

Peter Singer écrit aussi : « Nous mangeons de la chair animale bien avant de pouvoir comprendre que ce que nous mangeons est le corps mort d’un animal. Nous ne prenons donc jamais une décision consciente et éclairée de manger de la chair animale sans être soumis à l’influence qu’exerce toute habitude invétérée, renforcée par toutes les pressions qui poussent au conformisme social6. » L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

Tout comme les féministes dénoncent les représentations sexistes véhiculées par ces histoires de princesses, les antispécistes s’insurgent contre les fables qui donnent le mauvais rôle aux animaux. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

 

La déconstruction systématique des opinions communes aboutit à une impasse : en suivant cette méthode, nous en viendrions rapidement à devoir rendre compte de chacune de nos conceptions ou de nos représentations du monde. Ce serait à peine vivable ! L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

 

A trop vouloir dénigrer l’acte même de construction, nous pourrions un jour nous retrouver tout bonnement orphelins du monde, rendus incapables de l’habiter. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

Nous sommes des nains juchés sur des épaules de géants : si nous avons honte des géants qui nous ont précédés et du fait que nous descendons de leurs épaules, nous redeviendrons des nains. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

La suprématie de l’homme ne relève pas pour les antispécistes d’une loi de la nature mais d’une décision arbitraire des humains. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

 « Naître » : natus. Est naturel ce qui est donné dès le commencement de la vie : voilà une définition dont nous pourrons nous satisfaire dans un premier temps, avant de l’affiner à la lumière de distinctions. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

L’antispécisme propose d’abolir cette distinction en établissant que la nature et la culture doivent être de nouveau réunies, et qu’il faut se départir de tout le surplus que notre culture ajoute à la nature et qui ne sert qu’à l’enrégimenter aux intérêts humains. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

Le positivisme moderne, soucieux d’arracher l’homme à toute détermination extérieure à lui-même, a refusé de considérer qu’il peut exister au-dessus de l’homme un « plus haut » que lui, qu’il s’agisse de Dieu ou de la nature. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

L’origine de l’homme n’est pas l’homme lui-même. Il existait quelque chose avant l’homme : celui-ci est donc dépassé au moins par le mystère insondable de son apparition sur la Terre. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

L’antispécisme a beau jeu de se présenter sous les traits d’un nouvel universalisme, plus prestigieux encore que le précédent, puisque plus inclusif : en déconstruisant méthodiquement notre nature commune, il fait planer au-dessus de nos têtes la menace d’un écroulement définitif des acquis les plus précieux de la civilisation humaine. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

 

Une critique du récit judéo-chrétien : dans la Genèse, Yahvé donne à l’homme le pouvoir de nommer les animaux. L’homme s’est ainsi octroyé le monopole du langage (Derrida soutient que les animaux aussi ont un langage, mais que nous nous refusons à les écouter) ; ce faisant, l’homme devient seul à même de produire du récit, ce que Derrida appelle l’« autobiographie ». L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

 

Comment sera-t-il possible encore de dire quelque chose du monde ? Quel discours subsistera ? La philosophie, la littérature, l’art ont-ils encore leur place dans un système gouverné par un projet si radical de déconstruction ? L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

C’est humaniser l’homme, le dépouiller de son animalité, le situer à part au sein du monde des vivants. Le seul geste créatif qui reste admis est celui qui produit du néant. Le nihilisme n’est plus une option, comme il l’était encore chez Camus, mais une injonction. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

En voulant déconstruire les fondements de l’anthropologie, la philosophie a scié la branche sur laquelle elle était assise. C’est une pensée qui se délégitime elle-même – une automutilation. Le philosophe antispéciste, s’il est cohérent, ne peut qu’en venir à détester la philosophie et à se détester lui-même. Ce faisant, il aboutira à démontrer son propre postulat, puisque l’homme, devenu incapable de conceptualiser le monde, se dépossède de ce que les hommes détiennent en propre, et que n’ont pas les animaux, cette faculté à définir les choses et non pas simplement à les regarder. Il aura donc bel et bien rompu la digue qui étanchéifiait le monde des hommes de celui des animaux, non pas en élevant l’animal jusqu’à l’homme, mais en rabaissant l’homme jusqu’à l’animal. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

 

De la chair animée par un souffle de vie, voilà bien ce que nous sommes tous, humains et animaux ; produits certainement par une même histoire évolutive qui a peu à peu différencié les espèces, mais qui laisse encore 98,77 % de parenté génétique entre les humains et les chimpanzés. Tous pareils. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

Est autant une certitude qu’un défi : l’éveil philosophique commence au moment où l’homme se demande ce qu’il a en plus de l’animal. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

L’émerveillement de l’homme devant la nature est encore un réflexe spéciste, une forme d’appropriation et de mise en récit spécifiquement humaines… L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

Les personnes qui adoptent un régime entièrement végan  (dont les vertus nutritionnelles sont largement contestées, certains médecins n’hésitant pas à dire que ce régime alimentaire favorise les risques pour la santé, comme récemment le docteur Édouard Pélissier8) sont pratiquement obligées de se complémenter en vitamine B12, une molécule nécessaire à l’organisme dont la plupart des végans sont carencés s’ils ne se fournissent pas auprès des laboratoires qui la synthétisent. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

Effort conjoint de la technologie et de l’idéologie, de renouveler le genre humain et même le vivant tout entier. De le forcer à devenir meilleur, coûte que coûte… L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

 

L’idée même que l’accomplissement moral de l’humanité soit tributaire de ses compétences techniques nous paraît insupportable, et contraire à notre vision de l’éthique, L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

L’homme moderne, c’est-à-dire l’homme des droits de l’homme, est un homme vidé de sa substance pour n’être ramené qu’à une enveloppe formelle : celle de son individualité, qui le rend sujet de droits. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

L’homme fut jadis bien plus qu’un simple individu, et voilà peut-être ce que, tout à notre euphorie d’avoir construit l’individu moderne, réceptacle de la noble aspiration de nos sociétés à plus d’égalité et de justice, nous avons un peu trop vite oublié. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

Force est de constater qu’en supprimant toute idée de Dieu, l’homme a sans doute moins cherché à l’éliminer qu’à le remplacer, et que cette illimitation de ses prétentions lui donne sans doute trop hâtivement le sentiment que son emprise bienfaisante sur l’univers pourrait être illimitée – comme devait l’être celle de Dieu. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

Ce surhomme, qui se rêve en rédempteur du monde, devient si peu définissable que les contours de sa propre humanité finissent bien vite par s’estomper et laisser la voie à un parfait flottement anthropologique. L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

On peut très bien envisager l’émergence d’une humanité techniquement réformée, réanimalisée, déshominisée, où le désir ne sera plus, comme chez les bêtes, que périodique et utilitaire, et où n’entrera plus que minimalement, dans les luttes sexuelles, la question du prestige – liée aux temps historiques. Ainsi sera résolue toute cette affaire. Fin du corps sexué. Fin de l’Histoire. Fin des contradictions. Fin des conflits. Fin de la distinction entre animal et humain. Retour de la Culture au bercail de la Nature. Fin du roman. Fin, en douceur, des hasards de la séduction. Bien des gens s’emploient actuellement à nous rapprocher de cet idéal. Ces bons apôtres n’ont pas besoin de la science : il leur suffit de réclamer l’abolition de la différence abusive des sexes, génératrice d’injustices et de positions de pouvoir, au nom de l’égalité : qui oserait se dire contre ? L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

Subsiste encore est celui de la lutte postmarxiste pour l’illimitation des droits L'Extinction de l'homme: Le projet fou des antispécistes Paul Sugy

 

La feuille de paye et le caddie, - T – Lionel Fontagné, Sciences Po

 

La feuille de paye et le caddie, - T – Lionel Fontagné, Sciences Po



 

Tension perceptible dans l’opinion publique entre appétence pour la mondialisation et inquiétude devant la montée des inégalités et des menaces qu’elle fait peser sur l’emploi. La mondialisation a offert plus d’opportunités, de variété et des prix plus bas, tout en exacerbant la valorisation des compétences et l’adaptabilité. La feuille de paye et le caddie, Lionel Fontagné

Seulement 42 % des Français jugent la mondialisation positive ; 75 % pensent qu’elle accroît les inégalités ; 59 % y voient une menace pour les emplois et les entreprises. La feuille de paye et le caddie, Lionel Fontagné

La mondialisation a d’autres dimensions susceptibles d’affecter l’opinion des citoyens : migrations, circulation des idées, homogénéisation des modes de vie, impact sur l’environnement. La feuille de paye et le caddie, Lionel Fontagné

Moins gagner que son voisin, est-ce déjà perdre ? La feuille de paye et le caddie, Lionel Fontagné

L’évolution respective des prix des biens contenus dans le panier de consommation et des salaires détermine in fine les gains ou pertes de pouvoir d’achat. La feuille de paye et le caddie, Lionel Fontagné

La « fatigue de la mondialisation » vient de ce que l’on n’a pas su, ou voulu, redistribuer vers les perdants : redistribuer les revenus mais surtout « redistribuer les cartes », c’est-à-dire offrir une formation complémentaire, un socle de connaissances, de nouvelles possibilités grâce à des compétences moins spécifiques. Cette « fatigue » a fait passer au second plan du débat public les bénéfices, diffus mais réels, de la mondialisation. La feuille de paye et le caddie, Lionel Fontagné

 

En France : les villes concentrent les entreprises les plus productives ; les entreprises les plus productives exportent ; les gains de la mondialisation sont donc concentrés dans les villes. La feuille de paye et le caddie, Lionel Fontagné

La thématique des inégalités territoriales occupe une place grandissante dans les mouvements sociaux et a pris à contrepied à la fois les partis politiques et les corps intermédiaires. La feuille de paye et le caddie, Lionel Fontagné

L’impact de la mondialisation, là où il est perçu négativement, renforce l’identification à un groupe social (la « white working class ») et accroît du même coup la demande de protection par des élus au programme plus clivant La feuille de paye et le caddie, Lionel Fontagné

Les ménages américains s’endetteraient pour financer un excès de consommation de produits importés, excès qui serait lui-même financé par l’épargne étrangère : La feuille de paye et le caddie, Lionel Fontagné

Le développement d’internet a réduit à quasiment zéro le coût de transmission de consignes : la gestion en temps réel de la complexité d’un bout à l’autre du globe n’est plus limitée que par les différences de fuseaux horaires. Cela a entraîné une modification en profondeur de l’organisation des entreprises et des délocalisations de fonctions non stratégiques La feuille de paye et le caddie, Lionel Fontagné

Les entreprises ont moins besoin de certaines catégories de salariés et plus d’autres catégories, et ce à salaire donné. Les salaires ne sont donc pas en cause, mais des évolutions extérieures au marché du travail, comme la mondialisation ou le progrès technique. La feuille de paye et le caddie, Lionel Fontagné

Les deux faces de la mondialisation : d’importants gains de pouvoir d’achat pour le consommateur, mais un moindre besoin des entreprises en salariés dotés de compétences spécifiques dans les secteurs concurrencés par les importations. La feuille de paye et le caddie, Lionel Fontagné

La France est chaque année relativement plus petite dans un monde toujours plus grand, et qui grandit plus fortement du côté des pays à bas salaires vis-à-vis desquels les frictions aux échanges ont été fortement réduites. La feuille de paye et le caddie, Lionel Fontagné

Gu point de vue de l’impact sur les salaires, ce qui compte est moins les produits que l’on importe que le travail qu’ils contiennent et les tâches que ce travail a nécessitées. La feuille de paye et le caddie, Lionel Fontagné

Les salaires sont-ils déterminés d’abord par la qualification, les tâches et l’effort, ou par la géographie La feuille de paye et le caddie, Lionel Fontagné

Les gagnants de la mondialisation gagnent deux fois avec la mondialisation : leur salaire augmente parce que le métier qu’ils exercent est plus demandé et parce que l’indice des prix à la consommation baisse (même à salaire inchangé, on peut acheter plus de biens et services). La feuille de paye et le caddie, Lionel Fontagné

Les perdants de la mondialisation perdent en salaire : ils doivent accepter un emploi moins rémunérateur, généralement dans les services, car leur métier, caractérisé par des tâches répétitives et codifiables, a été remplacé par des machines ou transféré dans des usines délocalisées ; et même s’ils bénéficient eux aussi de la baisse des prix, il est probable que cela ne suffira pas à compenser leurs pertes de salaire. La feuille de paye et le caddie, Lionel Fontagné

Gains et pertes, les premiers compensant ou non les secondes selon la localisation dans l’espace et la spécificité des compétences des salariés. Nous comprenons mieux désormais la « fatigue de la mondialisation ». La feuille de paye et le caddie, Lionel Fontagné

On obtient une différence de coût du caddie d’au minimum 100 euros par ménage et par mois en 2010 si l’on remplace les produits français par des produits fabriqués dans les pays à bas salaires, à marges constantes des distributeurs. La feuille de paye et le caddie, Lionel Fontagné

En cas de retour à l’autarcie, les pertes de pouvoir d’achat seraient quatre fois plus élevées pour les consommateurs français situés dans la tranche des 10 % des plus bas revenus que pour ceux appartenant à la tranche des 10 % des plus hauts revenus La feuille de paye et le caddie, Lionel Fontagné

Ce n’est pas la mondialisation mais le progrès technique qui est responsable de la dégradation de la situation relative des « cols bleus », c’est-à-dire des ouvriers non qualifiés, aux États-Unis. La feuille de paye et le caddie, Lionel Fontagné

Les importations à bas prix libèrent du pouvoir d’achat qui peut être utilisé pour partie pour acheter des services généralement produits en France26. Avec les économies réalisées sur vos chemises, vous allez dîner plus souvent au restaurant. La feuille de paye et le caddie, Lionel Fontagné

Apparaît que quitter un emploi industriel pour se réorienter vers les services entraîne une perte conséquente de salaire réel (de 12 à 17 %, en tenant compte de la baisse du prix du caddie). Ces pertes sont concentrées sur les salariés échangeant des tâches routinières dans l’industrie contre des tâches routinières dans les services (quittant par exemple une chaîne d’assemblage de General Motors pour un emploi de cariste chez Walmart) : pour ces salariés subissant un déclassement social, le gain de pouvoir d’achat lié aux importations ne compense pas les pertes de revenu. Ce sont eux les vrais perdants de la mondialisation aux États-Unis. La feuille de paye et le caddie, Lionel Fontagné

Les pertes d’emplois touchent particulièrement les salariés effectuant des tâches routinières, localisés dans des zones d’emploi spécialisées dans les activités fortement concurrencées par les pays à bas salaires. Ces impacts négatifs locaux ont pour contrepartie un gain pour le consommateur, qui profite de la baisse des prix des biens importés : la mondialisation a des circonstances atténuantes. La feuille de paye et le caddie, Lionel Fontagné

Ce n’est pas tant la mondialisation qui doit être accusée que les politiques publiques n’ayant pas su en redistribuer les bénéfices vers les perdants. La feuille de paye et le caddie, Lionel Fontagné

La « fatigue de la mondialisation », thématique porteuse politiquement tant les pertes induites par la mondialisation sont concentrées et les gains diffus. La feuille de paye et le caddie, Lionel Fontagné

 

 

vendredi 4 juin 2021

Critique de la Raison pure, - T – Emmanuel Kant

 

Critique de la Raison pure, - T – Emmanuel Kant



 


 

Ce n’est pas étendre les sciences, mais les dénaturer, que de confondre leurs limites. Or celles de la logique sont déterminées de la manière la plus exacte par cela seul qu’elle est une science qui expose en détail et démontre rigoureusement les règles formelles de toute pensée (que cette pensée soit à priori ou empirique, qu’elle ait telle ou telle origine et tel ou tel objet, et qu’elle rencontre dans notre esprit des obstacles accidentels ou naturels). Critique de la Raison pure, Emmanuel Kant

 

 

Dépenser inconsidérément son revenu, sans pouvoir discerner ensuite, lorsqu’on se trouve dans l’embarras, quelle partie des recettes peut supporter la dépense et sur quelle partie il faut la restreindre. Critique de la Raison pure, Emmanuel Kant

 

Aucune connaissance ne précède donc en nous, dans le temps, l’expérience, et toutes commencent avec elle. Critique de la Raison pure, Emmanuel Kant

 

Si donc on conçoit un jugement comme rigoureusement universel, c’est-à-dire comme repoussant toute exception, c’est que ce jugement n’est point dérivé de l’expérience, mais que sa valeur est absolument à priori. Critique de la Raison pure, Emmanuel Kant

 

Ces problèmes inévitables{1089} de la raison pure sont Dieu, la liberté et l’immortalité. Critique de la Raison pure, Emmanuel Kant

 

Une partie de ces connaissances, les connaissances mathématiques, sont depuis longtemps en possession de la certitude, et font espérer le même succès pour les autres, quoique celles-ci soient peut-être d’une nature toute différente. Critique de la Raison pure, Emmanuel Kant

 

Notre penchant à étendre nos connaissances ne connaît plus de bornes. La colombe légère, qui, dans son libre vol, [53]fend l’air dont elle sent la résistance, pourrait s’imaginer qu’elle volerait bien mieux encore dans le vide. C’est ainsi que Platon, quittant le monde sensible, qui renferme l’intelligence dans de si étroites limites, se hasarda, sur les ailes des idées, dans les espaces vides de l’entendement pur. Il ne s’apercevait pas que, malgré tous ses efforts, il ne faisait aucun chemin, parce qu’il n’avait pas de point d’appui où il pût appliquer ses forces pour changer l’entendement de place. Critique de la Raison pure, Emmanuel Kant

 

Une grande partie, et peut-être la plus grande partie de l’œuvre de notre raison, consiste dans l’analyse des concepts que nous avons déjà des objets. Critique de la Raison pure, Emmanuel Kant

 

C’est ainsi qu’une sorte de métaphysique se forme réellement chez tous les hommes, dès que leur raison est assez mûre pour s’élever à la spéculation ; cette métaphysique-là a toujours existé et existera toujours. Il y a donc lieu de poser ici cette question : comment la métaphysique est-elle possible à titre de disposition naturelle ? c’est-à-dire comment naissent de la nature de l’intelligence humaine en général ces questions que la raison pure s’adresse et que ses propres besoins la poussent à résoudre aussi bien qu’elle le peut ? Critique de la Raison pure, Emmanuel Kant

 

Comment la métaphysique est-elle possible à titre de science ? Critique de la Raison pure, Emmanuel Kant

 

La [68]raison est la faculté qui nous fournit les principes de la connaissance à priori. La raison pure est donc celle qui contient les principes au moyen desquels nous connaissons quelque chose absolument à priori. Critique de la Raison pure, Emmanuel Kant

 

C’est donc au moyen de la sensibilité que les objets nous sont donnés, et elle seule [74]nous fournit des intuitions ; mais c’est par l’entendement qu’ils sont pensés, et c’est de lui que sortent les concepts{1107}. Critique de la Raison pure, Emmanuel Kant

 

L’espace n’est autre chose que la forme de tous les phénomènes des sens extérieurs, c’est-à-dire la seule condition subjective de la sensibilité sous laquelle soit possible pour nous une intuition extérieure. Critique de la Raison pure, Emmanuel Kant

 

Ce que nous nommons objets extérieurs consiste dans de simples représentations de notre sensibilité. Critique de la Raison pure, Emmanuel Kant

 

Le temps n’est pas un concept empirique ou qui dérive de quelque expérience. En effet, la simultanéité ou la succession ne tomberaient pas elles-mêmes sous [86]notre perception, si la représentation du temps ne lui servait à priori de fondement. Critique de la Raison pure, Emmanuel Kant

 

Le temps n’est autre chose que la forme du sens interne, c’est-à-dire de l’intuition de nous-mêmes et de notre état intérieur. En effet, il ne peut être une détermination des phénomènes extérieurs : il n’appartient ni à la figure, ni à la position, etc.; mais il détermine lui-même le rapport des représentations dans notre état intérieur. Critique de la Raison pure, Emmanuel Kant

 

Le temps n’est donc autre chose qu’une condition subjective de notre (humaine) intuition (laquelle est toujours sensible, c’est-à-dire ne se produit qu’autant que nous sommes affectés par des objets) ; en lui-même, en dehors du sujet, il n’est rien. Critique de la Raison pure, Emmanuel Kant

 

Cette théorie qui attribue au temps une réalité empirique, mais qui lui refuse la réalité absolue et transcendentale. Critique de la Raison pure, Emmanuel Kant

 

Si l’on retranche de cette intuition la condition particulière de notre sensibilité, alors le concept du temps disparaît aussi, car il n’est point inhérent aux choses mêmes, mais seulement au sujet qui les perçoit. Critique de la Raison pure, Emmanuel Kant

 

Le phénomène doit toujours être envisagé sous deux points de vue : l’un, où l’objet est considéré en lui-même (indépendamment de la manière dont nous l’apercevons, mais où par cela même sa nature reste toujours pour nous [94]problématique) ; l’autre, où l’on a égard à la forme de l’intuition de cet objet, laquelle doit être cherchée dans le sujet auquel l’objet apparaît, non dans l’objet lui-même, mais n’en appartient pas moins réellement et nécessairement au phénomène qui manifeste cet objet{1122}. Critique de la Raison pure, Emmanuel Kant

 

Or, dans l’espace considéré en soi, il n’y a rien de mobile ; il faut donc que le mobile soit quelque chose que l’expérience seule peut trouver dans l’espace, par conséquent une donnée empirique{1124}. L’esthétique transcendentale ne saurait non plus compter parmi des données à priori le concept du changement, car ce n’est pas le temps lui-même qui change, mais quelque chose qui est dans le temps. Critique de la Raison pure, Emmanuel Kant

 

Toutes nos intuitions ne sont autre chose que des représentations de phénomènes. Critique de la Raison pure, Emmanuel Kant

 

Quand même nous pourrions porter notre intuition à son plus haut degré de clarté, nous n’en ferions point un pas de plus vers la connaissance de la nature même des objets. Car en tous cas nous ne connaîtrions parfaitement que notre mode d’intuition, c’est-à-dire notre sensibilité, toujours soumise aux conditions d’espace et de temps originairement inhérentes au sujet ; quant à savoir ce que sont les objets en soi, c’est ce qui nous est impossible même avec la connaissance la plus claire de leurs phénomènes, seule chose qui nous soit donnée. Critique de la Raison pure, Emmanuel Kant

 

Peut être, comme représentation, antérieur à tout acte de penser quelque chose, est l’intuition. Critique de la Raison pure, Emmanuel Kant

 

Notre connaissance dérive de deux sources, dont la première est la capacité de recevoir des représentations (la réceptivité des impressions), et la seconde, la faculté de connaître un objet au moyen de ces représentations (la spontanéité des concepts). Par la première un objet nous est donné ; par la seconde, il est pensé dans son rapport à cette représentation (considérée comme simple détermination de l’esprit). . Critique de la Raison pure, Emmanuel Kant

 

Intuition et concepts, tels sont donc les éléments de toute notre connaissance, de telle [111]sorte que ni les concepts sans une intuition qui leur corresponde de quelque manière, ni l’intuition sans les concepts ne peuvent fournir une connaissance. . Critique de la Raison pure, Emmanuel Kant

 

La sensation est la matière de la connaissance sensible. L’intuition pure ne contient que la forme sous laquelle quelque chose est perçu ; et le concept pur, que la forme de la pensée d’un objet en général. Les intuitions et les concepts purs ne sont possibles qu’à priori ; les empiriques ne le sont qu’à posteriori. . Critique de la Raison pure, Emmanuel Kant

 

Sans la sensibilité, nul objet ne nous serait donné ; sans l’entendement, nul ne serait pensé. Des pensées sans matière sont vides ; des intuitions sans concepts sont aveugles. Aussi est-il tout aussi nécessaire de rendre sensibles les concepts (c’est-à-dire d’y joindre un objet donné dans l’intuition), que de rendre intelligibles les intuitions (c’est-à-dire de les ramener à des concepts). . Critique de la Raison pure, Emmanuel Kant

 

L’entendement ne peut rien percevoir, ni les sens [112]rien penser. La connaissance ne peut résulter que de leur union. . Critique de la Raison pure, Emmanuel Kant

 

Comme logique pure, elle n’a point de principes empiriques ; par conséquent (bien qu’on se persuade parfois le contraire) elle ne tire rien de la psychologie, qui ne saurait avoir aucune influence sur le canon de l’entendement. Elle est une doctrine démontrée, et tout y doit être parfaitement certain à priori. . Critique de la Raison pure, Emmanuel Kant

 

La morale pure, qui contient uniquement les lois morales nécessaires d’une volonté libre en général, et l’éthique{1141} proprement dite qui examine ces lois par rapport aux obstacles qu’elles rencontrent dans les sentiments, les inclinations et les passions auxquelles les hommes sont plus ou moins soumis. . Critique de la Raison pure, Emmanuel Kant

 

La vérité est l’accord de la connaissance avec son objet, . Critique de la Raison pure, Emmanuel Kant

La dialectique, qu’elle n’était autre chose pour eux que la logique de l’apparence. C’était en effet un art sophistique dont on se servait pour donner à son ignorance ou même à ses artifices calculés{1143} la couleur de la vérité, de manière à imiter cette méthode de solidité{1144} que prescrit la logique en général et à en mettre la topique à contribution pour faire passer les plus vaines allégations.

Mais, comme il est très-attrayant de se servir de ces connaissances et de ces principes purs de l’entendement sans tenir compte de l’expérience, ou même en sortant des limites de l’expérience, qui seule peut nous fournir la matière (les objets) où s’appliquent ces concepts purs, l’esprit court le risque de faire, à l’aide de vains raisonnements, un usage matériel des principes simplement formels de l’entendement pur, et de prononcer indistinctement sur des objets qui ne nous sont pas donnés et qui peut-être ne peuvent l’être d’aucune manière. . Critique de la Raison pure, Emmanuel Kant


Strauss, - T - Gérald Sfez, Les Belles Lettres

 

Strauss, - T - Gérald Sfez, Les Belles Lettres

 



 

Approche philosophique personnelle : celle de l’étude des relations entre la philosophie rationnelle et le judaïsme de la Loi. Strauss, Gérald Sfez

 

Réflexion croisée entre hellénisme et judaïsme éclairé. Sa réflexion le conduit à une étude comparée des deux pôles de la civilisation au sens large que représentent Athènes et Jérusalem et de leur valeur universelle. Strauss, Gérald Sfez

C’est la religion elle-même qui fait la profondeur du judaïsme et qui a permis aux Juifs de se conserver comme peuple juif de façon à survivre à toutes les persécutions2. Strauss, Gérald Sfez

Je reste fidèle aux Juifs quel qu’en soit le prix. Mais comme le dirait Aristote, juif a de nombreux sens4. Ce sentiment de double appartenance au monde grec et au monde juif fait tout l’intérêt d’une pensée paradoxale en ce qu’elle conjugue une profession de foi orthodoxe et une profession de foi athée. Strauss, Gérald Sfez

Est classique celui qui voit les choses directement, sans référence à un passé dont on se revendique ou que l’on dénonce, indépendamment du rapport à une tradition. Ainsi, le mérite des Anciens n’est pas seulement de nous avoir transmis un héritage dont nous leur sommes redevables, il est aussi d’avoir pensé les choses hors de toute histoire ou, pour ainsi dire, avant l’histoire, et, par là, « avec une fraîcheur et une netteté qui n’ont jamais été égalées », ce qui leur confère cette « noble simplicité » et cette « grandeur tranquille » Strauss, Gérald Sfez

Penser à l’épreuve et à la lumière des Anciens revient à penser en se mettant à l’écoute historique de leur legs tout en se ressaisissant de l’attitude libre qui fut la leur à l’égard de la dimension historique. Strauss, Gérald Sfez

Le dogme des dogmes, le point d’origine de la pensée des Lumières, celui qui tient et organise tout le réseau des concepts et tous les enchaînements des arguments modernes, réside dans le verdict ‒ dissimulé ou à peine évoqué tant la cause paraît entendue ‒ que les Lumières modernes ont prononcé contre le point de vue de la foi en la Révélation. Comme le soulignait Lessing, le verdict a tranché en faveur de la raison sans qu’il y ait eu pour autant de victoire philosophique réelle1, au point que le problème paraît à tous définitivement réglé, comme si la grande controverse entre les Lumières et l’orthodoxie était une question d’un autre âge, une affaire classée. Strauss, Gérald Sfez

Les Lumières modernes ont imposé un nouveau monde, un nouveau contexte d’idées. Leur cible fondamentale était la foi en la création du monde, la foi dans les miracles de la Bible, et par-dessus tout, la foi en la transcendance de la Loi révélée au Sinaï, opposée à la volonté autonome de l’homme et à sa volonté de toute-puissance. Strauss, Gérald Sfez

Avec le refus de la Loi, le sens de l’obéissance morale et politique à une justice inconditionnelle a été perdue, parce qu’on l’a confondue avec la servilité envers un Maître dominateur et despotique. Strauss, Gérald Sfez

Refusé l’idée d’une transcendance de la Loi, tout en cherchant à en garder l’essentiel : leur valeur symbolique. Strauss, Gérald Sfez

Le choix des Lumières modernes, radicales, les seules Lumières modernes, au fond, avait été, non le choix de la raison, mais celui de l’athéisme. Strauss, Gérald Sfez

Préjugé que les Lumières ont instauré. Il y a préjugé parce que la victoire du point de vue des Lumières sur celui de la Révélation n’a pas eu lieu sur le plan d’une argumentation rationnelle. Selon Strauss, les hommes des Lumières le savaient parfaitement, au point que les hommes d’aujourd’hui sont bien davantage enferrés dans le préjugé des Lumières que ne le furent les hommes des Lumières eux-mêmes. Strauss, Gérald Sfez

Les hommes des Lumières ont en effet usé d’une tout autre arme que la raison : la raillerie. Strauss, Gérald Sfez

Le but sous-jacent à leur revendication d’une victoire par la raison était en réalité d’affirmer l’autosuffisance de l’homme, de sa maîtrise sur le monde. Strauss, Gérald Sfez

Le parti des Lumières, en repoussant les bornes imposées par la nature, n’est pas parvenu à aller vers toujours plus de liberté. Strauss, Gérald Sfez

Nous restons sous le charme de la façon de penser propre aux Lumières, quelque démenti que puissent y apporter les faits de la raison théorique et pratique. Strauss, Gérald Sfez

Les Lumières ne laissent pas d’autre choix que celui d’un athéisme à découvert. Strauss, Gérald Sfez

les Lumières modernes ont usé de deux procédés conjoints. Le premier a été de ne retenir de l’orthodoxie que les énoncés les plus extrêmes, d’identifier par la raillerie orthodoxie et superstition. Le second a été de voler à l’adversaire sa prétendue « radicalité », de s’en approprier la posture, en en faisant une valeur essentielle, une fois laïcisée, des Lumières modernes elles-mêmes. Strauss, Gérald Sfez

L’attitude radicale est de placer à l’origine ce qui est à l’extrême pour en faire le principe général qui explique le tout. Strauss, Gérald Sfez

L’histoire des Lumières, à leur propre devenir. En faire l’histoire, c’est saisir comment l’opération de radicalisation connaît un avenir sans fin, qui nous porte bien au-delà de l’aspiration première des Lumières modernes. Strauss, Gérald Sfez

L’ancien concept de nature, d’ordre de la nature avait une vérité « en soi ». Il reconnaissait une réalité effective à la loi de la nature. Il reposait sur une coïncidence entre l’être et le devoir-être du cosmos, entre l’idée d’une vérité de l’être et l’idée de la valeur morale de cet être. Au contraire, l’être, tel que le comprend la science moderne de la nature est privé de tout lien avec le devoir-être : l’idée biblique de la Loi ne peut pas plus trouver d’expression dans la loi scientifique, dans l’établissement d’un rapport constant entre des phénomènes variables, que la vie bonne ne peut se dire une vie conforme à la nature. Strauss, Gérald Sfez

L’idéal des Lumières se réduisait à l’idée que l’homme est autonome, et sa culture avec lui, en ce qu’elle est délivrée de toute nature. Strauss, Gérald Sfez

L’athéisme qui rejette la croyance en Dieu par conscience. Strauss, Gérald Sfez

Le dogmatisme de cet athéisme sans phrase s’oppose de toutes ses forces à ce que l’on revienne sur les pas des Lumières ; il transforme l’erreur en errance. Strauss, Gérald Sfez

La raison a une limite et que certaines connaissances intuitives du « monde supérieur » ne sont accessibles qu’aux prophètes et refusée aux philosophes. Strauss, Gérald Sfez

Définition de la Loi juive : en son sens formel, le caractère transcendant de la Loi désigne la transcendance inconditionnelle du partage entre le bien et le mal, le souci suprême d’exigence de justice qui l’emporte sur tout autre. C’est là un sens, plus essentiel, de la souveraineté de la Loi : souveraine, la loi l’est ici, en tant qu’elle pose la suprématie de la justice sur toute autre considération et qu’elle en indique seulement la direction. Strauss, Gérald Sfez

La parole de la Loi requiert une interprétation, tâche impartie à la philosophie. Strauss, Gérald Sfez

Les prophètes ont la faculté de connaître intuitivement, de manière immédiate, sans s’appuyer sur des syllogismes et des preuves. Parce qu’ils saisissent les choses de façon incorporelle, ils peuvent recourir à l’imagination. Ce n’est pas que Dieu les dote d’une imagination différente de celle des autres hommes, mais il lève le voile qu’il pose chez les autres hommes sur un libre usage de l’imagination. Strauss, Gérald Sfez

Alors que le philosophe est seulement mû par l’intellect, le prophète a une imagination selon l’intellect, son imagination reçoit l’influence de l’intellect agent. Strauss, Gérald Sfez

Le fil directeur de l’objectivité du religieux est la reconnaissance de la Loi comme référent ultime. La référence à la Loi caractérise la religion révélée et représente le cœur des monothéismes. C’est précisément à ce titre que Strauss pense la proximité de la religion juive avec la religion musulmane, et non avec le christianisme. Strauss, Gérald Sfez

La Révélation, telle que l’entendaient juifs et musulmans, a plus le caractère d’une Loi (torah, shari’a) que celui d’une Foi16 », écrit Strauss. La Révélation, pour le juif, et collatéralement pour le musulman, est une Révélation de la loi qui déclasse la foi. Strauss, Gérald Sfez

L’idée de la loi divine comme d’une loi une et totale qui est en même temps loi religieuse, loi civile et loi morale17. Strauss, Gérald Sfez

« Une loi, écrit Strauss, pour être vraiment “égale”, ne doit pas être purement humaine. »21 Elle corrige l’inégalité naturelle des hommes entre eux, tant sur le plan des qualités du corps que sur celles de l’âme, en les conduisant tous, selon un ordre échelonné, à leur point d’équilibre intérieur, l’excellence du juste milieu, suppléant au défaut des uns et modérant les excès des autres22. Strauss, Gérald Sfez

l’État, même le plus libéral, ne peut organiser la société qu’en fonction de l’opinion du grand nombre peu éclairé. Quant à l’opinion éclairée qui fait face à l’État, elle peut et doit certes s’étendre, mais jusqu’à un certain point seulement, car, mal comprise, elle est dévastatrice. Strauss, Gérald Sfez

S’il est vrai que l’opinion, à l’opposé de la vérité, est l’élément de la société, le chercheur de vérité doit entrer en résistance contre la tyrannie de l’opinion, sans pouvoir s’engager ni dans une guerre frontale ni dans une divulgation imprudente de la vérité en faisant fond sur l’éducation. Strauss, Gérald Sfez

Le vrai texte est un texte absent et fait l’objet d’un non-lieu. Il ne fait signe qu’à l’idée virtuelle du Tout, et s’accorde avec le fait que l’on ne peut dire la sagesse, on ne peut que l’exercer. Strauss, Gérald Sfez

La modernité a fait porter ses coups contre le droit naturel antique. Le droit naturel moderne qui fonde notre société comprend comme rupture avec le droit naturel classique. Strauss, Gérald Sfez

Le relativisme des « cultures » a pris la place du relativisme des « opinions », à ceci près que ces opinions collectives sont par là même solidifiées et légitimées, au point que la question de la vérité semble ne plus se poser. Strauss, Gérald Sfez

Notre manière de penser serait toujours l’expression du monde culturel et historique où elle s’inscrit. Strauss, Gérald Sfez

Sous le coup de sa propre thèse : si toute vérité est relative à l’époque où elle s’énonce, la vérité de l’historicisme l’est aussi ; il est daté historiquement et n’a donc aucune valeur pérenne. Strauss, Gérald Sfez

L’historicisme est ainsi voué à être déclassé et périmé dans l’avenir. Strauss, Gérald Sfez

L’histoire est le règne du passage d’un monde de pensée imprévisible à un autre monde de pensée tout aussi imprévisible, passage dont rien ne garantit qu’il soit un progrès. Strauss, Gérald Sfez

Toutes les visions sa valent en droit puisqu’elles dépendent toutes de la relativité de coordonnées spatio-temporelles. Strauss, Gérald Sfez

Le contexte qui décide de ma manière de penser et que je n’ai donc d’autre alternative que de consentir au destin de mon espace-temps ou de le refuser. Strauss, Gérald Sfez

Tendanciellement, le relativisme incline à penser que « tout se vaut » et qu’il n’existe pas d’étalon permettant d’évaluer une société et le droit qui est le sien. L’attention à la diversité des cultures a paradoxalement fourni un nouveau motif à ce relativisme. Le courant dominant moderne des sciences sociales soutient qu’il n’est plus d’autre idéal que celui qu’on adopte, que toutes les sociétés ont leur idéal et que les principes des unes sont tout aussi défendables que ceux des autres. Il s’ensuit que chaque société ayant son idéal, il n’est plus possible de critiquer les exactions patentes que l’on trouve en l’une ou l’autre, puisqu’elles feraient corps avec cet idéal et participeraient de son système symbolique. L’exclusion du droit naturel signifie qu’on s’interdit de juger d’autres sociétés, sous prétexte qu’on le ferait selon un idéal et un réseau symbolique autres que les leurs. Symétriquement, s’il n’y a pas d’étalon supérieur à celui adopté par chaque société, nous ne pouvons prendre aucun recul par rapport à la nôtre, nous ne pouvons pas la juger. Nous suivons le mouvement de notre société sans plus de distance, ce qui fait que notre idéal change au gré des changements de physionomie qui l’affectent. Ce relativisme, qui prétend être une école de tolérance, conduit à des attitudes rigoureusement contraires : si chaque culture vaut pour elle-même, le suspens de toute norme universelle l’autorise d’autant plus à être crispée sur ses propres valeurs et à exclure celles des autres sociétés. L’affirmation du relativisme des valeurs s’avère bien moins tolérante que ne l’est l’exigence d’universalité. Tout se vaut. De là à penser que « rien ne vaut », il n’y a qu’un pas que le nihilisme franchit bien vite, en reconnaissant le caractère insuffisant du relativisme lui-même. À vouloir détacher l’homme de toute idée d’une nature donnée et d’une universalité possible des normes, à force de le claquemurer chez lui, on lui fait perdre son humanité. L’historicisme atteint, selon Strauss, son point culminant dans le nihilisme. La tentative pour que l’homme soit absolument chez lui aboutit à ce qu’il perde absolument tout « chez soi ». Ce faisant, l’homme est entré dans un processus de dé-civilisation. La thèse culturaliste d’une diversité irréductible des valeurs culturelles a pour résultat la destitution de la civilisation, le rejet des principes qui la constituent en tant que telle. Ainsi la science et la morale se trouvent elles-mêmes interprétées en termes de particularismes fanatiques, de cultures rivales, de nations ou de « races ». Strauss établit de la sorte un lien entre le relativisme et son retournement en fanatisme, comme il établit un lien entre le relativisme des valeurs culturelles et leurs conversions en différences incommensurables. Strauss, Gérald Sfez

La disposition d’esprit du Moderne : il s’est accoutumé à la dérogation de la règle au point d’en faire la règle, habitué à la transgression de la loi au point d’en faire la loi. Le jugement politique ne pose alors plus de problème moral, l’art politique n’a plus à s’interroger sur la différence entre la pluralité des cas rencontrés. Le Moderne tire parti de l’aporie qui est un fait d’exception pour discréditer toute légitimité morale et politique. C’est là une perversion de la raison et une facilité que se donne l’acteur politique : gouverner, ce n’est plus qu’entériner le fait de l’extrême comme ce à quoi il faut se résigner. Sous ce mode, il n’y a plus d’acte politique risqué. Strauss, Gérald Sfez

La modernité se constitue à la fois dans une révision à la baisse des idéaux humains et dans une réévaluation à la hausse du pouvoir technique de l’homme. Strauss, Gérald Sfez

L’économisme est le machiavélisme parvenu à maturité40. Strauss, Gérald Sfez

 

On ne se réfère plus à la vertu comme à une fin naturelle de l’homme en tant que perfection de sa nature. Rousseau entérine la critique de la raison, accorde les pleins pouvoirs à la passion : il fait de l’affect l’instance pour juger de la corruption de la raison, et de la pitié, la ressource de la morale ? Strauss, Gérald Sfez

La base même de la pensée politique de Rousseau est dès lors une dévaluation des idéaux. Si la pitié est une donnée fondamentale de la relation à l’autre qui s’accorde avec la conservation de soi, la morale qui en découle est restrictive. Elle substitue à la maxime sublime de justice raisonnée « Fais à autrui comme tu veux qu’on te fasse », cette autre maxime de bonté naturelle, bien moins parfaite mais plus utile peut-être que la précédente : « Fais ton bien avec le moindre mal d’autrui qu’il est possible » On ne saurait trouver meilleur exemple de révision à la baisse des devoirs envers autrui et d’inversion du sens de l’équité. À la différence de la pensée classique, la correction de la justice ne consiste pas dans le fait de prendre moins que son dû, mais bien au contraire dans celui de prendre plus que son dû, tout en laissant une part à l’autre. Strauss, Gérald Sfez

Tous les idéaux sont les produits d’actes créateurs de l’homme, de projets humains qui ont formé l’horizon dans lequel les cultures ont été possibles sans synthèse entre elles. Strauss, Gérald Sfez

La vie bonne ne consiste plus dans la conformité à un modèle antérieur à la volonté humaine mais dans la génération du modèle lui-même. Strauss, Gérald Sfez

La volonté de toute-puissance est l’impasse absolue à laquelle conduit l’ère des valeurs. Encore une fois, c’est en voulant faire un pas contre la modernité antérieure que le penseur s’enfonce dans le gouffre de la modernité. Strauss, Gérald Sfez

Rousseau, lui, ouvre la voie au jacobinisme, et, bien que Nietzsche se soit déclaré comme un adversaire résolu du mouvement pangermaniste et du nationalisme allemand montant, l’implication politique de cette troisième vague s’est révélée être le fascisme44. Comment penser la relation entre modernité philosophique et modernité politique ? Nullement selon le mode d’un rapport de cause à conséquence, mais selon la reconnaissance d’une parenté diffuse qui n’en a pas moins été active. Strauss déclare souvent que Nietzsche ne cesse de se démarquer de l’orientation fasciste et qu’on ne peut la lui imputer, mais qu’en même temps, sa pensée n’en est pas absolument indemne. En interprétant Nietzsche à la lumière de la révolution allemande nazie, écrit Strauss, « on est très injuste envers Nietzsche, mais on n’est pas absolument injuste45. » De même, pour Rousseau. À leur propos, Strauss porte un jugement équilibré sur la question en écrivant :  « [Nietzsche] est aussi peu responsable du fascisme que Rousseau n’est responsable du jacobinisme. Cependant, cela signifie qu’il est autant responsable du fascisme que Rousseau l’a été du jacobinisme46. » La formule mérite d’être entendue dans toute son équivoque. Strauss, Gérald Sfez

Montée en puissance de la « discrimination », la faiblesse de l’idéal des Lumières modernes pour s’y opposer, signe de l’impasse générale de la modernité. Strauss, Gérald Sfez

La sphère privée est protégée par la loi, mais la loi ne peut y pénétrer2. L’État du moindre État s’interdit toute « discrimination ». Le paradoxe est que ce qui met à l’abri d’un pouvoir tyrannique de l’État rend possible la tyrannie que la société exerce envers telle ou telle de ses propres fractions. L’État libéral ne peut la réprimer pour la raison même qu’il s’interdit toute intervention sur la société. Dès lors, reconnaître une sphère privée et une indépendance de la sphère sociale à l’égard de l’État conduit à admettre la « discrimination » privée, à la protéger, voire à l’encourager de fait. Strauss, Gérald Sfez

Dans sa version dégradée, la souveraineté de l’individu n’exige d’autre conscience que de soi seul et de ses propres besoins. Les individus n’ayant pas de comptes à rendre, ils sont tous également irresponsables. Ainsi, alors que le noyau de la démocratie libérale est l’individu doté de conscience, le noyau de l’égalitarisme permissif est seulement l’individu satisfaisant ses besoins pressants6. L’aboutissement moderne de la démocratie libérale en est à la fois la perversion et le déclin, l’entrée dans un autre monde politique. Autant la démocratie libérale stricto sensu implique un sens du devoir et le sacrifice de ses besoins, voire de sa vie, pour des valeurs de liberté et de justice, autant sa combinaison avec un relativisme des valeurs poussé jusqu’au bout donne à une modernité dénuée de tout courage la victoire sur la démocratie elle-même. Strauss, Gérald Sfez

En enseignant l’égalité stricte de tous les désirs, le relativisme nie qu’il existe des « valeurs » intrinsèquement nobles ou intrinsèquement basses, et contribue par là à la victoire de ce qu’il y a de plus bas7. Strauss, Gérald Sfez

Les choses peuvent en arriver au point où le démocratisme ne peut rien trouver à objecter à ceux qui demandent l’abandon de la démocratie libérale. Strauss, Gérald Sfez

Le combat contre l’« antisémitisme » est, dès lors, nécessairement défensif et mal engagé. Il empêche de voir la haine envers les juifs dans sa nudité, mais aussi de reconnaître l’importance qu’ont la référence religieuse, l’histoire juive (qui ne se réduit pas à l’histoire d’une persécution) et le judaïsme spirituel. Strauss, Gérald Sfez

Transformation future de l’État moderne en un État d’autant plus autoritaire qu’il est celui du peuple ou de sa majorité, sans qu’il n’y ait plus d’instance de recours, comme cela pouvait être le cas dans les États despotiques anciens. Il n’est plus d’intercesseur possible dans un État qui se prévaut de la légitimité du demos et qui est l’expression de la démocratie de masse. Strauss, Gérald Sfez

Strauss est d’abord un adversaire du libéralisme. Il en critique la « neutralité » qui revêt, selon lui, deux aspects liés. L’un consiste dans la détermination libérale des rapports entre État et société et dans la neutralisation libérale du religieux, consécutive à sa séparation du politique. L’autre tient à ce que, dans un ordre politique et social fondé sur la diversité des « cultures », le choix délibéré en faveur d’une morale à valeur universelle, au détriment des autres, perd son sens. Sur ces deux bords, le politique est affaibli et l’inspiration morale de la politique effacée. Strauss, Gérald Sfez

Fondamentalement eudémoniste, le libéralisme encourage la croyance en l’idée selon laquelle la bonne société et l’équilibre intérieur sont fonction du bien-être et non de la valeur morale des hommes qui la composent. Strauss, Gérald Sfez

Le libéralisme démocratique accorde une confiance imaginaire aux institutions juridiques et économiques, en ignorant le rôle essentiel joué par les qualités morales des hommes dans ce qu’ils en font, en n’accordant pas assez d’importance à la formation du caractère moral, qui est pourtant le facteur politique essentiel. Strauss, Gérald Sfez

Mettre en cause notre confiance dans la démocratie représentative. Cette dernière postule que le gouvernement démocratique est responsable devant les gouvernés et, qu’en retour, les gouvernés sont responsables devant les gouvernants. Mais, en fait, nul n’a de véritable autorité car la responsabilité y est bien faible, puisqu’en l’absence d’éducation, les gouvernants tiennent leur légitimité du fait d’être responsables devant des irresponsables et du consentement de ces derniers. Par suite, ils ne sont légitimés dans leur action politique qu’à la condition d’aligner leur action sur les désirs de citoyens irresponsables. En prenant l’individu pour référent ultime, le libéralisme exacerbe le sentiment de la souveraineté de l’homme. Fondamentalement opposé au tracé de limites restreignant le pouvoir de chacun comme celui de l’homme en général, et à toute reconnaissance d’une hétéronomie du bien et du mal, le libéralisme démocratique est une illusion sans héroïsme. Strauss, Gérald Sfez

Défendre la démocratie moderne, même si la démocratie de masse expose l’excellence humaine à des périls. C’est par une culture de l’éducation libérale la plus largement diffusée possible ou encore, selon ses mots, d’un « aristocratisme élargi », qu’on peut le faire, parce que la démocratie de masse ‒ à l’exemple de la démocratie antique et prémoderne ‒ donne à tous la liberté, et la donne donc aussi à ceux qui se soucient de l’excellence. Strauss, Gérald Sfez

Modernité qui dévalue l’horizon et élève le moindre mal à la fonction d’idéal. Strauss, Gérald Sfez

Fémocratie moderne et tyrannie moderne, le fond qui leur est commun et qui revêt deux aspects : la domination croissante de la popularisation, le crédit accordé au pouvoir technique des conditions sur la conscience des hommes. Strauss, Gérald Sfez

Socrate nommait ses enquêtes morales une quête du « véritable art politique » et Aristote appelait son examen de la vertu et des sujets qui lui sont relatifs « un genre de science politique »28. La politique moderne procède à l’effacement d’une valeur transcendante du bien et du mal. Le régime préférable de la politique moderne, qui donne le ton, celui de l’État de droit et de la démocratie libérale, est articulé à la valeur rectrice, non de la recherche du meilleur, mais du moindre mal ; elle incarne le refus des « régimes » autoritaires que sont, en fait, les tyrannies modernes. Strauss, Gérald Sfez

Ce n’est pas sur des lois ayant pour origine le peuple et sur l’autonomie de la volonté populaire que se fonde la politique légitime, mais sur la relation d’aspiration et de respect envers la transcendance. Strauss, Gérald Sfez

Nous sommes placés devant l’alternative entre particularisme et universalisme35 ? Nous nous trouvons face, au mieux, à des formes politiques qui proposent un ordre des choses, tournées vers des valeurs spécifiques (la tolérance pour la société libérale36, l’égalité pour la démocratie37), ce qui correspond à un des deux aspects de la notion de régime, tout en perdant de vue son autre aspect, la visée de l’au-delà de « ce qui est à nous »38, l’exigence d’être partisans de l’excellence. Au pire, nous sommes confrontés au projet de faire coïncider le gouvernement politique et l’universalité de l’homme bon à l’échelle mondiale, suivant un projet universaliste aussi impossible que destructeur, engageant des hégémonies indiscutables et perdant de vue l’idée même de moralité publique spécifique. Strauss se demande en l’occurrence si le particularisme n’est pas meilleur que l’universalisme. Strauss, Gérald Sfez

Est dite « close » une société qui ne vise pas à s’élargir à l’ensemble de l’humanité, à s’étendre jusqu’à se dissoudre dans un État mondialisé ou universel, qu’il soit monolithique ou fédéral42. C’est une société partielle ou particulière43 qui a des frontières44 et, de préférence, un État souverain pour la régir45. Fidèle à Aristote, et même à Rousseau, Strauss pense qu’une société politique ne doit être ni trop étroite ni trop large pour que l’homme atteigne sa perfection46. C’est l’ouverture comme mot d’ordre et comme panacée qu’il conteste, de même que l’idée selon laquelle le monde entier devrait devenir démocratique et qu’il s’agirait de l’y forcer, comme si c’était la condition pour que sa propre société démocratique ne soit pas elle-même en danger, et qu’il soit du devoir du démocrate d’universaliser le régime démocratique, qu’il y aille de sa responsabilité, partant de sa sincérité. Strauss, Gérald Sfez

L’illusion consiste à supposer que la valeur d’universalité de principe devait nécessairement se traduire en une universalité de fait47. Strauss, Gérald Sfez

Ce qui fait la valeur du monde occidental ‒ si « valeur » signifie ici un ordre de choses que l’on révère52 et dont les contours ne sont jamais arrêtés ‒, c’est que les sociétés s’y comprennent en fonction d’un dessein universel et que perdre leur foi en un tel dessein c’est perdre du même coup tous leurs repères53. Strauss, Gérald Sfez

 « L’inégalité sociale persistera tant que l’homme existera »54. Strauss, Gérald Sfez

Il faut prendre acte des illusions du progressisme et de l’égalitarisme, des désastres de leur idolâtrie. Strauss, Gérald Sfez

Contre tout prosélytisme et toute exportation du modèle de la démocratie au nom d’un humanisme hégémonique fondé sur un manichéisme. Strauss, Gérald Sfez

Le terme de « culture », au contraire, nous dit Strauss, est, en premier lieu, un terme incertain car il « laisse dans l’indétermination ce qu’est la chose qu’il s’agit de cultiver (le sang et la terre ou l’esprit) »57. Strauss, Gérald Sfez

Le fait d’avoir retiré à l’État la charge de cette fin ‒ le bonheur ou la poursuite de la fin relevant d’un choix subjectif ‒ signifie que la poursuite des buts spirituels du citoyen et de l’homme est confiée à la société : elle s’énonce désormais sous le terme de « culture », ce terme désignant ce qu’il y a de supra-politique dans les fins de l’homme et le fait que ce soit au privé que revienne l’essentiel. Strauss, Gérald Sfez

Fondée sur le déclassement du paradigme de « régime » et sur les bases du droit naturel moderne, la notion de « culture » présente d’abord le défaut de ne plus impliquer de reconnaissance d’une hiérarchie entre les divers éléments de cette culture, contrairement à la notion originelle de « cité »61. Elle implique une relativité et un nivellement de ses différents éléments. Un même esprit relativiste, qui veut que tous les éléments d’une culture occupent un rang égal, préside à l’idée de l’égal accueil de toutes les autres cultures que la culture occidentale : elles deviennent toutes comparables dès lors que les hiérarchies spécifiques sont effacées. Strauss, Gérald Sfez

Ainsi assiste-t-on à un ethnocentrisme qui fait tort aussi bien à la civilisation occidentale qu’aux autres civilisations, alors que la règle de respect la plus élémentaire, qui est la règle même de la connaissance, serait de comprendre ces cultures comme elles se comprennent elles-mêmes62. Strauss, Gérald Sfez

Courant profond de la politique moderne : celui d’un universalisme de fait, propre à un monde uniforme, la mondialisation d’une civilisation entre des cultures tendanciellement identiques et le consentement affiché à une pluralité indistincte, une façon simultanée de mal faire un et de mal faire plusieurs, pour reprendre une expression platonicienne. Strauss, Gérald Sfez

La persévérance d’une persécution et d’une « discrimination » irréductibles envers les juifs est le symptôme par excellence du défaut constitutif de la démocratie libérale abandonnée à elle-même. Elle prouve que la démocratie libérale ne remplit pas le projet d’émancipation qui est le sien. Strauss, Gérald Sfez

Les juifs sont persécutés et, par là même, pour ainsi dire, contraints de rester juifs. Strauss, Gérald Sfez

Il est impossible de fuir ses origines, il est impossible de se débarrasser de son passé en souhaitant qu’il disparaisse64. Strauss, Gérald Sfez

La création de l’État d’Israël, État-Nation qui est le leur, offre une solution. Comme le dit Herzl : « L’ennemi fait de nous une nation, que cela nous plaise ou non66. » Strauss, Gérald Sfez

 « Si je ne suis pas pour moi, qui le sera ? Et sinon maintenant, quand ? » Il a omis la phrase qui constitue le centre du propos de Hillel : « Et si je suis seulement pour moi, que suis-je68 ? » Strauss, Gérald Sfez

L’assimilation est une impasse (au sein de chaque État-nation comme dans le cas d’un alignement de son propre État sur le modèle des autres États-nations). Renoncer à soi, ce n’est pas seulement un coup pour rien, c’est une défection qui consiste à se priver des ressources du sentiment d’appartenance à son histoire et à cesser d’être porteur de la valeur universelle Strauss, Gérald Sfez

L’avènement de l’État d’Israël ne peut être un signe historique sans envelopper la présence allusive du religieux. Strauss, Gérald Sfez

: « Les problèmes finis, les problèmes relatifs peuvent trouver une solution, les problèmes absolus, les problèmes infinis ne le peuvent pas78. » Strauss, Gérald Sfez

À tous les points de vue, il semble que le peuple juif soit le peuple élu, au moins au sens où le problème juif est le symbole le plus manifeste du problème humain en tant que problème social ou politique79. Strauss, Gérald Sfez

Les juifs sont élus pour prouver l’absence de rédemption80. Les juifs sont les témoins vivants de l’histoire répétitive et indépassable de la servitude et de la libération, de l’émancipation toujours en action, de la persécution interminable et de la résistance à celle-ci, non moins interminable. En ce sens, ils sont les témoins parlants de l’absence de rédemption : toute la pensée juive affirme qu’il n’y a pas de rédemption totale. Strauss, Gérald Sfez

La Loi est une certitude, mais elle est indifférente à la sécurité ou à l’insécurité où nous serions placés et ou elle nous placerait88. Strauss, Gérald Sfez

 « Tout comme une affirmation ne devient pas vraie parce que l’on montre qu’elle est réconfortante, de même, elle ne devient pas vraie parce que l’on montre qu’elle est terrifiante89. » Strauss, Gérald Sfez

Le judaïsme éclairé, qui accorde ensemble la vraie modération et le vrai courage, passe par la mise hors-jeu de la quête du réconfort ou de l’exposition orgueilleuse à la détresse. Pour comprendre les termes de la mauvaise alternative de la modernité, il nous faut saisir la bifurcation à laquelle Spinoza nous a conduits. Strauss, Gérald Sfez

En demandant aux juifs de se renier pour se préserver, Spinoza épouse, en même temps, tous les traits d’un humanitarisme où la fin ‒ sauver sa vie ‒ justifie tous les moyens, celui de renoncer à soi. Strauss, Gérald Sfez

Préserver la continuité de la tradition100, ce n’est pas exclure le neuf, car « le neuf ne surgit pas du rejet ou de la destruction de l’ancien, mais de sa métamorphose, de sa réinvention. » Strauss, Gérald Sfez

Une philosophie servante de la théologie et une théologie servante de la philosophie, n’est plus de mise, pas plus que la prétention de la théologie à unir par elle-même foi et savoir.

Les Anciens envisageaient la possibilité d’un progrès intellectuel infini mais non l’idée d’un progrès général et irréversible de toute l’humanité sur tous les plans de son existence. Strauss met en évidence la disproportion entre le progrès du pouvoir technique de l’homme et l’état de son savoir, en termes d’intelligence et de sagesse de ses fins. Selon son expression forte, « l’homme moderne est un géant aveugle1 ». L’accroissement du pouvoir de l’homme s’est accompagné, non d’un plus haut degré de civilisation, mais selon les propres termes de Strauss, d’une « barbarisation ». Strauss, Gérald Sfez

La science a cessé d’être contemplation ou compréhension (theoria) pour n’être plus qu’une interprétation hypothétique du monde dont la valeur de vérité se juge à ses effets pratiques.

Le dieu grec, comme le montre la pensée d’Aristote, n’est pas essentiellement tourné vers la justice, mais vers la pensée10. À la différence du Dieu biblique, il n’est pas tout-puissant. L’omnipotence des dieux grecs est toute relative. Elle tient à leur connaissance exacte d’un ordre des choses qui leur préexiste et obéit à une nécessité impersonnelle, celle de la nature des choses, ce savoir leur permettant d’intervenir. Ils sont tout-savants, mais non pas tout-puissants. Leur omnipotence, restant dépendante d’un réel qu’ils ne créent pas, est limitée. Strauss, Gérald Sfez

La philosophie grecque comme la Révélation juive ignorent toutes deux l’anthropocentrisme, caractéristique de la modernité. Strauss, Gérald Sfez

Le juif a connaissance de la Loi avant de la chercher tandis que le Grec est à sa recherche. Strauss, Gérald Sfez

Sur le terme de « loi », il y a presque une homonymie parce que la loi pour les Grecs est essentiellement politique, c’est-à-dire reconnaissance de l’égalité civile et sociale, alors que la loi divine juive est responsabilité du bien et du mal et ne concerne la question de l’égalité sociale que secondairement et par voie de conséquence. Strauss, Gérald Sfez

L’antagonisme entre Révélation et raison tient à ce qu’aucune des deux ne peut réfuter l’autre. Strauss, Gérald Sfez

Différend entre deux discours légitimes ? D’un côté, la demande de preuves que la raison adresse à la Révélation est indéfendable. Ou bien la Révélation ne peut fournir de preuves et se voit dès lors déboutée. Ou bien elle peut les fournir et se trouve alors réduite à la raison, et du même coup s’anéantit elle-même. De ce fait, « la philosophie, écrit Strauss, exige que la Révélation établisse sa prétention devant le tribunal de la raison humaine, mais la Révélation en tant que telle refuse de reconnaître ce tribunal33 ». La philosophie, qui ne peut reconnaître que les expériences qui relèvent de son idiome, commet ainsi un tort envers la Révélation : d’où la résistance de cette dernière. Strauss, Gérald Sfez

Tésistance réciproque et sans fin entre le présupposé de la croyance inhérent à la Révélation et celui de l’absence de croyance inhérent à la philosophie35. Strauss, Gérald Sfez

C’est là une des marques de la posture radicale que, dans la critique qu’elle conduit de la modernité, elle ne fait que l’aggraver toujours davantage et la pousser à ses dernières conséquences. Strauss, Gérald Sfez

Toute synthèse est un syncrétisme inférieur aux éléments qu’elle unit. Elle n’ajoute ni ne parachève ; elle soustrait et neutralise. En elle-même, la solution de la synthèse n’est jamais bonne du fait même qu’en soi la réunion de deux universalismes est impossible. Strauss, Gérald Sfez

Ol sautait aux yeux que la pensée nouvelle de Heidegger conduisait fort loin de toute charité et de toute humanité47 », sa force critique est désormais de saisir la nature de l’impasse et du tort de Heidegger. Ce dernier a tenté de penser l’Être sans la Loi, non seulement à partir de l’antériorité spéculative de la contemplation de l’Être (le pôle grec), opposée à l’antériorité originaire du respect de la Loi (le pôle juif), mais sans la moindre trace d’aucun type de loi. Vouloir penser l’Être sans faire place à la loi implique le refus du politique en tant qu’il la suppose, ainsi que l’impossibilité d’une critique de la tyrannie. Cela implique aussi un manquement à la pensée de l’Être même, car l’hellénisme conjuguait, lui, les deux universalismes en subordonnant la loi à l’Être sans éradiquer ce que la politique doit à la loi. Strauss, Gérald Sfez

La décision unilatérale en faveur d’une Grèce épurée de son rapport à la loi ne retient plus d’Athènes qu’un « penser » nu, qui, privé de rationalité, n’est plus qu’une pensée vide, son allégation. Strauss, Gérald Sfez

Vers le point de vue de la Révélation, le croyant est-il, quant à lui, dans la situation du choix ? Nullement. Il est interpellé par le divin, convoqué par la Loi, et il répond : « Me voici ». Il s’agit, là aussi, et plus ouvertement, d’une vraie foi. La foi du croyant n’est pas une obéissance aveugle mais la réception de la Loi de Dieu. Strauss, Gérald Sfez

La persévérance de la philosophie tient à sa fonction définitivement interrogative, à son ambition de présenter, non le Tout, mais l’Idée virtuelle du tout et d’en faire voir des esquisses. Du côté de la Révélation, la foi se trouve dégagée du savoir théologique, des dogmes simples de la création ex nihilo, de la contrainte cérémoniale, pour se centrer sur la seule Loi transcendante sans attendre une réconciliation absolue avec elle et une levée de la Loi. Strauss, Gérald Sfez

Il existe un désaccord inconciliable entre judaïsme et christianisme : le christianisme dépend du judaïsme et non l’inverse ; le christianisme doit apprendre du judaïsme ; il n’existe pas de tradition judéo-chrétienne entre Révélation et raison, elle en aiguise désormais l’exactitude, en se situant entre la destination interrogative de la philosophie et la vocation éclairée de la Loi juive. Strauss, Gérald Sfez

Qu’est-ce qu’Israël a de plus à offrir au monde qu’une éternelle patience72 Strauss, Gérald Sfez

Nietzsche s’est trouvé pris dans une aporie vécue dans la douleur, dont il n’a pu sortir. D’une part, il voit que la morale biblique, celle du bien et du mal, suppose le dieu biblique74, alors même que nous voudrions, en tant que modernes, avoir l’une sans l’autre, en cherchant par là même l’impossible. Et d’autre part, l’athéisme final qu’il défend, l’athéisme par probité, est lui-même, quoi qu’il en ait, un descendant en droite ligne de la morale biblique75. Strauss, Gérald Sfez

Quelle est la voie possible pour une philosophie athée qui soit, en même temps, au plus près de la formule originaire de la morale. Strauss, Gérald Sfez

Socrate « les forçait de convenir que c’était au même homme qu’il revient de savoir composer des comédies et des tragédies, et que l’art qui fait le poète tragique est aussi celui qui fait le poète comique. Strauss, Gérald Sfez

Contrairement à l’opinion généralement répandue, l’esprit moderniste et prétendument progressiste des années 1960, loin de favoriser un progrès des droits, a tout juste récolté le bénéfice des percées des années 1950 quant à l’extension des droits civiques, et substitué, au contraire, à la référence aux droits naturels de l’homme et aux critères du bien et du mal, l’esprit du relativisme et de l’indifférence. Strauss, Gérald Sfez

La promotion de la notion de valeur, intrinsèquement liée au relativisme et fort opposée à l’affirmation de droits inaliénables de l’homme, revient à une abdication du jugement : le jugement est devenu un vice11. Strauss, Gérald Sfez

Les formes de vie doivent s’équivaloir nécessairement (c’est l’impératif de l’égalitarisme), la recherche du meilleur est jugée non pertinente et l’appréciation de l’excellence humaine sans légitimité. Nul n’est en droit de viser une telle excellence ni d’y prétendre, sous peine d’être inculpé d’orgueil. Strauss, Gérald Sfez

Contrairement à ce que le slogan affiche, loin de signifier un intérêt pour la culture de l’autre, le mot d’ordre de l’ouverture réduit toutes les cultures dans leur épaisseur à la mise sur le même plan de toutes les manières de se comporter, sans distinction qualitative entre elles, élevées au rang de « styles de vie. Strauss, Gérald Sfez

La mauvaise conscience de l’ethnocentrisme conduit de même, comme l’avait remarqué Strauss, à jeter l’anathème sur toute pensée de la distinction tenue pour un geste de « discrimination13 », dans un usage pléthorique et amorti de ce terme. Strauss, Gérald Sfez

Dans un univers où toutes les formes de liens sont homogénéisées dans leur indétermination19 et ne sont plus que des « relations », il n’y a plus d’éros, de passion pour quelqu’un ou quelque chose. Strauss, Gérald Sfez

Sentimentale signifie que nous sommes devenus « des solitaires sociaux21. » Il n’y a pas plus d’amants vertueux qu’il n’y a d’amants passionnés, et l’un ne va pas sans l’autre. Strauss, Gérald Sfez

Tout se passe comme si les êtres humains n’étaient plus habités. Dans le même temps, notre société s’est délestée de la rationalité tout en remplaçant la religion par la quête de la religiosité23 la plus opaque, obscurantiste et indéterminée, la rhétorique de la créativité. Strauss, Gérald Sfez

Les Lumières posaient, en effet, les principes de construction d’un ordre moral qui avait l’avantage d’orienter les hommes vers les vertus par le truchement des passions25. S’ouvre, désormais, une société totalement contradictoire où il est demandé à l’individu de faire coexister impérativement en lui la révolution relativiste, le devoir de respecter toutes les cultures à égalité et tous les rituels de ces sociétés ‒ à commencer par ceux qui s’accompagnent de la violation des femmes ‒, avec la révolution féministe, ce qui exige du sujet un dédoublement de soi et un cloisonnement insensés. Strauss, Gérald Sfez

Cette société n’a rien à apprendre du passé et l’idée de progrès s’y résume au préjugé selon lequel le nouveau a toujours déjà périmé l’ancien, éclipsé comme inférieur. Strauss, Gérald Sfez

Tout se passe comme si l’Occident avait produit, selon l’expression de Pierre Manent, un nihilisme light26 et, toutes proportions gardées, une sorte de Révolution culturelle soft, une table rase sans massacre ni autodafé qui raye d’un trait de plume l’instruction des fondements des grandes civilisations, Strauss, Gérald Sfez

La tradition y est seulement transformée en information, contemporaine des genres masculin/féminin et, avec elle, l’oubli des valeurs du vir romain, du courage, de la prise de responsabilité et de la prise en mains, de ces traits de virilité (pas nécessairement masculine) tournée vers les valeurs du thymos grec, du courage et de la faculté de prendre des risques en son propre nom pour le bien de la cité. Strauss, Gérald Sfez

Le juif est haï du fait de son caractère irrepérable, entre particularité et universalité : on ne peut le reconduire, en effet, ni à une identité assignable ni non plus à la dissolution de toute identité dans une universalité abstraite (comme c’est le cas du christianisme ou de l’humanisme). Strauss, Gérald Sfez

Ambition moderne d’universalisme cosmopolitique, inhérente à une politique des droits de l’homme qui se veut mondiale et tend vers un État homogène universel. Strauss, Gérald Sfez

La naissance de la tyrannie part de la révolte, au sein d’une société close, d’une jeunesse exaltée contre le monde utilitaire, du sens du sacrifice de la vie et des biens terrestres, alors que « la société ouverte ne connaît pas le sublime »27, mais cette recherche, lorsqu’elle se déclare dans le vide de toute affirmation et dans l’insuffisance de sa négation, est vite dévoyée et s’abîme dans le contraire du courage, l’orgueil d’une témérité, détachée qu’elle est de ce qui devrait diriger le courage, la distinction du bien et du mal. La volonté tyrannique est l’expression du faux-ami du courage et, par là même, d’un prétendu courage qui ne se compose pas avec la modération. Strauss, Gérald Sfez

Strauss tient tout entière dans la façon dont les deux pôles d’Athènes et de Jérusalem, celui de la philosophie et celui de la religion, peuvent prendre effet, aujourd’hui, localement et partiellement, dans la politique concrète, en changeant la direction du projet moderne et en infléchissant le cours des temps présents. Strauss, Gérald Sfez

La politique ne relève plus désormais que d’interventions actives à contre-courant de la société moderne et en prenant acte de l’écart par essence entre la politique et le spirituel. Strauss, Gérald Sfez

La politique moderne ne soit pas celle d’une émancipation généralisée, ni irréversible, n’empêche pas, sinon des progrès partiels, locaux, intermittents, du moins une montée en puissance de la conscience des droits et, partant, des devoirs, qui majorent, sans doute, la douloureuse prise de conscience de l’écart à l’échelle mondiale entre les principes et les faits. Strauss, Gérald Sfez

L’athéisme radical des Lumières modernes dont le caractère virulent tirait un trait sur l’importance de la transcendance de la Loi. Strauss, Gérald Sfez