vendredi 14 juin 2019

Comment peut-on être tolérant, Claude Habib, Desclée De Brouwer

Comment peut-on être tolérant, Claude Habib, Desclée De Brouwer

Caractéristique est le destin de ce mot, trahi par les journalistes et malmené par les sociologues : culture de la violence, culture de la drogue, culture du jeu vidéo… La gauche ne supprime pas la culture : elle la vide de son sens en prétendant la répandre.

La conviction générale est qu’il faut approuver la pluralité d’opinions et de croyances, car cette pluralité fait la vitalité de la société libre.

Une société toujours plus ouverte, peuplée d’individus toujours plus tolérants : « On peut présumer que le mouvement tant annoncé menant “au-delà de la tolérance” est dès lors rendu possible

Or ce qui va de soi n’intéresse pas.

Qui veut gouverner une nation doit s’adresser à la nation. L’addition des Noirs, des Hispaniques, des Asiatiques, des lesbiennes, des gays, des trans, des queers ne fait pas un projet commun.

L’univers m’embarrasse, et je ne puis songer Que cette horloge existe et n’ait pas d’horloger.

Voltaire est déiste, à n’en pas douter, mais sans les sentiments de confiance, de révérence et de crainte qu’on associe généralement à la croyance en Dieu.

Dieu doit être recherché par chacun, en conscience

L’erreur de bonne foi est toujours préférable au contrecœur, lequel est nécessairement l’effet de l’imposition autoritaire.

Tout homme a un droit illimité de réfléchir, il est donc libre de croire ou ne pas croire, mais il n’a pas à exercer un prosélytisme agressif qui déstabiliserait la société.

On juge que des hommes, qui n’auraient pas de frein, ne pourraient vivre ensemble ; que des lois ne peuvent rien contre les crimes secrets

Il n’existe pas d’implication logique entre l’athéisme et la corruption des mœurs. Moralité et religion sont des domaines distincts.

On pourrait soutenir que la liberté de l’incroyance atteste la vérité de la foi, comme la possibilité du divorce atteste l’existence de l’amour dans le mariage.

Tolérer l’intolérance impliquerait de supporter la cruauté ou la violence des ennemis – si ce n’est approuver, au moins laisser faire.

Le principe de liberté ne peut exiger qu’il soit libre de ne pas être libre.

Il n’y a pas de garde-fou dans la société libérale. Rien ne peut empêcher qu’un individu ou un groupe ne poussent les principes constitutifs jusqu’à ce point extrême où ils se retournent contre eux-mêmes.

Ce que nous pensons des autres, il faut le garder pour soi. La tolérance conduit donc à un renfermement sur soi, qui n’est pas absolu – je peux certes espérer influer sur mes semblables, par exemple en attirant leur regard par le succès de mes entreprises ; mais c’est à condition de poser au préalable que l’effort vers le bien restera mien. Ma tension morale ne concernera que moi, elle sera incommunicable, comme la crampe du sportif ; et mon bonheur, si je l’atteins, restera un bonheur privé. Ce à quoi chacun tient le plus, ce qu’il met au cœur de son existence ne peut aucunement prétendre à l’expansion – cette dilatation de soi dans la foule qui se produit encore dans les matches, dans les concerts ou dans les manifestations : partout où les hommes s’accordent pour idolâtrer ensemble ou détester d’une seule voix.

La proposition de juger les progrès d’une civilisation à la place qu’elle fait aux femmes a acquis en France une espèce d’autorité :

L’extension des privilèges des femmes est le principe général de tous les progrès sociaux.

Le voile est l’aveu, par celles qui l’arborent, que la femme est par nature tentatrice, que cette tentation est un mal qui doit être jugulé.

Le seul aspect de la conduite d’un individu qui soit du ressort de la société, est celui qui concerne autrui.

Si le voile affiche la pudeur de celle qui le porte, c’est en dénonçant l’impudeur de celles qui ne le portent pas, et cette dénonciation porte à conséquence.

Le voile nous choque, pour de bonnes raisons : non par allergie à l’étranger, mais par attachement à la communauté que nous formons, où s’est constitué précocement, dès le XVIIe siècle, un mode original de mise en valeur des femmes.

Le voile signifie : nous ne sommes pas comme vous, et nous ne voulons pas vivre comme vous.

Ce n’est pas la différence effective qui offense, mais bien la volonté de se séparer. Quels sont les signes de cette volonté ?

Dans un pays civilisé, la sanction s’applique au crime, non pas aux menaces ou aux provocations.

Les mœurs ne sont pas un simple décor, une toile de fond qu’on pourrait remplacer. Elles ont une consistance qui vient de leur sédimentation dans le temps et de leur cohérence propre. C’est cette cohérence que les musulmans archaïques (et non pas tous les musulmans) ne parviennent pas à discerner, n’y voyant que ce que dénoncent les prêches de leur mosquée : désordre, malheur et corruption.

Pour que nous soyons tous également libres, nous n’avons pas le droit de croire, nous n’avons pas le droit d’affirmer le caractère absolu de nos croyances, nous avons seulement le droit d’avoir et d’exprimer nos opinions.

N’assiste-t-on pas, en Europe, à la coprésence d’un athéisme tranquille et d’une nouvelle modalité de la croyance, idéalement légère et civilisée ?

Si la moralité individuelle ne paraît pas ébranlée, reste que nous ignorons la solidité, à long terme, des sociétés sans religion.

On peut douter de la capacité des sociétés sécularisées à engendrer d’elles-mêmes de nouvelles normes, susceptibles d’impulser de nouvelles conduites morales. C’est ouvertement le discours des ennemis de l’Europe. Vladimir Poutine ou les sectateurs de l’« État » islamique parient sur la décadence du continent, persuadés que des nations sans ressources spirituelles sont vouées à s’enfoncer dans le confort et les plaisirs, jusqu’à s’y perdre. La progression des drogues, la liberté des femmes – entendue comme l’autre nom de leur inconduite – et la libération spectaculaire des homosexualités auront raison de l’Occident, telle est la conviction de ses ennemis, extérieurs ou intérieurs.

La notion d’intérêt collectif est constamment assimilée à un moralisme qui ne dit pas son nom : intérêt général et bien commun sont disqualifiés systématiquement. Aucun crédit n’est fait à ces enjeux collectifs : ce ne sont que des masques, de pseudo-propos collectifs, tenus en fait par quelques-uns, et qui servent d’alibi aux postures répressives traditionnelles. Au nom du bien public, quelques décideurs prétendent arbitrer les plaisirs d’autrui.

Sans parler de la consommation effrénée, les républiques modernes ont poussé la liberté bien au-delà de ce qu’avaient pu connaître les monarchies les plus dissolues. Si l’adultère est courant dans le Paris de la Régence, on n’imaginait pas d’y accorder des droits aux homosexuels, et nul ne se préoccupait des queers ni des drag queens. Au début du xviiie siècle, les frasques du Régent et de son entourage ont rapidement fait tache d’huile : une large part de l’aristocratie, y compris féminine, a pris le goût de la débauche. Reste que ces comportements étaient vécus comme des licences et non revendiqués comme des droits :

On ne s’abandonne pas au plaisir, on le revendique comme un droit.


C’est une particularité de la situation moderne : nous allons désormais traquer l’oppression dans des recoins infimes.


Les intersexes et les transsexuels sont une infime minorité : ce n’est évidemment pas une raison pour leur rendre la vie difficile, mais on a peine à croire que la question des toilettes pour tous, comme la presse française l’a sottement nommée, mérite l’intérêt que le public lui accorde.

Dans les républiques démocratiques en revanche, on ne veut pas que la vertu soit à l’honneur : les mœurs sont idéalement libres en principe

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