mardi 26 février 2019

La personne et le sacré, Simone Weil

La personne et le sacré, Simone Weil, La très petite collection) (French Edition) . Allia.


Ce qui est sacré dans la science, c'est la vérité. Ce qui est sacré dans l'art, c'est la beauté. La vérité et la beauté sont impersonnelles. impersonnelles. Tout cela est trop évident. Si un enfant fait une addition, et s'il se trompe, l'erreur porte le cachet de sa personne. S'il procède d'une manière parfaitement correcte, sa personne est absente de toute l'opération.

Tout l'effort des mystiques a toujours visé à obtenir qu'il n'y ait plus dans leur âme aucune partie qui dise “je”.

Imaginons que le diable est en train d'acheter l'âme d'un malheureux, malheureux, et que quelqu'un, prenant pitié du malheureux, intervienne dans le débat et dise au diable : “Il est honteux de votre part de n'offrir que ce prix ; l'objet vaut au moins le double.” Cette farce sinistre est celle qu'a jouée le mouvement ouvrier, avec ses syndicats, ses partis, ses intellectuels de gauche.

Bernanos a eu le courage d'observer que la démocratie n'oppose aucune défense aux dictateurs.

Si l'on dit à quelqu'un qui soit capable d'entendre : “Ce que vous me faites n'est pas juste”, on peut frapper et éveiller à la source l'esprit d'attention et d'amour. Il n'en est pas de même de paroles comme : “J'ai le droit de...”, “Vous n'avez pas le droit de...” ; elles enferment une guerre latente et éveillent un esprit de guerre. La notion de droit, mise au centre des conflits sociaux, y rend impossible impossible de part et d'autre toute nuance de charité.

À notre époque d'intelligence obscurcie, on ne fait aucune difficulté de réclamer pour tous une part égale aux privilèges, aux choses qui ont pour essence d'être des privilèges. C'est une espèce de revendication à la fois absurde et basse ; absurde, parce que le privilège par définition est inégal ; basse, parce qu'il ne vaut pas d'être désiré.

On n'entre pas dans la vérité sans avoir passé à travers son propre anéantissement ; sans avoir séjourné longtemps dans un état d'extrême et totale humiliation.

Et chaque malheureux, sous la contrainte de l'indifférence générale, essaie par le mensonge ou l'inconscience de se rendre sourd à lui-même.

Quand on parle du pouvoir des mots il s'agit toujours d'un pouvoir d'illusion et d'erreur. Mais, par l'effet d'une disposition providentielle, il est certains mots qui, s'il en est fait un bon usage, ont en eux-mêmes la vertu d'illuminer et de soulever vers le bien. Ce sont les mots auxquels correspond une perfection absolue et insaisissable pour nous.

Au-dessus des institutions destinées à protéger le droit, les personnes, les libertés démocratiques, il faut en inventer d'autres destinées à discerner et à abolir tout ce qui, dans la vie contemporaine, écrase les âmes sous l'injustice, le mensonge et la laideur. Il faut les inventer, car elles sont inconnues, et il est impossible de douter qu'elles soient indispensables.

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