Lost Ego: La tragédie du «
je suis »,- T - François de Smet, PUF
On ne devrait pas dire « je
pense », assène Nietzsche dans Par-delà le bien et le mal, mais « ça
pense », car je ne choisis guère les pensées qui me viennent. Lost Ego: La tragédie du « je suis »,
François de Smet,
Ce qui définit l’Ego ne sert qu’à protéger
l’être humain de la force irrésistible, contingente et engloutissante du chaos.
Lost Ego: La tragédie du « je suis »,
François de Smet,
L’époque est pourtant aussi celle de la
recherche effrénée d’identité, du « je » revendiqué comme libre. Soit
classiquement par fierté vis-à-vis d’une origine, d’une orientation, d’une
religion, d’une nationalité qu’on estime mises en danger par le broyeur d’une
mondialisation ayant accéléré brutalement le flux perpétuel des métissages.
Soit désespérément par affirmation d’une liberté se vouant sans entraves, celle
du self-made-man rejetant toute affiliation, élevé au grain de l’illusion qu’il
choisit chacune de ses inscriptions – jusqu’à sa nationalité, son genre, son
nom – et ne devant rien à personne, oubliant, tel Don Juan, qu’il est par
nature enserré dans un mécano de dettes primordiales vis-à-vis des autres
hommes. Lost Ego: La tragédie du « je
suis », François de Smet,
Le « Je », utilisé de bonne foi ou
récupéré, est le refuge contemporain du désespoir. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,
Résistant, mouton ou collabo, triptyque
infernal devenu le fer de lance identitaire de plusieurs générations
occidentales attachées à la liberté d’expression comme dernière boussole
démocratique) a valorisé plus que jamais le postulat du libre arbitre comme
fiction nécessaire du fonctionnement de la société. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,
Nous contrebalancerons le formalisme de la
déclinaison identitaire avec un récit, une histoire qui nous connecte à ce que
nous pensons être le monde, ou à ce que nous estimons qu’il devrait être, et
qui laissera la part belle à une mise en valeur de notre volonté, quitte à
enjoliver. Lost Ego: La tragédie du « je
suis », François de Smet,
Notre rapport au monde est un immense flux,
au sein duquel notre mémoire capricieuse reconstruit en permanence ce qui nous
arrive pour lui donner ordre et cohérence. Lost
Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,
Contrairement à ce qu’avaient pu espérer les
Lumières et leurs héritiers idéalistes ou libéraux, la généralisation de la
possibilité de donner son avis, partagée en puissance avec la planète entière,
ne fait pas de nous des êtres plus intelligents. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,
Le web n’agit pas comme un accélérateur mais
comme un révélateur : celui du chaos qu’est le monde, désormais nu et
livré au vu et au su d’individus désemparés qui ne savent plus où aller puiser
un peu de nécessité ou de philosophie de l’histoire, pour ramener quelques
miettes de sens rassurant. Lost Ego: La
tragédie du « je suis », François de Smet,
Schéma darwinien : les espèces les plus
aptes sont celles dont les sujets parviennent à construire une représentation
cohérente d’eux-mêmes dans leur environnement et à poser les choix qui
amélioreront leurs chances de conservation. Lost
Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,
Rien n’est prévisible au-delà de la
vérification des lois physiques que l’homme a pu tirer de son observation de la
nature. Lost Ego: La tragédie du « je
suis », François de Smet,
L’addiction du cerveau humain pour la
causalité, si elle lui a permis de bâtir des modèles scientifiques
hypothético-déductifs, le leurre dans le même temps sur les représentations du
monde qui l’entourent – en favorisant, ainsi, la croyance comme rapport au
monde en dépit de toutes les preuves matérielles et factuelles infirmant nombre
de modèles métaphysiques. Lost Ego: La
tragédie du « je suis », François de Smet,
Hannah Arendt définissait la modernité comme
la rupture définitive avec les traditions, l’autorité et la religion ;
devant se réinventer sans histoire, sans racines, l’individu tenu d’assumer sa liberté
et sa contingence a tendance à rechercher le fil du récit là où il est
disponible. Lost Ego: La tragédie du « je
suis », François de Smet,
Notre cerveau, mi-rationnel mi-affabulateur,
est un sas construit laborieusement par l’évolution et qui a pour fonction de
servir d’interface entre deux chaos : celui de nos propres pensées et
celui de l’extérieur. Lost Ego: La
tragédie du « je suis », François de Smet,
Hannah Arendt : le fait que les
Allemands se soient dénazifiés aussi rapidement qu’ils s’étaient nazifiés jadis
est anxiogène sur la nature humaine et son apparente disposition irrépressible
au conformisme. Lost Ego: La tragédie du
« je suis », François de Smet,
Groupe est moteur puissant d’adhésion et de
suivisme – et que ce comportement n’est nullement réservé, tant s’en faut, aux
environnements criminels. Instinctivement, empiriquement, c’est un constat que
chacun peut faire sien tous les jours. Lost
Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,
Un individu justifie son conformisme par la
preuve empirique du nombre : suivre le troupeau parce que, rationnellement,
les chances pour que plusieurs personnes aient raison alors que j’ai moi-même
tort sont plus importantes que l’inverse. Lost
Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,
Il en ressort que lorsque les individus sont
seuls, ils font de la situation une analyse rationnelle et responsable, alors
que si plusieurs individus sont dans la pièce, ils s’influencent les uns les
autres au point d’adopter une posture passive considérable et ce, si besoin, en
développant « un système quasi inconscient de déni du réel qui était tout
à fait absent chez les sujets isolés actifs2 Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,
Est permis de poser que l’acquisition de la
liberté par l’homme ne peut se lire comme le récit trop simple d’une bataille
pour la récupération d’un droit naturel dont il aurait été spolié par les
puissants, mais plutôt comme le fruit d’un arrachement laborieux et conflictuel
à sa propre nature. Lost Ego: La tragédie
du « je suis », François de Smet,
Hypothèse anxiogène : l’autonomie
humaine est une création, et le libre arbitre l’est aussi. Ego, « moi,
je » est le nom de l’histoire que nous nous racontons pour refouler le
caractère artificiel du libre arbitre. Lost
Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,
Nous portons toujours en nous les gènes
grégaires qui ont fait de nous les animaux sociaux que nous sommes – animaux
qui ont oublié que si notre espèce a pu traverser les siècles, c’est parce que
l’évolution n’a pas favorisé l’autonomie, la résistance à l’autorité et les
réfractaires, mais qu’elle a au contraire privilégié des modes d’organisation
axées sur la hiérarchie et la domination. Lost
Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,
Les groupes disposant d’une hiérarchie forte
disposent d’un net avantage sur ceux qui n’en disposent pas : l’union
ainsi générée permet de mieux faire face aux dangers de l’environnement et des
autres groupes, ainsi qu’au danger d’éclatement. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,
Nous devenons, en postmodernité, les témoins
privilégiés de l’opposition au grand jour entre notre nature d’être dociles et
notre culture d’êtres libres : à peu de chose près, tel est le point où
nous en sommes. Lost Ego: La tragédie du
« je suis », François de Smet,
La tension entre individu et groupe, entre
soumission et autorité, est toujours présente, de manière d’autant plus forte
qu’elle est constamment refoulée par le discours officiel d’égalitarisme et de
libéralisme prôné par la société Lost Ego:
La tragédie du « je suis », François de Smet,
L’absence d’autorité éloigne l’individu de
la zone de confort programmée par l’évolution, et réveille les réminiscences du
danger inhérent à la désorganisation Lost
Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,
L’autonomisation de l’esprit humain, qui est
le nouvel étalon du juste fonctionnement d’une société, a corrompu la vision de
la triste réalité de notre effroyable docilité et de notre troublant
conformisme, qui nous apparaissent comme des caractères profondément
méprisables aujourd’hui alors que ce sont ces mêmes qualités – les mêmes que
celles d’un Eichmann, d’un Sanson ou de tous les bourreaux du monde – qui ont
assuré à notre espèce sa survie jusqu’à ce jour et sa domination de la planète
et de ses éléments. Lost Ego: La tragédie
du « je suis », François de Smet,
L’autorité n’a nullement disparu, elle est
canalisée au profit d’un Tiers auquel l’individu va librement se soumettre. Lost Ego: La tragédie du « je suis »,
François de Smet,
Nous nous trouvons in fine en face d’un beau
face-à-face entre nature et culture au sens de Freud ; des pulsions
humaines poussant à l’obéissance, profondément ancrées par l’évolution, se
heurtent à une culture – au sens freudien, c’est-à-dire une civilisation –
promouvant depuis la modernité et les Lumières l’autonomie de la volonté, le
caractère essentialiste de la liberté et la légitimité de refuser tout pouvoir
injuste ou illégitime. Lost Ego: La
tragédie du « je suis », François de Smet,
L’homme n’est pas libre naturellement, il a
passé la quasi-totalité de son évolution à évoluer dans des groupes
hiérarchiques où il a accepté la domination des plus forts par nécessité de
survivre. La liberté qu’il a conquise avec tant de fierté est un objet
laborieux à conserver et à valoriser parce qu’il ne correspond pas à sa nature
propre, avide d’instincts grégaires et d’envies refoulées de confort du
troupeau. Lost Ego: La tragédie du « je
suis », François de Smet,
L’individu retrouve sa zone de confort dans
le conformisme davantage que dans la rébellion ; dans le groupe davantage
que dans la solitude ; dans l’obéissance davantage que dans la
confrontation. Lost Ego: La tragédie du «
je suis », François de Smet,
Lorsqu’on raconte l’expérience Milgram in
abstracto en faculté ou en conférence, ou qu’on disserte en repas de famille
sur l’attitude qu’on aurait eue durant l’Occupation, la plupart des gens
décriront la seule conduite personnelle admissible dans de telles situations
comme la résistance, même passive. Hélas, « dans une situation réelle, les
valeurs individuelles ne sont pas les seules forces impliquées14 ».
Le libre arbitre lui-même. La liberté de
penser est, aujourd’hui, au cœur de l’identité occidentale. Elle en constitue
même une donnée performative : en marge des questionnements scientifiques
qui y président, et qui peuvent le relativiser ou le valider, le libre arbitre
constitue un élément culturel constitutif de l’identité de l’homme moderne, sur
un registre d’existence par affirmation. Le libre arbitre est donc, en plus
d’être une question scientifique et philosophique, une question politique. La
liberté d’expression est devenue l’orgueil de la démocratie, son objet le plus
indiscutable et sa dernière certitude. Lost
Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,
Si l’homme dispose certes d’une marge de
libre arbitre sur ses décisions, il est toutefois fortement déterminé par les
contraintes inhérentes à la physique de son cerveau, et n’est sans doute pas
aussi maître de ce qu’il pense que les traditions philosophiques de la
modernité faisant l’exégèse de la volonté ou de l’imagination l’avaient espéré.
Lost Ego: La tragédie du « je suis »,
François de Smet,
Pour Spinoza, le libre arbitre est une
totale illusion, qui a pour origine le fait que si l’homme a certes conscience
de ses actions, il n’a pas accès à la connaissance des causes qui le
déterminent à agir. Lost Ego: La tragédie
du « je suis », François de Smet,
Il est donc impossible d’établir un lien
direct entre le concept originel et empirique de la liberté, qui ne se rapporte
qu’à la puissance d’agir, et le concept du libre arbitre, qui se rapporte
uniquement à la puissance du vouloir1. Lost
Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,
Ne peux choisir que ce qu’aura décidé ma
volonté ; pour choisir autrement, il faudrait que je sois un autre. Lost Ego: La tragédie du « je suis »,
François de Smet,
Il y a des idées, des tendances dont l’homme
n’est que le simple spectateur, et donc il se convainc a posteriori qu’il
a fait des choix qui lui sont propres. Lost
Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,
Je peux faire ce que je veux ; je peux,
si je veux, donner aux pauvres tout ce que je possède, et devenir pauvre
moi-même – si je veux ! – Mais il n’est pas en mon pouvoir de le vouloir, parce
que les motifs opposés ont sur moi beaucoup trop d’empire. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,
Nous aimons l’idée d’attribuer à tel
individu telle idée (ou telle religion, culture, idéologie), car cela nous
permet de le situer « d’où il parle », par exemple en le situant
politiquement ou idéologiquement. Lost Ego:
La tragédie du « je suis », François de Smet,
Toutes les conclusions tirées de
l’expérience sont des effets de l’accoutumance, et non des produits de la
raison […]Lost Ego: La tragédie du «
je suis », François de Smet,
C’est le cerveau humain qui lie des causes à
des effets et les place en trame de récits. Lost
Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,
L’expérience est une lampe que nous portons
dans le dos et qui n’éclaire que le chemin déjà parcouru. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,
L’évolution a ancré en nous un besoin et une
compétence d’anticipation des événements ; dans en même temps, elle a
aussi favorisé les réflexes de survie. La difficulté est de saisir à sa juste
mesure cet étonnant paradoxe : la nature nous a appris concomitamment à
réfléchir et à ne pas réfléchir. Lost Ego:
La tragédie du « je suis », François de Smet,
Refuser de voir que la survie est le produit
de la chance et que, naturellement, seuls ceux qui ont survécu sont en position
de produire un récit invoquant la providence qui les a sauvés, provient de
notre refus d’accepter les hasards quand ils nous ont choisis nous-mêmes comme
bénéficiaires, en refoulant l’immense part d’aléatoire nécessaire pour que ce
que nous nommons des « coïncidences » puisse advenir. Lost Ego: La tragédie du « je suis »,
François de Smet,
Quand nous parlons de quelqu’un, nous ne
parlons pas de ses neurones ou de ses connexions ; nous en parlons comme
d’une unité, une personnalité, et nous nous pensons nous-mêmes comme les grands
metteurs en scène de nos vies, comme le cœur d’une machine, certes complexes,
mais avec un centre de décision unique. Lost
Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,
Les neurosciences prennent irrésistiblement
le relais de la philosophie et de la psychologie sociale sur le chemin
difficile de la détermination de la conscience. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,
Schéma causal « je décide quelque
chose, puis j’agis », véhiculé par le dualisme cartésien classique, n’a
rien d’évident. Ce dualisme entre corps et esprit, fondateur de la modernité, a
vocation à être dépassé. Lost Ego: La
tragédie du « je suis », François de Smet,
Comment, par exemple, se représenter la peur
sans le cœur qui palpite, les suées froides ou la transpiration, ou une
pression qui prend la gorge ou l’estomac ? Si je retranche de la peur
l’ensemble des caractéristiques physiques par lesquelles elle se manifeste, il
n’en restera tout simplement rien. Lost Ego:
La tragédie du « je suis », François de Smet,
Pour assurer la survie du corps le mieux
possible, je suggère que la nature a trouvé par hasard une solution extrêmement
efficace : représenter le monde extérieur par le biais des modifications
que celui-ci provoque dans le corps proprement dit, c’est-à-dire représenter
l’environnement en modifiant les représentations fondamentales du corps chaque
fois que prend place une interaction entre l’organisme et l’environnement Lost Ego: La tragédie du « je suis »,
François de Smet,
Autrement dit, la conscience n’est que la
représentation continuellement actualisée de mon corps à l’intérieur de mon
cerveau, et non celle de mon cerveau à l’intérieur de mon corps. Lost Ego: La tragédie du « je suis »,
François de Smet,
La conscience de soi serait donc le fruit
d’un positionnement que l’esprit établit de lui-même dans l’espace et dans le
temps. Dans l’espace par le biais des marqueurs somatiques qui relient
physiquement le cerveau avec les émotions du corps, qui nous connectent avec
les anticipations prévisibles de nos actions, donc à notre expérience ;
dans le temps par l’accumulation des représentations corporelles, qui forme
l’impression de constance de notre conscience. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,
Notre cerveau est conçu pour affabuler – et
cette affabulation n’est pas seulement la source de notre amour des romans de
gare, des biographies ou des séries télévisées : elle est aussi la
condition de survie de notre être-au-monde suspendu entre deux chaos. Lost Ego: La tragédie du « je suis »,
François de Smet,
Jaune surlignement | Emplacement: 814
Une information prédictive est présente dans
le cerveau du sujet jusqu’à 7 secondes avant l’acte moteur Lost Ego: La tragédie du « je suis »,
François de Smet,
Hypothèse que la conscience fonctionne en
reconstruisant après coup les causes de nos actions. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,
Il y a bel et bien un « moi » qui
est à l’origine de l’action, mais il ne prend pas la forme que nous nommons
« conscience ». Lost Ego: La
tragédie du « je suis », François de Smet,
Le problème est toujours le même :
comment passer de la multiplicité de nos états mentaux, de notre mémoire, à
l’unicité qui nous paraît si évidente Lost
Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,
Ce “vous” dont vous êtes si fier est une
histoire tissée par votre module interprète pour rendre compte au maximum de
votre comportement, et qui nie ou rationalise le reste. Lost Ego: La tragédie du « je suis »,
François de Smet,
Freud correctement, c’est-à-dire en
suggérant que lorsqu’il nous parle d’inconscient, il nous parle de la
conscience se narrant elle-même, Lost Ego:
La tragédie du « je suis », François de Smet,
Nous ne cessons de reraconter les événements
passés à la lumière de ce qui nous paraît leur conférer après coup un sens
logique73. Lost Ego: La tragédie du
« je suis », François de Smet,
Nous autres, membres de la variété humaine
des primates, avons un besoin dévorant de règles parce qu’il nous faut réduire
la dimension des choses afin qu’elles puissent entrer dans notre crâne […].
Plus l’information est aléatoire, plus la dimensionnalité est importante et par
conséquent difficile à résumer. Lost Ego:
La tragédie du « je suis », François de Smet,
La conscience est donc ce produit de
l’évolution qui nous permet de ne pas nous diluer dans le présent, et d’ancrer
notre action sur une ligne du temps intégrant passé et avenir : la
conscience « nous permet de relier les événements à travers le temps
plutôt que de vivre dans l’instant,
Roman, histoire, mythe ou conte… tous quatre
ont la même fonction, écrit Taleb : ils nous évitent d’être confrontés à
la complexité du monde et nous protègent du hasard. Les mythes mettent de
l’ordre dans le désordre de la perception humaine et ce que nous ressentons
comme le “chaos de l’expérience humaine”79. » Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,
Le cerveau lui-même se comporte comme une
vaste institution dont l’effectif approche la centaine de milliards de
neurones. Il lui faut donc, lui aussi, des notes de synthèse. Le rôle de la
conscience semble être de simplifier la perception de l’environnement, en n’en
proposant qu’un résumé pertinent, qui est transmis à toutes les autres aires
impliquées dans la mémoire, la décision et l’action Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,
La crainte des citoyens de voir leur univers
changer sur ses bases atteste d’un sentiment de dissolution d’Ego. Celui-ci est
généralement imputé à un bouc émissaire commode : une époque dérégulatrice
marquée par la mondialisation, le désordre, les flux migratoires, la fin des
traditions.
La perception qui fait de l’histoire une
linéarité et des cultures des blocs homogènes est, elle aussi, une
construction. Lost Ego: La tragédie du «
je suis », François de Smet,
C’est le flux qui forge et constitue les
hommes, combien tout est métissage déjà autour d’eux – y compris une langue ou
une couleur de peau. Lost Ego: La
tragédie du « je suis », François de Smet,
Les idéologies de la cohérence, elles,
refusent l’idée du flux inhérent au fleuve d’Héraclite, et se basent sur
l’idée, contrairement au citoyen d’Éphèse, qu’il est bel et bien possible de se
baigner deux fois dans le même fleuve – c’est-à-dire de forger la réalité selon
un modèle préétabli, généralement disponible dans un livre sacré ou un petit
livre rouge. Lost Ego: La tragédie du «
je suis », François de Smet,
La seconde partie du XXe siècle était
l’espace-temps d’un pari : celui de la réconciliation vertueuse des deux
branches ennemies des Lumières que sont l’idéalisme et le libéralisme. Lost Ego: La tragédie du « je suis »,
François de Smet,
Ni les valeurs ni la consommation ne
semblent suffire à produire des contenus pouvant valablement se substituer aux
identités. Lost Ego: La tragédie du « je
suis », François de Smet,
La liberté est bien laborieuse à exercer,
parce qu’elle met en demeure les individus de s’inventer leur propre histoire
et de l’accrocher eux-mêmes au fil de la grande histoire collective, et que
cela est laborieux, voire ingérable. Lost
Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,
Liberté une fois conquise, l’homme ne sait
plus quoi en faire, et il n’en mesure la réalité et la consistance qu’une fois
celle-ci attaquée. Lost Ego: La tragédie
du « je suis », François de Smet,
Jaune surlignement | Emplacement: 1,103
Esprits terroristes ayant embrassé de toutes
leurs forces une vision anti-héraclitéenne du monde : en opposition au
célèbre extrait des Fragments d’Héraclite d’Éphèse, selon lequel « on ne
se baigne jamais deux fois dans le même fleuve », campant l’image du flux
continu de toute chose, il est au contraire pour de tels fanatiques bel et bien
possible de se baigner deux fois dans le même cours d’eau, c’est-à-dire de
rendre la réalité conforme à un récit d’homogénéité à atteindre au bout d’un
combat nécessairement destructeur. Pour de tels esprits, le besoin de cohérence
du cerveau humain face au chaos (développé, comme on l’a vu, par l’évolution)
doit devenir une cohérence réelle à imposer au monde. Pour eux, il existe une
dynamique à l’œuvre dans les rouages de l’univers, il y a des amis et des
ennemis, il y a un « nous » et un « eux » – en l’occurrence,
pensent-ils, l’Islam et l’Occident sont ennemis et l’un des deux doit
disparaître. Lost Ego: La tragédie du «
je suis », François de Smet,
Que le pouvoir d’achat et l’identité se
soient hissés comme enjeux politiques et électoraux prépondérants démontre la
fragilité irrémédiable des démocraties, dont les valeurs ne suffisent pas à
générer la force et la consistance pour s’imposer sans conteste. Lost Ego: La tragédie du « je suis »,
François de Smet,
Car ce que veut réellement l’individu,
au-delà de ses besoins primaires, ce n’est ni être seul, ni se fondre dans le
groupe : c’est appartenir à un groupe au sein duquel il peut identifier la
plus-value qu’il y représente Lost Ego:
La tragédie du « je suis », François de Smet,
Internet, malgré toute sa richesse, est
avant tout une machine qui sert à trouver ce que l’on cherche et à s’abreuver
de certitudes. Lost Ego: La tragédie du «
je suis », François de Smet,
Accepter que la liberté d’expression est la
condition de la liberté de conviction et non l’inverse. Lost Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,
La modernité se retrouve bel et bien face à
un pari risqué, en tant que démocratie ouverte, libre marché des idées, où les
marchands de pureté semblent plus attractifs que les marchands de nuance. Lost Ego: La tragédie du « je suis »,
François de Smet,
Nous existons et sommes conscients de
nous-mêmes parce que notre cerveau nous apprend à offrir du sens à nos actions,
a priori et a posteriori. Lost
Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,
On mesure l’intelligence d’un individu à la
quantité d’incertitudes qu’il est capable de supporter », selon Kant. Lost Ego: La tragédie du « je suis »,
François de Smet,
Par nature, l’homme éprouve de sérieuses
difficultés à penser le chaos, y compris celui dont il est issu. L’écrasante
partie du temps, il l’élude en s’inventant des dieux ou des forces de la
nature. Lost Ego: La tragédie du « je
suis », François de Smet,
L’être humain affectionne les récits parce
qu’ils ont un début, une fin et donc un sens. Nous ne sommes pas faits pour
porter le chaos en nous, pour digérer notre commensurabilité mentale sans
tenter de l’ordonner en permanence. Lost
Ego: La tragédie du « je suis », François de Smet,
Notre véritable liberté, comme l’avaient
deviné Spinoza et Schopenhauer, ne réside pas dans un investissement démesuré
dans un libre arbitre célébré comme la plus grande conquête de
l’humanité ; Lost Ego: La tragédie
du « je suis », François de Smet, Lost Ego: La tragédie du « je suis »,
François de Smet,
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