Conseils d’un père à son fils, Régis
Debray, Folio
Les chansons d’auteur ne
sont pas des feux de paille et, non contentes de tout dire sur l’air du temps,
elles se gravent dans notre mémoire mille fois mieux qu’une thèse ou un essai. Debray, Régis. Conseils d’un père à son fils
p. 37
Ce qui soude une génération,
où que ce soit, c’est un accord tacite sur ce qui est bon à penser et donc sur
les désaccords dignes d’attention. Debray,
Régis. Conseils d’un père à son fils p. 44
Cest le partage d’un même
passé plus que d’un même espace qui peut convaincre notre espèce de faire un
seul peuple,Debray, Régis. Conseils d’un
père à son fils p. 45
Et c’est une veine, qu’on
soit pour si peu de chose dans notre vie. Cela laisse de la place aux autres.
Sache, pitchoun (« petit », en provençal, c’est affectueux), que nul
ne forge son identité à soi seul, et que ceux qui t’appellent à être l’auteur
de ton existence, en artiste du moi, sont des égolâtres et des jean-foutre.
« Pourquoi un tableau ou une maison sont-ils des objets d’art, mais non
pas notre vie ? » se demande M. Foucault. Réponse : parce qu’un
architecte est libre de ses épures et de ses matériaux, et que l’artiste
peintre peut choisir ses tubes chez le marchand de couleurs. Alors que, pour
nous, l’air du temps fixe le cahier des charges – à notre insu. En 1960, le
fond de toile était rouge ; il est passé ensuite au rose, puis au vert, et
maintenant la bannière US étoile nos T-shirts. Chaque décennie sa dominante
mais, en tout cas, la page n’est jamais blanche, et le moule jamais vide. Debray, Régis. Conseils d’un père à son fils
pp. 56-57
Le risque de
l’« acosmisme » comme Hannah Arendt appelle la « fuite dans
l’histoire mondiale ». Ils se croient à la maison à six mille kilomètres
de chez eux, qu’ils soient porteurs de la Justice prolétarienne ou de la Libre
Entreprise, Debray, Régis. Conseils d’un
père à son fils p. 62
Là où il y a une bagarre en
cours, débrouille-toi pour ne jamais être l’étranger. Debray, Régis. Conseils d’un père à son fils p. 63
À gauche, la société sans la
nation, sans les poètes et sans Jeanne d’Arc. Elle fait l’affaire des
sociologues, des socialos et des juristes ; à droite, la nation sans la
société, et sans lutte des classes. Elle fait l’affaire des décorés, des aèdes et
des antiquaires. Chacun son filon, et son trou noir. Debray, Régis. Conseils d’un père à son fils pp. 64-65
Faire la sourde oreille aux
dégoûtés de la France moisie, toujours prêts à accuser un « grand cadavre
à la renverse » d’avoir manqué à ses obligations quand elle n’en a
contracté aucune puisque c’est nous qui l’en avons lestée sans qu’elle y soit
pour rien. Debray, Régis. Conseils d’un
père à son fils p. 66
Ou un corps expéditionnaire
faire du nation building en Afghanistan, casser l’État irakien, armer les
islamistes en Syrie, etc., sans prêter la moindre attention à la
langue, aux mœurs et à
l’histoire. Debray, Régis. Conseils d’un
père à son fils p. 71
Mais qui croit en quelque
chose se croit lui-même beaucoup plus qu’il n’est, condition du succès. Debray, Régis. Conseils d’un père à son fils
p. 77
Politique intérieure :
gauche toute, « on fait cracher les riches et on redistribue ».
Politique économique : centre, « il faut bien, avant de la
redistribuer, créer de la richesse », donc des patrons, qui tireront la
couverture à eux, et des salariés, qui paieront la TVA. Politique
étrangère : droite vieux jeu, « qu’on ne vienne pas piétiner nos
plates-bandes ni nous forcer la main, je ne suis pas forcé de vous
ressembler ».
Debray, Régis. Conseils d’un père à son pp. 84-85
Je n’aurais pas raté le
coche et manqué le virage sur l’aile de l’esprit d’Occident, direction
Katmandou, quand les hippies, au milieu des sixties, ont lâché Prométhée et
Jésus pour le Dalaï-Lama. Et, dans la foulée, l’ancestrale éthique de l’effort
et du travail, où l’on ne comptait pas sa peine, pour cette économétrie du
bonheur où toute contrariété a son tarif et son indemnité. En dépavant les rues
de Paris, Debray, Régis. Conseils d’un
père à son fils p. 85
Moins il y a de prestige
moral chez les politiques, plus il y a de prestige politique chez les
moralistes. Debray, Régis. Conseils d’un
père à son p. 89
L’apostrophe de Zola à la
« une » d’un quotidien, J’accuse. C’est bien notre fonction. Non pas
expliquer, explorer, reconstituer, comprendre mais chapitrer, morigéner,
dénoncer, fustiger. Raisonnement facultatif, allumage recommandé. La polémique
procède ad rem, le pamphlet ad hominem (avec un penchant vers la droite), mais
les deux ont tout intérêt à accrocher la diatribe à un héros du Who’s who, un
wanted déjà bien repéré. Debray, Régis.
Conseils d’un père à son fils p. 92
Ne supportant pas la
distance entre ce qui devrait être et ce qui est, ce preux, mi-évangéliste,
mi-urgentiste, entend rendre le réel conforme à son idée. Épris de solutions
expéditives et expéditionnaires, ne s’embarrassant pas plus d’histoire que de
géographie, ce saint Michel a le don du coup de menton et de la mise en demeure
des « lâches qui nous gouvernent ». Debray, Régis. Conseils d’un père à son pp. 98-99
Et c’est quand les adeptes
du mouvement chrétien se sont mis à penser grec et parler latin qu’ils ont pu
damer le pion aux Grecs et aux Latins. Si Luther n’avait pas été un bon moine
augustin, la chrétienté serait restée papiste. Bref, commence par tapoter bien
gentiment sur l’épaule des importants sans faire l’ours ou le snob.
Debray, Régis. Conseils d’un père à son fils p. 110
« Il faut choisir entre
comprendre et réagir. » Entre se donner du champ et donner de la voix. Debray, Régis. Conseils d’un père à son fils
p. 114
« Sont actuelles les
pensées qui nous permettent de nous situer dans le temps et de juger le présent
pour ce qu’il vaut, mais ces pensées sont souvent intempestives. »
Debray, Régis. Conseils d’un père à son fils p. 114
On peut juger improbable,
chez nous, le retour de l’esclavage au sens propre (on a trouvé des équivalents
plus lénifiants), du droit divin ou de l’ordalie dans les cours d’assises mais
on a vu venir le IIIe Reich après la République de Weimar, Pinochet après
Allende, et on voit, dans maints pays, la théocratie succéder à la démocratie,
et le droit du sang au droit du sol, alors qu’après le tracteur, la pénicilline
ou la calculette, l’araire à manche de bois, la décoction miraculeuse, le
boulier ou l’abaque débarrassent le plancher. Debray, Régis. Conseils d’un père à son fils p. 121
Tous les documents
disponibles, depuis l’âge du bronze, indiquent un bipède assez stable dans ses
fondamentaux : xénophobe, peureux, agressif, veule, cupide dès qu’il le
peut et prêt aux pires étripages dès qu’on l’a persuadé que son vis-à-vis était
le diable en personne. Debray, Régis.
Conseils d’un père à son fils p. 122
Raison de plus pour rester
ouvert aux surprises du monde. Garde-toi de fermer ta porte à l’inconnu qui
passe. Debray, Régis. Conseils d’un père
à son fils p. 123
Nos fausses routes
sont-elles le prix à payer pour garder notre liberté de mouvement, et
renouveler de loin en loin notre carapace de certitudes autoprotectrices,
souvent des plis de paresse ou de courtoisie.Debray, Régis. Conseils d’un père à son fils p. 129
Echapper à la plaie de notre
époque, qui est de vouloir se faire aimer, complaire à tous, et racoler des
fans. Debray, Régis. Conseils d’un père à
son fils p. 130
« De tout ce qui jamais advint, rien ne
doit être considéré comme perdu par l’Histoire. » Debray, Régis. Conseils d’un père à son fils (p. 132
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