lundi 3 février 2020

Droit dans le Mur, Jean François Kahn, Plon


Droit dans le Mur, Jean François Kahn, Plon



Offrir, en prime, à Macron 65 % de députés avec 24 % de votes ?

Ce qui, paradoxalement, laisserait entendre que la question serait sale et, qu’au nom des idées propres, les choses sales doivent être cachées (alors que la gauche devrait, au contraire, concourir à rendre la chose propre pour refouler les idées sales).

Aborder la question sociale, celle des inégalités, des précarités, des pauvretés, aborder la question territoriale, cela s’impose, évidemment (encore que l’on ait de plus en plus tendance à occulter aussi ces questions-là au nom de l’impératif écologique), mais les questions migratoires, tabou ! Non-sujet !

Avec la désindustrialisation s’est effacée une culture construite dans les luttes du mouvement ouvrier ou issue du christianisme social et des mouvements d’éducation populaire qui offraient un cadre sur le plan politique, sociétal ou amical.

L’agitateur, lui, lui dit : “Continuez de vous gratter.” Il est attiré par le malaise comme les mouches par le fumier. Il se vautre dans le malaise, il s’en délecte, le déforme, le creuse, l’exagère jusqu’au point où ce malaise se transforme presque en relation paranoïaque au monde. »

Ce n’est pas Dieu qui a créé les hommes, ce sont les hommes qui ont créé les dieux.

On est porté au pouvoir par le parti qu’on représente. Quand on quitte le pouvoir, il n’y a plus de parti, on l’a achevé : on n’y est pour rien ?

Avoir tort ou raison, la question n’est plus posée, il n’est plus vraiment nécessaire d’avoir lu.

Leur analyse s’assimilant en quelque sorte à une autoanalyse

Deux approches s’étaient opposées, cela alimentait un débat. Le débat, la controverse constituaient une fin en soi, constitutive d’un binarisme médiatique structurant, l’opposition de deux opinions qui n’étaient, et ne devaient rester, que des opinions, recyclables à toute occasion afin, comme on dit, d’« alimenter le débat ». Le débat, en somme, ne devait pas être considéré comme un « moment », mais comme un « état

Les impératifs de son prestige personnel, de son quant-à-soi, de son orgueil, éternelles sources des erreurs les plus destructrices.

Le « roman national » (tous les romans nationaux), c’est d’abord cela : un galet roulé par les vagues de l’océan du temps, poli par ses houles, trop poli pour être honnête. Une histoire, en somme, purgée de tout ce à propos de quoi on risquerait de faire des histoires.

Les  pires fautifs (ou fauteurs) qui font partie du jury, que le « roman national » constitue une sorte de laverie automatique, de blanchisserie de toutes les taches qui maculèrent les neiges d’antan, cela, convenons-en, l’autodépeçage volontaire d’une nation,

l’Assemblée constituante de 1789, Robespierre et Marat proposèrent une loi d’abolition de la peine de mort, au moins en matière politique. La proposition fut repoussée. La plupart de ceux qui la repoussèrent perdirent la tête. Sur consigne de Robespierre et après dénonciation de Marat.

49 % égale zéro.

Puisque peuple ne se décline qu’au singulier, il ne peut évidemment y en avoir deux, les autres étant nécessairement des chancres du peuple), il n’était pas envisageable que le pire s’y soit invité.

Même dégoulinant de sang, le djihadiste était un insurgé : il ne pouvait donc pas être totalement coupable.

C’est ainsi que la crapulerie du pouvoir syrien de Bachar el-Assad justifia que, presque jusqu’au bout, contre l’évidence, on s’interdise de voir dans ceux qui l’affrontaient, trop souvent séides d’Al-Qaïda puis de Daech, autre chose que des « rebelles modérés »

Dépréciation des phares médiatiques de la pensée progressiste, révolutionnaire ou réformiste ; double enfermement, dans les deux cas au nom de la « modernité », des deux ailes d’une nouvelle intelligentsia de plus en plus parcellisée, ici dans un révolutionarisme libertaire de posture, là dans un droitisme néomaurrassien d’opportunité

L’injonction « passe-moi le sel » était déclinée sur un mode heideggérien.

Viagra logomachique pour tendre vers des cimes de l’incommunicable.

En prenant en compte tout ce qui était mentalement dérangeant, on eût subverti, non pas une façon de mal penser, mais, ce qui était pire, ou plus traumatisant, une façon de « bien penser ». Refuser le réel revenait, en quelque sorte, à protéger le réel de lui-même, à le purger de sa dégradation et à s’accrocher de la sorte à toute raison, honorable, de continuer à se convaincre qu’on pensait bien.

La première erreur, celle des scolastiques, le refus d’accueillir, d’admettre le « moment de vérité » galiléen, eut cette conséquence que le monopole de la pensée, puis la pensée elle-même échappèrent aux clercs. La seconde erreur, celle d’aujourd’hui, eut cette autre conséquence que le monopole de la représentation du peuple, puis le peuple lui-même, échappèrent à la gauche.

Voter à droite pour un électeur ouvrier ou chômeur d’Hénin-Beaumont, c’eût été de la collaboration de classe. Voter Front national, ça ne l’était plus.

Un complexe néocolonial, paternaliste donc, avait conduit toute une fraction de la gauche à considérer que les acquis de son combat séculaire ne pouvaient pas concerner une population, la population musulmane, qui n’était pas au « niveau ». Au point d’accepter de comprendre, de défendre même, qu’elle déroge à la règle commune, fruit de ce combat émancipateur, exactement comme hier on lui parlait petit nègre ! De la conception, juste, que ceux qui nous enrichissaient de leur différence ne sont pas nécessairement « comme nous », on en était arrivé, subrepticement, à la nécessité de régulariser (sorte d’apartheid culturel en somme) le fait qu’ils étaient moins que nous. En dessous de nous.

Et finalement, à bien y réfléchir, à la droite extrême on fit ce cadeau-là aussi : on lui sacrifia l’universalité. On la conforta, cette droite extrême, dans le préjugé qu’une religion était hors norme, inintégrable aux acquis de notre pluralité, que nos principes, nos valeurs, nos lois mêmes ne lui étaient pas applicables. Et, en cela, nous démocrates, nous respectueux des différences, nous enfants de l’émancipation laïque, dans l’enseignement en particulier, nous nous rendîmes coupables d’une double trahison : on abandonna, on livra même ceux, parmi les musulmans, potentiellement majoritaires, qui menaient le même combat que celui que nous avions mené, et on accepta au nom, en réalité, d’une dépréciation méprisante de l’autre, que, en vertu de sa différence confessionnelle, une catégorie humaine soit rejetée hors de l’universalité des principes et des valeurs qui nous soudait, qui nous constituait en tant que communauté.

La social-démocratie, à qui notre civilisation doit tant, avait, à peu près partout, trompé son électorat pour se vautrer voluptueusement dans le plumard néolibéral au moment même où ses édredons perdaient leurs plumes.

Modernité qui dévastait, ravageait, tout ce qui participait de l’identité spécifique des classes populaires.

A la fois l’incontestabilité de l’erreur et le refus des protagonistes d’en prendre acte, d’en analyser les causes et les fondements, de s’interroger sur les failles de leurs raisonnements.

Le binarisme manichéen entraîne mécaniquement la conviction que les ennemis de mes ennemis représentant le camp du bien et figurant, en cela, mes alliés de cœur, on ne saurait leur contester ce statut sans se dénoncer en agents objectifs du camp du mal.

Quand l’extrémiste islamiste afghan, l’extrémiste islamiste algérien, l’extrémiste islamiste syrien, l’extrémiste islamiste tchétchène révélèrent leur véritable nature, en même temps que l’ascendant qu’ils avaient pris, le mal étant incarné par l’occupant russe, les généraux algériens, le dictateur Bachar el-Assad ou Vladimir Poutine, les coupables furent aussi longtemps innocentés que le fut Esterhazy.

Le problème n’était pas qu’on ait eu tort ou raison, mais qu’on se soit placé ou pas du bon côté.

Mieux vaut avoir tort avec l’un que raison avec l’autre.

Dès lors qu’un « fait » va dans le sens souhaité, sa véracité doit être affirmée, établie, même s’il s’avère faux, dût-on imaginer un faux pour prouver qu’il est vrai. Maurras ne cessa de théoriser cette assertion : l’utilité d’une thèse doit l’emporter sur la probation de sa pertinence.

Mais qu’en est-il, quand une forme de raisonnement, une forme de rapport intellectuel au réel, n’engendrent systématiquement que des catastrophes ou des ignominies

Imaginer le forfait, le conceptualiser, le préconiser, le justifier, serait moins grave que de le commettre ? On ne saurait dévaloriser plus radicalement l’intelligence que proclamer aussi froidement que le cerveau n’a pas à rendre compte des agissements du corps, qu’il n’est pas ordinateur ou ordonnateur mais amas de mou.

Un scientifique, dont toutes les recherches ou expériences tourneraient au fiasco, perdrait toute sa crédibilité. Un philosophe, qui se serait systématiquement trompé, peut fort bien, en revanche, conserver son statut et maintenir sa réputation. Comme si, là encore, la preuve de sa totale inadéquation à la réalité (parfois même à toute réalité) n’invalidait nullement le processus intellectuel qui a présidé au rapport du penseur en question à cette réalité.

L’intellectuel, le philosophe, le penseur ne sont presque jamais confrontés aux concrétisations de leurs recommandations, de leurs préconisations, de leurs exigences ou de leurs croisades.

Un industriel dont la gestion est catastrophique fait faillite. Si un théoricien préconise un système qui, à l’expérience, s’avère désastreux, c’est le système qui fait faillite, pas le théoricien.

Quand, derrière telle ou telle personnalité, c’est toute une « école » qui s’est trompée, l’école sert de blockhaus à la personnalité, après que la personnalité aura servi de char d’assaut à l’école.

Le communisme et le christianisme offrirent longtemps leur muraille protectrice à ceux qui diffusèrent, de l’intérieur de leur citadelle, des assertions que l’on préféra oublier plutôt que de reconnaître leur insanité et d’analyser les causes qui expliquent qu’elles aient pu être proférées.

L’activisme associatif et médiatique de la gauche libertaire lui suffit.

Regard implacable dans le rétroviseur : en 1938, l’approbation unanime – oui, unanime ! – par les socialistes français des accords de Munich, le lâchage de l’Espagne républicaine, le vote majoritaire des pleins pouvoirs au maréchal Pétain, le leadership de l’action résistante abandonné aux gaullistes, aux communistes, voire aux démocrates-chrétiens, la lamentable aventure de Suez, l’effarante sous-estimation de la dynamique de libération nationale dans l’ensemble de l’espace colonial, la démission devant les diktats de la haute hiérarchie militaire en Algérie.

La social-démocratie à 6 % en France, à 5 % en Israël, inexistante en Russie, quasiment à 0 % au Japon, en Hongrie, en Pologne, écroulée même en Allemagne, sa patrie). Jusqu’au bout on refusa de regarder cette réalité en face : pourquoi, pour quelles raisons, un mouvement politico-social qui a tant apporté au progrès de nos civilisations s’est-il, à partir d’un certain moment et en si peu de temps, affaissé à ce point ? Pourquoi, surtout, à la suite de quelles fautes impardonnables sa base sociale a-t-elle irrésistiblement glissé en direction du camp d’en face, cette extrême droite parfois fascisante qu’on eut la folie de qualifier de « populiste » ?

Le « revenu universel », quelle bonne idée ! Milton Friedman, le pape du néolibéralisme, l’avait eue, cette idée, l’un des premiers. L’idée en question était qu’on cesse d’imposer des contraintes sociales au patronat, qu’il dégraisse à sa guise, mais qu’à tous les exclus qui en seraient les victimes l’État verse une compensation. Un revenu. Une aumône ?

Quand Benoît Hamon réactualisa le  « revenu universel »,, sans en avoir vraiment étudié les implications, la proposition, on l’avisa vite que, dans bien des cas, le revenu en question risquait d’être plus faible que les diverses prestations sociales existantes et que les salariés réagiraient mal à l’idée que, à côté d’une rémunération du travail, il y en aurait une du non-travail.

Binarisme manichéen qui refuse de voir du mal dans ce qui s’oppose au camp du bien, en prenant en compte le fait que le pire de l’erreur peut, au départ, s’être articulé à la plus juste ou plus respectable des raisons qui ont contribué à la commettre.

C’est le résultat qui désigne l’erreur, pas l’intention première

Mouvement des « gilets jaunes », dont progressivement l’Histoire retiendra qu’il véhicula le pire, alors même que, dans le tréfonds de ses origines, il exprimait le meilleur. Combien d’inquisiteurs furent-ils convaincus d’agir, animés par un saint objectif de purification, au nom de Dieu ?

La façon dont on arrive à ses fins, passé un certain niveau d’inacceptable, finit presque toujours (presque… pas dans le cas de la constitution des États-Unis ou de la Grande Russie par exemple, mais dans celui de la plupart des aventures impérialistes et colonialistes) par se retourner contre ces fins. L’erreur, alors, redevient une composante de l’horreur. Le nazisme est définitivement déshonoré et diabolisé.

Le bien ne garantit pas contre l’erreur,

L’erreur, particulièrement en politique, n’est, dans la plupart des cas, possible que si elle est portée par une cause qui apparaît louable et qui, dans une certaine mesure, l’est.

Il est incontestable que la politique d’aide sociale, en France, coûte un « pognon de dingue » pour un résultat qui n’est pas, et de loin, à la hauteur de la dépense. Mais décocher une telle saillie (ou proférer une telle évidence) quand on vous taille un fort seyant costard de « président des riches », c’est le comble de la bourde !

L’intellectuel qui influence est estimé, a priori, moins coupable que ceux qu’il a influencés. La pensée qui entraîne l’acte est innocentée de l’acte.

Sanctionne l’action mais amnistie l’idée

Comme si on ne pouvait pas faire peser sur le vent et sur l’étincelle la responsabilité de l’incendie.

Progrès considérable, donc, mais qui, poussé à son paroxysme, en arrive à déresponsabiliser totalement la pensée à travers le penseur.

L’idée a été déclarée juridiquement irresponsable.

« déconstruction » pour Derrida. Mais, derrière le mot, qui serait capable de définir le concept, lequel s’épuise alors dans le mot ?

Le penseur, au fond, ne serait qu’un instrument, que l’on peut d’ailleurs instrumentaliser.

Plus encore qu’hier compte moins ce qu’on dit que le minaret d’où on le lance

Sur le monde des idées : l’étiquetage l’emporte sur la marchandise.

Façon, quelque peu frimeuse, d’idéaliser obscurément une pensée qui vous épouvanterait s’il était question de lui donner un contenu concret ?

On en est arrivé à délaisser les oppressions terre à terre, celles dont sont victimes les gens ordinaires, les gens tout court, dont les combats et les résistances ont été « archaïsés », « plouquisés », pour ne plus valoriser, esthétiquement toujours, que ce mystificateur front du refus que constituent les marginalités les plus spectaculairement transgressives, hédonistes, narcissiques, sexuelles, nihilistes, fussent-elles les plus asociales et les plus amorales. Le dealer devient plus emblématique que le gréviste. Le combat pour la libéralisation du commerce du cannabis (pour commencer) plus valorisant que celui pour la revalorisation de la feuille de paye. Le prolétaire, y compris immigré, n’intéresse que s’il est sans papiers. Un temps, assez court, Philippe Sollers se voulut comme le Karl Marx pathétique de cette dérive.

Des Républicains démocrates manifestent aux côtés d’islamistes : les islamistes cannibalisent les manifestations des Républicains démocrates. La gauche médiatique se déchaîne contre la police : les jeunes des cités tendent des embuscades à la police. Les conservateurs libéraux croient habile de surfer sur la thématique des néofascistes : leurs électeurs en déduisent qu’on peut allégrement passer d’un vote à l’autre.


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