La Création des identités
nationales . Europe, XVIIIe-XXe siècle -
T - Anne-Marie Thiesse (L'Univers Historique)
Il est peut-être regrettable
au point de vue pratique que la population
de l’Europe ne soit pas une comme race, langue
et aspirations ; mais elle ne l’est pas ;
et les groupes différenciés qui y subsistent
ne semblent disposés ni les uns ni les autres
à s’assimiler réciproquement, ni capables de s’anéantir La Création des identités nationales .
Europe, XVIIIe-XXe siècle, Anne-Marie Thiesse
La véritable naissance d’une nation, c’est
le moment où une poignée d’individus déclare qu’elle existe et entreprend de le
prouver. La Création des identités
nationales . Europe, XVIIIe-XXe siècle, Anne-Marie Thiesse
La liste des éléments symboliques et matériels
que doit présenter une nation digne de ce nom : une histoire établissant
la continuité avec les grands ancêtres, une série de héros parangons des vertus
nationales, une langue, des monuments culturels, un folklore, des hauts lieux
et un paysage typique, une mentalité particulière, des représentations
officielles – hymne et drapeau – et des identifications pittoresques
– costume, spécialités culinaires ou animal emblématique. La Création des identités nationales .
Europe, XVIIIe-XXe siècle, Anne-Marie Thiesse
La nation naît d’un postulat et d’une
invention. Mais elle ne vit que par l’adhésion collective à cette fiction. La Création des identités nationales .
Europe, XVIIIe-XXe siècle, Anne-Marie Thiesse
L’idée même de nation semble a priori aller
à rebours de toute prise en compte de la modernité, puisque son principe repose
sur le primat d’une communauté a-temporelle dont toute la légitimité réside
dans la préservation d’un héritage. La
Création des identités nationales . Europe, XVIIIe-XXe siècle, Anne-Marie
Thiesse
Un pays de forte immigration comme la France
a longtemps accordé la naturalisation sans faire de la reconnaissance du
patrimoine national une condition préalable : mais elle était supposée
venir « naturellement » aux nouveaux ressortissants – en tout
cas à leurs enfants. Les débats actuels qui mettent en avant la notion
d’intégration engagent la question essentielle en l’esquivant : dans quoi
précisément les étrangers vivant sur le sol national doivent-ils s’intégrer, et
quelles sont les preuves tangibles qu’ils doivent fournir de leur volonté et de
leur capacité à le faire ? On voit bien que l’enjeu n’est pas seulement
l’adhésion des immigrés aux lois fondamentales de l’État… La Création des identités nationales . Europe, XVIIIe-XXe siècle,
Anne-Marie Thiesse
Les nouvelles formes de la vie économique
exigent la constitution d’ensembles plus vastes que les États-nations. La Création des identités nationales .
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L’entité supranationale de l’Union européenne
devient un espace juridique, économique, financier, policier, monétaire :
ce n’est pas un espace identitaire. La
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Thiesse
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Ce qui fait la valeur d’une culture, ce
n’est pas sa plus ou moins grande proximité à un modèle dominant, c’est au
contraire son originalité, son authenticité. La Création des identités nationales . Europe, XVIIIe-XXe siècle,
Anne-Marie Thiesse
Shakespeare a été un grand dramaturge,
c’est, selon Herder, que l’Angleterre et le peuple anglais étaient le véritable
objet de son théâtre, que même ses César et Timon pensaient et ressentaient en
Britanniques. La véritable culture vient du Peuple et doit lui revenir :
elle ne doit pas être l’apanage de quelques individus formés par leur éducation
aux raffinements. La Création des
identités nationales . Europe, XVIIIe-XXe siècle, Anne-Marie Thiesse
La première pensée dans la première âme
humaine est reliée à l’ultime pensée de l’ultime âme humaine. » La Création des identités nationales .
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Chaque langue, selon Herder, est expression
vivante, organique, de l’esprit d’un peuple, la somme de l’action efficiente de
toutes les âmes humaines qui l’ont constituée au fil des siècles. La Création des identités nationales .
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Sans une langue territoriale et maternelle
commune dans laquelle toutes les classes sociales sont reconnues comme les
rejetons d’un même arbre et reçoivent une même éducation, il n’est plus de
véritable intelligence des cœurs, de formation patriotique commune, de
communication ni de communion des impressions, de public propre au pays de ses
pères ». La Création des identités
nationales . Europe, XVIIIe-XXe siècle, Anne-Marie Thiesse
L’humanité est une, mais s’est diversifiée
sous l’influence de conditions matérielles comme le climat. La Création des identités nationales .
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Le progrès anime l’évolution de l’humanité,
mais il passe par des ramifications. Chacune d’elles présente une succession
d’épanouissements tous d’égale nécessité, d’égale originalité, d’égal mérite,
d’égal bonheur. La Création des identités
nationales . Europe, XVIIIe-XXe siècle, Anne-Marie Thiesse
Les États constitués par le fait des guerres
sont artificiels et ne sont fondés ni en nature ni en raison. La Création des identités nationales .
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Ce que nous méprisons aujourd’hui comme des
contes populaires, comme des monuments grossiers, sont des vestiges précieux de
la sagesse des anciens législateurs. La
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Ce n’est plus des princes, toujours
susceptibles de pactiser avec l’ennemi selon leurs intérêts propres de
monarques, que l’on attend le salut et la sauvegarde de la patrie, mais de
l’élan sacré de la nation consciente d’elle-même et luttant pour sa survie. La Création des identités nationales .
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La Révolution française a prouvé à l’Europe
que l’accession de la nation à la souveraineté politique n’était ni utopie, ni
idéal situé dans un avenir lointain et indéterminé. La Création des identités nationales . Europe, XVIIIe-XXe siècle,
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La construction de la culture nationale est
fortement liée au libéralisme. Le combat contre l’absolutisme s’inscrit
désormais dans la temporalité immédiate et s’accompagne pour les intellectuels
d’un devoir exigeant : fournir à la nation tous les éléments lui
permettant de se connaître pour telle. La
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La diffusion d’une langue vernaculaire
standardisée par l’imprimé a-t-elle été un des éléments majeurs de l’éveil du
sentiment national ? La Création des
identités nationales . Europe, XVIIIe-XXe siècle, Anne-Marie Thiesse
La conception politique de la nation
n’apporte pas non plus de solution à la question des frontières : un
suffrage sur le choix de l’État-nation, s’il est démocratique, retient le vote
majoritaire et crée par contrecoup une minorité incluse dans un État qui ne
correspond pas à sa nationalité revendiquée. La Création des identités nationales . Europe, XVIIIe-XXe siècle, Anne-Marie
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Le capitalisme industriel s’est imposé comme
mode de production, et l’expansion d’un nouveau groupe social, le prolétariat
ouvrier, fait apparaître une ligne de fracture sociale et une référence
identitaire concurrente de la nation. « Prolétaires de tous les pays,
unissez-vous » : l’internationalisme sur la base de l’appartenance de
classe contre l’union interclasses sur la base de l’appartenance nationale4 La Création des identités nationales .
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Lorsque, à la fin du XXe siècle, la
mondialisation du capitalisme met en question la souveraineté des
États-nations, la nation apparaît comme un refuge, sa disparition une
effroyable menace pour la cohésion sociale et les conditions d’existence des plus
démunis. La Création des identités
nationales . Europe, XVIIIe-XXe siècle, Anne-Marie Thiesse
C’est l’appartenance à la nation qui donne à
l’individu un statut autre que celui de simple producteur. La Création des identités nationales . Europe, XVIIIe-XXe siècle,
Anne-Marie Thiesse
La coïncidence entre État et nation est a
priori impossible1. Et pourtant elle s’est souvent réalisée, quand bien même
elle n’est jamais incontestable. C’est que le dilemme n’est pas sans avoir une
solution, plus ou moins durablement efficace. La fixation des frontières d’un
État ne peut transcrire de manière satisfaisante l’existence d’une nation et
son droit à l’autonomie La Création des
identités nationales . Europe, XVIIIe-XXe siècle, Anne-Marie Thiesse
Faire de la pratique sportive une école
morale et civique, qui apprend à l’élève à se gouverner lui-même dans le cadre
de compétitions où l’agressivité est contrôlée.
La finale de la Cup attire plus de
100 000 personnes dès 1890. Le sport devient puissant facteur
d’intégration nationale, fournissant à double titre un support d’identification
commune à des catégories sociales distinctes. La Création des identités nationales . Europe, XVIIIe-XXe siècle,
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La nature entre dans le patrimoine
identitaire sur le mode de la tradition fragile et menacée de disparition
imminente. La nature nationale est éternelle, mais elle va succomber sous le
viol des vandales : industriels, constructeurs de barrage, architectes
modernistes ou hôteliers avides. La
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Le touriste, à l’inverse du voyageur fortuné
du siècle précédent, dispose de peu de temps : parcourir le territoire en
allant d’un élément patrimonial remarquable à un autre, au prix de journées vides,
ne relève pas de sa pratique. En fait, l’idéal est la réunion, sur un espace
limité, du monument historique, du site pittoresque, du village préservé, de
l’artisanat à l’ancienne et de fêtes traditionnelles. La Création des identités nationales . Europe, XVIIIe-XXe siècle,
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La nation, au cours du XXe siècle,
devient l’horizon « naturel » de la vie quotidienne. Reste que
l’adhésion du prolétariat à l’idée nationale ne paraît ni évidente ni
inéluctable pour les couches sociales qui l’ont déjà adoptée et qu’inquiètent
les possibles tentations internationalistes et révolutionnaires de la classe
ouvrière. La Création des identités
nationales . Europe, XVIIIe-XXe siècle, Anne-Marie Thiesse
La difficulté à dire positivement la
modernité, qui constitue l’une des grandes fragilités des États-nations du
XXe siècle, va donner un tour particulier au discours idéologique des
régimes totalitaires : ils annoncent la construction d’un monde et d’un
homme nouveaux, contre la décadence présente, tout en promettant le retour à un
passé national hautement valorisé. La
Création des identités nationales . Europe, XVIIIe-XXe siècle, Anne-Marie
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L’utilisation intensive du folklore par les
régimes fasciste et nazi leur permet aussi de célébrer très ostensiblement le
peuple national. La propagande hitlérienne prétend que le capitalisme a été
aboli en Allemagne en 1933, et avec lui la division entre classes antagonistes.
Le régime se targue d’avoir fait naître la véritable nation allemande,
communauté unitaire qui ne connaît aucune distinction sociale. Ein Volk, ein
Reich, ein Führer. La Création des
identités nationales . Europe, XVIIIe-XXe siècle, Anne-Marie Thiesse
La question de l’intégration du prolétariat
à la nation paraît désormais sans objet : la croissance économique et la
redistribution des richesses au sein d’« États-providence » semblent
avoir résolu le problème. La Création des
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Un spectre hante l’Europe de l’ère
postcommuniste : le réveil des nationalismes. Il a son double : la
mondialisation liquidatrice des nations. La
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La mondialisation des échanges, la puissance
des entreprises multinationales et la mobilité du capital financier
restreignent les possibilités de contrôle des États sur la production de
richesse et sa répartition. La Création
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Les États européens doivent gérer les
conséquences sociales de décisions économiques sur lesquelles ils ont de moins
en moins prise. Des droits acquis au travers de luttes et de compromis dans le
cadre des États-nations s’avèrent caducs : à quoi sert-il de faire grève
contre une entreprise qui redéploie sa production au gré de la
conjoncture ? La Création des
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La souveraineté politique procède de la
nation ; mais l’État dans lequel elle s’inscrit voit sa propre souveraineté
restreinte de facto par des agents économiques pour lesquels les frontières
territoriales ne font plus sens. La
Création des identités nationales . Europe, XVIIIe-XXe siècle, Anne-Marie
Thiesse
L’Europe se donne une structure destinée à
répondre aux défis de l’économie-monde. Sa conception est dérivée de celle des
États. L’Union européenne édicte des règlements communautaires, instaure sur
son territoire la libre circulation des personnes et des biens, émet une
monnaie ; elle a un parlement et un exécutif. Lui fait en revanche défaut
tout ce à quoi correspond la nation : une identité collective,
l’attachement à un territoire commun, l’idéal partagé d’une fraternité
solidaire. La Création des identités
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L’élaboration d’une identité commune ne fera
pas sens si elle n’est pas associée à un véritable projet politique proposant
aux ressortissants de l’Union de redevenir acteurs de leur destin. La Création des identités nationales .
Europe, XVIIIe-XXe siècle, Anne-Marie Thiesse