mercredi 17 février 2021

Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit, L’Observatoire

 

Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit, L’Observatoire




Une conscience aiguë des limites émerge comme l’autre face de notre présent. Chacun sait désormais que la planète est unique, les ressources d’énergie en quantité finie, l’expansion sans mesure impossible. Plus de croissance illimitée sur une Terre limitée. […]Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Notre époque tient dans cette tension entre un toujours plus et un toujours moins, la croissance et la décroissance, le désir d’illimité et la conscience des limites. » Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Les uns désirent, partout, et par tous les moyens, effacer les limites. Les autres, au contraire, veulent les réimposer, autoritairement, et à tout prix. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Depuis les dernières décennies du XXe siècle, ce désir de suppression est porté et nourri par la mondialisation, la révolution numérique, l’expansion des révolutions technologiques autant que par l’essor du capitalisme financier et la disparition d’horizons à long terme au profit d’un « présentisme » triomphant. Il sous-tend aussi bien le projet transhumaniste de fusion entre humains et machines que la négation des limites entre humains et animaux, le changement de la relation à la nature, le brouillage des genres et de la différence des sexes, la confusion croissante entre vie privée et vie publique… Sous ces visages différents, une seule et même tentation est à l’œuvre : dissoudre les limites, considérées comme des entraves. Et viser la fusion… Reste à comprendre avec quoi. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Nous faisons l’expérience quotidienne de la coexistence permanente entre humains et « machines de compagnie » : assistants vocaux répondant à nos demandes, robots conçus pour pallier la solitude des personnes âgées, intelligences artificielles mimant nos émotions… Et ce n’est qu’un début. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Les êtres humains ne seraient plus utilisateurs de machines, comme récemment. Ils constitueraient des pièces, relativement peu fiables, d’un système de robots où ils n’occuperaient qu’une fonction intermittente. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

 « Nous », souligne Tristan Garcia, désignait autrefois exclusivement « nous, les humains ». Le droit considérait les animaux simplement comme des choses, non comme des personnes. Aujourd’hui, « nous » tend de plus en plus à signifier « nous, les vivants », englobant ainsi les êtres dotés de sensibilité (« sentients5 »), qu’ils soient animaux ou humains. Ce changement entraîne de multiples conséquences. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Sensibilité qui permet d’avoir conscience de soi, de dire « moi », résulte d’une organisation spécifique et ne saurait être élargie à d’autres éléments de l’univers, sans abus de pensée et de langage. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Se répète toujours le même rêve : être débarrassé des identités qui assignent, quelles qu’elles soient. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

il n’était jamais venu à l’esprit de qui que ce soit de soutenir que cette séparation première des êtres humains en deux sexes – ancrée dans la physiologie, les organes et les hormones – puisse et doive être intégralement effacée. Pour une part des esprits contemporains, c’est désormais chose faite. Dès lors que fut remplacé le « sexe » – inné, biologique, psycho-corporel – par le « genre » – acquis, social, conventionnel. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

On en est arrivé à postuler que les identités sexuelles devraient tout à la société, rien à la nature. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

 « Nous sommes de l’humus, écrit-elle, pas des homo, pas des anthropos. Nous sommes du compost, pas des post-humains. » Jadis, l’informe, le décomposé, l’humus étaient ce que l’humain fuyait, ce qu’il laissait derrière lui pour se construire. Par un étrange retournement de l’histoire, cette décomposition devient son avenir, par-delà masculin et féminin. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Cette ouverture de soi aux regards des autres renforce le sentiment que moins subsisteraient de limites, plus on serait heureux et libres. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Au lieu d’avoir d’abord conscience de soi, et ensuite d’être jugé, reconnu ou trahi par les autres, ils donnent l’impression de devoir passer par le filtre des autres pour prendre conscience d’eux-mêmes. En quelque sorte, leur intériorité se trouve externalisée. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

S’activer pour que soient préservées des limites.

Les mouvements populistes rameutent des peurs, des ressentiments et des haines que nous ne partageons en aucune manière. Ils signalent le trouble et l’inquiétude qu’engendrent la tentation et les dérives du sans-limite. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

À ceux qui veulent ôter les limites font donc face ceux qui les figent et les rigidifient. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

L’écologie est tout entière du côté des limites, de leur prise en compte et de leur mise en œuvre, à l’inverse de la tentation de l’effacement. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Personne ne doit oublier qu’au long de l’histoire rien ne s’est montré plus dangereux que la conviction d’agir au nom du Bien. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Pour le bien de l’humanité, dans le but d’assurer à tous un avenir radieux, des crimes colossaux ont été commis. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Légitime souci des limites à l’implacable dictature du limitariat. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Convaincue que le modèle économique occidental est l’ennemi à abattre, que son extension à toute la planète la mène à sa ruine, que ce système ne peut ni comprendre ni changer, cette frange militante persiste à vouloir tout abattre, comme au XIXe siècle, en recyclant les lambeaux d’un paléomarxisme éteint. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Les adeptes de la « collapsologie », terme inventé en 2015 par l’ingénieur agronome Pablo Servigne et Raphaël Stevens, expert en résilience des systèmes socio-écologiques. Cette collapsologie se veut « science de l’effondrement» mais reconnaît quand même au passage qu’elle se fonde essentiellement sur une « certitude intuitive ». Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Insensiblement, la collapsologie se mue en « collapsosophie », à laquelle on se « convertit » pour mettre en pratique une prétendue « sagesse de l’effondrement ». Non dénuée d’ambiguïté. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Opposition simple, tranchée, manichéenne, entre ceux qu’on pourrait appeler les goodies et les badies des limites. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Supposons, en effet, que toutes les limites soient effacées. On se retrouverait dans un continuum unique, où l’on circulerait indéfiniment, passant d’un moment à un autre, d’une espèce à une autre, d’un genre à un autre… pratiquement sans transition. Cette abolition des contours ferait perdre la notion de l’existence des autres et jusqu’à sa propre identité, désormais non repérable. Personne n’étant quoi que ce soit de délimité ni de définissable, personne ne serait rien. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

En restant entre soi, en parquant les « autres » au-dehors, en coupant les ponts, on constitue une uniformité, une sorte d’homogénéité restreinte contre le magma menaçant que l’on imagine grouiller de l’autre côté de la frontière. La limite qui enferme pour protéger exclut le dehors, le diabolise et le désincarne. Elle empêche, elle aussi, toute existence réelle, vivante, c’est-à-dire en relation avec d’autres que soi. À l’intérieur de l’espace enclos par une limite pétrifiée, il n’y a plus personne, car il n’y a plus d’autre. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

L’horizon, par lui-même, ne départage rien, si aucun regard ne s’y porte. Il n’existe comme limite que pour un esprit. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

La bonne mesure de nos possessions nous est donnée par le corps : l’important est que ma chaussure ait la taille de mon pied, voilà tout ce dont j’ai besoin. Les suppléments superflus font basculer dans une autre dimension. Que la chaussure devienne dorée, luxueusement ornée, colorée comme ceci ou cela, ouvre sur la démesure. Comme le désir sera toujours infiniment plus grand que le pied, il tend vers le sans-limite, le toujours plus, indéfiniment. La mesure du corps serait la borne à ne pas franchir. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Nous ne pouvons acquérir de connaissances qu’à l’intérieur des limites de notre champ d’expérience. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Transgresser, par plaisir, par rébellion systématique, avec la conviction qu’aucune limite ne vaut, ne s’impose, ne doit être respectée, c’est à la fois un trait de caractère et une tendance croissante de l’époque que nous vivons. . Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Toute pensée suppose une délimitation des idées, et que toute parole suppose une distinction des sons, des mots, des sens. . Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

La démesure multiforme de l’hubris débouche donc constamment sur la négation de l’existence des autres. . Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Les proportions des statues, l’harmonie des temples, l’équilibre des lois constituent plutôt des défenses édifiées contre le désordre, le chaos et la sauvagerie qui régnaient, qui couvent toujours, qu’il faut tenir en bride de façon permanente. . Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Socrate répond, de façon lapidaire : « Tu penses qu’il faut s’exercer à avoir plus que les autres, en fait tu ne fais pas attention à la géométrie »… Réponse étonnante. En effet, si vouloir toujours plus pour soi est bien un signe d’hubris que la sagesse doit s’employer à contrecarrer, que vient donc faire ici la géométrie ? En réalité, si elle constitue évidemment la connaissance rationnelle des lignes, formes et points, et de leurs relations, la géométrie est aussi la science qui concerne les limites, de manière exemplaire. Elle traite des proportions et des propriétés intrinsèques des figures. Son savoir se fonde sur la compréhension, par la raison, de l’ordre interne qui existe dans le monde des formes. . Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

 

« Connais-toi toi-même » que reprend Socrate ne signifie nullement, comme on le croit souvent aujourd’hui, « Sache quel caractère est le tien, découvre tes points forts et tes faiblesses ». Il faut la comprendre non dans un sens psychologique, mais réellement cosmique c’est-à-dire « Comprends la place spécifique occupée par l’être humain, au-dessus des animaux, en dessous des dieux. Entre ces limites, tu es humain, tu ne l’es plus si tu te prends pour un autre, immortel ou bête ». . Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Parvenir à n’être ni téméraire ni lâche (tout comme ni paresseux ni suractif, ni vantard ni timide, etc.) exige un réel travail sur soi. Rien à voir avec un centrisme mou, une position de repli. Le juste milieu s’atteint de haute lutte. Nous le croyons « médiocre », les Anciens le jugeaient glorieux. . Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Le secret du bonheur consisterait à façonner nos désirs à la taille de nos besoins. Si l’on s’en tient à cette limite naturelle, il n’y a plus d’hubris, tout s’ajuste. La « tempête de l’âme », celle des désirs effrénés et contradictoires, se calme. . Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Projeter des catégories modernes sur les réalités antiques. . Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Devient responsable de sa vie éternelle – félicité et béatitude, ou souffrances et damnation. Selon son parcours durant une existence terrestre unique et brève, le chrétien perd ou gagne une éternité céleste de Paradis ou d’Enfer. . Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Péché originel, saint Augustin, à la fin du IVe siècle, imagine en effet que les humains naissent nécessairement du mauvais côté. La limite étant outrepassée en amont, indépendamment de leurs actes. . Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

En célébrant l’infinité du monde, Giordano Bruno exultait de voir s’effondrer le vieux rempart du péché, la diabolisation de la chair, les limites étroites de l’existence ancienne. . Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Le plus important, en fin de compte, n’est pas la carte des continents ni même celle du ciel. Les places respectives de l’humain et de la nature, les limites de nos pouvoirs et de nos savoirs, voilà ce qui bouge de manière décisive avec la modernité. . Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Pourquoi la fumée monte-t-elle vers le ciel ? Parce qu’elle émane du feu, et rejoint son « lieu naturel », qui est le « haut du monde ». Pourquoi la pierre lancée retombe-t-elle ? Parce qu’elle est constituée de terre et rejoint son « lieu naturel », qui est le « bas du monde ». Telles étaient, schématiquement, les réponses d’Aristote. . Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Pour être objectif, il faut laisser de côté ses croyances, ses sentiments, ses espérances. . Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

 « Plus nous comprenons comment marche le monde, plus nous sommes en mesure d’avancer. » Cette injonction va s’imposer. . Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Penser le progrès requiert certaines conditions : il faut avant tout se représenter le temps comme linéaire et non cyclique. Il faut que l’histoire se déroule en droite ligne, selon la flèche du temps. Au contraire de l’ancienne conception grecque du temps circulaire où le cosmos s’efface, recommence, tourne en rond, où le progrès n’existe pas, puisqu’une fois conquis il est effacé au tour suivant. L’idée de progrès suppose un avenir ouvert, indéfini, à construire. . Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Le progrès représente toujours un « mieux » dans le temps, une amélioration considérée comme telle en fonction d’une certaine conception de ce qui est souhaitable et désirable : santé, sécurité, prospérité, paix, etc. . Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Chaque lumière projette des ombres. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Francis Bacon, ainsi formulé dans les dernières lignes de La Nouvelle Atlantide5 : « Reculer les bornes de l’Empire humain, en vue de réaliser toutes les choses possibles. L’important est la réalisation, pas son sens ni sa justification. Tout ce qui est faisable est à faire. Tout le faisable est un progrès. » Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Ce dépassement moderne comme le passage d’un univers fixe, où les limites sont édictées du dehors – par Dieu, par l’Église, par le roi, par le statut de chacun dans une hiérarchie sociale traditionnelle –, à un monde mobile, où les règles sont décidées du dedans par des individus eux-mêmes, qui se considèrent comme souverains. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Les normes et limites fixées par d’autres (hétéronomie) cèdent la place à celles qu’on se donne à soi-même (autonomie). Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Les espoirs placés dans les sciences se sont retrouvés disqualifiés, se transformant peu à peu en défiance ou en crainte. La foi en l’histoire s’est amoindrie, l’espoir collectif s’est éclipsé. L’idée de progrès s’est faite « slogan », « cliché », mythe trompeur. Les horizons temporels se sont estompés, le passé n’étant plus que mémoire, l’avenir n’étant plus désirable ni même figurable. Il ne restait qu’à consommer, des équipements ménagers et des loisirs, et des bouffées de radicalité rêvant d’extirper du monde toute limite. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Le marquis de Sade en fut un précurseur exemplaire, lui qui affirmait désirer la transgression même et encore lorsqu’elle n’avait plus aucune raison d’être. Croire que dans la surenchère de blasphèmes qui émaille ses œuvres il cherche à choquer les esprits religieux, à les faire souffrir, en affirmant sa propre incroyance, est insuffisant. En fait, Sade a besoin de ces signes religieux pour jouir de les bafouer, de les souiller, bien qu’ils soient, à ses yeux, totalement dépourvus de signification. S’adressant à Dieu, il proclame : « Je voudrais qu’un moment tu pusses exister/Pour jouir du plaisir de te mieux insulter. » Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Toute l’œuvre de Foucault est centrée sur l’exploration des limites, pour les scruter et les contester à la fois, pour ébranler, fragiliser, saper les dispositifs de pouvoirs que, selon lui, elles génèrent. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Romain Rolland complimente Freud, lui dit partager ses analyses, mais regrette de ne pas voir prise en compte la « sensation religieuse4 ». Il nomme ainsi un sentiment qu’il affirme éprouver fortement, comme des millions d’hommes, indépendamment des dogmes, des Églises, des révélations et des croyances, et qu’il décrit en ces termes : « Le fait simple et direct de la sensation de l’“éternel” (qui peut très bien n’être pas éternel, mais simplement sans bornes perceptibles, et comme océanique). » Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Notre actuel sentiment du Moi, poursuit Freud, n’est donc qu’un résidu rétréci d’un sentiment beaucoup plus largement étendu, étendu même à tout, qui correspondait à un lien plus intime du Moi avec le monde environnant. » Devenir un individu consisterait, dans cette optique, à passer de l’illimité indistinct aux limites, de l’océanique au terrestre, du tout aux singularités. Le chemin inverse, vers l’océanique, la dilution de soi, la fusion cosmique serait, selon Freud, une régression. que la suppression méthodique des catégories et la dissolution des limites constituent un vecteur clé de cette culture. Dans l’histoire intellectuelle de l’Inde, la doctrine qui l’emporta sur toutes les autres privilégie l’identité parfaite de la conscience et de l’Absolu par annulation de toutes les limites et de toutes les différences. Nous les croyons réelles, à tort, alors qu’elles ne sont qu’illusoires. personne, indépendamment de tout contexte, qu’il est donné soit de privilégier une existence avec des contours, soit de s’en délivrer pour fusionner avec l’univers. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Le recours permanent à l’idéologie de la belle âme, l’intolérance à l’égard de l’exception se note à l’exaspération devant qui se refuse à son étreinte généreuse et à sa religion de l’humanité7 », note à juste titre l’écrivain Éric Marty. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

 « Dé-création » du monde, autrement dit une annihilation fictive du réel et de tout ce qui peut être perçu, dit ou pensé. Car tout n’existe que selon un principe de séparation. Lui seul fait exister. Aucune chose, aucun organisme, aucun vocable, aucune idée ne pourrait être s’il n’était d’abord, pour pouvoir exister, séparé du reste. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Ceux qui tendent à effacer les limites jugent la séparation néfaste. Dans un mouvement à rebours, ils veulent en finir avec elle, prônent le retour à une indistinction avec une Nature idéalisée, rêvent de fusionner avec le grand Tout du sans-limites. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Seule la limite offre la possibilité de faire lien, de tenir ensemble, d’unir ce qui vient d’être séparé. Ici, unir ne signifie pas confondre, relier ne signifie pas annuler l’écart. C’est au contraire la fusion-confusion qui rend impossible une relation, quelle qu’elle soit… faute de termes indépendants à relier. Il n’est possible de réunir que des éléments identifiables comme tels. La limite conditionne et détermine leur existence. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

La séparation est la condition de la relation. La limite est garante de ce mouvement. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Faut qu’existent des autres pour faire vivre les relations, ensemble. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Des autres séparés de nous, nous séparés d’eux, pour qu’une relation soit possible, garante des intégrités de tous. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Sans limite, impossible d’isoler une idée d’une autre, impossible de les comparer, de les opposer, de les rapprocher, de les combiner. Il faut, au préalable, avoir cerné leurs contours, leur avoir donné forme. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

C’est ce qu’on peut dire qui délimite et organise ce qu’on peut penser… Ce qu’Aristote nous donne pour un tableau de conditions générales et permanentes n’est que la projection conceptuelle d’un état linguistique donné5 », et serait donc relatif… Faut-il en conclure que d’autres langues feront penser autrement les délimitations du monde ? Évidemment oui. Le découpage des catégories et des notions n’est pas le même en hébreu, en chinois, en sanskrit, en wolof ou en d’autres savoir elle-même. Ainsi les astronomes de l’Antiquité ou de la Renaissance ne savaient-ils rien des trous noirs. Ils n’en ignoraient rien non plus, à proprement parler, puisqu’ils n’avaient pas la moindre idée de leur existence. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Dans Qu’est-ce que s’orienter dans la pensée ?10 le philosophe montre que le travail de la pensée consiste à « s’orienter géographiquement », comme avec une boussole, en opérant des différenciations. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

À partir de notre intuition sensible, structurée a priori par l’espace et le temps, les activités de la pensée procèdent d’abord par spatialisation. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Métaphore picturale, la technique du sfumato mise au point par Léonard de Vinci, obtenue par superposition de plusieurs couches de peinture donnant aux contours d’un sujet un aspect évanescent, incertain… Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

C’est sans doute une des raisons pour lesquelles l’époque actuelle en perdant ses perspectives temporelles a perdu le sens des limites. Cette métamorphose de la relation collective au temps a commencé à affecter les sociétés occidentales au cours de la seconde moitié du XXe siècle. Elle a été décrite par des historiens, sociologues et anthropologues sous le nom de « présentisme18 ». Avec comme traits principaux : du côté du passé, une représentation de l’héritage historique qui s’affaiblit. Le poids des événements d’hier n’est plus ressenti, la conscience de l’histoire et de ses continuités fait place à la célébration intermittente d’un « devoir de mémoire ». Du côté de l’avenir, les buts à atteindre collectivement deviennent flous ou irreprésentables. Les lendemains ne sont plus attirants ni même figurables, le sens des actions communes n’apparaît pas. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Déploiement des réseaux sociaux issus de la révolution numérique et de la menace qu’ils font peser sur la représentation de l’intimité en ces temps de transparence exacerbée. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Les récepteurs que nous sommes acquièrent une forme d’autonomie relative, qui leur permet, s’ils le veulent, d’agir à leur tour. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

D’interdits et de protection distincts, l’instauration de compromis, instables et destinés à évoluer. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

C’est ainsi que l’infini se retrouve « sous la garde du fini24 », sous la garde de la limite. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Descartes évoque l’« idée de l’infini en moi ». Il se demande, dans la troisième de ses Méditations métaphysiques25, comment expliquer que les êtres humains, dont la vie est limitée et toutes les sensations bornées, puissent avoir pareille idée de l’infini. Elle ne peut provenir de leurs expériences vécues, puisqu’elle les excède toutes. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

La limite n’est plus fermeture mais ouverture. Et l’attention ne se porte plus sur ce qui se cache derrière ou dans le simple reflet de l’horizon, mais plutôt sur sa présence en nous, sur cet au-delà intérieur qui déjoue les certitudes trop rapides sur son caractère indépassable. « Accepter les limites ne bouche pas l’horizon. Cela permet d’aller plus loin sans se perdre27. » Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

L’horizon « en nous » devient ainsi figure de la limite qui ferme et ouvre l’espace et le regard, sépare et réunit terre et ciel, fini et infini. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

En finir avec les visions simplistes, manichéennes, qui représentent la limite comme essentiellement dérangeante, punitive, fardeau attentatoire à notre liberté. Pour rappeler que les limites signent l’humain, en sont la condition, qu’elles fondent la pensée, permettent la vie. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

La » civilisation, à partir des Lumières, désignait un processus – lent, mais constant et universel – de polissage de l’humanité, qui était censée abandonner, peu à peu, la rudesse pour adopter des mœurs pacifiées, l’ignorance pour acquérir des savoirs, les rapports de force pour se fier aux institutions… Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Un des signes de la crise actuelle des limites est la désuétude où l’idée de civilisation est tombée. Soit on ne sait plus ce qu’elle veut dire, soit on l’accuse d’être le masque de toutes les vilenies possibles, le faux nez de la colonisation, de l’esclavagisme, de l’impérialisme, de la domination occidentale… Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

La séparation des vies est au principe de leur possibilité d’union. La condition d’existence de l’autre est d’être distinct de moi (et réciproquement : je n’existe qu’à la condition d’être distinct de l’autre). La limite qui nous disjoint rend possible de nous rejoindre. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Et « intolérance ». Car on se trompe encore en croyant que la tolérance consiste uniquement à défaire les limites. Bien entendu, on peut et doit abolir des censures, laisser dire, laisser faire. Mais à la condition, impérative, que des limites soient posées. « Pour être tolérant, il faut fixer les limites de l’intolérable », soulignait l’écrivain Umberto Eco2. Sans limites, pas d’autre, pas d’éthique, pas de tolérance. Toutefois, jamais une personne isolée ne trace ces limites, ne les transforme, harmonise ou entrelace toute seule. Ce travail est collectif. Le sens des limites est sens du politique. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Sortir de la négligence envers les limites aussi bien que de la crispation idéologique et autoritaire suppose de retrouver le sens du politique. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Le désintérêt, la désaffection, le mépris croissant dont fait l’objet la dimension politique du monde sont profondément liés à l’indifférence envers les limites. En retrouver le sens, c’est aussi, pour une part, réinventer, et réendosser le sens du politique. Tout simplement parce que cette sphère est celle où les limites se tissent, se trament, se confrontent, se négocient et s’arbitrent. Non sans tâtonnements. Non sans erreurs. Mais obstinément. Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

Plaidoyer en faveur de limites bien comprises, conçues à la fois comme butoirs et comme points de levier, Le sens des limites, Monique Atlan et Roger-Pol Droit

 

 

 

 

 

 

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