Terrorisme, une forme inédite d'expression de la puissance, Dominique David
« Aucune nation ne
peut rester neutre dans ce conflit (contre le terrorisme), parce
qu’aucune nation civilisée
ne peut être en sécurité dans un monde menacé par la terreur. »
La plupart des mouvements civils, politiques
ou religieux du xxe siècle sont nés du croisement des possibilités
d’accumulation personnelle de richesses offertes par l’industrialisation, et de
la revendication de liberté individuelle qui émane de la nature même de l’homme
– et certes nullement de quelque bienfaiteur divin. L’attente diffuse de
changement, couplée à l’identification de quelques options alternatives,
pouvait alors, progressivement, installer l’idée que plusieurs futurs étaient
possibles, que de multiples options sociales étaient ouvertes, bien que ces
dernières n’aient présenté, en réalité, que peu de chances de sortir du statu quo de stagnation. Les idéologies
communiste ou anarchiste se sont alors opposées, par une rupture radicale, aux
références démocratiques usuelles, mais leur émergence dans la période qui
précède la Première
Guerre mondiale signale, en réalité, une viabilité limitée.
Dans cet ordre d’idées, le Manifeste
du Parti communiste (1847) doit moins être vu comme une bible
du changement du monde contemporain, que comme une œuvre littéraire de
déploration sur l’inégalité introduite par la mécanisation – en définitive, ce
serait un texte plus proche de Dickens qu’un véritable document
révolutionnaire. Le fascisme et le national-socialisme ont émergé au xxe siècle
comme des utopies alternatives, proposant de refaire le monde en revivifiant la
société autour d’une métaphysique particulière – une forme de spiritualité
théoriquement absente des idéaux et des processus démocratiques ne pouvant être
développée que dans une logique de « foi non optionnelle » [2][2] Pour une explication de cette notion,
voir : S. R.....
Les événements du début du xxie siècle
prouvent, quant à eux, que les États démocratiques, face à la réalité
spirituelle et symbolique véhiculée par le 11 septembre et ses conséquences, se
trouvent en situation de devoir surréagir ou mal réagir. Les mouvements civils,
politiques et religieux du xxie siècle ne
s’organiseront pas autour de la contradiction classique qui oppose mythe et
réalité, mais en fonction de l’incapacité des individus, des groupes non
étatiques, ou d’États faibles qui peinent à maintenir leur existence, à entrer
en relation de négociation –
de dialogue de puissance – avec des nations à l’écrasante supériorité
culturelle, sociale, économique ou militaire.
L’attente du changement, le désir de solutions de substitution,
l’identification de choix alternatifs, s’organisent donc à partir de nouvelles
bases, sur des caractéristiques neuves. Ces dernières témoignent, au demeurant,
de la fragilité des idéaux démocratiques, dont quelques zélateurs ont expliqué
que la « fin de l’Histoire » [3][3] Voir F. Fukuyama, La Fin de l’histoire et le
dernier... les rendait indépassables, et surtout inamendables,
voyant dans l’irrépressible aspiration au changement une trahison de la réalité alors que c’est la
démocratie comme idéal qui
est en cause. Dans les développements ci-après, on adoptera la définition
suivante du terrorisme, encore à débattre :
« utilisation prévue, calculée, stratégique, de moyens
physiques pour gagner de la puissance au service d’objectifs civils, politiques
ou religieux, dans un cadre où l’affrontement symétrique est impossible. »
Le
terrorisme est souvent décrit, et compris, comme le recours du mécontent et
l’arme du faible. Depuis le 11 septembre pourtant, le monde est contraint
d’accepter cette donnée : le mécontent ou le faible peuvent se montrer
aussi décisifs qu’une véritable armée, et disposer de moyens fort efficaces. Le
temps des affrontements armée contre armée s’éloigne ; nous entrons sans
doute dans une ère où c’est l’individu qui dispose du pouvoir de contrainte
central. Dans cette ère, les idéaux de la démocratie – idéaux d’un égalitarisme
référé aux droits de l’individu – sont retournés contre le rempart
traditionnellement opposé à l’anarchie : l’État. La théorie politique
moderne définit, certes, l’État comme le seul détenteur et usager légitime des
pouvoirs de contrainte, mais les principes démocratiques eux-mêmes exigent que
l’État accepte que les individus puissent manier la force, au même titre que le
collectif. En dépit de tout notre désir de ne pas accepter cette nouvelle
donne, la réalité s’impose, et partout, quotidiennement, nous voyons que l’État
est impuissant à s’imposer aux « vrais croyants » [4][4] C’est Eric Hoffer qui a le premier repris ce
concept...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire