jeudi 9 janvier 2020

Les Deux Clans, Davied Goodhart, Les Arènes


Les Deux Clans, Davied Goodhart, Les Arènes

Les clivages de valeurs et les inquiétudes d’ordre « sociéto-culturel » qui fissurent la politique traditionnelle.

Les sociétés des pays riches sont divisées par un grand clivage de valeurs entre Ceux qui se sentent bien partout et Ceux qui se sentent de quelque part. Les

Nous avons désormais du mal à nous trouver assez d’intérêts communs pour arriver à des compromis viables.

« La politique moderne a moins à voir avec les positions traditionnelles de la droite et de la gauche et plus, aujourd’hui, avec ce que j’appellerais le choix moderne, qui est celui de l’ouverture contre la fermeture3. »

Malgré le développement récent de la mobilité géographique, quelque 60 % des Britanniques vivent encore dans un rayon de 32 kilomètres autour du domicile qu’ils occupaient à l’âge de 14 ans5.

L’ère post-industrielle a largement aboli le travail manuel, dévalué le statut des hommes à faibles revenus et fragilisé le pacte national, les patrons ne se sentant plus les mêmes obligations qu’autrefois envers « leur » classe ouvrière.

Libéralisme économique qui exporte les usines et importe les travailleurs.

Attributs classiques du conservatisme des classes moyennes du milieu du XXe siècle – foi religieuse, chauvinisme, domination du mâle blanc

La « grande libéralisation » des quarante dernières années dans les jugements sur la race, le genre et la sexualité a été absorbée et acceptée par la majorité

La génération Z – toute personne née après 2001 – semble confirmer ce nouveau penchant pour la prudence et le conservatisme.

Les libéraux de cet ordre se soucient généralement de justice sociale mais, comme l’a fait remarquer le psychologue social américain Jonathan Haidt, ils échouent souvent à comprendre les autres pulsions politiques que sont la loyauté, l’autorité, le sacré.

Comparées aux sociétés traditionnelles, les sociétés modernes ont un bas niveau de consensus moral et politique.

Le politiquement correct poussé à l’extrême peut aboutir à une perversion du concept de nuisance, comme on l’observe par exemple sur certains campus américains où des étudiants sont prompts à s’« offenser » de toute opinion non orthodoxe.

Sur quelle base convenons-nous de normes partagées ? Il n’y a plus de recours à l’autorité, parce que l’autorité religieuse et morale a été sapée au nom de la liberté et du choix individuel. Reste seulement le très libéral agreement to disagree, l’accord sur le désaccord.

Se présenter comme la voix de la raison n’est pas un choix politique avisé. C’est de la condescendance élitiste.

« Quand j’étais au Trésor, j’ai poussé pour ouvrir le plus grand possible la porte à l’immigration ! Je crois que c’était ma tâche de maximiser l’aide sociale à l’échelle mondiale, et non nationale. »

Mais est-il sain pour la démocratie que les dépositaires d’un si grand pouvoir aient des vues si manifestement décalées par rapport aux intuitions politiques profondes de la majorité du public ?

Les sociétés qui réussissent sont des entités solides, construites sur des habitudes de coopération, de compréhension mutuelle et de confiance, et liées par une langue, une histoire, une culture.

Maintenir les flux entrants à des niveaux qui permettent encore aux arrivants d’être absorbés dans ce concept flou que nous appelons « mode de vie ».

Le Royaume-Uni connaît déjà des difficultés pour intégrer correctement certains arrivants, notamment ceux de sociétés traditionnelles, souvent musulmanes.

Pourquoi pas cent mille désespérés de plus ? Après tout, à quoi devraient-ils s’intégrer ? Nous sommes tous de simples individus, n’est-ce pas ? L’universalisme de la gauche – fondé sur son engagement historique en faveur de l’égalité raciale – rencontre là l’individualisme de la droite libérale qui prétend que « la société n’existe pas ». Pourtant, non seulement nous savons

Trump doit principalement sa victoire électorale à son opposition farouche à l’Obamacare, perçu comme obligeant les banlieues résidentielles et les petites villes blanches à subventionner l’assurance santé des cités ethniquement mélangées.)

Nous sommes aussi le fruit de circonstances et d’expériences, membres de familles, de groupes sociaux, dotés de niveaux d’instruction et de catégories de compétences, qui sédimentent sans même que nous en ayons toujours conscience, et nous orientent vers des ensembles de valeurs plus larges.

A mesure qu’un pays s’industrialise, les valeurs traditionnelles d’attachement à la religion et à l’autorité cèdent la place à des priorités plus profanes et pragmatiques. Ce mouvement est initié par les classes éduquées. Plus les sociétés s’enrichissent, moins elles restent attachées à des « valeurs de survie » – fondées sur la famille, la tribu ou autres sous-groupes qui sécurisent l’individu – et plus elles favorisent l’expression de soi et les « valeurs d’émancipation ». Ces nouvelles valeurs mettent l’accent sur les droits et le bien-être non seulement de l’individu, mais de tous.

Acronyme WEIRD4* – c’est-à-dire issus d’une sous-culture occidentale, éduquée, industrialisée, riche et démocratique (Western, Educated, Industrialised, Rich and Democratic). Ils tendent vers l’universalisme moral et se méfient des loyautés nationales fortes.

Nous sommes encore des primates grégaires, et notre psychologie morale continue d’être façonnée par des forces d’évolution ancestrales.

La morale se construit sur des fondations, des systèmes psychologiques multiples, et les conservateurs comprennent un plus grand nombre de ces fondations que ne le font les libéraux. Les libéraux sont très sensibles aux questions de nuisance, de souffrance (jouant sur nos aptitudes à l’empathie), d’équité et de justice (à rapprocher de notre instinct inné pour la réciprocité).

Les conservateurs partent du principe que les humains ont besoin de contraintes pour bien se comporter, les libéraux du principe que ce sont les contraintes qui provoquent les mauvais comportements.

L’exposition à la différence, les discours sur la différence et le fait d’applaudir la différence – autant de marques de fabrique de la démocratie libérale – sont les meilleurs moyens d’exaspérer ceux qui sont foncièrement intolérants. […]

Sutherland, ancien président de Goldman Sachs et ancien commissaire européen au Commerce, est allé jusqu’à affirmer, lors d’une séance à la Chambre des lords en 2012, que l’UE devait faire de son mieux pour « saper l’homogénéité » de ses États membres et que l’immigration était cruciale pour la croissance économique, « si difficile que ce soit à expliquer aux citoyens de ces États18 ».

Les activistes antiracistes et quelques personnes à gauche souhaitent imposer une définition aussi large et vague que possible du terme, dans l’espoir erroné que cela contribuera on ne sait comment à l’élimination du racisme.

A gauche aussi, le « sociéto-culturel » supplante de plus en plus le socioéconomique.

Le concept même d’université repose sur la quête de la raison et sur la recherche scientifique, ce qui la rend par définition encline à défier l’autorité et la tradition.

La pleine égalité des sexes est bien mieux acceptée dans les milieux riches et éduqués.

Parallèlement à la libéralisation générale, on voit apparaître une divergence significative entre les niveaux d’éducation.

Les Britanniques blancs, en particulier ceux à faibles revenus et bas niveau d’éducation, souhaitent toujours préserver leur identité ethnique, sans pour autant se réclamer du suprémacisme.

Ce sentiment que « changer, c’est perdre » est généralement moqué dans les médias par les Partout, qui y voient le « c’était mieux avant » d’un Royaume-Uni provincial et rétrograde.

Pour la plupart des gens la vie n’a jamais été meilleure qu’aujourd’hui. Et c’est tout à fait vrai en termes de revenus (si on ne compte pas les dernières années), de santé, de longévité et de confort matériel. Mais peut-être qu’à d’autres égards beaucoup de gens ne constatent aucun progrès : par exemple en ce qui concerne le sentiment d’appartenance, la reconnaissance sociale, la valorisation de leur rôle, le sentiment d’être bienvenus et respectés, etc. Vouloir remonter dans le temps n’est pas un instinct idiot, pour qui a le sentiment que les aspects non matériels de la vie étaient réellement meilleurs autrefois.

Pour les Villageois planétaires, les trois principales caractéristiques seraient la priorité donnée à l’aide internationale avant l’aide nationale, l’indifférence à l’identité nationale, et l’absence d’opinion sur l’intégration des musulmans. Pour les Autoritaristes endurcis, les trois caractéristiques que je retiens sont un nationalisme sans réserve, des critères très restrictifs sur qui peut entrer dans le club national, et une forte opposition au mariage pour tous.

il existe un noyau dur de résistance à la libéralisation, qui ne semble pas devoir mourir avec l’ancienne génération.

Depuis les dernières décennies du XXe siècle, les systèmes politiques dominés par la compétition entre deux grands partis, de centre-gauche et de centre-droit, se délitaient lentement dans presque toute l’Europe continentale.

Être « dur avec les causes du populisme » suppose de critiquer les responsables politiques classiques, surtout ceux du centre-gauche, lesquels se sont trop facilement convaincus que les vertus de l’ouverture allaient sans dire. Les solutions que trouvent les populistes sont souvent impraticables (il n’y a qu’à voir Donald Trump), mais les problèmes qu’ils soulèvent n’en sont pas moins réels. Lorsqu’un petit pays plutôt homogène comme les Pays-Bas, avec ses 17 millions d’habitants, acquiert en l’espace de quelques décennies une population immigrée de plus de 20 %, lorsque la moitié de la minorité marocaine dans les écoles d’Amsterdam ne s’identifie pas comme néerlandaise, lorsque seulement un tiers des demandeurs d’asile arrivés depuis vingt ans sont au travail, une réaction politique est inévitable.

Importance de la stabilité et de la sécurité aux frontières, la priorité donnée aux concitoyens avant les droits universels, le besoin d’histoire et de reconnaissance pour ceux qui ont du mal à s’épanouir dans des économies privilégiant les hauts niveaux d’instruction.

Depuis l’implosion du socialisme, le populisme est le levier politique employé par les oubliés de la réussite pour réfréner, voire ramener sur terre, ceux qui réussissent dans ces sociétés dans l’ensemble extraordinairement prospères et florissantes.

On pourrait même voir dans le populisme une forme d’idéalisme, un autre versant de la politique « post-matérialiste » habituellement associée plutôt au mouvement écologiste.

Les gens ont besoin d’avoir quelque chose dans leur vie qui ait plus d’importance que l’argent – surtout, peut-être, quand ils ont peu d’espoir d’en gagner beaucoup. »

Le pouvoir doit être ramené à un niveau bien plus local.

Tout le monde parle du populisme, mais personne ne sait en donner une définition, qui pourrait aussi bien avoir été écrit aujourd’hui. Le terme recouvre tant de phénomènes politiques différents qu’il a un faible pouvoir explicatif. S’il fallait énoncer une idée qui décrive ses incarnations variées, ce serait celle-ci : la défense des intérêts des honnêtes citoyens, foncièrement opposés à ceux des élites libérales corrompues.

Poussés dans leurs retranchements, les populistes placent la démocratie au-dessus du libéralisme, et les libéraux placent les droits et la raison au-dessus de la démocratie –

Le conflit entre libéralisme et démocratie est un problème très réel dans certaines parties de l’Europe, surtout maintenant que l’indépendance des banques centrales, l’influence grandissante des cours de justice internationales et l’emprise croissante des lois de l’UE ont soustrait tant de décisions aux processus démocratiques nationaux.

Critique envers le bilan des élites occidentales et le consensus en vigueur depuis une génération : création d’un euro défaillant ; fiascos de politique étrangère comme la guerre en Irak ; scandale des dépenses du Parlement britannique en 2009 ; incapacité à anticiper les conséquences de l’immigration à grande échelle (et, au Royaume-Uni, échec particulier à prévoir le flux d’immigrants en provenance d’Europe de l’Est après 2004) ; incapacité à fournir aux classes les plus vulnérables les protections promises contre la mondialisation ; échec à dompter le secteur financier ou les déséquilibres mondiaux qui ont mené à la crise financière de 2007-2008.

La trinité des inquiétudes populistes – immigration, insécurité, corruption

Dépouillé de l’exclusivité ethnique, le nationalisme n’est rien de plus que le fait de placer les droits des citoyens nationaux devant les droits universels.

La méfiance envers les élites est l’attitude la plus banale de toutes. C’est une idée profondément enracinée dans la société occidentale – peut-être à cause du concept chrétien de péché originel – que l’humain abusera de son pouvoir si on le laisse faire.

Un populisme plus décomplexé a jailli de la confluence de deux tendances politiques. D’un côté, la politique des partis conventionnels est devenue plus étriquée, moins différenciée idéologiquement, plus dominée par l’entre-soi, qu’il s’agisse de ses responsables ou des intérêts qu’elle représente. De l’autre, la technologie a fait tomber les obstacles à l’expression politique et arraché de ce fait le « filtre » qui permettait à l’élite de contrôler l’entrée dans le match.

Aux États-Unis, la gauche n’a pas si clairement convaincu sur les questions de société, d’où une longue « guerre culturelle ».

Les citoyens de la plupart des démocraties développées sont moins déférents et moins confiants dans l’autorité qu’avant, plus conscients de leurs droits, davantage prêts à s’engager dans des actions coups-de-poing pour empêcher la fermeture d’un hôpital ou la construction d’une autoroute et, armés d’Internet, mieux équipés pour contester l’expertise professionnelle.

Le filtre politique que le système conventionnel des partis et des médias traditionnels procurait jadis aux élites a été brisé ; la voix du peuple, en colère ou non, se déverse partout. Et pas seulement à travers les nouveaux médias numériques : les anciens, comme la presse papier et les chaînes de télévision ou de radio, passent leur temps à courir après la participation et les commentaires du public.

Dans certaines parties de l’Europe aussi, l’anxiété de la majorité ethnique semble être un élément de la montée du populisme, les Blancs se voyant obligés de penser à leur identité ethnique, souvent pour la première fois, alors que leurs symboles et priorités cessent de dominer automatiquement dans leur quartier – quand le pub ferme et que s’ouvre une épicerie polonaise ou une boucherie halal.

Vœux d’une UE fondée sur la famille, la souveraineté nationale et le christianisme.

Bloomberg News que le succès du populisme n’était pas en premier lieu économique. « C’est surtout une question de valeurs […], de la manière dont on maintient l’unité de la société33.

Le populisme est de fait le nouveau socialisme. Presque tous les partis populistes d’Europe ont aujourd’hui une base électorale comptant une écrasante majorité de travailleurs, et la plupart d’entre eux adoptent vis-à-vis de l’économie et de la mondialisation une attitude plus proche de la gauche que de la droite, ou qui pourrait être décrite comme étatiste/protectionniste.

Le fossé entre les clans Partout et Quelque-Part traverse par le milieu la base électorale du Parti travailliste et d’autres partis de centre-gauche européens – problème qui les étouffe lentement depuis une génération.

Il y a cinquante ans, le concept de politique sociéto-culturelle n’existait même pas ; aujourd’hui, c’est la principale motivation de la gauche jeune et londonienne, qui constitue de plus en plus le centre de gravité du parti. Les comptes Twitter des militants du Labour parlent davantage de « culture du viol » ou de « maltraitance » que d’inégalités économiques.

L’enracinement est un instinct humain puissant.

Le développement d’Internet a permis aux jeunes Africains et Afghans de voir en un clic comment vivent les Européens. Les gens ne comparent plus leur vie à celle du voisin, mais à celle des habitants les plus riches de la planète. Ils ne rêvent pas d’avenir, mais d’ailleurs ».

On entend souvent le lobby pro-réfugiés dire que 1,5 million de réfugiés par an, c’est insignifiant pour un continent de 500 millions d’habitants. C’est ignorer l’effet cumulatif de ces petits changements, et le fait qu’ils ne sont pas répartis régulièrement mais se produisent principalement dans trente ou quarante zones urbaines en Europe du Nord-Ouest.

En Europe, nous avons tendance à sous-estimer notre capacité à contrôler nos frontières et à surestimer largement notre capacité à intégrer les autres dans nos sociétés complexes, libérales et modernes.

Le nombre de personnes vivant dans l’extrême pauvreté (moins de 1,90 dollar par jour) est tombé à 10 % de la population mondiale9.

L’inverse de l’époque coloniale, ce sont maintenant les pays pauvres qui envoient des biens manufacturés et des flux de personnes vers les pays riches. Ce phénomène est parfois interprété comme une sorte de revanche des colonisés. Mais si c’est le cas, il semble injuste que ceux qui en souffrent soient les descendants européens des lampistes et des soutiers, plutôt que de ceux qui occupaient les villas de gouverneurs.

Finance aux OGM –, un arbitrage entre risque/innovation et stabilité est nécessaire, et des sociétés différentes trouvent leur équilibre différemment. Lorsque ces choix nationaux deviennent impossibles à cause de règlements mondiaux intrusifs, cela suscite une crispation politique contre l’OMC et Bruxelles, et une crise de légitimité.

Nous avons besoin d’un nouvel équilibre entre les souverainetés nationales et l’ordre économique international, qui permette une plus grande variété de formes institutionnelles en fonction des préférences et traditions nationales.

L’idée que la politique fiscale ou le niveau de la dépense publique d’un pays doivent être décidés par un comité à Bruxelles, et que les citoyens d’un pays donné doivent être traités comme s’ils étaient citoyens de tous les autres pays de l’Union, heurte de plein fouet l’idée évidente pour tous de souveraineté nationale.

La circulation entre les pays de l’UE a tendance à être économiquement régressive : les défavorisés des pays riches de l’UE, qui sont les moins susceptibles de profiter eux-mêmes de la liberté de circulation, sont aussi les plus susceptibles d’être désavantagés par la concurrence accrue sur le marché du travail et les plus perturbés par des changements dans leurs quartiers d’habitation.

Presque aucun citoyen de l’UE ne croit au principe de non-discrimination – la plupart des gens restent attachés à l’idée que leurs concitoyens doivent avoir la priorité sur les étrangers dans l’accès aux biens publics –, et pourtant l’UE reste arc-boutée sur la question.

L’Union européenne se voit comme un rempart contre le nationalisme, mais en se faisant l’ennemie d’un patriotisme modéré elle a fini par engendrer des versions plus extrêmes dans les soulèvements populistes qui se produisent d’un bout à l’autre de l’Union.

La force destructrice du nationalisme extrême dans la première moitié du XXe siècle et le nombre inédit de victimes qu’il a laissées dans son sillage continuent de résonner dans la politique moderne, surtout en Europe. Cela n’a rien d’étonnant. Le désir d’affaiblir et finalement de transcender la nation était au cœur du projet européen, et, comme nous venons de le voir, y est toujours aujourd’hui.

L’hostilité au nationalisme est devenue totale et sans nuance, du moins chez les personnes hautement éduquées. Horrifiée par le nazisme et les conflits colonialistes tardifs en Indochine, en Algérie et en Afrique, l’intelligentsia européenne s’est prise d’aversion pour les expressions même les plus mesurées du sentiment national,

Le post-nationalisme s’avère tout aussi vulnérable à la pensée unique que le nationalisme lui-même, à ceci près qu’il se drape de suffisance morale.

La nouvelle gauche post-années 1960 envisage le nationalisme dans le contexte du colonialisme européen. Non seulement il est associé aux mécanismes de l’oppression de classe, mais en outre il se confond avec le racisme.

Le discours du progrès, façonné par l’histoire des réformes des droits civiques dans les dernières générations, voit dans l’abolition de l’esclavage et l’émancipation des femmes et des minorités un prélude au dépassement de toutes les communautés exclusives – y compris l’État-nation.

Si la nation est, à l’instar du racisme, l’expression d’une intolérance illégitime, alors il faut remettre en question la légitimité de la démocratie et de l’État providence, qui de nos jours n’existe que sous forme nationale.

Les sociétés sont composées de groupes d’individus qui viennent de tel ou tel endroit, parlent telle ou telle langue, ont leurs us et coutumes. Les Partout acceptent volontiers cette idée pour les minorités – cela s’appelle le multiculturalisme –, mais sont mal à l’aise lorsqu’il s’agit des majorités.

L’enseignement supérieur moderne a tendance à vacciner les individus contre l’esprit de clocher.

L’idéologie de la mondialisation nous a seriné que l’État-nation était de plus en plus une coquille vide.

Les gouvernements ont cédé le pouvoir à des capitaux financiers mobiles, à des chaînes d’approvisionnement transfrontalières et à des changements rapides d’avantages comparés. Le contrôle de l’information appartient maintenant à la télévision par satellite en continu et à la cacophonie du web […]. Les citoyens attendent des responsables politiques nationaux qu’ils les protègent contre les insécurités – économique, sociale et physique – qui accompagnent l’intégration mondiale. Mais les gouvernements ont largement perdu la capacité à satisfaire cette demande. »

L’égalité morale de tous les humains est interprétée par de nombreux Villageois planétaires comme signifiant que les limites et frontières nationales n’ont plus de sens, et que toute préférence pour ses concitoyens est une faute morale.

Tous les êtres humains sont égaux, mais ils n’ont pas une égale importance à nos yeux. Nos obligations et allégeances s’étendent depuis la famille et les amis vers les étrangers vivant dans nos quartiers et nos villes, et ainsi de suite jusqu’aux nations et enfin à l’humanité entière.

Si tous les hommes sont mes frères, alors aucun ne l’est : mes ressources sentimentales et financières sont trop dispersées pour faire une différence. Le romancier Jonathan Franzen formule l’idée ainsi : « Essayer d’aimer l’humanité entière est peut-être un noble effort mais, paradoxalement, c’est une manière de rester concentré sur soi, sur son propre bien-être moral ou spirituel. Alors que pour aimer une personne en particulier, et s’identifier à ses joies et à ses peines comme si c’étaient les nôtres, il faut abandonner un petit peu de soit »

À l’inverse de la vieille idée gauchiste selon laquelle le nationalisme rend les masses aveugles à l’injustice, le sentiment national devrait par définition s’assortir d’un parti pris social-démocrate rappelant aux élites leurs obligations envers leurs concitoyens.
Si ce parti pris est souvent absent de l’idée d’identité nationale en Europe, et en particulier au Royaume-Uni, c’est que le récit national depuis presque deux cents ans est associé à la guerre, à l’impérialisme et à la domination.

Les « objets d’amour public, tels le NHS ou la Team GB : des choses qui nous font sentir que nous sommes unis dans un projet commun33 ».

La mentalité du clan Partout a également embrassé la philosophie des droits de l’homme brandie comme une identité nationale de substitution. Les Quelque-Part sont favorables aux droits, mais n’apprécient pas qu’ils en viennent à gommer la distinction entre citoyens nationaux et étrangers.

Le droit à l’éducation ou à un logement décent – nécessitent un financement et font donc appel à la solidarité de tous, généralement par l’intermédiaire de l’impôt.

En s’efforçant de réduire la distinction entre citoyens nationaux et étrangers, par exemple en faisant pression pour que les tribunaux européens se voient octroyer davantage de pouvoir, le lobby des droits humains sape sans le vouloir la solidarité nationale sur laquelle s’appuient encore la plupart des droits.

Les tribunaux de droits de l’homme se heurtent à la dure réalité des différences de valeurs, criantes d’une nation à l’autre.

Comment la loi européenne sur les droits humains peut-elle refléter les traditions, fortement divergentes dans toute l’Europe, qui règlent la relation entre Église et État

Les liens familiaux se sont distendus, les diasporas personnelles, les réseaux choisis d’amis, de groupes d’intérêt, de lieux de travail et du cyberespace ont gagné en importance,

Une grande partie de la culture moderne raconte la lutte de l’individu pour se libérer de la tradition et du qu’en-dira-t-on des petites bourgades.

La technologie qui nous rapprochait autrefois nous divise aujourd’hui par classes, par générations et par chambres d’écho politiques et ethniques.

Augmentation des cas de cloisonnement ethnique et social dans certaines grandes villes britanniques3.

Le soutien à l’immigration et au multiculturalisme (« Venez comme vous êtes ! ») grandissait dans les consciences politiques de centre-gauche.

Quand on voit des travailleurs venus de Roumanie ou de Bulgarie profiter des pleins avantages de la citoyenneté britannique alors qu’ils ne maîtrisent pas l’anglais et vivent dans des enclaves est-européennes, on peut se dire qu’ils traitent le pays comme un bien de consommation temporaire.

Le multiculturalisme, comme l’a fait remarquer Maajid Nawaz*, a fini par être synonyme de diversité entre les groupes, plutôt qu’à l’intérieur des groupes.

Revendiquer le statut de Londonien, de nos jours, c’est à peu près comme se proclamer citoyen du monde.

Londres était devenue une ville à « minorités majoritaires

L’avenir qui se profile est une société postmoderne, sans racines,

Une société postmoderne sans racines « dans laquelle rien n’est sacré » n’est pas celle que choisiraient la plupart des gens, s’ils avaient leur mot à dire.

La révolution thatchérienne se focalisait sur la structure du marché, la régulation et les incitations, et partait du principe que de nouvelles industries et des emplois de qualité viendraient tout seuls remplacer les dinosaures industriels du passé. Or, même quand ç’a été le cas, ils ont rarement émergé là où les anciennes industries avaient disparu.

La notion de « dignité du travail » passe maintenant pour quelque peu désuète. Elle était autrefois associée à l’orgueil de la force physique, à la fierté de savoir travailler de ses mains, au respect accordé à l’homme qui mettait le pain sur la table : autant de conceptions très affaiblies ou disparues aujourd’hui.

Il faut absolument que le salaire, le statut et la productivité des personnes situées en bas de l’échelle deviennent une priorité dans toutes les politiques économiques modernes.

L’éducation reste pensée pour les Partout : prédominance des universités d’élite, dédain pour une grande partie de l’enseignement technique et professionnel, indifférence envers la « longue traîne » des 20 ou 30 % d’élèves en échec scolaire dans des écoles souvent chaotiques.

spécialiste de la pédagogie : « Il vaut sûrement mieux pour la société que 80 % de la population ait au moins six sur dix, plutôt que 30 % ayant neuf sur dix. »

L’idée que nous avons tous un talent spécial et qu’il convient de le découvrir pour le faire jaillir est devenue un cliché de la politique moderne.

Il n’y a pas de honte à ne pas aller à l’université quand seulement 15 ou 20 % d’une classe d’âge y vont, mais c’est une autre affaire quand ils sont 45 ou 50 %. De plus, il est presque impossible à la voie professionnelle de conserver un quelconque prestige lorsque tant de gens sont admis à l’université,

Il y a même peu d’arguments concrets pour soutenir l’idée anticapitaliste très répandue que les inégalités et la précarité du travail seraient en rapide augmentation.

Une part encore plus grande est occupée par les travailleurs indépendants – plus de 80 % des nouveaux emplois entre 2007 et 2014,

Les petits fabricants du Royaume-Uni dépendent au quotidien de décisions d’approvisionnement prises par des multinationales lointaines, et de décisions économiques capricieuses qui échappent à leur contrôle ».

Les chaînes d’approvisionnement mondialisées sont monnaie courante dans les multinationales

lObsession des conseils d’administration pour les profits de l’actionnariat et l’activité des marchés, stimulée par les banques d’investissement de la City de Londres, et qui décourage souvent la planification et l’investissement à long terme.

« La plupart des meilleures entreprises britanniques sont assises sur un tas d’or. Elles ne l’investissent pas dans le développement du produit ni dans l’ouverture de marchés d’export en Extrême-Orient, de peur qu’une réaction adverse n’affecte le cours de leurs actions. Elles préfèrent “restituer les liquidités aux actionnaires” par des rachats de titres ou rechercher des fusions et acquisitions, plutôt que cultiver la croissance organique de leur entreprise. En dernier ressort, elles peuvent toujours “mettre l’entreprise sur le marché” et la vendre au prix fort.

Les entreprises elles-mêmes sont devenues des biens de consommation.

Ce qui manque à ces critiques, et aux prescriptions politiques qui les accompagnent, c’est la compréhension de la dislocation – aussi bien psychologique que financière – engendrée par le passage d’une économie industrielle à une économie du savoir. Passage qui laisse à de nombreux Quelque-Part un sentiment de démoralisation et de déclassement. Les emplois industriels qualifiés qui fournissaient jadis une sorte de matelas économique et social à notre société ont été largement balayés. Le système économique, qui accordait autrefois une place aux personnes à capacités moyennes ou faibles, favorise désormais les élites intellectuelles et les chanceux de l’éducation – autrement dit, les Partout.

Mobilité sociale et méritocratie sont des principes fondamentaux de la philosophie individualiste et progressiste des Partout, mais les Quelque-Part, eux, ont quelque raison de rester plus dubitatifs. Les deux concepts reposent sur l’idée tacite d’une société de la réussite, et parlent autant d’ambition et de réussite que de justice. Il n’y a rien de mal à l’ambition et à la réussite – une société doit en effet donner une haute priorité aux deux principes, et à ceux qui en veulent. Mais les autres ? Les partisans de la mobilité sociale prennent trop rarement la peine de réfléchir à l’effet de leur discours sur ceux qui ne gravissent pas les échelons – or, comme je l’ai rappelé plusieurs fois, 50 % de la population sera toujours, par définition, dans la moitié inférieure

La méritocratie est inattaquable dans le principe, mais en pratique – comme l’a bien vu Michael Young dans sa célèbre parabole The Rise of the Meritocracy4* –, elle peut légitimer l’inégalité et réduire l’empathie envers les pauvres.

Une raison possible à la popularité persistante de la famille royale d’Angleterre est qu’elle se place en dehors du système de mérite et de réussite. Elle existe, c’est tout.

L’humain est un être grégaire, et ceux qui s’élèvent dans la société renoncent volontairement à la sécurité du groupe contre les avantages d’appartenir à une classe sociale plus haute, ou, dans le cas des immigrés, à un pays plus riche et plus prospère. Les politiques ont tendance à négliger ces attachements de groupe et à décrire une hypothétique société sans frictions, entièrement faite d’individus isolés qui s’élèvent dans la hiérarchie sociale grâce à leur travail ou à leurs aptitudes.

Nous aurons toujours besoin de millions d’emplois basiques – dans le soin, le commerce, les transports, le nettoyage, le bâtiment, etc. Une immigration relativement ouverte peut contribuer à assurer ces emplois, mais se paie par le mécontentement des classes populaires autochtones.

Les anciennes identités de classe, plus fortes, apportaient un réconfort contre le sentiment d’échec personnel : les gens pouvaient comprendre leur relative infortune comme une conséquence de leur position dans la hiérarchie sociale.

La fameuse thèse de la « privation relative » – l’idée que l’on compare ses revenus et son statut uniquement à ceux qui sont à un ou deux échelons de nous, vers le haut ou vers le bas – a été rendue obsolète par la transparence offerte par les réseaux sociaux et par l’égalitarisme naïf du système éducatif, encourageant l’idée que chaque écolier peut devenir ce qu’il voudrait être.

Les jeunes gens ambitieux et capables des pays pauvres s’imaginaient autrefois grimpant jusqu’au sommet de leur société. Maintenant, ils ont tout autant de chances de s’imaginer s’échappant par-delà les océans, jusqu’à des sociétés comme la nôtre qui les attirent par le biais des réseaux sociaux.

En 1950, 10 % seulement de la population appartenait à la classe des cadres et professions intellectuelles supérieures. Le taux est désormais de plus ou moins un tiers, en fonction de la classification choisie8.

Augmentation de l’accès des femmes à des emplois à haut statut. Il y a aussi, de nos jours, beaucoup plus de filles que de garçons sur les bancs de l’université. Cela a dû réduire la « place au sommet » pour les hommes à bas revenus. « Le féminisme a pris le pas sur l’égalitarisme »,

L’ancienne idée de « s’améliorer » en abandonnant ses racines ouvrières devient moralement plus complexe.

Un enfant élevé par des parents CSP+ a presque un an d’avance dans le développement de son vocabulaire par rapport à ceux des foyers défavorisés. La technologie et l’ouverture économique ont balayé nombre de bons emplois de la classe moyenne, et les jeunes hommes et femmes qui auraient jadis occupé ces emplois ne se sentent pas toujours de taille à entrer dans la course aux diplômes. Ils abandonnent alors, souvent pendant la deuxième ou troisième année d’enseignement secondaire.

Années 1960 qui, entre autres choses, vient compléter l’égalisation politique des femmes commencée dans les années 19201*. Elle leur apporte une bien plus grande autonomie juridique et économique par rapport aux hommes et à la famille traditionnelle : facilitation du divorce, emplois plus favorables, plus grande égalité sur le marché du travail, versement direct des allocations sur leur compte, et plus tard, imposition individuelle pour le mari et pour la femme. Au même moment, l’arrivée de la pilule et la facilitation de l’avortement dissocient les relations sexuelles de la maternité et de l’engagement à long terme.

Non seulement la sphère privée de la famille perd de son prestige et de son sens à mesure que la sphère publique du travail et de la vie sociale prend de l’importance, mais en plus, une tranche considérable de la culture intellectuelle et populaire en vient à associer la famille à la répression de la liberté individuelle et à la subordination féminine.

Féministes orthodoxes et économistes orthodoxes sont alliés dans leur vision négative de la famille

Traditionnel « altruisme féminin » – l’un des principaux ciments de la société depuis la nuit des temps.

Et l’évolution plus générale des valeurs – vers davantage d’indépendance et une plus grande égalité des sexes – aboutit à moins de mariages, à beaucoup plus d’enfants nés et élevés en dehors de la famille traditionnelle, et à des femmes ayant nettement moins besoin d’un soutien de famille masculin.

Comment inventer de nouvelles formes d’interdépendance mutuellement bénéfique entre hommes et femmes en cette époque d’égalité des sexes, et comment préserver au mieux la famille biparentale en cette époque de liberté accrue ?

La proportion de foyers monoparentaux (le parent étant à 90 % une femme) n’était que de 8 % en 1970, elle est maintenant de 25 % (29 % en Angleterre et au pays de Galles5).

L’État a énormément augmenté depuis cinquante ans son ingérence et ses dépenses dans la vie familiale. Ce changement est allé de pair avec les grandes évolutions de la famille décrites ci-dessus, et avec une forte augmentation de toutes les formes d’aide en dehors du foyer. L’expansion de l’aide sociale à partir des années 1970 a produit une série de mesures permettant de subsister en étant parent isolé – allocations, crédit d’impôt par enfant, aide au logement, priorité sur les listes d’attente pour le logement social –

L’État, en effet, se fait de plus en plus État providence. En 2014-2015, les aides sociales, y compris les pensions de retraite (qui comptent pour la moitié), se montaient à 258 milliards de livres, soit 35 % de la dépense publique – un total et une proportion qui continuent d’augmenter, même en ces temps d’austérité14. En ajoutant à cela la couverture santé et l’éducation, on n’arrive pas loin des deux tiers de la dépense publique.

Le seul coût de la dislocation des familles – les diverses dépenses engagées par l’État pour soutenir les parents isolés et gérer les conséquences de la rupture des couples – se monte actuellement à 48 milliards de livres par an, en hausse depuis 2009 où il était de 37 milliards15.

Il est souvent rationnel, financièrement parlant, de ne pas (ouvertement) former une unité familiale.

Ades variées (allocation chômage, allocations familiales, crédits d’impôt) tombent d’un coup pour les mères isolées qui reconnaissent vivre en concubinage : on appelle cela la « pénalité pour les couples ». Voilà qui crée une forte incitation à ne pas officialiser les nouvelles relations amoureuses permanentes et solidaires. Pour un couple avec un enfant, la différence peut se monter à 7 100 livres par an.

Mais comme dans d’autres domaines de la politique publique, l’effet cumulatif a produit des résultats que personne n’aurait choisis – et surtout pas les enfants.

L’individualisation de la société a accouché d’un État plus étendu, plus intrusif, cependant que la famille et, de manière plus intangible, la communauté s’affaiblissaient.

Beaucoup de femmes exécutent désormais pour le domaine public – les services d’État – des tâches que leurs grands-mères auraient remplies sans être payées dans le cercle privé.

Ce qui est en cause, c’est la forme et la dimension prises par le travail hors de la maison, ainsi que les comportements et dépendances encouragés et découragés par les structures d’aide.

Principe contestable qu’hommes et femmes ont des objectifs identiques et un même désir de travailler à plein temps hors de la maison, même en élevant des enfants.

Trop de fonds sont consacrés à compenser l’échec des couples après coup, plutôt qu’à les soutenir pour qu’ils restent ensemble.

Depuis quelques décennies les grands-parents jouent un rôle de plus en plus important dans la garde des enfants : presque deux tiers des grands-parents gardent leurs petits-enfants, et ils passent presque dix heures par semaine à le faire.

Les faits et arguments que je présente ici restent généralement à la marge du débat public, soutenus par des groupes religieux et des associations de mères considérés comme rétrogrades, voire tout à fait farfelus.

Mais comment en sommes-nous arrivés à une situation où d’un côté les responsabilités familiales, et les dépenses liées au fait d’avoir des enfants, ne sont pas du tout reconnues dans le code des impôts, et de l’autre des crédits d’impôt proposés sous condition de ressources pour soutenir les familles les plus pauvres ?

« Il est bien sûr important que les femmes qui le souhaitent puissent tirer de la sphère publique tout le prestige et l’estime qu’elles désirent. Le problème se trouve dans leur tendance à supposer que nous voulons toutes la même chose. Et celles d’entre nous qui attachent plus d’importance à la maison, aux enfants et à leur mari sont bien moins visibles que les autres. Pis, les femmes dans la sphère publique croient avoir mandat pour parler à notre place, au nom de notre sexe. Et les hommes qui ont du pouvoir politique les croient parce que ce qu’elles disent cadre avec la vision masculine du monde35. »

Nous dédaignons à nos risques et périls l’idée désuète selon laquelle le devoir familial fait ressortir le meilleur des hommes. «

Beaucoup de femmes de la classe ouvrière sont aidées par l’État via les allocations et l’accès prioritaire au logement social, que reste-t-il au soutien de famille masculin ? L’idée traditionnelle de devenir un homme et un bon citoyen en assumant des devoirs familiaux est à peu près tombée aux oubliettes… et pendant ce temps, les comportements antisociaux de toute sorte restent essentiellement le fait des garçons de 16 à 24 ans.

Le mariage était jadis considéré comme une institution faite pour que des parents élèvent leurs enfants ensemble dans un esprit solidaire. En quelques décennies, nous sommes passés à une conception plus personnelle, privilégiant la satisfaction des besoins psychologiques et physiques de l’individu.

Faire durer un couple sur le temps d’une vie, c’est difficile, surtout si les gens en attendent une satisfaction permanente.

Nous sommes peut-être en train de vivre une réaffirmation mondiale des intérêts des Quelque-Part : le peuple de la province et de la campagne, qui a voté pour Trump et pour le Brexit. Cela se produit ailleurs aussi, comme l’a récemment montré Francis Fukuyama1* : « Poutine reste impopulaire dans l’électorat éduqué des grandes villes comme Saint-Pétersbourg et Moscou, mais il jouit d’une popularité énorme dans le reste du pays. La même chose est vraie du président turc Recep Tayyip Erdoğan, qui bénéficie d’une base de soutien enthousiaste dans la classe moyenne inférieure, ou de Viktor Orbán en Hongrie, populaire partout sauf à Budapest7. »

Le réflexe « C’est la faute de la société » est encore puissant dans certains domaines du secteur public, mais il est désormais en concurrence avec une morale de la responsabilité individuelle et du « Aide-toi et le ciel t’aidera ». La libéralisation des sociétés modernes – et le déclin bienvenu des discriminations – est souvent allée de pair avec un plus grand relâchement des mœurs. Cela entraîne un problème particulier pour certaines familles immigrées issues de sociétés traditionnelles qui ont l’impression de se faire « prendre » leurs enfants par une société sans limites.

Dans l’État moderne, cette noble idée de solidarité a été, peut-être de manière inévitable, noyée dans l’indifférence de la bureaucratie.

Enfin, l’État et les services d’aide sociale devraient plus clairement faire appliquer les règles morales de base qui suscitent un vaste consensus, notamment récompenser la bonne volonté et la participation.

Goodhart, David. Les Deux Clans (French Edition) . Les Arènes. Édition du Kindle.

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