samedi 23 mai 2020

Conseils d’un père à son fils, Régis Debray, Folio


Conseils d’un père à son fils, Régis Debray,  Folio



Les chansons d’auteur ne sont pas des feux de paille et, non contentes de tout dire sur l’air du temps, elles se gravent dans notre mémoire mille fois mieux qu’une thèse ou un essai. Debray, Régis. Conseils d’un père à son fils p. 37

Ce qui soude une génération, où que ce soit, c’est un accord tacite sur ce qui est bon à penser et donc sur les désaccords dignes d’attention. Debray, Régis. Conseils d’un père à son fils p. 44


Cest le partage d’un même passé plus que d’un même espace qui peut convaincre notre espèce de faire un seul peuple,Debray, Régis. Conseils d’un père à son fils p. 45

Et c’est une veine, qu’on soit pour si peu de chose dans notre vie. Cela laisse de la place aux autres. Sache, pitchoun (« petit », en provençal, c’est affectueux), que nul ne forge son identité à soi seul, et que ceux qui t’appellent à être l’auteur de ton existence, en artiste du moi, sont des égolâtres et des jean-foutre. « Pourquoi un tableau ou une maison sont-ils des objets d’art, mais non pas notre vie ? » se demande M. Foucault. Réponse : parce qu’un architecte est libre de ses épures et de ses matériaux, et que l’artiste peintre peut choisir ses tubes chez le marchand de couleurs. Alors que, pour nous, l’air du temps fixe le cahier des charges – à notre insu. En 1960, le fond de toile était rouge ; il est passé ensuite au rose, puis au vert, et maintenant la bannière US étoile nos T-shirts. Chaque décennie sa dominante mais, en tout cas, la page n’est jamais blanche, et le moule jamais vide. Debray, Régis. Conseils d’un père à son fils pp. 56-57

Le risque de l’« acosmisme » comme Hannah Arendt appelle la « fuite dans l’histoire mondiale ». Ils se croient à la maison à six mille kilomètres de chez eux, qu’ils soient porteurs de la Justice prolétarienne ou de la Libre Entreprise, Debray, Régis. Conseils d’un père à son fils p. 62

Là où il y a une bagarre en cours, débrouille-toi pour ne jamais être l’étranger. Debray, Régis. Conseils d’un père à son fils p. 63

À gauche, la société sans la nation, sans les poètes et sans Jeanne d’Arc. Elle fait l’affaire des sociologues, des socialos et des juristes ; à droite, la nation sans la société, et sans lutte des classes. Elle fait l’affaire des décorés, des aèdes et des antiquaires. Chacun son filon, et son trou noir. Debray, Régis. Conseils d’un père à son fils pp. 64-65

Faire la sourde oreille aux dégoûtés de la France moisie, toujours prêts à accuser un « grand cadavre à la renverse » d’avoir manqué à ses obligations quand elle n’en a contracté aucune puisque c’est nous qui l’en avons lestée sans qu’elle y soit pour rien. Debray, Régis. Conseils d’un père à son fils p. 66

Ou un corps expéditionnaire faire du nation building en Afghanistan, casser l’État irakien, armer les islamistes en Syrie, etc., sans prêter la moindre attention à la
langue, aux mœurs et à l’histoire. Debray, Régis. Conseils d’un père à son fils p. 71

Mais qui croit en quelque chose se croit lui-même beaucoup plus qu’il n’est, condition du succès. Debray, Régis. Conseils d’un père à son fils p. 77

Politique intérieure : gauche toute, « on fait cracher les riches et on redistribue ». Politique économique : centre, « il faut bien, avant de la redistribuer, créer de la richesse », donc des patrons, qui tireront la couverture à eux, et des salariés, qui paieront la TVA. Politique étrangère : droite vieux jeu, « qu’on ne vienne pas piétiner nos plates-bandes ni nous forcer la main, je ne suis pas forcé de vous ressembler ».
Debray, Régis. Conseils d’un père à son pp. 84-85

Je n’aurais pas raté le coche et manqué le virage sur l’aile de l’esprit d’Occident, direction Katmandou, quand les hippies, au milieu des sixties, ont lâché Prométhée et Jésus pour le Dalaï-Lama. Et, dans la foulée, l’ancestrale éthique de l’effort et du travail, où l’on ne comptait pas sa peine, pour cette économétrie du bonheur où toute contrariété a son tarif et son indemnité. En dépavant les rues de Paris, Debray, Régis. Conseils d’un père à son fils p. 85

Moins il y a de prestige moral chez les politiques, plus il y a de prestige politique chez les moralistes. Debray, Régis. Conseils d’un père à son p. 89

L’apostrophe de Zola à la « une » d’un quotidien, J’accuse. C’est bien notre fonction. Non pas expliquer, explorer, reconstituer, comprendre mais chapitrer, morigéner, dénoncer, fustiger. Raisonnement facultatif, allumage recommandé. La polémique procède ad rem, le pamphlet ad hominem (avec un penchant vers la droite), mais les deux ont tout intérêt à accrocher la diatribe à un héros du Who’s who, un wanted déjà bien repéré. Debray, Régis. Conseils d’un père à son fils p. 92

Ne supportant pas la distance entre ce qui devrait être et ce qui est, ce preux, mi-évangéliste, mi-urgentiste, entend rendre le réel conforme à son idée. Épris de solutions expéditives et expéditionnaires, ne s’embarrassant pas plus d’histoire que de géographie, ce saint Michel a le don du coup de menton et de la mise en demeure des « lâches qui nous gouvernent ». Debray, Régis. Conseils d’un père à son pp. 98-99


Et c’est quand les adeptes du mouvement chrétien se sont mis à penser grec et parler latin qu’ils ont pu damer le pion aux Grecs et aux Latins. Si Luther n’avait pas été un bon moine augustin, la chrétienté serait restée papiste. Bref, commence par tapoter bien gentiment sur l’épaule des importants sans faire l’ours ou le snob.
Debray, Régis. Conseils d’un père à son fils p. 110

« Il faut choisir entre comprendre et réagir. » Entre se donner du champ et donner de la voix. Debray, Régis. Conseils d’un père à son fils p. 114

« Sont actuelles les pensées qui nous permettent de nous situer dans le temps et de juger le présent pour ce qu’il vaut, mais ces pensées sont souvent intempestives. »
Debray, Régis. Conseils d’un père à son fils p. 114

On peut juger improbable, chez nous, le retour de l’esclavage au sens propre (on a trouvé des équivalents plus lénifiants), du droit divin ou de l’ordalie dans les cours d’assises mais on a vu venir le IIIe Reich après la République de Weimar, Pinochet après Allende, et on voit, dans maints pays, la théocratie succéder à la démocratie, et le droit du sang au droit du sol, alors qu’après le tracteur, la pénicilline ou la calculette, l’araire à manche de bois, la décoction miraculeuse, le boulier ou l’abaque débarrassent le plancher. Debray, Régis. Conseils d’un père à son fils p. 121

Tous les documents disponibles, depuis l’âge du bronze, indiquent un bipède assez stable dans ses fondamentaux : xénophobe, peureux, agressif, veule, cupide dès qu’il le peut et prêt aux pires étripages dès qu’on l’a persuadé que son vis-à-vis était le diable en personne. Debray, Régis. Conseils d’un père à son fils p. 122

Raison de plus pour rester ouvert aux surprises du monde. Garde-toi de fermer ta porte à l’inconnu qui passe. Debray, Régis. Conseils d’un père à son fils p. 123

Nos fausses routes sont-elles le prix à payer pour garder notre liberté de mouvement, et renouveler de loin en loin notre carapace de certitudes autoprotectrices, souvent des plis de paresse ou de courtoisie.Debray, Régis. Conseils d’un père à son fils p. 129

Echapper à la plaie de notre époque, qui est de vouloir se faire aimer, complaire à tous, et racoler des fans. Debray, Régis. Conseils d’un père à son fils p. 130

 « De tout ce qui jamais advint, rien ne doit être considéré comme perdu par l’Histoire. » Debray, Régis. Conseils d’un père à son fils (p. 132

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