mercredi 7 avril 2021

Racée, - T - Rachel Khan. Ed. L’Observatoir

 

Racée,  - T - Rachel Khan. Ed. L’Observatoire



 

Je ne suis pas de la diversité, j’ai la diversité en moi, nuance. Racée, Rachel Khan.

Romain Gary (Émile Ajar) précise : « Si vous ne simulez pas, vous êtes déclaré asocial, inadapté ou perturbé10. » Racée, Rachel Khan.

Dans l’instantanéité des réseaux, le buzz n’est que l’impatience des fainéants qui paradoxalement tirent profit des drames du temps mémoriel. Racée, Rachel Khan.

Nous avons aux côtés de nos Gif, de nos tweets en 280 caractères, de nos émojis, des mots qui font bloc et participent à un mode de communication banalisé et balisé d’une violence rare. L’appauvrissement du langage, le rétrécissement du champ lexical, la diminution du vocabulaire ont un impact sur la construction d’une pensée complexe, nuancée, aux multiples subtilités. Plus le langage est pauvre, moins la pensée existe et plus les incompréhensions engendrent la haine. Des études ont montré que l’incapacité à mettre des mots sur les émotions provoque les pires tensions. Les mots façonnent les esprits, qui eux-mêmes déterminent notre vision du monde, notre rapport à ce dernier et nos relations aux autres. Ne pas tenir un langage clair, mal nommer un objet, c’est donc se condamner à « ajouter aux malheurs du monde17 ». Racée, Rachel Khan.

Il y a danger, notamment lorsque des théories transforment un être en préfabriqué. Ou en infirme. On appelle ça une « transfirmation ». Racée, Rachel Khan.

Avec le mot « souchien », c’est l’ombre des Indigènes7 qui plane sur la République. Leur méthode est simple : lutter contre les discriminations par la discrimination. Un paradigme peu créatif, puisqu’il s’agit de reproduire allègrement ce qu’ils dénoncent. Ainsi, au nom de l’égalité, l’organisation répertorie les catégories de Français d’un point de vue racial. Or, cette mission d’inspiration ségrégationniste8 n’a d’autre fondement qu’un racisme anti-Blancs. Pour eux, l’homme blanc a fait du mal. Il doit comprendre qu’il vit dans une instabilité sociale face à la puissance de frappe de toutes ses victimes, qu’il a rendues rageuses. Racée, Rachel Khan.

La soif d’ego conduit à conférer une identité extraordinaire aux victimes, face aux « Français normaux » ou « souchiens » dont le seul devoir est d’avoir à payer leur dette. Cette appellation nourrit un complexe, largement étoffé par les termes « Gaulois », « Toubab » ou, pire, « Babtou9 fragile ». Racée, Rachel Khan.

Les identitaires déchirent la nation, pour en faire une sous-France. Racée, Rachel Khan.

Il n’y a pas plus oppressant que d’être enfermé dans le regard de l’autre. Racée, Rachel Khan.

Naissance au phénomène social du “Noir professionnel” qui vit de la couleur de sa peau », Racée, Rachel Khan.

Le besoin de repentance viscérale des « white gauchos » est un moyen d’exister sur un vieux continent européen en quête d’intensité. Racée, Rachel Khan.

Puisque « la mémoire donne plus de droits que de devoirs », pourquoi s’en priver ? « Dotons-nous d’une identité mémorielle ! » semblent nous dire les victimaires. Mais qu’est-ce qu’une mémoire sans souvenirs ? Racée, Rachel Khan.

L’Afrique est devenue musulmane par l’esclavagisme et la domination arabe. Le racisme du Maghreb est encore criant. Mais dans les tables rondes des identitaires, l’histoire disparaît. L’enjeu est de démontrer l’oppression de la société française ou européenne à cause de leur genre et du « choix » de leur religion. Racée, Rachel Khan.

Se dire victime de harcèlement, de contrôle au faciès, de non-représentativité, par exemple, permet d’attirer les soutiens nécessaires pour faire entendre sa voix. Racée, Rachel Khan.

La majorité « qualifiée » a moins de force de frappe que les minorités inqualifiables. L’abus de pouvoir est réel. Face à ces minorités dominatrices, on se tait. La mise à mal de la liberté d’expression est le signe que ces lobbies sont d’une puissance inouïe. Dans notre système démocratique déphasé, l’objectif n’est plus de gagner par la majorité, mais bien de devenir des minoritaires en majorité. Racée, Rachel Khan.

Les minorités déchirent notre société en mille morceaux. Racée, Rachel Khan.

 « La femme est le Nègre de l’humanité », a écrit John Lennon41. Pas faux. Racée, Rachel Khan.

Mots étranges que ceux dont la vocation est d’empêcher le dialogue. Racée, Rachel Khan.

Le vivre-ensemble reste le placebo générique d’une pensée qui ne panse rien. Racée, Rachel Khan.

Bercés par le rythme d’une expression sans destination, nous avons trouvé le moyen terminologique d’oublier nos solitudes juxtaposées : vivre-ensemble. L’intranquillité s’éteint. Comme des bienheureux, nous nous endormons les uns contre les autres, pour vivre seuls, ensemble. Racée, Rachel Khan.

La diversité est le « caractère de ce qui est divers, c’est-à-dire qui présente des critères de nature ou de qualité différentes. Synonymes : pluralité, variété. Contraires : concordance, uniformité, monotonie, ressemblance » (dictionnaire Larousse). Racée, Rachel Khan.

L’harmonisation avec nos ressemblances planétaires entraîne une crise de l’identité. Or, il faut bien continuer de se différencier. La disparition du mot « race » a laissé un vide sémantique. Le terme « diversité » en est sa copie non conforme. C’est à la mode de ne plus appeler un chat un chat ; de la même façon, « multiculturalisme a été substitué à communautarisme6 ». Racée, Rachel Khan.

Anéantir, par le dépassement de soi, toute idée d’identification par la peau, nappage consumériste, égotique… raciste ? Racée, Rachel Khan.

Plus besoin de compétences, ce qui compte c’est la « représentativité de la diversité8 » Racée, Rachel Khan.

Homogénéisation au sein même du concept. Les gens de la diversité sont donc tous pareils. Elle exige d’être le cliché de soi-même. Racée, Rachel Khan.

Il n’y a pas plus mélangées que les personnes originaires du continent africain. Leur histoire n’est faite que de déportations, de colonisations et de migrations. Les peuples aux ethnies revendiquées parlent mille langues, croient en mille choses, de l’animisme au syncrétisme, pratiquent à leur sauce une pluralité d’islams, de catholicismes, de protestantismes et de judaïsmes. Ils vivent sous tous les climats, sur tous les continents. Au Sénégal, par exemple, il y a les Peuls, les Wolofs, les Sérères, les Toucouleurs, les Diolas, les Mandingues, donc autant de coutumes, de traditions, d’histoires, de religions, de croyances et d’imaginaires. C’est donc grâce aux français, langue coloniale qui structurent notre pensée, que les mouvements décoloniaux arrivent à se comprendre. Racée, Rachel Khan.

Romain Gary (Émile Ajar) a consacré sa vie à ce sujet. Il affirme qu’il n’a qu’une seule peau et ce n’est pas la sienne16 ; parce qu’il décolle son héritage de son être profond autant que de sa réalité qu’il met en scène. Nous sommes des êtres fragmentés, multiples, protéiformes, hétérogènes, qui nous adaptons en permanence à des rôles et des conditions pour des raisons sociales, comme peuvent le faire les Barbapapa17. Racée, Rachel Khan.

La réparation est faite d’échecs, de découragements, de petites victoires, mais ce n’est en aucun cas revenir à un statu quo lorsque le processus est lancé. Racée, Rachel Khan.

Réparer, ce n’est pas vivre avec l’amertume qui lie à l’agresseur, mais s’en émanciper. Racée, Rachel Khan.

La colère des identitaires n’est que le carburant d’une situation de monopole des blessures. Racée, Rachel Khan.

Grâce à ma négritude, ma judéité ou ma féminité, il serait facile de jouer sur une valeur ajoutée victimaire, se « mesurant au compas de ma souffrance6 ». C’est précisément ainsi qu’aucune reconstruction n’est possible. Racée, Rachel Khan.

Une autre domination est en cours sur le continent8. Crise économique, crise sanitaire, crise des migrants, dérèglement climatique poussent à comprendre que notre temps est fait de lois inversées où les écrans rapprochent, où la sphère privée devient d’intérêt public, où l’OMC ne peut plus faire sans l’OMS et les droits fondamentaux, où la souveraineté des États a perdu de sa superbe, entraînant dans le même temps une crise de la représentativité. Racée, Rachel Khan.

Romain Gary (Émile Ajar) nous dit que « l’espoir exige que le “vocabulaire” ne soit pas condamné au définitif pour cause d’échec11 ». Racée, Rachel Khan.

Dans notre monde déchiré, les mots recèlent de quoi nous soigner. Ils sont les artistes de nous-mêmes. Racée, Rachel Khan.

À la manière de la responsabilité écologique qui rend nécessaire la relocalisation de la production, l’intimité relocalise la pensée. Elle permet de mettre de l’ordre dans son intérieur, de faire le point avec ce que l’on panse. Dans l’intimité, on se découvre, on s’apprivoise. On fait le tri entre les opinions héritées et celles que l’on a choisies, on se penche à nouveau sur ses expériences et ses rêves. Dans son lieu, en confiance, on renoue peu à peu avec ses émotions. Se redessinent alors nos besoins et nos envies. Racée, Rachel Khan.

L’ère de la peopolisation, du buzz et des replis identitaires qui ajoutent du flou entre l’espace privé et l’espace public, quelle place offrons-nous encore à l’intimité ? Racée, Rachel Khan.

Nous acceptons que l’intimité soit chosifiée, puis commercialisée. La pensée devient lisse et s’uniformise à son tour. Racée, Rachel Khan.

Racée, j’ai un secret intraduisible, intime, celui d’avoir la peau des autres dans la mienne, qu’ils soient visibles ou invisibles. Racée, Rachel Khan.

Sous l’influence des réseaux sociaux et autres applis, la communication est ininterrompue à l’échelle planétaire. Nous y participons désormais jour et nuit. Qu’importe l’heure universelle, c’est écran allumé, toujours prêts à dire quelque chose aux followers, que nous tentons de trouver le sommeil. Racée, Rachel Khan.

Selon un vieil adage, on est maître de ses silences et esclave de ses mots. Ceci expliquerait donc cela… Racée, Rachel Khan.

Comment combattre aussi le « visible », si dévastateur aujourd’hui ? Nous nous perdons dans ce monde de surexposition et de matérialisme. « Ils deviennent ce qu’ils voient, ils voient ce qu’ils deviennent, cette spirale de l’échec me peine », chante Akhenaton à propos des jeunes des quartiers26. Racée, Rachel Khan.

Les décolonisateurs29 réappropriation d’un récit qu’ils pensent être le leur, seulement parce qu’ils ont regardé, un soir tard, un documentaire sur les Black Panthers que le service public de l’audiovisuel a diffusé sur France Ô. Racée, Rachel Khan.

 « Pense le monde tel qu’il devrait être et ne raconte pas le monde tel qu’il est » ou encore « panse le monde tel qu’il est et n’accommode ou ne raccommode pas le monde tel qu’il a pu être », nous dit l’artiste. Racée, Rachel Khan.

Dans un contexte où la victimisation a le vent en poupe, il est impératif pour les identitaires de cacher tout indice de désir, qui serait le révélateur ultime de leur imposture. En ne laissant aucune place à la plainte et en faisant avancer l’histoire, le désir est à bannir pour celles et ceux qui ne veulent vivre que dans un récit figé52. Racée, Rachel Khan.

Mais malgré leur stratégie, l’envie de briller « en tant que victime » ne trompe personne. Racée, Rachel Khan.

Une haine. Cette dernière, comme le disait Toni Morrison, « consume tout, sauf elle-même, si bien que, quel que soit votre chagrin, votre visage devient exactement le même que celui de votre ennemi53 ». Racée, Rachel Khan.

C’est par le désir que l’imprévisibilité de la vie révèle toute sa dimension. Racée, Rachel Khan.

 « Ce  monde n’est plus blanc, il ne le sera plus jamais62 ». Racée, Rachel Khan.

Ces idéologies qui pensent les identités de manière hermétique nous fragilisent donc, dans ce monde en mutation, en nous empêchant par leur concept de nous y adapter. Elles négligent ce que nous sommes dans un « monde-chaos » fait de sociétés créolisées. Selon Glissant, penser le monde en cinq continents et quatre races est un dangereux anachronisme. Racée, Rachel Khan.

Par le déni, le négationnisme, les raccourcis et autres simplifications, les identitaires interdisent le déploiement de nos existences ; pire, ils tuent ce que nous sommes. Racée, Rachel Khan.

Avec la créolisation, la synthèse est impossible. Elle nous impose l’incertitude. Le jazz, les musiques caribéennes comme les musiques les plus téléchargées aujourd’hui, telles que le hip-hop, sont le fruit même de la créolisation. Elles font écho à l’imprévisibilité de notre monde chaotique. Elles viennent d’un entremêlement de la musique de quadrille européenne et des rythmiques fondamentales africaines, des percussions, des chants de transe, avec la modernité affirmée de l’électro. Racée, Rachel Khan.

Montaigne a fait naître ce qui est certainement l’une des plus belles phrases de la littérature française : « En l’amitié de quoi je parle, les [âmes] se mêlent et confondent l’une en l’autre, d’un mélange si universel, qu’elles effacent et ne retrouvent plus la couture qui les a jointes. Si on me presse de dire pourquoi je l’aimais, je sens que cela ne se peut exprimer qu’en répondant : “Parce que c’était lui, parce que c’était moi65.” » Racée, Rachel Khan.

En ne désignant qu’une seule parcelle de ce que nous sommes, l’identité nous scinde. Elle cache nos déchirures, au lieu de les mettre en lumière pour nous réparer. Racée, Rachel Khan.

Les ondes ont leur parcours que notre ego ne maîtrisera jamais. Racée, Rachel Khan.

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