lundi 2 août 2021

Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet, PUF

 

Lost Ego: La tragédie du « je suis »,- T - François de Smet, PUF



On ne devrait pas dire « je pense », assène Nietzsche dans Par-delà le bien et le mal, mais « ça pense », car je ne choisis guère les pensées qui me viennent. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Ce qui définit l’Ego ne sert qu’à protéger l’être humain de la force irrésistible, contingente et engloutissante du chaos. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

L’époque est pourtant aussi celle de la recherche effrénée d’identité, du « je » revendiqué comme libre. Soit classiquement par fierté vis-à-vis d’une origine, d’une orientation, d’une religion, d’une nationalité qu’on estime mises en danger par le broyeur d’une mondialisation ayant accéléré brutalement le flux perpétuel des métissages. Soit désespérément par affirmation d’une liberté se vouant sans entraves, celle du self-made-man rejetant toute affiliation, élevé au grain de l’illusion qu’il choisit chacune de ses inscriptions – jusqu’à sa nationalité, son genre, son nom – et ne devant rien à personne, oubliant, tel Don Juan, qu’il est par nature enserré dans un mécano de dettes primordiales vis-à-vis des autres hommes. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Le « Je », utilisé de bonne foi ou récupéré, est le refuge contemporain du désespoir. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Résistant, mouton ou collabo, triptyque infernal devenu le fer de lance identitaire de plusieurs générations occidentales attachées à la liberté d’expression comme dernière boussole démocratique) a valorisé plus que jamais le postulat du libre arbitre comme fiction nécessaire du fonctionnement de la société. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Nous contrebalancerons le formalisme de la déclinaison identitaire avec un récit, une histoire qui nous connecte à ce que nous pensons être le monde, ou à ce que nous estimons qu’il devrait être, et qui laissera la part belle à une mise en valeur de notre volonté, quitte à enjoliver. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Notre rapport au monde est un immense flux, au sein duquel notre mémoire capricieuse reconstruit en permanence ce qui nous arrive pour lui donner ordre et cohérence. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Contrairement à ce qu’avaient pu espérer les Lumières et leurs héritiers idéalistes ou libéraux, la généralisation de la possibilité de donner son avis, partagée en puissance avec la planète entière, ne fait pas de nous des êtres plus intelligents. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Le web n’agit pas comme un accélérateur mais comme un révélateur : celui du chaos qu’est le monde, désormais nu et livré au vu et au su d’individus désemparés qui ne savent plus où aller puiser un peu de nécessité ou de philosophie de l’histoire, pour ramener quelques miettes de sens rassurant. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Schéma darwinien : les espèces les plus aptes sont celles dont les sujets parviennent à construire une représentation cohérente d’eux-mêmes dans leur environnement et à poser les choix qui amélioreront leurs chances de conservation. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Rien n’est prévisible au-delà de la vérification des lois physiques que l’homme a pu tirer de son observation de la nature. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

L’addiction du cerveau humain pour la causalité, si elle lui a permis de bâtir des modèles scientifiques hypothético-déductifs, le leurre dans le même temps sur les représentations du monde qui l’entourent – en favorisant, ainsi, la croyance comme rapport au monde en dépit de toutes les preuves matérielles et factuelles infirmant nombre de modèles métaphysiques. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Hannah Arendt définissait la modernité comme la rupture définitive avec les traditions, l’autorité et la religion ; devant se réinventer sans histoire, sans racines, l’individu tenu d’assumer sa liberté et sa contingence a tendance à rechercher le fil du récit là où il est disponible. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Notre cerveau, mi-rationnel mi-affabulateur, est un sas construit laborieusement par l’évolution et qui a pour fonction de servir d’interface entre deux chaos : celui de nos propres pensées et celui de l’extérieur. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Hannah Arendt : le fait que les Allemands se soient dénazifiés aussi rapidement qu’ils s’étaient nazifiés jadis est anxiogène sur la nature humaine et son apparente disposition irrépressible au conformisme. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Groupe est moteur puissant d’adhésion et de suivisme – et que ce comportement n’est nullement réservé, tant s’en faut, aux environnements criminels. Instinctivement, empiriquement, c’est un constat que chacun peut faire sien tous les jours. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Un individu justifie son conformisme par la preuve empirique du nombre : suivre le troupeau parce que, rationnellement, les chances pour que plusieurs personnes aient raison alors que j’ai moi-même tort sont plus importantes que l’inverse. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Il en ressort que lorsque les individus sont seuls, ils font de la situation une analyse rationnelle et responsable, alors que si plusieurs individus sont dans la pièce, ils s’influencent les uns les autres au point d’adopter une posture passive considérable et ce, si besoin, en développant « un système quasi inconscient de déni du réel qui était tout à fait absent chez les sujets isolés actifs2 Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Est permis de poser que l’acquisition de la liberté par l’homme ne peut se lire comme le récit trop simple d’une bataille pour la récupération d’un droit naturel dont il aurait été spolié par les puissants, mais plutôt comme le fruit d’un arrachement laborieux et conflictuel à sa propre nature. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Hypothèse anxiogène : l’autonomie humaine est une création, et le libre arbitre l’est aussi. Ego, « moi, je » est le nom de l’histoire que nous nous racontons pour refouler le caractère artificiel du libre arbitre. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Nous portons toujours en nous les gènes grégaires qui ont fait de nous les animaux sociaux que nous sommes – animaux qui ont oublié que si notre espèce a pu traverser les siècles, c’est parce que l’évolution n’a pas favorisé l’autonomie, la résistance à l’autorité et les réfractaires, mais qu’elle a au contraire privilégié des modes d’organisation axées sur la hiérarchie et la domination. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Les groupes disposant d’une hiérarchie forte disposent d’un net avantage sur ceux qui n’en disposent pas : l’union ainsi générée permet de mieux faire face aux dangers de l’environnement et des autres groupes, ainsi qu’au danger d’éclatement. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Nous devenons, en postmodernité, les témoins privilégiés de l’opposition au grand jour entre notre nature d’être dociles et notre culture d’êtres libres : à peu de chose près, tel est le point où nous en sommes. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

La tension entre individu et groupe, entre soumission et autorité, est toujours présente, de manière d’autant plus forte qu’elle est constamment refoulée par le discours officiel d’égalitarisme et de libéralisme prôné par la société Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

 

L’absence d’autorité éloigne l’individu de la zone de confort programmée par l’évolution, et réveille les réminiscences du danger inhérent à la désorganisation Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

L’autonomisation de l’esprit humain, qui est le nouvel étalon du juste fonctionnement d’une société, a corrompu la vision de la triste réalité de notre effroyable docilité et de notre troublant conformisme, qui nous apparaissent comme des caractères profondément méprisables aujourd’hui alors que ce sont ces mêmes qualités – les mêmes que celles d’un Eichmann, d’un Sanson ou de tous les bourreaux du monde – qui ont assuré à notre espèce sa survie jusqu’à ce jour et sa domination de la planète et de ses éléments. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

L’autorité n’a nullement disparu, elle est canalisée au profit d’un Tiers auquel l’individu va librement se soumettre. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Nous nous trouvons in fine en face d’un beau face-à-face entre nature et culture au sens de Freud ; des pulsions humaines poussant à l’obéissance, profondément ancrées par l’évolution, se heurtent à une culture – au sens freudien, c’est-à-dire une civilisation – promouvant depuis la modernité et les Lumières l’autonomie de la volonté, le caractère essentialiste de la liberté et la légitimité de refuser tout pouvoir injuste ou illégitime. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

L’homme n’est pas libre naturellement, il a passé la quasi-totalité de son évolution à évoluer dans des groupes hiérarchiques où il a accepté la domination des plus forts par nécessité de survivre. La liberté qu’il a conquise avec tant de fierté est un objet laborieux à conserver et à valoriser parce qu’il ne correspond pas à sa nature propre, avide d’instincts grégaires et d’envies refoulées de confort du troupeau. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

L’individu retrouve sa zone de confort dans le conformisme davantage que dans la rébellion ; dans le groupe davantage que dans la solitude ; dans l’obéissance davantage que dans la confrontation. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Lorsqu’on raconte l’expérience Milgram in abstracto en faculté ou en conférence, ou qu’on disserte en repas de famille sur l’attitude qu’on aurait eue durant l’Occupation, la plupart des gens décriront la seule conduite personnelle admissible dans de telles situations comme la résistance, même passive. Hélas, « dans une situation réelle, les valeurs individuelles ne sont pas les seules forces impliquées14 ».

Le libre arbitre lui-même. La liberté de penser est, aujourd’hui, au cœur de l’identité occidentale. Elle en constitue même une donnée performative : en marge des questionnements scientifiques qui y président, et qui peuvent le relativiser ou le valider, le libre arbitre constitue un élément culturel constitutif de l’identité de l’homme moderne, sur un registre d’existence par affirmation. Le libre arbitre est donc, en plus d’être une question scientifique et philosophique, une question politique. La liberté d’expression est devenue l’orgueil de la démocratie, son objet le plus indiscutable et sa dernière certitude. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

 

Si l’homme dispose certes d’une marge de libre arbitre sur ses décisions, il est toutefois fortement déterminé par les contraintes inhérentes à la physique de son cerveau, et n’est sans doute pas aussi maître de ce qu’il pense que les traditions philosophiques de la modernité faisant l’exégèse de la volonté ou de l’imagination l’avaient espéré. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Pour Spinoza, le libre arbitre est une totale illusion, qui a pour origine le fait que si l’homme a certes conscience de ses actions, il n’a pas accès à la connaissance des causes qui le déterminent à agir. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Il est donc impossible d’établir un lien direct entre le concept originel et empirique de la liberté, qui ne se rapporte qu’à la puissance d’agir, et le concept du libre arbitre, qui se rapporte uniquement à la puissance du vouloir1. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Ne peux choisir que ce qu’aura décidé ma volonté ; pour choisir autrement, il faudrait que je sois un autre. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Il y a des idées, des tendances dont l’homme n’est que le simple spectateur, et donc il se convainc a posteriori qu’il a fait des choix qui lui sont propres. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Je peux faire ce que je veux ; je peux, si je veux, donner aux pauvres tout ce que je possède, et devenir pauvre moi-même – si je veux ! – Mais il n’est pas en mon pouvoir de le vouloir, parce que les motifs opposés ont sur moi beaucoup trop d’empire. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Nous aimons l’idée d’attribuer à tel individu telle idée (ou telle religion, culture, idéologie), car cela nous permet de le situer « d’où il parle », par exemple en le situant politiquement ou idéologiquement. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Toutes les conclusions tirées de l’expérience sont des effets de l’accoutumance, et non des produits de la raison […]Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

C’est le cerveau humain qui lie des causes à des effets et les place en trame de récits. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

L’expérience est une lampe que nous portons dans le dos et qui n’éclaire que le chemin déjà parcouru. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

L’évolution a ancré en nous un besoin et une compétence d’anticipation des événements ; dans en même temps, elle a aussi favorisé les réflexes de survie. La difficulté est de saisir à sa juste mesure cet étonnant paradoxe : la nature nous a appris concomitamment à réfléchir et à ne pas réfléchir. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Refuser de voir que la survie est le produit de la chance et que, naturellement, seuls ceux qui ont survécu sont en position de produire un récit invoquant la providence qui les a sauvés, provient de notre refus d’accepter les hasards quand ils nous ont choisis nous-mêmes comme bénéficiaires, en refoulant l’immense part d’aléatoire nécessaire pour que ce que nous nommons des « coïncidences » puisse advenir. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Quand nous parlons de quelqu’un, nous ne parlons pas de ses neurones ou de ses connexions ; nous en parlons comme d’une unité, une personnalité, et nous nous pensons nous-mêmes comme les grands metteurs en scène de nos vies, comme le cœur d’une machine, certes complexes, mais avec un centre de décision unique. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Les neurosciences prennent irrésistiblement le relais de la philosophie et de la psychologie sociale sur le chemin difficile de la détermination de la conscience. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Schéma causal « je décide quelque chose, puis j’agis », véhiculé par le dualisme cartésien classique, n’a rien d’évident. Ce dualisme entre corps et esprit, fondateur de la modernité, a vocation à être dépassé. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Comment, par exemple, se représenter la peur sans le cœur qui palpite, les suées froides ou la transpiration, ou une pression qui prend la gorge ou l’estomac ? Si je retranche de la peur l’ensemble des caractéristiques physiques par lesquelles elle se manifeste, il n’en restera tout simplement rien. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Pour assurer la survie du corps le mieux possible, je suggère que la nature a trouvé par hasard une solution extrêmement efficace : représenter le monde extérieur par le biais des modifications que celui-ci provoque dans le corps proprement dit, c’est-à-dire représenter l’environnement en modifiant les représentations fondamentales du corps chaque fois que prend place une interaction entre l’organisme et l’environnement Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Autrement dit, la conscience n’est que la représentation continuellement actualisée de mon corps à l’intérieur de mon cerveau, et non celle de mon cerveau à l’intérieur de mon corps. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

La conscience de soi serait donc le fruit d’un positionnement que l’esprit établit de lui-même dans l’espace et dans le temps. Dans l’espace par le biais des marqueurs somatiques qui relient physiquement le cerveau avec les émotions du corps, qui nous connectent avec les anticipations prévisibles de nos actions, donc à notre expérience ; dans le temps par l’accumulation des représentations corporelles, qui forme l’impression de constance de notre conscience. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Notre cerveau est conçu pour affabuler – et cette affabulation n’est pas seulement la source de notre amour des romans de gare, des biographies ou des séries télévisées : elle est aussi la condition de survie de notre être-au-monde suspendu entre deux chaos. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Jaune surlignement | Emplacement: 814

Une information prédictive est présente dans le cerveau du sujet jusqu’à 7 secondes avant l’acte moteur Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Hypothèse que la conscience fonctionne en reconstruisant après coup les causes de nos actions. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Il y a bel et bien un « moi » qui est à l’origine de l’action, mais il ne prend pas la forme que nous nommons « conscience ». Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Le problème est toujours le même : comment passer de la multiplicité de nos états mentaux, de notre mémoire, à l’unicité qui nous paraît si évidente Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Ce “vous” dont vous êtes si fier est une histoire tissée par votre module interprète pour rendre compte au maximum de votre comportement, et qui nie ou rationalise le reste. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Freud correctement, c’est-à-dire en suggérant que lorsqu’il nous parle d’inconscient, il nous parle de la conscience se narrant elle-même, Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Nous ne cessons de reraconter les événements passés à la lumière de ce qui nous paraît leur conférer après coup un sens logique73. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Nous autres, membres de la variété humaine des primates, avons un besoin dévorant de règles parce qu’il nous faut réduire la dimension des choses afin qu’elles puissent entrer dans notre crâne […]. Plus l’information est aléatoire, plus la dimensionnalité est importante et par conséquent difficile à résumer. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

La conscience est donc ce produit de l’évolution qui nous permet de ne pas nous diluer dans le présent, et d’ancrer notre action sur une ligne du temps intégrant passé et avenir : la conscience « nous permet de relier les événements à travers le temps plutôt que de vivre dans l’instant,

Roman, histoire, mythe ou conte… tous quatre ont la même fonction, écrit Taleb : ils nous évitent d’être confrontés à la complexité du monde et nous protègent du hasard. Les mythes mettent de l’ordre dans le désordre de la perception humaine et ce que nous ressentons comme le “chaos de l’expérience humaine”79. » Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Le cerveau lui-même se comporte comme une vaste institution dont l’effectif approche la centaine de milliards de neurones. Il lui faut donc, lui aussi, des notes de synthèse. Le rôle de la conscience semble être de simplifier la perception de l’environnement, en n’en proposant qu’un résumé pertinent, qui est transmis à toutes les autres aires impliquées dans la mémoire, la décision et l’action Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

La crainte des citoyens de voir leur univers changer sur ses bases atteste d’un sentiment de dissolution d’Ego. Celui-ci est généralement imputé à un bouc émissaire commode : une époque dérégulatrice marquée par la mondialisation, le désordre, les flux migratoires, la fin des traditions.

La perception qui fait de l’histoire une linéarité et des cultures des blocs homogènes est, elle aussi, une construction. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

C’est le flux qui forge et constitue les hommes, combien tout est métissage déjà autour d’eux – y compris une langue ou une couleur de peau. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Les idéologies de la cohérence, elles, refusent l’idée du flux inhérent au fleuve d’Héraclite, et se basent sur l’idée, contrairement au citoyen d’Éphèse, qu’il est bel et bien possible de se baigner deux fois dans le même fleuve – c’est-à-dire de forger la réalité selon un modèle préétabli, généralement disponible dans un livre sacré ou un petit livre rouge. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

La seconde partie du XXe siècle était l’espace-temps d’un pari : celui de la réconciliation vertueuse des deux branches ennemies des Lumières que sont l’idéalisme et le libéralisme. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Ni les valeurs ni la consommation ne semblent suffire à produire des contenus pouvant valablement se substituer aux identités. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

La liberté est bien laborieuse à exercer, parce qu’elle met en demeure les individus de s’inventer leur propre histoire et de l’accrocher eux-mêmes au fil de la grande histoire collective, et que cela est laborieux, voire ingérable. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Liberté une fois conquise, l’homme ne sait plus quoi en faire, et il n’en mesure la réalité et la consistance qu’une fois celle-ci attaquée. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

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Esprits terroristes ayant embrassé de toutes leurs forces une vision anti-héraclitéenne du monde : en opposition au célèbre extrait des Fragments d’Héraclite d’Éphèse, selon lequel « on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve », campant l’image du flux continu de toute chose, il est au contraire pour de tels fanatiques bel et bien possible de se baigner deux fois dans le même cours d’eau, c’est-à-dire de rendre la réalité conforme à un récit d’homogénéité à atteindre au bout d’un combat nécessairement destructeur. Pour de tels esprits, le besoin de cohérence du cerveau humain face au chaos (développé, comme on l’a vu, par l’évolution) doit devenir une cohérence réelle à imposer au monde. Pour eux, il existe une dynamique à l’œuvre dans les rouages de l’univers, il y a des amis et des ennemis, il y a un « nous » et un « eux » – en l’occurrence, pensent-ils, l’Islam et l’Occident sont ennemis et l’un des deux doit disparaître. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Que le pouvoir d’achat et l’identité se soient hissés comme enjeux politiques et électoraux prépondérants démontre la fragilité irrémédiable des démocraties, dont les valeurs ne suffisent pas à générer la force et la consistance pour s’imposer sans conteste. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Car ce que veut réellement l’individu, au-delà de ses besoins primaires, ce n’est ni être seul, ni se fondre dans le groupe : c’est appartenir à un groupe au sein duquel il peut identifier la plus-value qu’il y représente Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Internet, malgré toute sa richesse, est avant tout une machine qui sert à trouver ce que l’on cherche et à s’abreuver de certitudes. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Accepter que la liberté d’expression est la condition de la liberté de conviction et non l’inverse. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

La modernité se retrouve bel et bien face à un pari risqué, en tant que démocratie ouverte, libre marché des idées, où les marchands de pureté semblent plus attractifs que les marchands de nuance. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Nous existons et sommes conscients de nous-mêmes parce que notre cerveau nous apprend à offrir du sens à nos actions, a priori et a posteriori. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

On mesure l’intelligence d’un individu à la quantité d’incertitudes qu’il est capable de supporter », selon Kant. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Par nature, l’homme éprouve de sérieuses difficultés à penser le chaos, y compris celui dont il est issu. L’écrasante partie du temps, il l’élude en s’inventant des dieux ou des forces de la nature. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

L’être humain affectionne les récits parce qu’ils ont un début, une fin et donc un sens. Nous ne sommes pas faits pour porter le chaos en nous, pour digérer notre commensurabilité mentale sans tenter de l’ordonner en permanence. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

Notre véritable liberté, comme l’avaient deviné Spinoza et Schopenhauer, ne réside pas dans un investissement démesuré dans un libre arbitre célébré comme la plus grande conquête de l’humanité ; Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet, Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,

 

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