D’un siècle
l’autre, - T - Régis Debray, Gallimard
Cuba, le caïman des
Antilles, où des vétérans de la guerre d’Espagne entretenaient au maniement
d’explosifs des jeunots venus d’un peu nulle part. Qui s’engage se dégage du
même coup, Deux bonheurs pour le prix d’un. Déserter le champ philosophique
avec un sauf-conduit philosophique, qu’est qu’un scoliaste qui fuit la
scolastique peur rêver de mieux. D’un
siècle l’autre, Régis Debray
Qui veut se colleter avec
l’injustice ailleurs que dans un in-follio doit s’intéresser au potable, à
l’irrigable, au régime du vent et aux gués de la rivière plutôt qu’aux
spéculations sur le bonheur des peuples et les promesses de l’aube. D’un siècle l’autre, Régis Debray
D’où vient que l’on ne puisse rassembler sans diviser ni
intégrer sans exclure, et qui veut éviter le conflit se détruit lui-même. Sans
Barbares, point de Grecs. Sans Sarrasins, point d’Europe. Sans Baal, point de
Yahvé. Sans judaïsme, pas de christianisme. Sans hindouisme, point de
bouddhisme, et ainsi de suite. Une idée-force tire sa force de s’élever contre
une autre. D’un siècle l’autre, Régis
Debray
Un Allemand, un français ou
un Turc seront toujours plus turc, français, allemand que musulman, jacobin ou
social-démocrate qu’ils ne s’en doutent eux-mêmes. Un bolchevik russe peut
devenir libéral mais il restera turc avant, avec ses icônes, Pouchkine et la
vodka,. « L’âme slave » comme « l’esprit français » ou
« l’humour british » ne rêvent pas de l’Organisation Mondiale du
Commerce. D’un siècle l’autre, Régis
Debray
Il me semble découler d’une
faute indétachable de la fonction, l’idiotisme de métier, dirait Diderot :
la prédominance de l’idée sur le réel. Si l’intellectuel est l’homme
« dont la vie s’ordonne sur une idée », la logique veut qu’il attende
de ses congénères qu’ils fassent de même puisque son idée est vraie et ce qui
est vrai doit l’être pour tout le monde. La vérité est une erreur multiple
(« il n’est pas étonnant que la droite professe le pluralisme »
ajoutait l’intrépide Simone de Beauvoir.)
D’un siècle l’autre, Régis Debray
Délibérer est le fait de
plusieurs, agir est le fait d’un seuL. D’un
siècle l’autre, Régis Debray
Le spirituel est jours
couché dans le lit du temporel, disait Péguy, mais il y a toujours un ciel
au-dessus du grabat. « Si l réalité est inconcevable, disait Hegel, il
nous faut forger des concepts inconcevables.
D’un siècle l’autre, Régis Debray
Réflexe consistant à
rééquilibrer une déstabilisation économique ou technique par une réaffirmation
culturelle ou religieuse, on découvre combien le progrès peut s’avérer
rétrograde. Aussi voit-on des nations civiques édifiées par des progressistes
au XXéme siècle (Atatürk, Nehru, Jinnah, Nasser ou Ben Gourion) – Turquie,
Inde, Pakistan, Egypte, Israël – redevenir au XXIéme siècle des nations
ethnos-religieuses. D’un siècle l’autre, Régis
Debray
Pouvoir « bricoler dans
l’incurable » est déjà en soi un bienfait. La loi de la gravité nous
laisse en effet un volant d’options : se jeter par la fenêtre ou inventer
le parachute. Ce sont nos variables d’ajustement. D’un siècle l’autre, Régis Debray
Nos existences sont à
double-fond. Au-dessous de ce que l’on sait ou croit savoir, il y a ce que l’on
sent. On n’est jamais sur de ce que l’on pense et si on fait bien, alors qu’on
est sur de ce que l’on sent, sans y penser. On peut ainsi mener une vie non pas
avec deux idées contradictoires mais simplement sur deux étages, un
rez-de-chaussée habité par des idées et un autre au-dessus habité par des
sentiments. Ce sont eux qui mènent la danse et ne reçoivent de directives que
d’eux-mêmes. Je me réjouis donc que mes idées soient restées quasi clandestines,
n’étant pas de celles que l’on envie de clamer sur les toits. D’un siècle l’autre, Régis Debray
Le plénipotentiaire
intervient dans les moments difficiles : pour arrêter juste à temps le
bras meurtrier d’Abraham, informer Joseph qu’il est l’heure de partir prévenir
la jeune Marie qu’un heureux événement est en route et le vieux Mahomet qu’il
sera mis un point final par son truchement, à cette affaire pendante depuis
longtemps, la Révélation. Le Verbe divin n’a pas de réalité tangible, raison pour
laquelle il a besoin de corps intermédiaires, estafettes bien équipées pour
mener ses projets à bonne fin. D’un
siècle l’autre, Régis Debray
Communiquer consister à
transporter une information dans l‘espace, et transmettre, à transporter
l’information une fois communiquée dans le temps. Dans un cas on met en
relation un ici avec un ailleurs. D’un
siècle l’autre, Régis Debray
Communiquer nous est de plus
en plus facile, transmettre en plus difficile. Pourquoi ? Parce qu’il y a
des technologies de communication de plus en plus performantes (du télégraphe
optique à WhatsApp), alors qu’il n’y a pas de machine à transmettre. D’un siècle l’autre, Régis Debray
On peut avoir des doutes sur
le télé-enseignement. S’agit-il d’une relation pédagogique ou simplement d’un transfert
d’informations ? Le « distanciel » ne peut transformer un professeur
en émetteur et l’élève en récepteur ? D’un
siècle l’autre, Régis Debray
Vide d’appartenances et insécurité
psychique, l’uniformisation des façons de faire suscite un peu partout la résurrection
des façons d’être par l’affichage colérique d’une différence. Le quantitatif
interchangeable du « tout vaut tant », loin d’abolir l’odeur, la
couleur et la qualité des ancrages singuliers, leur fouettent le sang. Le
Divers se cabre tout au bout de l’Uniforme et le Même fabrique son Autre au fur
et esure qu’il envahit la Terre. D’un siècle l’autre, Régis Debray
Les guerres de religion
n’ont pas mis aux prises des idées, mais des systèmes nerveux, car la croyance
religieuse n’est pas une affaire de conscience mais d’existence. Une foi est
subjective et proprement indémontrable, mais elle confère une identité, une fierté,
une mémoire et un sens à la mort. Le socle en est dur et survit aux longues
érosions. D’un siècle l’autre, Régis
Debray
Comment comprendre l’Inde
hindouiste qui lance des fusées spatiales sans la transmission des âmes, la
Chine communiste sans Confucius (dont l’Assemblée du Peuple célébré en grande pompe la naissance), la
Prusse sans Luther, Israël sans Moïse. Les deux Amériques actuelles sans le
tsunami pentecôtiste et néo-évangéliste ? Bonne occasion de se rappeler
qu’à côté de la biodiversité, il y a l’ethno-diversité. Ce
serait non seulement un entraînement à la laïcité mais un cours de géographie
humaine. Une piqûre de rappel, il n’est jamais trop tard en Occident pur
apprendre l’humilité.
Le tour du monde vaudrait
aussi pour les professions de foi des têtes molles, conclues par
l’inévitable : « il n’y a pas de culture dans le refus de l’autre, il n’y a de culture
qu’universelle » . Témoignant ainsi d’une rare fermeture d’esprit. Si
elles ouvraient leurs yeux au-delà du périph’ elles saisiraient l’injustice du
propos car s’il n’y avait pas de refus dans une culture, il n’y aurait pas de
religion en amont et donc pas de culture du tout. Ce que notre
« humaniste » passe sous silence, pour avoir eu un moment de
distraction, c’est que le juif est né anti-cananéen(l’idolâtre), le chrétien,
antipharisien (le perfide), le musulman, anti-judo-chrétien (les renégats), le
luthérien, antipapiste, et le bouddhiste, antiabraham. Toute religion est un
acte de force contre son aînée, ou son hérésie. D’un siècle l’autre, Régis Debray
On constate un trop-plein d’intelligence
et un flagrant manque de courage. Crise de la volonté ? Oui et non. Au
fond, crise de la croyance. ON n’y croit plus. En rien ni personne.
Résultat ; dans notre rapport au temps, avenir disparu et futur interdit.
Dans notre rapport aux autres, repli sur soi et chien méchant. Et face au
risque, la trouille ou l’accusation. Conséquences : principe de
précaution, droit de retrait, dépôt de plainte. La crise de confiance générale
souléve une question prioritaire de religiosité, au sens banal du terme, ce
quui nous lie à nos semblables. D’un
siècle l’autre, Régis Debray
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