mardi 24 novembre 2020

D’un siècle l’autre, Régis Debray, Gallimard

 

D’un siècle l’autre,  - T - Régis Debray, Gallimard


 


Cuba, le caïman des Antilles, où des vétérans de la guerre d’Espagne entretenaient au maniement d’explosifs des jeunots venus d’un peu nulle part. Qui s’engage se dégage du même coup, Deux bonheurs pour le prix d’un. Déserter le champ philosophique avec un sauf-conduit philosophique, qu’est qu’un scoliaste qui fuit la scolastique peur rêver de mieux. D’un siècle l’autre, Régis Debray

 

 

Qui veut se colleter avec l’injustice ailleurs que dans un in-follio doit s’intéresser au potable, à l’irrigable, au régime du vent et aux gués de la rivière plutôt qu’aux spéculations sur le bonheur des peuples et les promesses de l’aube. D’un siècle l’autre, Régis Debray

 

D’où vient  que l’on ne puisse rassembler sans diviser ni intégrer sans exclure, et qui veut éviter le conflit se détruit lui-même. Sans Barbares, point de Grecs. Sans Sarrasins, point d’Europe. Sans Baal, point de Yahvé. Sans judaïsme, pas de christianisme. Sans hindouisme, point de bouddhisme, et ainsi de suite. Une idée-force tire sa force de s’élever contre une autre. D’un siècle l’autre, Régis Debray

 

Un Allemand, un français ou un Turc seront toujours plus turc, français, allemand que musulman, jacobin ou social-démocrate qu’ils ne s’en doutent eux-mêmes. Un bolchevik russe peut devenir libéral mais il restera turc avant, avec ses icônes, Pouchkine et la vodka,. « L’âme slave » comme « l’esprit français » ou « l’humour british » ne rêvent pas de l’Organisation Mondiale du Commerce. D’un siècle l’autre, Régis Debray

 

Il me semble découler d’une faute indétachable de la fonction, l’idiotisme de métier, dirait Diderot : la prédominance de l’idée sur le réel. Si l’intellectuel est l’homme « dont la vie s’ordonne sur une idée », la logique veut qu’il attende de ses congénères qu’ils fassent de même puisque son idée est vraie et ce qui est vrai doit l’être pour tout le monde. La vérité est une erreur multiple (« il n’est pas étonnant que la droite professe le pluralisme » ajoutait l’intrépide Simone de Beauvoir.) D’un siècle l’autre, Régis Debray

 

Délibérer est le fait de plusieurs, agir est le fait d’un seuL. D’un siècle l’autre, Régis Debray

 

Le spirituel est jours couché dans le lit du temporel, disait Péguy, mais il y a toujours un ciel au-dessus du grabat. « Si l réalité est inconcevable, disait Hegel, il nous faut forger des concepts inconcevables. D’un siècle l’autre, Régis Debray

 

Réflexe consistant à rééquilibrer une déstabilisation économique ou technique par une réaffirmation culturelle ou religieuse, on découvre combien le progrès peut s’avérer rétrograde. Aussi voit-on des nations civiques édifiées par des progressistes au XXéme siècle (Atatürk, Nehru, Jinnah, Nasser ou Ben Gourion) – Turquie, Inde, Pakistan, Egypte, Israël – redevenir au XXIéme siècle des nations ethnos-religieuses. D’un siècle l’autre, Régis Debray

 

Pouvoir « bricoler dans l’incurable » est déjà en soi un bienfait. La loi de la gravité nous laisse en effet un volant d’options : se jeter par la fenêtre ou inventer le parachute. Ce sont nos variables d’ajustement. D’un siècle l’autre, Régis Debray

 

Nos existences sont à double-fond. Au-dessous de ce que l’on sait ou croit savoir, il y a ce que l’on sent. On n’est jamais sur de ce que l’on pense et si on fait bien, alors qu’on est sur de ce que l’on sent, sans y penser. On peut ainsi mener une vie non pas avec deux idées contradictoires mais simplement sur deux étages, un rez-de-chaussée habité par des idées et un autre au-dessus habité par des sentiments. Ce sont eux qui mènent la danse et ne reçoivent de directives que d’eux-mêmes. Je me réjouis donc que mes idées soient restées quasi clandestines, n’étant pas de celles que l’on envie de clamer sur les toits. D’un siècle l’autre, Régis Debray

 

Le plénipotentiaire intervient dans les moments difficiles : pour arrêter juste à temps le bras meurtrier d’Abraham, informer Joseph qu’il est l’heure de partir prévenir la jeune Marie qu’un heureux événement est en route et le vieux Mahomet qu’il sera mis un point final par son truchement, à cette affaire pendante depuis longtemps, la Révélation. Le Verbe divin n’a pas de réalité tangible, raison pour laquelle il a besoin de corps intermédiaires, estafettes bien équipées pour mener ses projets à bonne fin. D’un siècle l’autre, Régis Debray

 

Communiquer consister à transporter une information dans l‘espace, et transmettre, à transporter l’information une fois communiquée dans le temps. Dans un cas on met en relation un ici avec un ailleurs. D’un siècle l’autre, Régis Debray

 

Communiquer nous est de plus en plus facile, transmettre en plus difficile. Pourquoi ? Parce qu’il y a des technologies de communication de plus en plus performantes (du télégraphe optique à WhatsApp), alors qu’il n’y a pas de machine à transmettre. D’un siècle l’autre, Régis Debray

 

On peut avoir des doutes sur le télé-enseignement. S’agit-il d’une relation pédagogique ou simplement d’un transfert d’informations ? Le « distanciel » ne peut transformer un professeur en émetteur et l’élève en récepteur ? D’un siècle l’autre, Régis Debray

 

Vide d’appartenances et insécurité psychique, l’uniformisation des façons de faire suscite un peu partout la résurrection des façons d’être par l’affichage colérique d’une différence. Le quantitatif interchangeable du « tout vaut tant », loin d’abolir l’odeur, la couleur et la qualité des ancrages singuliers, leur fouettent le sang. Le Divers se cabre tout au bout de l’Uniforme et le Même fabrique son Autre au fur et  esure qu’il envahit la Terre. D’un siècle l’autre, Régis Debray

 

Les guerres de religion n’ont pas mis aux prises des idées, mais des systèmes nerveux, car la croyance religieuse n’est pas une affaire de conscience mais d’existence. Une foi est subjective et proprement indémontrable, mais elle confère une identité, une fierté, une mémoire et un sens à la mort. Le socle en est dur et survit aux longues érosions. D’un siècle l’autre, Régis Debray

 

Comment comprendre l’Inde hindouiste qui lance des fusées spatiales sans la transmission des âmes, la Chine communiste sans Confucius (dont l’Assemblée du Peuple  célébré en grande pompe la naissance), la Prusse sans Luther, Israël sans Moïse. Les deux Amériques actuelles sans le tsunami pentecôtiste et néo-évangéliste ? Bonne occasion de se rappeler qu’à  côté de  la biodiversité, il y a l’ethno-diversité. Ce serait non seulement un entraînement à la laïcité mais un cours de géographie humaine. Une piqûre de rappel, il n’est jamais trop tard en Occident pur apprendre l’humilité.

Le tour du monde vaudrait aussi pour les professions de foi des têtes molles, conclues par l’inévitable : « il n’y a pas de culture dans le  refus de l’autre, il n’y a de culture qu’universelle » . Témoignant ainsi d’une rare fermeture d’esprit. Si elles ouvraient leurs yeux au-delà du périph’ elles saisiraient l’injustice du propos car s’il n’y avait pas de refus dans une culture, il n’y aurait pas de religion en amont et donc pas de culture du tout. Ce que notre « humaniste » passe sous silence, pour avoir eu un moment de distraction, c’est que le juif est né anti-cananéen(l’idolâtre), le chrétien, antipharisien (le perfide), le musulman, anti-judo-chrétien (les renégats), le luthérien, antipapiste, et le bouddhiste, antiabraham. Toute religion est un acte de force contre son aînée, ou son hérésie. D’un siècle l’autre, Régis Debray

 

On constate un trop-plein d’intelligence et un flagrant manque de courage. Crise de la volonté ? Oui et non. Au fond, crise de la croyance. ON n’y croit plus. En rien ni personne. Résultat ; dans notre rapport au temps, avenir disparu et futur interdit. Dans notre rapport aux autres, repli sur soi et chien méchant. Et face au risque, la trouille ou l’accusation. Conséquences : principe de précaution, droit de retrait, dépôt de plainte. La crise de confiance générale souléve une question prioritaire de religiosité, au sens banal du terme, ce quui nous lie à nos semblables. D’un siècle l’autre, Régis Debray

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