L’Etrange
Défaite, Marc Bloch, Bibliobook
Un trait, entre tous
décisif, oppose la civilisation contemporaine à celles qui l’ont
précédée : depuis le début du XXe siècle, la notion de distance a
radicalement changé de valeur. La métamorphose s’est produite, à peu près, dans
l’espace d’une génération et, si rapide qu’elle ait été, elle s’est trop bien
inscrite, progressivement, dans nos mœurs, pour que l’habitude n’ait pas réussi
à en masquer, quelque peu, le caractère révolutionnaire. p. 41
Il y a longtemps qu’Hérodote
l’a dit : la grande impiété de la guerre, c’est que les pères alors
mettent les fils au tombeau.p. 116
Les foules syndicalisées
n’ont pas su se pénétrer de l’idée que, pour elles, rien ne comptait plus
devant la nécessité d’amener, le plus rapidement et complètement possible, avec
la victoire de la patrie, la défaite du nazisme et de tout ce que ses
imitateurs, s’il triomphait, devaient, nécessairement, lui emprunter. On ne
leur avait pas appris, comme c’eût été le devoir de véritables chefs, à voir
plus loin, plus haut et plus large que les soucis du pain quotidien, par où
peut être compromis le pain même du lendemain. p. 123
Je n’aperçois point davantage que
l’internationalisme de l’esprit ou de la classe soit irréconciliable avec le culte
de la patrie. Ou plutôt je sens bien, en interrogeant ma propre conscience, que
cette antinomie n’existe pas. C’est un pauvre cœur que celui auquel il est
interdit de renfermer plus d’une tendresse. p. 124
La vertu, si elle ne
s’accompagne pas d’une sévère critique de l’intelligence, risque toujours de se
retourner contre ses buts les plus chers. p. 125
Une vieille tradition nous
porte à aimer l’intelligence pour l’intelligence, comme l’art pour l’art, et à
les mettre à part de la pratique. p. 132
Ni la Constitution
française, ni même la Déclaration des Droits ne seront présentées à aucune
classe de citoyens comme des tables descendues du ciel, qu’il faut adorer et
croire ». p. 133
Hitler des grandes harangues
aux foules. Celui des confidences, qui disait un jour à Rauschning, à propos,
précisément, du marxisme : « Nous savons, nous, qu’il n’y a pas
d’état définitif… qu’il y a une évolution perpétuelle. L’avenir est le fleuve
inépuisable des possibilités infinies d’une création toujours nouvelle. » p.
134
J’abhorre le nazisme. Mais,
comme la Révolution française, à laquelle on rougit de la comparer, la
révolution nazie a mis aux commandes, que ce soit à la tête des troupes ou à la
tête de l’Etat, des hommes qui, parce qu’ils avaient un cerveau frais et
n’avaient pas été formés aux routines scolaires, étaient capables de comprendre
« le surprenant et le nouveau ». Nous ne leur opposions guère que des
messieurs chenus ou de jeunes vieillards. p. 139
La religion de l’Ordre Moral
– en l’espèce, ce qu’Edouard Herriot appelait un jour avec esprit le
« spiritualisme constitutionnel ». p. 178
La pensée scientifique
énonce les propriétés du triangle en général, et non de ce triangle qu’une main
trace sur le tableau.p. 178
Pis encore : ce qui
devait être simplement un réactif, destiné à éprouver la valeur de l’éducation,
devient une fin en soi, vers laquelle s’oriente, dorénavant, l’éducation tout
entière. On n’invite plus les enfants ou les étudiants à acquérir les
connaissances dont l’examen permettra, tant bien que mal, d’apprécier la
solidité. C’est à se préparer à l’examen qu’on les convie. Ainsi un chien
savant n’est pas un chien qui sait beaucoup de choses, mais qui a été dressé à
donner, par quelques exercices choisis d’avance, l’illusion du savoir. p. 192
Je ne pense pas qu’il soit
nécessaire d’insister sur les inconvénients intellectuels d’une pareille manie
examinatoire. Mais ses conséquences morales, les a-t-on toujours assez
clairement vues : la crainte de toute initiative, chez les maîtres comme chez
les élèves ; la négation de toute libre curiosité ; le culte du
succès substitué au goût de la connaissance ; une sorte de tremblement
perpétuel et de hargne, là où devrait au contraire régner la libre joie
d’apprendre la foi dans la chance (car ces examens, quelle que puisse être la
conscience des examinateurs,
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