mercredi 5 août 2020

Par delà le bien et le mal, Friedrich Nietzsche

Par delà le bien et le mal – T -  Friedrich Nietzsche et Albert Henri

 

Il semble que toutes les grandes choses, pour graver dans le cœur de l’humanité leurs exigences éternelles, doivent errer d’abord sur la terre en revêtant un masque effroyable et monstrueux. La philosophie dogmatique prit un masque de ce genre, lorsqu’elle se manifesta dans la doctrine des Veda en Asie ou dans le Platonisme en Europe. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Erreur des dogmatiques, je veux dire l’invention de l’esprit et du bien en soi, faite par Platon. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Le christianisme est du platonisme à l’usage du « peuple » Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

La croyance fondamentale des métaphysiciens c’est l’idée de l’opposition des valeurs. Les plus avisés parmi eux n’ont jamais songé à élever des doutes dès l’origine, là où cela eût été le plus nécessaire Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Quelle que soit la valeur que l’on attribue à ce qui est vrai, véridique, désintéressé il se pourrait bien qu’il faille reconnaître à l’apparence, à la volonté d’illusion, à l’égoïsme et au désir une valeur plus grande et plus fondamentale par rapport à la vie. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Après avoir passé assez de temps à scruter les philosophes, à les lire entre les lignes, je finis par me dire que la plus grande partie de la pensée consciente doit être, elle aussi, mise au nombre des activités instinctives, Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

La plus grande partie de la pensée consciente chez un philosophe est secrètement menée par ses instincts et forcée à suivre une voie tracée. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

La fausseté d’un jugement n’est pas pour nous une objection contre ce jugement. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

C’est là ce que notre nouveau langage a peut-être de plus étrange. Il s’agit de savoir dans quelle mesure ce jugement accélère et conserve la vie, maintient et même développe l’espèce. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Avouer que le mensonge est une condition vitale, c’est là, certes, s’opposer de dangereuse façon aux évaluations habituelles ; et il suffirait à une philosophie de l’oser pour se placer ainsi par de là le bien et le mal. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Les défenseurs astucieux de leurs préjugés qu’ils baptisent du nom de « vérités » — très éloignés de l’intrépidité Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Le stoïcisme est une tyrannie infligée à soi-même, Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

La vie elle-même est volonté de puissance. La conservation de soi n’en est qu’une des conséquences indirectes les plus fréquentes. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Qu’une pensée ne vient que quand elle veut, et non pas lorsque c’est moi qui veux ; de sorte que c’est une altération des faits de prétendre que le sujet moi est la condition de l’attribut « je pense ». Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Soyons donc circonspects, soyons « non-philosophes », disons que dans tout vouloir il y a, avant tout, une multiplicité de sensations qu’il faut décomposer : la sensation du point de départ de la volonté, la sensation de l’aboutissant, la sensation du « va-et-vient » entre ces deux états ; et ensuite une sensation musculaire concomitante qui, sans que nous mettions en mouvement « bras et jambes », entre en jeu dès que nous « voulons ». De même donc que des sensations de diverses sortes sont reconnaissables, comme ingrédients dans la volonté, de même il y entre, en deuxième lieu, un ingrédient nouveau, la réflexion. Dans chaque acte de la volonté il y a une pensée directrice. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Ce que l’on appelle « libre arbitre » est essentiellement la conscience de la supériorité vis-à-vis de celui qui doit obéir. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Notre corps n’est qu’une collectivité d’âmes nombreuses. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Morale, bien entendu, considérée comme doctrine des rapports de puissance sous lesquels se développe le phénomène « vie ». Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

C’est nous seuls qui avons inventé les causes, la succession, la finalité, la relativité, la contrainte, le nombre, la loi, la liberté, la modalité, le but ; et lorsque nous nous servons de ce système de signes pour introduire ceux-ci dans les choses, comme « en soi », pour les y mêler, nous ne procédons pas autrement que comme nous l’avons déjà fait, c’est-à-dire mythologiquement. Le « déterminisme » est de la mythologie. Dans le fatalisme de la faiblesse de volonté s’enjolive singulièrement lorsqu’il sait s’introduire comme « religion de la souffrance humaine » : c’est là une sorte de « bon goût » propre à cette faiblesse. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Ce qui se traduit le plus difficilement d’une langue dans l’autre, c’est l’allure du style, laquelle est basée sur le caractère de la race, pour m’exprimer plus physiologiquement sur l’allure moyenne de son processus d’« assimilation ». Il y a des traductions faites avec une entière bonne foi qui sont presque des faux, car elles vulgarisent involontairement l’original, seulement parce que l’allure vive et joyeuse de l’original était intraduisible, cette allure qui passe et aide à passer sur tout ce qu’il y a de dangereux dans le sujet et l’expression. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Machiavel qui nous fait respirer dans son Principe l’air fin et sec de Florence, et qui ne peut s’empêcher de présenter les circonstances les plus graves avec un allegrissimo indiscipliné, peut-être non sans un malicieux plaisir d’artiste, à la pensée de la contradiction où il se hasarde ; car il y a là des pensées lointaines, lourdes, dures et dangereuses, présentées à une allure de galop, avec une bonne humeur pleine de pétulance. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Durant les jeunes années on vénère ou on méprise encore, sans cet art de la nuance qui fait le meilleur bénéfice de la vie, et plus tard, il va de soi que l’on paye très cher d’avoir ainsi jugé choses et gens par un oui et un non. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Tout est disposé de façon à ce que le goût le plus mauvais, le goût de l’absolu, soit cruellement bafoué et profané jusqu’à ce que l’homme apprenne à mettre un peu d’art dans ses sentiments et que, dans ses tentatives, il donne la préférence à l’artificiel, comme font tous les véritables artistes de la vie. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Le penchant à la colère et l’instinct de vénération, qui sont le propre de la jeunesse, semblent n’avoir de repos qu’ils n’aient faussé hommes et choses pour pouvoir s’y exercer. La jeunesse, par elle-même, est déjà quelque chose qui trompe et qui fausse. Plus tard, lorsque la jeune âme, meurtrie par mille désillusions, se trouve enfin pleine de soupçons contre elle-même, encore ardente et sauvage, même dans ses soupçons et ses remords, comme elle se mettra en colère contre elle-même, comme elle se déchirera avec impatience, comme elle se vengera de son long aveuglement, que l’on pourrait croire volontaire, tant elle s’acharne contre lui ! Dans cette période de transition, on se punit soi-même, par la méfiance à l’égard de ses propres sentiments ; on martyrise son enthousiasme par le doute, la bonne conscience vous apparaît déjà comme un danger, au point que l’on pourrait croire que le moi en est irrité et qu’une sincérité plus subtile s’en fatigue. Encore, et avant toute autre chose, on prend parti, par principe, contre la « jeunesse ». — Dix ans plus tard on se rend compte que cela aussi n’a été que — jeunesse ! Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

On interpréta l’origine d’un acte, dans le sens le plus précis, comme dérivant d’une intention, on s’entendit pour croire que la valeur d’un acte réside dans la valeur de l’intention. L’intention serait toute l’origine, toute l’histoire d’une action. Sous l’empire de ce préjugé, on se mit à louer et à blâmer, à juger et aussi à philosopher, au point de vue moral, jusqu’à nos jours. — Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Surmonter la morale, en un certain sens même la morale surmontée par elle-même : ce sera la longue et mystérieuse tâche, réservée aux consciences les plus délicates et les plus loyales, mais aussi aux plus méchantes qu’il y ait aujourd’hui, comme à de vivantes pierres de touche de l’âme. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Nous n’atteignons d’autre « réalité » que celle de nos instincts — car penser n’est qu’un rapport de ces instincts entre eux, Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Des méchants qui sont heureux, une espèce que les moralistes passent sous silence. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Pour être bon philosophe, dit ce dernier grand psychologue, il faut être sec, clair, sans illusion. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Un banquier qui a fait fortune a une partie du caractère requis pour faire des découvertes en philosophie, c’est-à-dire pour voir clair dans ce qui est. » Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Il y a des phénomènes d’espèce si délicate qu’on fait bien de les étouffer sous une grossièreté pour les rendre méconnaissables. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Il faut se garder du mauvais goût d’avoir des idées communes avec beaucoup de gens. « Bien » n’est plus bien dès que le voisin l’a en bouche. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Après tout cela, ai-je encore besoin de dire qu’eux aussi  seront des esprits libres, Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

En fin de compte, il faut tout faire soi-même, pour apprendre quelque chose, ce qui fait que l’on a beaucoup à faire ! — Mais une curiosité dans le genre de la mienne reste le plus agréable des vices. Pardon, je voulais dire que l’amour de la vérité a sa récompense au ciel et déjà sur la terre. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Cette foi qui ressemble d’une façon épouvantable à un continuel suicide de la raison. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

C’était là une raison tenace et opiniâtre comme un ver rongeur, et on ne saurait l’assommer d’un seul coup. La foi chrétienne est dès l’origine un sacrifice : sacrifice de toute indépendance, de toute fierté, de toute liberté de l’esprit, en même temps servilité, insulte à soi-même, mutilation de soi. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

 « Dieu en croix ». Jamais et nulle-part il n’y a plus eu jusqu’à présent une telle audace dans le renversement des idées, quelque chose d’aussi terrible, d’aussi angoissant et d’aussi problématique que cette formule : elle promettait une transmutation de toutes les valeurs antiques. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

De quoi s’occupe en somme toute la philosophie moderne ? Depuis Descartes — et cela plutôt par défi contre lui qu’en s’appuyant sur ses affirmations — tous les philosophes commettent un attentat contre le vieux concept de l’âme, sous l’apparence d’une critique de la conception sujet et de l’attribut, c’est-à-dire un attentat contre le postulat de la doctrine chrétienne. La philosophie moderne, en tant que théorie sceptique de la connaissance, est, soit d’une façon ouverte, soit d’une façon occulte, nettement anti-chrétienne, bien que, soit dit pour des oreilles plus subtiles, nullement anti-religieuse. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

On disait : « Je », condition, — « pense » attribut, conditionné. Penser est une activité, à laquelle il faut supposer un sujet comme cause. On tenta alors, avec une âpreté et une ruse admirables, de sortir de ce réseau ; on se demanda si ce n’était pas peut-être le contraire qui était vrai : « pense » condition, « je » conditionné. « Je » ne serait donc qu’une synthèse créée par la pensée même. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Ne fallait-il pas sacrifier Dieu lui-même, et, par cruauté vis-à-vis de soi-même, adorer la pierre, la bêtise, la lourdeur, le destin, le néant ? Sacrifier Dieu au néant — ce mystère paradoxal de la dernière cruauté a été réservé à notre génération montante, nous en savons tous déjà quelque chose. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

C’est une crainte ombrageuse et profonde, la crainte d’un pessimisme incurable, qui force de longs siècles à se cramponner à une interprétation religieuse de l’existence, la crainte de cet instinct qui pressent que l’on pourrait connaître la vérité trop tôt, avant que l’homme soit devenu assez fort, assez dur, assez artiste… La piété, la « vie en Dieu » ainsi considérées apparaîtraient comme la dernière et la plus subtile création de la crainte en face  de la vérité, comme une adoration et une ivresse d’artiste devant la plus radicale de toutes les falsifications, la volonté de renverser la vérité, la volonté du non-vrai à tout prix. Peut-être n’y eut-il pas jusqu’à présent de moyen plus puissant pour embellir l’homme que la piété. Par la piété, l’homme peut devenir artifice, surface, jeu des couleurs, bonté, au point que l’on ne souffre plus de son aspect. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Le philosophe tel que nous l’entendons, nous autres esprits libres, — comme l’homme dont la responsabilité s’étend le plus loin, dont la conscience embrasse le développement complet de l’humanité, ce philosophe se servira des religions pour son œuvre de discipline et d’éducation, de même qu’il se servira des conditions fortuites de la politique et de l’économie de son temps. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Plus un homme représente un type d’espèce supérieure, plus ses chances de réussite deviennent minimes. Le hasard, la loi du non-sens dans l’économie humaine, apparaît le plus odieusement dans les ravages qu’il exerce sur les hommes supérieurs, dont les conditions vitales subtiles et multiples sont difficiles à évaluer. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

La connaissance à cause d’elle-même », — voilà le dernier piège que tend la morale : c’est ainsi que l’on finit par s’y empêtrer de nouveau complètement. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

L’amour d’un seul est une barbarie, car il s’exerce aux dépens de tous les autres. De même l’amour de Dieu. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

 « Voilà ce que j’ai fait », dit ma mémoire. « Je n’ai pu faire cela », — dit mon orgueil, qui reste inflexible. Et finalement c’est la mémoire qui cède. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Si l’on a du caractère, on a dans sa vie un événement typique qui revient toujours. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

En temps de paix, l’homme belliqueux s’en prend à lui-même. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

La maturité de l’homme, c’est d’avoir retrouvé le sérieux qu’on avait au jeu quand on était enfant. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Quoi ? Un grand homme ? Je ne vois là que le comédien de son propre idéal. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Quand on veut dresser sa conscience, elle vous embrasse, tout en vous mordant. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Il n’y a pas de phénomènes moraux, il n’y a que des interprétations morales des phénomènes. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Les avocats d’un criminel sont rarement assez artistes pour utiliser, au profit du coupable, la beauté terrible de son acte. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Le mot le plus pudique que j’aie jamais entendu : « Dans le véritable amour, c’est l’âme qui enveloppe le corps. » Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

L’objection, l’écart, la méfiance sereine, l’ironie sont des signes de santé. Tout ce qui est absolu est du domaine de la pathologie. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

On ment bien de la bouche : mais avec la gueule qu’on fait en même temps, on dit la vérité quand même. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Il y a une innocence dans le mensonge qui est signe de bonne foi.

Ce que les philosophes appelaient « fondement de la morale » et ce qu’ils exigeaient d’eux-mêmes n’apparaissait, sous son jour véritable, que comme une forme savante de la bonne foi en la morale dominante, un nouveau moyen d’exprimer cette morale, par conséquent un état de faits dans les limites d’une moralité déterminée, ou même, en dernière instance, une sorte de négation que cette morale pût être envisagée comme problème. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

C’est la « nature » dans la morale qui enseigne à détester le laisser-aller, la trop grande liberté et qui implante le besoin d’horizons bornés et de tâches qui sont à la portée, qui enseigne le rétrécissement des perspectives, donc, en un certain sens, la bêtise comme condition de vie et de croissance. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Les races laborieuses ont grand’peine à supporter l’oisiveté. Ce fut un coup de maître de l’instinct anglais de sanctifier le dimanche dans les masses et de le rendre ennuyeux pour elles, à tel point que l’Anglais aspire inconsciemment à son travail de la semaine. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

On doit aider les instincts et aussi la raison, — on doit suivre les instincts, mais persuader à la raison de les appuyer de bons arguments. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Lorsque tous sont égaux, personne n’a plus besoin de « droits » —) ; unis dans la méfiance envers la justice répressive (comme si elle était une violence contre des faibles, une injustice à l’égard d’un être qui n’est que la conséquence nécessaire d’une société du passé) ; tout aussi unis dans la religion delà pitié, de la sympathie envers tout ce qui sent, qui vit et qui souffre (en bas jusqu’à l’animal, en haut jusqu’à « Dieu » — l’excès de « pitié pour Dieu » appartient à une époque démocratique —) ; tous unis encore dans le cri d’impatience de l’altruisme, dans une haine mortelle contre toute souffrance, dans une incapacité presque féminine de rester spectateurs lorsque l’on souffre, et aussi dans l’incapacité de faire souffrir ; Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

L’universelle dégénérescence de l’homme, — qui descend jusqu’à ce degré d’abaissement que les crétins socialistes considèrent comme « l’homme de l’avenir » — leur idéal ! — cette dégénérescence et ce rapetissement de l’homme jusqu’au parfait animal de troupeau (ou, comme ils disent, à l’homme de la « société libre »), cet abêtissement de l’homme jusqu’au pygmée des droits égaux et des prétentions égalitaires — sans nul doute, cette dégénérescence est possible ! Celui qui a réfléchi à cette possibilité, jusque dans ses dernières conséquences, connaît un dégoût que ne connaissent pas les autres hommes et peut-être connaît-il aussi une tâche nouvelle ! Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Science, après s’être défendue avec un succès éclatant de la théologie dont elle fut trop longtemps la « servante », s’avise maintenant, avec une absurde arrogance, de faire la loi à la philosophie et essaye, à son tour, de jouer au « maître » — que dis-je ! au philosophe. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Et s’il vous arrive aujourd’hui d’entendre louer quelqu’un de ce qu’il mène une vie « sage », une « vie de philosophe », cela ne veut guère dire autre chose que ceci, qu’il est « prudent » et qu’il vit a à l’écart ». Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Sagesse, c’est pour la foule une sorte de fuite prudente, un moyen habile de « tirer son épingle du jeu ». Mais le vrai philosophe — n’est-ce pas notre avis, mes amis ? — le vrai philosophe vit d’une façon « non-philosophique », « non-sage », et, avant tout, déraisonnable. Il sent le poids et le devoir de mille tentatives et tentations de la vie. Il se risque constamment, il joue gros jeu… Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Point de doute : ces hommes de l’avenir pourront le moins se passer des qualités, sévères et non sans danger, qui distinguent le critique du sceptique, je veux dire la sûreté d’appréciation, le maniement conscient d’une méthode dans son unité, le courage déniaisé, l’énergie suffisante pour se tenir à l’écart, pour assumer la responsabilité de ses propres actes ; de plus, ils avouent en eux un penchant à nier et à analyser et une certaine cruauté raisonnée qui sait manier le couteau avec sûreté et adresse Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Aujourd’hui le goût de l’époque, la vertu de l’époque affaiblissent et réduisent la volonté ; rien ne répond mieux à l’état d’esprit de l’époque que la faiblesse de volonté : donc, l’idéal du philosophe doit précisément faire rentrer dans le concept « grandeur » la force de volonté, la dureté et l’aptitude aux longues résolutions. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

 « Celui-là sera le plus grand qui saura être le plus solitaire, le plus caché, le plus écarté, l’homme qui vivra par delà le bien et le mal, le maître de ses vertus, qui sera doué d’une volonté abondante ; voilà ce qui doit être appelé de la grandeur : c’est à la fois la diversité et le tout, l’étendue et la plénitude. » Et nous le demandons encore une fois : aujourd’hui — la grandeur est-elle possible ? Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Le jugement et la condamnation morales sont un mode de vengeance favori chez les intelligences bornées à l’égard des intelligences qui le sont moins, c’est aussi une sorte d’indemnité que s’octroient certaines gens envers qui la nature s’est montrée avare, et c’est enfin une occasion de gagner de l’esprit et de la finesse. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Est immoral de dire : « Ce qui est juste pour l’un l’est aussi pour l’autre. » Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Mais il ne faut pas avoir trop raison, si l’on veut avoir les rieurs de son côté ; un petit soupçon de torts peut être un indice de bon goût. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

L’homme des « idées modernes », ce singe orgueilleux, est excessivement mécontent de lui-même : cela est certain. Il pâtit, et sa vanité permet seulement qu’il « com-pâtisse »… Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

La discipline de la souffrance, de la grande souffrance — ne savez-vous pas que c’est cette discipline seule qui, jusqu’ici, a porté l’homme aux grandes hauteurs ? Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

En l’homme sont réunis créature et créateur : en l’homme, il y a la matière, le fragment, l’exubérance, le limon, la boue, la folie, le chaos ; mais en l’homme il y a aussi le créateur, le sculpteur, la dureté du marteau, la contemplation divine du septième jour. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Des liens solides nous tiennent garrottés, nous portons une camisole de force du devoir et nous ne pouvons nous en dégager. C’est par là que nous sommes « hommes du devoir », nous aussi ! Parfois, il est vrai, nous dansons dans nos « chaînes » et parmi nos « glaives ». Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Notre probité, à nous autres esprits libres, — veillons à ce qu’elle ne devienne pas notre vanité, notre parure et notre vêtement de parade, notre borne infranchissable, notre sottise ! Toute vertu tend à la sottise, toute sottise à la vertu ; « bête jusqu’à la sainteté », dit-on en Russie, — veillons à ce que notre probité ne finisse pas par faire de nous des saints et des ennuyeux ! La vie n’est-elle pas cent fois trop courte pour qu’on s’y… ennuie ? Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Le « bien-être général » n’est pas un idéal, un but, une chose concevable d’une façon quelconque, mais tout simplement un vomitif, que ce qui est juste pour l’un ne peut être juste pour l’autre Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

La prétention d’une morale pour tous est précisément un préjudice porté à l’homme supérieur, bref, qu’il existe une hiérarchie entre homme et homme, et par conséquent aussi entre morale et morale. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Mais, au fond de nous-mêmes, tout au fond, il se trouve quelque chose qui ne peut être rectifié, un rocher de fatalité spirituelle, de décisions prises à qu’il y a une compensation à l’aplatissement d’un peuple ; c’est qu’un autre peuple devienne plus profond. la médiocrité plébéienne des idées modernes est l’œuvre de l’Angleterre. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Toute élévation du type « homme » a été jusqu’à présent l’œuvre d’une société aristocratique — et il en sera toujours ainsi, l’œuvre d’une société qui a foi en une longue succession dans la hiérarchie, en une accentuation des différences de valeur d’homme à homme, et qui a besoin de l’esclavage dans un sens ou dans un autre. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Le perpétuel « art de se vaincre soi-même » pour employer une formule morale en un sens supra-moral. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche²

Sa supériorité ne résidait pas tout d’abord dans sa force physique, mais dans sa force psychique. Elle se composait d’hommes plus complets (ce qui a tous les degrés, revient à dire, des « bêtes plus complètes »). Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

La foi en soi-même, l’orgueil de soi-même, une foncière hostilité et une profonde ironie en face de l’« abnégation » appartiennent, avec autant de certitude à la morale noble qu’un léger mépris et une certaine circonspection à l’égard de la compassion et du « cœur chaud ». Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

La façon dont le respect de la Bible a généralement été maintenu jusqu’à présent en Europe est peut-être le meilleur élément de discipline et de raffinement des mœurs dont l’Europe soit redevable au christianisme. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Notre époque très démocratique, ou plutôt très plébéienne, « l’éducation » et la « culture » doivent être surtout l’art de tromper sur l’origine, sur l’atavisme populacier dans l’âme et le corps. Un éducateur qui aujourd’hui prêcherait avant tout la vérité et crierait constamment à ses élèves : « soyez vrais ! soyez naturels ! montrez-vous tels que vous êtes ! » Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

L’âme noble prend comme elle donne, par un instinct d’équité passionné et violent qu’elle a au fond d’elle-même.

Qu’appelle-t-on commun, en fin de compte ? — Les mots sont des signes verbaux pour désigner des idées ; les idées elles, sont des signes imaginatifs, plus ou moins précis, correspondant à des sensations qui reviennent souvent et en même temps, des groupes de sensations. Il ne suffit pas, pour se comprendre mutuellement, d’employer les mêmes mots. Il faut encore user des mêmes mots pour le même genre d’évènements intérieurs, il faut enfin que les expériences de l’individu lui soient communes avec celles d’autres individus. C’est pourquoi les hommes d’un même peuple se comprennent mieux entre eux que ceux qui appartiennent à différents peuples ; mais lorsque les peuples différents emploient le même idiome, ou plutôt, lorsque des hommes placés dans les mêmes conditions (de climat, de sol, de dangers, de besoins, de travail) ont longtemps vécu ensemble, il se forme quelque chose « qui se comprend », c’est à dire un peuple. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

C’est l’histoire d’un pauvre être insatisfait et insatiable dans l’amour d’un être qui dut inventer l’enfer pour y précipiter ceux qui ne voulaient pas l’aimer, — Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Un philosophe : c’est un homme qui éprouve, voit, entend, soupçonne, espère et rêve constamment des choses extraordinaires, qui est frappé par ses propres pensées comme si elles venaient du dehors, d’en haut et d’en bas, comme par une espèce d’événements et de coups de foudre que lui seul peut subir qui est peut-être lui-même un orage, toujours gros de nouveaux éclairs ; un homme fatal autour duquel gronde, roule, éclate toujours quelque chose d’inquiétant. Un philosophe : un être, hélas ! qui souvent se sauve loin de lui-même, souvent a peur de lui-même… mais qui est trop curieux pour ne pas « revenir toujours à lui-même ». Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Il y a aujourd’hui, presque partout en Europe, une sensibilité et une irritabilité maladives pour la douleur et aussi une intempérance fâcheuse à se plaindre, une efféminisation qui voudrait se parer de religion et de fatras philosophique, pour se donner plus d’éclat — il y a un véritable culte de la douleur. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Le manque de virilité de ce qui, dans ces milieux exaltés, est appelé « compassion », saute, je crois, tout de suite aux yeux. — Il faut bannir vigoureusement et radicalement cette nouvelle espèce de mauvais goût, et je désire enfin qu’on se mette autour du cou et sur le cœur l’amulette protectrice du « gai saber », du « gai savoir», pour employer le langage ordinaire. Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Ô midi de la vie ! Ô temps solennel !            Ô jardin d’été ! Bonheur inquiet, debout et aux écoutes ; J’attends les amis, prêt nuit et jour Que tardez-vous, amis ? Venez, car il est temps ! N’était-ce pas pour vous que le gris des glaciers           Aujourd’hui s’est orné de roses ? C’est vous que cherche la rivière ; et, plus haut, Le vent et les nuages se pressent dans la nue, Ardents à découvrir de loin votre venue. Dans les hauteurs la table est dressée pour vous : —           Qui demeure si près Des étoiles, si près des sombres profondeurs ? Quel royaume serait plus vaste que le mien ? Et de mon miel — qui donc en a goûté ?… — Vous voici, amis ! — Hélas ! ce n’est pas vers moi           Que vous voulez venir. Vous hésitez surpris — ah, que ne vous fâchez-vous ! Ce n’est plus — moi ? Plus mon visage et ma démarche ? Et ce que je suis, amis — ne le serais-je pas pour vous ? Serais-je un autre ? Étranger à moi-même ?           De moi-même enfui ? Lutteur qui trop souvent a dû se surmonter ? Trop souvent s’est raidi contre sa propre force, Blessé et arrêté par sa propre victoire ? J’ai cherché où la brise était la plus aiguë.           J’ai su demeurer Où personne ne demeure, dans les zones arides, Oubliant l’homme, Dieu, le blasphème et la prière, Moi le fantôme errant sur les glaciers. — Mes vieux amis ! Voyez, vous pâlissez,           D’un frisson d’amour ! Non, sans rancune ! Allez. Pour vous point de séjour : Ici, dans ce royaume des glaces et des roches Il faut être chasseur et pareil au chamois. fus méchant chasseur ! — Voyez comme mon arc           Est tendu raide ! Car c’est le plus fort qui a décoché ce trait — — : Mais malheur à vous ! Cette flèche est dangereuse Comme nulle flèche, — ah ! fuyez pour votre bien !… Vous tournez les talons ? — Ô cœur, c’en est assez,           Ton espoir demeure fort : Pour des amis nouveaux garde ouverte tes portes ! Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

Et laisse les anciens ! Laisse les souvenirs ! Si tu fus jeune, te voilà — jeune bien mieux ! Par delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche

 


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