Les Deux
Clans, Davied Goodhart, Les Arènes
Les clivages de valeurs et
les inquiétudes d’ordre « sociéto-culturel » qui fissurent la
politique traditionnelle.
Les sociétés des pays riches
sont divisées par un grand clivage de valeurs entre Ceux qui se sentent bien
partout et Ceux qui se sentent de quelque part. Les
Nous avons désormais du mal
à nous trouver assez d’intérêts communs pour arriver à des compromis viables.
« La politique moderne
a moins à voir avec les positions traditionnelles de la droite et de la gauche
et plus, aujourd’hui, avec ce que j’appellerais le choix moderne, qui est celui
de l’ouverture contre la fermeture3. »
Malgré le développement
récent de la mobilité géographique, quelque 60 % des Britanniques vivent
encore dans un rayon de 32 kilomètres
autour du domicile qu’ils occupaient à l’âge de 14 ans5.
L’ère post-industrielle a
largement aboli le travail manuel, dévalué le statut des hommes à faibles
revenus et fragilisé le pacte national, les patrons ne se sentant plus les
mêmes obligations qu’autrefois envers « leur » classe ouvrière.
Libéralisme économique qui
exporte les usines et importe les travailleurs.
Attributs classiques du
conservatisme des classes moyennes du milieu du XXe siècle – foi
religieuse, chauvinisme, domination du mâle blanc
La « grande
libéralisation » des quarante dernières années dans les jugements sur la
race, le genre et la sexualité a été absorbée et acceptée par la majorité
La génération Z – toute
personne née après 2001 – semble confirmer ce nouveau penchant pour la prudence
et le conservatisme.
Les libéraux de cet ordre se
soucient généralement de justice sociale mais, comme l’a fait remarquer le
psychologue social américain Jonathan Haidt, ils échouent souvent à
comprendre les autres pulsions politiques que sont la loyauté, l’autorité, le
sacré.
Comparées aux sociétés
traditionnelles, les sociétés modernes ont un bas niveau de consensus moral et
politique.
Le politiquement correct
poussé à l’extrême peut aboutir à une perversion du concept de nuisance, comme
on l’observe par exemple sur certains campus américains où des étudiants sont
prompts à s’« offenser » de toute opinion non orthodoxe.
Sur quelle base
convenons-nous de normes partagées ? Il n’y a plus de recours à
l’autorité, parce que l’autorité religieuse et morale a été sapée au nom de la
liberté et du choix individuel. Reste seulement le très libéral agreement to
disagree, l’accord sur le désaccord.
Se présenter comme la voix
de la raison n’est pas un choix politique avisé. C’est de la condescendance
élitiste.
« Quand j’étais au
Trésor, j’ai poussé pour ouvrir le plus grand possible la porte à
l’immigration ! Je crois que c’était ma tâche de maximiser l’aide sociale
à l’échelle mondiale, et non nationale. »
Mais est-il sain pour la démocratie
que les dépositaires d’un si grand pouvoir aient des vues si manifestement
décalées par rapport aux intuitions politiques profondes de la majorité du
public ?
Les sociétés qui réussissent
sont des entités solides, construites sur des habitudes de coopération, de
compréhension mutuelle et de confiance, et liées par une langue, une histoire,
une culture.
Maintenir les flux entrants
à des niveaux qui permettent encore aux arrivants d’être absorbés dans ce
concept flou que nous appelons « mode de vie ».
Le Royaume-Uni connaît déjà
des difficultés pour intégrer correctement certains arrivants, notamment ceux
de sociétés traditionnelles, souvent musulmanes.
Pourquoi pas cent mille
désespérés de plus ? Après tout, à quoi devraient-ils s’intégrer ?
Nous sommes tous de simples individus, n’est-ce pas ? L’universalisme de
la gauche – fondé sur son engagement historique en faveur de l’égalité raciale
– rencontre là l’individualisme de la droite libérale qui prétend que « la
société n’existe pas ». Pourtant, non seulement nous savons
Trump doit principalement sa
victoire électorale à son opposition farouche à l’Obamacare, perçu comme
obligeant les banlieues résidentielles et les petites villes blanches à
subventionner l’assurance santé des cités ethniquement mélangées.)
Nous sommes aussi le fruit
de circonstances et d’expériences, membres de familles, de groupes sociaux,
dotés de niveaux d’instruction et de catégories de compétences, qui sédimentent
sans même que nous en ayons toujours conscience, et nous orientent vers des
ensembles de valeurs plus larges.
A mesure qu’un pays
s’industrialise, les valeurs traditionnelles d’attachement à la religion et à
l’autorité cèdent la place à des priorités plus profanes et pragmatiques. Ce
mouvement est initié par les classes éduquées. Plus les sociétés
s’enrichissent, moins elles restent attachées à des « valeurs de
survie » – fondées sur la famille, la tribu ou autres sous-groupes qui
sécurisent l’individu – et plus elles favorisent l’expression de soi et les
« valeurs d’émancipation ». Ces nouvelles valeurs mettent l’accent
sur les droits et le bien-être non seulement de l’individu, mais de tous.
Acronyme WEIRD4* –
c’est-à-dire issus d’une sous-culture occidentale, éduquée, industrialisée,
riche et démocratique (Western, Educated, Industrialised, Rich and Democratic).
Ils tendent vers l’universalisme moral et se méfient des loyautés nationales
fortes.
Nous sommes encore des
primates grégaires, et notre psychologie morale continue d’être façonnée par
des forces d’évolution ancestrales.
La morale se construit sur
des fondations, des systèmes psychologiques multiples, et les conservateurs
comprennent un plus grand nombre de ces fondations que ne le font les libéraux.
Les libéraux sont très sensibles aux questions de nuisance, de souffrance
(jouant sur nos aptitudes à l’empathie), d’équité et de justice (à rapprocher
de notre instinct inné pour la réciprocité).
Les conservateurs partent du
principe que les humains ont besoin de contraintes pour bien se comporter, les
libéraux du principe que ce sont les contraintes qui provoquent les mauvais
comportements.
L’exposition à la
différence, les discours sur la différence et le fait d’applaudir la différence
– autant de marques de fabrique de la démocratie libérale – sont les meilleurs
moyens d’exaspérer ceux qui sont foncièrement intolérants. […]
Sutherland, ancien président
de Goldman Sachs et ancien commissaire européen au Commerce, est allé jusqu’à
affirmer, lors d’une séance à la Chambre des lords en 2012, que l’UE devait
faire de son mieux pour « saper l’homogénéité » de ses États membres
et que l’immigration était cruciale pour la croissance économique, « si
difficile que ce soit à expliquer aux citoyens de ces États18 ».
Les activistes antiracistes
et quelques personnes à gauche souhaitent imposer une définition aussi large et
vague que possible du terme, dans l’espoir erroné que cela contribuera on ne
sait comment à l’élimination du racisme.
A gauche aussi, le
« sociéto-culturel » supplante de plus en plus le socioéconomique.
Le concept même d’université
repose sur la quête de la raison et sur la recherche scientifique, ce qui la
rend par définition encline à défier l’autorité et la tradition.
La pleine égalité des sexes
est bien mieux acceptée dans les milieux riches et éduqués.
Parallèlement à la
libéralisation générale, on voit apparaître une divergence significative entre
les niveaux d’éducation.
Les Britanniques blancs, en
particulier ceux à faibles revenus et bas niveau d’éducation, souhaitent
toujours préserver leur identité ethnique, sans pour autant se réclamer du
suprémacisme.
Ce sentiment que
« changer, c’est perdre » est généralement moqué dans les médias par
les Partout, qui y voient le « c’était mieux avant » d’un Royaume-Uni
provincial et rétrograde.
Pour la plupart des gens la
vie n’a jamais été meilleure qu’aujourd’hui. Et c’est tout à fait vrai en
termes de revenus (si on ne compte pas les dernières années), de santé, de
longévité et de confort matériel. Mais peut-être qu’à d’autres égards beaucoup
de gens ne constatent aucun progrès : par exemple en ce qui concerne le
sentiment d’appartenance, la reconnaissance sociale, la valorisation de leur
rôle, le sentiment d’être bienvenus et respectés, etc. Vouloir remonter dans le
temps n’est pas un instinct idiot, pour qui a le sentiment que les aspects non
matériels de la vie étaient réellement meilleurs autrefois.
Pour les Villageois
planétaires, les trois principales caractéristiques seraient la priorité donnée
à l’aide internationale avant l’aide nationale, l’indifférence à l’identité
nationale, et l’absence d’opinion sur l’intégration des musulmans. Pour les
Autoritaristes endurcis, les trois caractéristiques que je retiens sont un
nationalisme sans réserve, des critères très restrictifs sur qui peut entrer
dans le club national, et une forte opposition au mariage pour tous.
il existe un noyau dur de
résistance à la libéralisation, qui ne semble pas devoir mourir avec l’ancienne
génération.
Depuis les dernières
décennies du XXe siècle, les systèmes politiques dominés par la
compétition entre deux grands partis, de centre-gauche et de centre-droit, se
délitaient lentement dans presque toute l’Europe continentale.
Être « dur avec les
causes du populisme » suppose de critiquer les responsables politiques
classiques, surtout ceux du centre-gauche, lesquels se sont trop facilement
convaincus que les vertus de l’ouverture allaient sans dire. Les solutions que
trouvent les populistes sont souvent impraticables (il n’y a qu’à voir
Donald Trump), mais les problèmes qu’ils soulèvent n’en sont pas moins
réels. Lorsqu’un petit pays plutôt homogène comme les Pays-Bas, avec ses
17 millions d’habitants, acquiert en l’espace de quelques décennies une
population immigrée de plus de 20 %, lorsque la moitié de la minorité
marocaine dans les écoles d’Amsterdam ne s’identifie pas comme néerlandaise,
lorsque seulement un tiers des demandeurs d’asile arrivés depuis vingt ans
sont au travail, une réaction politique est inévitable.
Importance de la stabilité
et de la sécurité aux frontières, la priorité donnée aux concitoyens avant les
droits universels, le besoin d’histoire et de reconnaissance pour ceux qui ont
du mal à s’épanouir dans des économies privilégiant les hauts niveaux
d’instruction.
Depuis l’implosion du
socialisme, le populisme est le levier politique employé par les oubliés de la
réussite pour réfréner, voire ramener sur terre, ceux qui réussissent dans ces
sociétés dans l’ensemble extraordinairement prospères et florissantes.
On pourrait même voir dans
le populisme une forme d’idéalisme, un autre versant de la politique
« post-matérialiste » habituellement associée plutôt au mouvement
écologiste.
Les gens ont besoin d’avoir
quelque chose dans leur vie qui ait plus d’importance que l’argent – surtout,
peut-être, quand ils ont peu d’espoir d’en gagner beaucoup. »
Le pouvoir doit être ramené
à un niveau bien plus local.
Tout le monde parle du
populisme, mais personne ne sait en donner une définition, qui pourrait aussi
bien avoir été écrit aujourd’hui. Le terme recouvre tant de phénomènes
politiques différents qu’il a un faible pouvoir explicatif. S’il fallait
énoncer une idée qui décrive ses incarnations variées, ce serait
celle-ci : la défense des intérêts des honnêtes citoyens, foncièrement
opposés à ceux des élites libérales corrompues.
Poussés dans leurs
retranchements, les populistes placent la démocratie au-dessus du libéralisme,
et les libéraux placent les droits et la raison au-dessus de la démocratie –
Le conflit entre libéralisme
et démocratie est un problème très réel dans certaines parties de l’Europe,
surtout maintenant que l’indépendance des banques centrales, l’influence
grandissante des cours de justice internationales et l’emprise croissante des
lois de l’UE ont soustrait tant de décisions aux processus démocratiques
nationaux.
Critique envers le bilan des
élites occidentales et le consensus en vigueur depuis une génération :
création d’un euro défaillant ; fiascos de politique étrangère comme la
guerre en Irak ; scandale des dépenses du Parlement britannique en
2009 ; incapacité à anticiper les conséquences de l’immigration à grande
échelle (et, au Royaume-Uni, échec particulier à prévoir le flux d’immigrants
en provenance d’Europe de l’Est après 2004) ; incapacité à fournir aux
classes les plus vulnérables les protections promises contre la
mondialisation ; échec à dompter le secteur financier ou les déséquilibres
mondiaux qui ont mené à la crise financière de 2007-2008.
La trinité des inquiétudes
populistes – immigration, insécurité, corruption
Dépouillé de l’exclusivité
ethnique, le nationalisme n’est rien de plus que le fait de placer les droits
des citoyens nationaux devant les droits universels.
La méfiance envers les
élites est l’attitude la plus banale de toutes. C’est une idée profondément
enracinée dans la société occidentale – peut-être à cause du concept chrétien
de péché originel – que l’humain abusera de son pouvoir si on le laisse faire.
Un populisme plus décomplexé
a jailli de la confluence de deux tendances politiques. D’un côté, la politique
des partis conventionnels est devenue plus étriquée, moins différenciée
idéologiquement, plus dominée par l’entre-soi, qu’il s’agisse de ses
responsables ou des intérêts qu’elle représente. De l’autre, la technologie a
fait tomber les obstacles à l’expression politique et arraché de ce fait le
« filtre » qui permettait à l’élite de contrôler l’entrée dans le
match.
Aux États-Unis, la gauche
n’a pas si clairement convaincu sur les questions de société, d’où une longue
« guerre culturelle ».
Les citoyens de la plupart
des démocraties développées sont moins déférents et moins confiants dans
l’autorité qu’avant, plus conscients de leurs droits, davantage prêts à
s’engager dans des actions coups-de-poing pour empêcher la fermeture d’un
hôpital ou la construction d’une autoroute et, armés d’Internet, mieux équipés
pour contester l’expertise professionnelle.
Le filtre politique que le
système conventionnel des partis et des médias traditionnels procurait jadis
aux élites a été brisé ; la voix du peuple, en colère ou non, se déverse
partout. Et pas seulement à travers les nouveaux médias numériques : les
anciens, comme la presse papier et les chaînes de télévision ou de radio,
passent leur temps à courir après la participation et les commentaires du
public.
Dans certaines parties de
l’Europe aussi, l’anxiété de la majorité ethnique semble être un élément de la
montée du populisme, les Blancs se voyant obligés de penser à leur identité
ethnique, souvent pour la première fois, alors que leurs symboles et priorités
cessent de dominer automatiquement dans leur quartier – quand le pub ferme et
que s’ouvre une épicerie polonaise ou une boucherie halal.
Vœux d’une UE fondée sur la
famille, la souveraineté nationale et le christianisme.
Bloomberg News que le succès
du populisme n’était pas en premier lieu économique. « C’est surtout une
question de valeurs […], de la manière dont on maintient l’unité de la
société33.
Le populisme est de fait le
nouveau socialisme. Presque tous les partis populistes d’Europe ont aujourd’hui
une base électorale comptant une écrasante majorité de travailleurs, et la
plupart d’entre eux adoptent vis-à-vis de l’économie et de la mondialisation
une attitude plus proche de la gauche que de la droite, ou qui pourrait être
décrite comme étatiste/protectionniste.
Le fossé entre les clans
Partout et Quelque-Part traverse par le milieu la base électorale du Parti
travailliste et d’autres partis de centre-gauche européens – problème qui les
étouffe lentement depuis une génération.
Il y a cinquante ans,
le concept de politique sociéto-culturelle n’existait même pas ;
aujourd’hui, c’est la principale motivation de la gauche jeune et londonienne,
qui constitue de plus en plus le centre de gravité du parti. Les comptes
Twitter des militants du Labour parlent davantage de « culture du
viol » ou de « maltraitance » que d’inégalités économiques.
L’enracinement est un
instinct humain puissant.
Le développement d’Internet
a permis aux jeunes Africains et Afghans de voir en un clic comment vivent les
Européens. Les gens ne comparent plus leur vie à celle du voisin, mais à celle
des habitants les plus riches de la planète. Ils ne rêvent pas d’avenir, mais
d’ailleurs ».
On entend souvent le lobby
pro-réfugiés dire que 1,5 million de réfugiés par an, c’est
insignifiant pour un continent de 500 millions d’habitants. C’est ignorer
l’effet cumulatif de ces petits changements, et le fait qu’ils ne sont pas
répartis régulièrement mais se produisent principalement dans trente ou
quarante zones urbaines en Europe du Nord-Ouest.
En Europe, nous avons
tendance à sous-estimer notre capacité à contrôler nos frontières et à
surestimer largement notre capacité à intégrer les autres dans nos sociétés
complexes, libérales et modernes.
Le nombre de personnes vivant
dans l’extrême pauvreté (moins de 1,90 dollar par jour) est tombé à
10 % de la population mondiale9.
L’inverse de l’époque
coloniale, ce sont maintenant les pays pauvres qui envoient des biens
manufacturés et des flux de personnes vers les pays riches. Ce phénomène est
parfois interprété comme une sorte de revanche des colonisés. Mais si c’est le
cas, il semble injuste que ceux qui en souffrent soient les descendants
européens des lampistes et des soutiers, plutôt que de ceux qui occupaient les
villas de gouverneurs.
Finance aux OGM –, un
arbitrage entre risque/innovation et stabilité est nécessaire, et des sociétés
différentes trouvent leur équilibre différemment. Lorsque ces choix nationaux
deviennent impossibles à cause de règlements mondiaux intrusifs, cela suscite
une crispation politique contre l’OMC et Bruxelles, et une crise de légitimité.
Nous avons besoin d’un
nouvel équilibre entre les souverainetés nationales et l’ordre économique
international, qui permette une plus grande variété de formes institutionnelles
en fonction des préférences et traditions nationales.
L’idée que la politique
fiscale ou le niveau de la dépense publique d’un pays doivent être décidés par
un comité à Bruxelles, et que les citoyens d’un pays donné doivent être traités
comme s’ils étaient citoyens de tous les autres pays de l’Union, heurte de
plein fouet l’idée évidente pour tous de souveraineté nationale.
La circulation entre les
pays de l’UE a tendance à être économiquement régressive : les défavorisés
des pays riches de l’UE, qui sont les moins susceptibles de profiter eux-mêmes
de la liberté de circulation, sont aussi les plus susceptibles d’être
désavantagés par la concurrence accrue sur le marché du travail et les plus
perturbés par des changements dans leurs quartiers d’habitation.
Presque aucun citoyen de
l’UE ne croit au principe de non-discrimination – la plupart des gens restent
attachés à l’idée que leurs concitoyens doivent avoir la priorité sur les
étrangers dans l’accès aux biens publics –, et pourtant l’UE reste
arc-boutée sur la question.
L’Union européenne se voit
comme un rempart contre le nationalisme, mais en se faisant l’ennemie d’un
patriotisme modéré elle a fini par engendrer des versions plus extrêmes dans
les soulèvements populistes qui se produisent d’un bout à l’autre de l’Union.
La force destructrice du
nationalisme extrême dans la première moitié du XXe siècle et le nombre
inédit de victimes qu’il a laissées dans son sillage continuent de résonner
dans la politique moderne, surtout en Europe. Cela n’a rien d’étonnant. Le
désir d’affaiblir et finalement de transcender la nation était au cœur du
projet européen, et, comme nous venons de le voir, y est toujours aujourd’hui.
L’hostilité au nationalisme
est devenue totale et sans nuance, du moins chez les personnes hautement
éduquées. Horrifiée par le nazisme et les conflits colonialistes tardifs en
Indochine, en Algérie et en Afrique, l’intelligentsia européenne s’est prise
d’aversion pour les expressions même les plus mesurées du sentiment national,
Le post-nationalisme s’avère
tout aussi vulnérable à la pensée unique que le nationalisme lui-même, à ceci
près qu’il se drape de suffisance morale.
La nouvelle gauche
post-années 1960 envisage le nationalisme dans le contexte du colonialisme
européen. Non seulement il est associé aux mécanismes de l’oppression de
classe, mais en outre il se confond avec le racisme.
Le discours du progrès,
façonné par l’histoire des réformes des droits civiques dans les dernières
générations, voit dans l’abolition de l’esclavage et l’émancipation des femmes
et des minorités un prélude au dépassement de toutes les communautés exclusives
– y compris l’État-nation.
Si la nation est, à l’instar
du racisme, l’expression d’une intolérance illégitime, alors il faut remettre
en question la légitimité de la démocratie et de l’État providence, qui de nos
jours n’existe que sous forme nationale.
Les sociétés sont composées
de groupes d’individus qui viennent de tel ou tel endroit, parlent telle ou
telle langue, ont leurs us et coutumes. Les Partout acceptent volontiers cette
idée pour les minorités – cela s’appelle le multiculturalisme –, mais sont
mal à l’aise lorsqu’il s’agit des majorités.
L’enseignement supérieur
moderne a tendance à vacciner les individus contre l’esprit de clocher.
L’idéologie de la
mondialisation nous a seriné que l’État-nation était de plus en plus une
coquille vide.
Les gouvernements ont cédé
le pouvoir à des capitaux financiers mobiles, à des chaînes d’approvisionnement
transfrontalières et à des changements rapides d’avantages comparés. Le
contrôle de l’information appartient maintenant à la télévision par satellite
en continu et à la cacophonie du web […]. Les citoyens attendent des
responsables politiques nationaux qu’ils les protègent contre les insécurités –
économique, sociale et physique – qui accompagnent l’intégration mondiale. Mais
les gouvernements ont largement perdu la capacité à satisfaire cette
demande. »
L’égalité morale de tous les
humains est interprétée par de nombreux Villageois planétaires comme signifiant
que les limites et frontières nationales n’ont plus de sens, et que toute
préférence pour ses concitoyens est une faute morale.
Tous les êtres humains sont
égaux, mais ils n’ont pas une égale importance à nos yeux. Nos obligations et
allégeances s’étendent depuis la famille et les amis vers les étrangers vivant
dans nos quartiers et nos villes, et ainsi de suite jusqu’aux nations et enfin
à l’humanité entière.
Si tous les hommes sont mes
frères, alors aucun ne l’est : mes ressources sentimentales et financières
sont trop dispersées pour faire une différence. Le romancier
Jonathan Franzen formule l’idée ainsi : « Essayer d’aimer
l’humanité entière est peut-être un noble effort mais, paradoxalement, c’est
une manière de rester concentré sur soi, sur son propre bien-être moral ou
spirituel. Alors que pour aimer une personne en particulier, et s’identifier à
ses joies et à ses peines comme si c’étaient les nôtres, il faut abandonner un
petit peu de soit »
À l’inverse de la vieille idée
gauchiste selon laquelle le nationalisme rend les masses aveugles à
l’injustice, le sentiment national devrait par définition s’assortir d’un parti
pris social-démocrate rappelant aux élites leurs obligations envers leurs
concitoyens.
Si ce parti pris est souvent
absent de l’idée d’identité nationale en Europe, et en particulier au
Royaume-Uni, c’est que le récit national depuis presque deux cents ans est
associé à la guerre, à l’impérialisme et à la domination.
Les « objets d’amour
public, tels le NHS ou la Team GB : des choses qui nous font sentir que
nous sommes unis dans un projet commun33 ».
La mentalité du clan Partout
a également embrassé la philosophie des droits de l’homme brandie comme une
identité nationale de substitution. Les Quelque-Part sont favorables aux
droits, mais n’apprécient pas qu’ils en viennent à gommer la distinction entre
citoyens nationaux et étrangers.
Le droit à l’éducation ou à
un logement décent – nécessitent un financement et font donc appel à la
solidarité de tous, généralement par l’intermédiaire de l’impôt.
En s’efforçant de réduire la
distinction entre citoyens nationaux et étrangers, par exemple en faisant
pression pour que les tribunaux européens se voient octroyer davantage de
pouvoir, le lobby des droits humains sape sans le vouloir la solidarité
nationale sur laquelle s’appuient encore la plupart des droits.
Les tribunaux de droits de
l’homme se heurtent à la dure réalité des différences de valeurs, criantes
d’une nation à l’autre.
Comment la loi européenne sur
les droits humains peut-elle refléter les traditions, fortement divergentes
dans toute l’Europe, qui règlent la relation entre Église et État
Les liens familiaux se sont
distendus, les diasporas personnelles, les réseaux choisis d’amis, de groupes
d’intérêt, de lieux de travail et du cyberespace ont gagné en importance,
Une grande partie de la
culture moderne raconte la lutte de l’individu pour se libérer de la tradition
et du qu’en-dira-t-on des petites bourgades.
La technologie qui nous
rapprochait autrefois nous divise aujourd’hui par classes, par générations et
par chambres d’écho politiques et ethniques.
Augmentation des cas de
cloisonnement ethnique et social dans certaines grandes
villes britanniques3.
Le soutien à l’immigration
et au multiculturalisme (« Venez comme vous êtes ! »)
grandissait dans les consciences politiques de centre-gauche.
Quand on voit des
travailleurs venus de Roumanie ou de Bulgarie profiter des pleins avantages de
la citoyenneté britannique alors qu’ils ne maîtrisent pas l’anglais et vivent
dans des enclaves est-européennes, on peut se dire qu’ils traitent le pays
comme un bien de consommation temporaire.
Le multiculturalisme, comme
l’a fait remarquer Maajid Nawaz*, a fini par être synonyme de diversité entre
les groupes, plutôt qu’à l’intérieur des groupes.
Revendiquer le statut de
Londonien, de nos jours, c’est à peu près comme se proclamer citoyen du monde.
Londres était devenue une
ville à « minorités majoritaires
L’avenir qui se profile est
une société postmoderne, sans racines,
Une société postmoderne sans
racines « dans laquelle rien n’est sacré » n’est pas celle que
choisiraient la plupart des gens, s’ils avaient leur mot à dire.
La révolution thatchérienne
se focalisait sur la structure du marché, la régulation et les incitations, et
partait du principe que de nouvelles industries et des emplois de qualité
viendraient tout seuls remplacer les dinosaures industriels du passé. Or, même
quand ç’a été le cas, ils ont rarement émergé là où les anciennes industries
avaient disparu.
La notion de « dignité
du travail » passe maintenant pour quelque peu désuète. Elle était
autrefois associée à l’orgueil de la force physique, à la fierté de savoir
travailler de ses mains, au respect accordé à l’homme qui mettait le pain sur
la table : autant de conceptions très affaiblies ou disparues aujourd’hui.
Il faut absolument que le
salaire, le statut et la productivité des personnes situées en bas de l’échelle
deviennent une priorité dans toutes les politiques économiques modernes.
L’éducation reste pensée
pour les Partout : prédominance des universités d’élite, dédain pour une
grande partie de l’enseignement technique et professionnel, indifférence envers
la « longue traîne » des 20 ou 30 % d’élèves en échec scolaire
dans des écoles souvent chaotiques.
spécialiste de la
pédagogie : « Il vaut sûrement mieux pour la société que 80 % de
la population ait au moins six sur dix, plutôt que 30 % ayant neuf sur
dix. »
L’idée que nous avons tous
un talent spécial et qu’il convient de le découvrir pour le faire jaillir est
devenue un cliché de la politique moderne.
Il n’y a pas de honte à ne
pas aller à l’université quand seulement 15 ou 20 % d’une classe d’âge y
vont, mais c’est une autre affaire quand ils sont 45 ou 50 %. De plus, il
est presque impossible à la voie professionnelle de conserver un quelconque
prestige lorsque tant de gens sont admis à l’université,
Il y a même peu d’arguments
concrets pour soutenir l’idée anticapitaliste très répandue que les inégalités
et la précarité du travail seraient en rapide augmentation.
Une part encore plus grande
est occupée par les travailleurs indépendants – plus de 80 % des nouveaux
emplois entre 2007 et 2014,
Les petits fabricants du
Royaume-Uni dépendent au quotidien de décisions d’approvisionnement prises par
des multinationales lointaines, et de décisions économiques capricieuses qui
échappent à leur contrôle ».
Les chaînes
d’approvisionnement mondialisées sont monnaie courante dans les multinationales
lObsession des conseils
d’administration pour les profits de l’actionnariat et l’activité des marchés,
stimulée par les banques d’investissement de la City de Londres, et qui
décourage souvent la planification et l’investissement à long terme.
« La plupart des
meilleures entreprises britanniques sont assises sur un tas d’or. Elles ne
l’investissent pas dans le développement du produit ni dans l’ouverture de
marchés d’export en Extrême-Orient, de peur qu’une réaction adverse n’affecte
le cours de leurs actions. Elles préfèrent “restituer les liquidités aux
actionnaires” par des rachats de titres ou rechercher des fusions et
acquisitions, plutôt que cultiver la croissance organique de leur entreprise.
En dernier ressort, elles peuvent toujours “mettre l’entreprise sur le marché”
et la vendre au prix fort.
Les entreprises elles-mêmes
sont devenues des biens de consommation.
Ce qui manque à ces
critiques, et aux prescriptions politiques qui les accompagnent, c’est la
compréhension de la dislocation – aussi bien psychologique que financière –
engendrée par le passage d’une économie industrielle à une économie du savoir.
Passage qui laisse à de nombreux Quelque-Part un sentiment de démoralisation et
de déclassement. Les emplois industriels qualifiés qui fournissaient jadis une
sorte de matelas économique et social à notre société ont été largement
balayés. Le système économique, qui accordait autrefois une place aux personnes
à capacités moyennes ou faibles, favorise désormais les élites intellectuelles
et les chanceux de l’éducation – autrement dit, les Partout.
Mobilité sociale et
méritocratie sont des principes fondamentaux de la philosophie individualiste
et progressiste des Partout, mais les Quelque-Part, eux, ont quelque raison de
rester plus dubitatifs. Les deux concepts reposent sur l’idée tacite d’une
société de la réussite, et parlent autant d’ambition et de réussite que de
justice. Il n’y a rien de mal à l’ambition et à la réussite – une société doit
en effet donner une haute priorité aux deux principes, et à ceux qui en
veulent. Mais les autres ? Les partisans de la mobilité sociale prennent
trop rarement la peine de réfléchir à l’effet de leur discours sur ceux qui ne
gravissent pas les échelons – or, comme je l’ai rappelé plusieurs fois,
50 % de la population sera toujours, par définition, dans la moitié
inférieure
La méritocratie est
inattaquable dans le principe, mais en pratique – comme l’a bien vu
Michael Young dans sa célèbre parabole The Rise of the
Meritocracy4* –, elle peut légitimer l’inégalité et réduire l’empathie
envers les pauvres.
Une raison possible à la
popularité persistante de la famille royale d’Angleterre est qu’elle se place
en dehors du système de mérite et de réussite. Elle existe, c’est tout.
L’humain est un être
grégaire, et ceux qui s’élèvent dans la société renoncent volontairement à la
sécurité du groupe contre les avantages d’appartenir à une classe sociale plus
haute, ou, dans le cas des immigrés, à un pays plus riche et plus prospère. Les
politiques ont tendance à négliger ces attachements de groupe et à décrire une
hypothétique société sans frictions, entièrement faite d’individus isolés qui
s’élèvent dans la hiérarchie sociale grâce à leur travail ou à leurs aptitudes.
Nous aurons toujours besoin
de millions d’emplois basiques – dans le soin, le commerce, les transports, le
nettoyage, le bâtiment, etc. Une immigration relativement ouverte peut
contribuer à assurer ces emplois, mais se paie par le mécontentement des
classes populaires autochtones.
Les anciennes identités de
classe, plus fortes, apportaient un réconfort contre le sentiment d’échec
personnel : les gens pouvaient comprendre leur relative infortune comme
une conséquence de leur position dans la hiérarchie sociale.
La fameuse thèse de la
« privation relative » – l’idée que l’on compare ses revenus et son
statut uniquement à ceux qui sont à un ou deux échelons de nous, vers le haut
ou vers le bas – a été rendue obsolète par la transparence offerte
par les réseaux sociaux et par l’égalitarisme naïf du système éducatif,
encourageant l’idée que chaque écolier peut devenir ce qu’il voudrait être.
Les jeunes gens ambitieux et
capables des pays pauvres s’imaginaient autrefois grimpant jusqu’au sommet de
leur société. Maintenant, ils ont tout autant de chances de s’imaginer
s’échappant par-delà les océans, jusqu’à des sociétés comme la nôtre qui les
attirent par le biais des réseaux sociaux.
En 1950, 10 % seulement
de la population appartenait à la classe des cadres et professions
intellectuelles supérieures. Le taux est désormais de plus ou moins un tiers,
en fonction de la classification choisie8.
Augmentation de l’accès des
femmes à des emplois à haut statut. Il y a aussi, de nos jours, beaucoup plus
de filles que de garçons sur les bancs de l’université. Cela a dû réduire la
« place au sommet » pour les hommes à bas revenus. « Le
féminisme a pris le pas sur l’égalitarisme »,
L’ancienne idée de
« s’améliorer » en abandonnant ses racines ouvrières devient
moralement plus complexe.
Un enfant élevé par des
parents CSP+ a presque un an d’avance dans le développement de son
vocabulaire par rapport à ceux des foyers défavorisés. La technologie et
l’ouverture économique ont balayé nombre de bons emplois de la classe moyenne,
et les jeunes hommes et femmes qui auraient jadis occupé ces emplois ne se sentent
pas toujours de taille à entrer dans la course aux diplômes. Ils abandonnent
alors, souvent pendant la deuxième ou troisième année d’enseignement
secondaire.
Années 1960 qui, entre
autres choses, vient compléter l’égalisation politique des femmes commencée
dans les années 19201*. Elle leur apporte une bien plus grande autonomie
juridique et économique par rapport aux hommes et à la famille
traditionnelle : facilitation du divorce, emplois plus favorables, plus
grande égalité sur le marché du travail, versement direct des allocations sur
leur compte, et plus tard, imposition individuelle pour le mari et pour la
femme. Au même moment, l’arrivée de la pilule et la facilitation de
l’avortement dissocient les relations sexuelles de la maternité et de l’engagement
à long terme.
Non seulement la sphère
privée de la famille perd de son prestige et de son sens à mesure que la sphère
publique du travail et de la vie sociale prend de l’importance, mais en plus,
une tranche considérable de la culture intellectuelle et populaire en vient à
associer la famille à la répression de la liberté individuelle et à la
subordination féminine.
Féministes orthodoxes et
économistes orthodoxes sont alliés dans leur vision négative de la famille
Traditionnel
« altruisme féminin » – l’un des principaux ciments de la société
depuis la nuit des temps.
Et l’évolution plus générale
des valeurs – vers davantage d’indépendance et une plus grande égalité des
sexes – aboutit à moins de mariages, à beaucoup plus d’enfants nés et élevés en
dehors de la famille traditionnelle, et à des femmes ayant nettement moins
besoin d’un soutien de famille masculin.
Comment inventer de
nouvelles formes d’interdépendance mutuellement bénéfique entre hommes et
femmes en cette époque d’égalité des sexes, et comment préserver au mieux la
famille biparentale en cette époque de liberté accrue ?
La proportion de foyers
monoparentaux (le parent étant à 90 % une femme) n’était que de 8 %
en 1970, elle est maintenant de 25 % (29 % en Angleterre et au pays
de Galles5).
L’État a énormément augmenté
depuis cinquante ans son ingérence et ses dépenses dans la vie familiale.
Ce changement est allé de pair avec les grandes évolutions de la famille
décrites ci-dessus, et avec une forte augmentation de toutes les formes d’aide
en dehors du foyer. L’expansion de l’aide sociale à partir des années 1970
a produit une série de mesures permettant de subsister en étant parent isolé –
allocations, crédit d’impôt par enfant, aide au logement, priorité sur les
listes d’attente pour le logement social –
L’État, en effet, se fait de
plus en plus État providence. En 2014-2015, les aides sociales, y compris les
pensions de retraite (qui comptent pour la moitié), se montaient à
258 milliards de livres, soit 35 % de la dépense publique – un total
et une proportion qui continuent d’augmenter, même en ces temps d’austérité14.
En ajoutant à cela la couverture santé et l’éducation, on n’arrive pas loin des
deux tiers de la dépense publique.
Le seul coût de la
dislocation des familles – les diverses dépenses engagées par l’État pour
soutenir les parents isolés et gérer les conséquences de la rupture des couples
– se monte actuellement à 48 milliards de livres par an, en hausse
depuis 2009 où il était de 37 milliards15.
Il est souvent rationnel,
financièrement parlant, de ne pas (ouvertement) former une unité familiale.
Ades variées (allocation
chômage, allocations familiales, crédits d’impôt) tombent d’un coup pour les
mères isolées qui reconnaissent vivre en concubinage : on appelle cela la
« pénalité pour les couples ». Voilà qui crée une forte incitation à
ne pas officialiser les nouvelles relations amoureuses permanentes et
solidaires. Pour un couple avec un enfant, la différence peut se monter à 7 100 livres
par an.
Mais comme dans d’autres
domaines de la politique publique, l’effet cumulatif a produit des résultats
que personne n’aurait choisis – et surtout pas les enfants.
L’individualisation de la
société a accouché d’un État plus étendu, plus intrusif, cependant que la
famille et, de manière plus intangible, la communauté s’affaiblissaient.
Beaucoup de femmes exécutent
désormais pour le domaine public – les services d’État – des tâches que leurs
grands-mères auraient remplies sans être payées dans le cercle privé.
Ce qui est en cause, c’est
la forme et la dimension prises par le travail hors de la maison, ainsi que les
comportements et dépendances encouragés et découragés par les structures
d’aide.
Principe contestable
qu’hommes et femmes ont des objectifs identiques et un même désir de travailler
à plein temps hors de la maison, même en élevant des enfants.
Trop de fonds sont consacrés
à compenser l’échec des couples après coup, plutôt qu’à les soutenir pour
qu’ils restent ensemble.
Depuis quelques décennies
les grands-parents jouent un rôle de plus en plus important dans la garde des
enfants : presque deux tiers des grands-parents gardent leurs
petits-enfants, et ils passent presque dix heures par semaine à le faire.
Les faits et arguments que
je présente ici restent généralement à la marge du débat public, soutenus par
des groupes religieux et des associations de mères considérés comme
rétrogrades, voire tout à fait farfelus.
Mais comment en sommes-nous
arrivés à une situation où d’un côté les responsabilités familiales, et les
dépenses liées au fait d’avoir des enfants, ne sont pas du tout reconnues dans
le code des impôts, et de l’autre des crédits d’impôt proposés sous condition
de ressources pour soutenir les familles les plus pauvres ?
« Il est bien sûr
important que les femmes qui le souhaitent puissent tirer de la sphère publique
tout le prestige et l’estime qu’elles désirent. Le problème se trouve dans leur
tendance à supposer que nous voulons toutes la même chose. Et celles d’entre
nous qui attachent plus d’importance à la maison, aux enfants et à leur mari
sont bien moins visibles que les autres. Pis, les femmes dans la sphère
publique croient avoir mandat pour parler à notre place, au nom de notre sexe.
Et les hommes qui ont du pouvoir politique les croient parce que ce qu’elles
disent cadre avec la vision masculine du monde35. »
Nous dédaignons à nos
risques et périls l’idée désuète selon laquelle le devoir familial fait
ressortir le meilleur des hommes. «
Beaucoup de femmes de la
classe ouvrière sont aidées par l’État via les allocations et l’accès
prioritaire au logement social, que reste-t-il au soutien de famille
masculin ? L’idée traditionnelle de devenir un homme et un bon citoyen en
assumant des devoirs familiaux est à peu près tombée aux oubliettes… et pendant
ce temps, les comportements antisociaux de toute sorte restent essentiellement
le fait des garçons de 16 à 24 ans.
Le mariage était jadis
considéré comme une institution faite pour que des parents élèvent leurs
enfants ensemble dans un esprit solidaire. En quelques décennies, nous sommes
passés à une conception plus personnelle, privilégiant la satisfaction des
besoins psychologiques et physiques de l’individu.
Faire durer un couple sur le
temps d’une vie, c’est difficile, surtout si les gens en attendent une
satisfaction permanente.
Nous sommes peut-être en
train de vivre une réaffirmation mondiale des intérêts des Quelque-Part :
le peuple de la province et de la campagne, qui a voté pour Trump et pour le
Brexit. Cela se produit ailleurs aussi, comme l’a récemment montré
Francis Fukuyama1* : « Poutine reste impopulaire dans
l’électorat éduqué des grandes villes comme Saint-Pétersbourg et Moscou, mais
il jouit d’une popularité énorme dans le reste du pays. La même chose est vraie
du président turc Recep Tayyip Erdoğan, qui bénéficie d’une base de soutien
enthousiaste dans la classe moyenne inférieure, ou de Viktor Orbán en Hongrie,
populaire partout sauf à Budapest7. »
Le réflexe « C’est la
faute de la société » est encore puissant dans certains domaines du
secteur public, mais il est désormais en concurrence avec une morale de la
responsabilité individuelle et du « Aide-toi et le ciel t’aidera ».
La libéralisation des sociétés modernes – et le déclin bienvenu des
discriminations – est souvent allée de pair avec un plus grand relâchement des
mœurs. Cela entraîne un problème particulier pour certaines familles immigrées
issues de sociétés traditionnelles qui ont l’impression de se faire
« prendre » leurs enfants par une société sans limites.
Dans l’État moderne, cette
noble idée de solidarité a été, peut-être de manière inévitable, noyée dans
l’indifférence de la bureaucratie.
Enfin, l’État et les
services d’aide sociale devraient plus clairement faire appliquer les règles
morales de base qui suscitent un vaste consensus, notamment récompenser la
bonne volonté et la participation.
Goodhart, David. Les Deux
Clans (French Edition) . Les Arènes. Édition du Kindle.
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