vendredi 4 juin 2021

Strauss, - T - Gérald Sfez, Les Belles Lettres

 

Strauss, - T - Gérald Sfez, Les Belles Lettres

 



 

Approche philosophique personnelle : celle de l’étude des relations entre la philosophie rationnelle et le judaïsme de la Loi. Strauss, Gérald Sfez

 

Réflexion croisée entre hellénisme et judaïsme éclairé. Sa réflexion le conduit à une étude comparée des deux pôles de la civilisation au sens large que représentent Athènes et Jérusalem et de leur valeur universelle. Strauss, Gérald Sfez

C’est la religion elle-même qui fait la profondeur du judaïsme et qui a permis aux Juifs de se conserver comme peuple juif de façon à survivre à toutes les persécutions2. Strauss, Gérald Sfez

Je reste fidèle aux Juifs quel qu’en soit le prix. Mais comme le dirait Aristote, juif a de nombreux sens4. Ce sentiment de double appartenance au monde grec et au monde juif fait tout l’intérêt d’une pensée paradoxale en ce qu’elle conjugue une profession de foi orthodoxe et une profession de foi athée. Strauss, Gérald Sfez

Est classique celui qui voit les choses directement, sans référence à un passé dont on se revendique ou que l’on dénonce, indépendamment du rapport à une tradition. Ainsi, le mérite des Anciens n’est pas seulement de nous avoir transmis un héritage dont nous leur sommes redevables, il est aussi d’avoir pensé les choses hors de toute histoire ou, pour ainsi dire, avant l’histoire, et, par là, « avec une fraîcheur et une netteté qui n’ont jamais été égalées », ce qui leur confère cette « noble simplicité » et cette « grandeur tranquille » Strauss, Gérald Sfez

Penser à l’épreuve et à la lumière des Anciens revient à penser en se mettant à l’écoute historique de leur legs tout en se ressaisissant de l’attitude libre qui fut la leur à l’égard de la dimension historique. Strauss, Gérald Sfez

Le dogme des dogmes, le point d’origine de la pensée des Lumières, celui qui tient et organise tout le réseau des concepts et tous les enchaînements des arguments modernes, réside dans le verdict ‒ dissimulé ou à peine évoqué tant la cause paraît entendue ‒ que les Lumières modernes ont prononcé contre le point de vue de la foi en la Révélation. Comme le soulignait Lessing, le verdict a tranché en faveur de la raison sans qu’il y ait eu pour autant de victoire philosophique réelle1, au point que le problème paraît à tous définitivement réglé, comme si la grande controverse entre les Lumières et l’orthodoxie était une question d’un autre âge, une affaire classée. Strauss, Gérald Sfez

Les Lumières modernes ont imposé un nouveau monde, un nouveau contexte d’idées. Leur cible fondamentale était la foi en la création du monde, la foi dans les miracles de la Bible, et par-dessus tout, la foi en la transcendance de la Loi révélée au Sinaï, opposée à la volonté autonome de l’homme et à sa volonté de toute-puissance. Strauss, Gérald Sfez

Avec le refus de la Loi, le sens de l’obéissance morale et politique à une justice inconditionnelle a été perdue, parce qu’on l’a confondue avec la servilité envers un Maître dominateur et despotique. Strauss, Gérald Sfez

Refusé l’idée d’une transcendance de la Loi, tout en cherchant à en garder l’essentiel : leur valeur symbolique. Strauss, Gérald Sfez

Le choix des Lumières modernes, radicales, les seules Lumières modernes, au fond, avait été, non le choix de la raison, mais celui de l’athéisme. Strauss, Gérald Sfez

Préjugé que les Lumières ont instauré. Il y a préjugé parce que la victoire du point de vue des Lumières sur celui de la Révélation n’a pas eu lieu sur le plan d’une argumentation rationnelle. Selon Strauss, les hommes des Lumières le savaient parfaitement, au point que les hommes d’aujourd’hui sont bien davantage enferrés dans le préjugé des Lumières que ne le furent les hommes des Lumières eux-mêmes. Strauss, Gérald Sfez

Les hommes des Lumières ont en effet usé d’une tout autre arme que la raison : la raillerie. Strauss, Gérald Sfez

Le but sous-jacent à leur revendication d’une victoire par la raison était en réalité d’affirmer l’autosuffisance de l’homme, de sa maîtrise sur le monde. Strauss, Gérald Sfez

Le parti des Lumières, en repoussant les bornes imposées par la nature, n’est pas parvenu à aller vers toujours plus de liberté. Strauss, Gérald Sfez

Nous restons sous le charme de la façon de penser propre aux Lumières, quelque démenti que puissent y apporter les faits de la raison théorique et pratique. Strauss, Gérald Sfez

Les Lumières ne laissent pas d’autre choix que celui d’un athéisme à découvert. Strauss, Gérald Sfez

les Lumières modernes ont usé de deux procédés conjoints. Le premier a été de ne retenir de l’orthodoxie que les énoncés les plus extrêmes, d’identifier par la raillerie orthodoxie et superstition. Le second a été de voler à l’adversaire sa prétendue « radicalité », de s’en approprier la posture, en en faisant une valeur essentielle, une fois laïcisée, des Lumières modernes elles-mêmes. Strauss, Gérald Sfez

L’attitude radicale est de placer à l’origine ce qui est à l’extrême pour en faire le principe général qui explique le tout. Strauss, Gérald Sfez

L’histoire des Lumières, à leur propre devenir. En faire l’histoire, c’est saisir comment l’opération de radicalisation connaît un avenir sans fin, qui nous porte bien au-delà de l’aspiration première des Lumières modernes. Strauss, Gérald Sfez

L’ancien concept de nature, d’ordre de la nature avait une vérité « en soi ». Il reconnaissait une réalité effective à la loi de la nature. Il reposait sur une coïncidence entre l’être et le devoir-être du cosmos, entre l’idée d’une vérité de l’être et l’idée de la valeur morale de cet être. Au contraire, l’être, tel que le comprend la science moderne de la nature est privé de tout lien avec le devoir-être : l’idée biblique de la Loi ne peut pas plus trouver d’expression dans la loi scientifique, dans l’établissement d’un rapport constant entre des phénomènes variables, que la vie bonne ne peut se dire une vie conforme à la nature. Strauss, Gérald Sfez

L’idéal des Lumières se réduisait à l’idée que l’homme est autonome, et sa culture avec lui, en ce qu’elle est délivrée de toute nature. Strauss, Gérald Sfez

L’athéisme qui rejette la croyance en Dieu par conscience. Strauss, Gérald Sfez

Le dogmatisme de cet athéisme sans phrase s’oppose de toutes ses forces à ce que l’on revienne sur les pas des Lumières ; il transforme l’erreur en errance. Strauss, Gérald Sfez

La raison a une limite et que certaines connaissances intuitives du « monde supérieur » ne sont accessibles qu’aux prophètes et refusée aux philosophes. Strauss, Gérald Sfez

Définition de la Loi juive : en son sens formel, le caractère transcendant de la Loi désigne la transcendance inconditionnelle du partage entre le bien et le mal, le souci suprême d’exigence de justice qui l’emporte sur tout autre. C’est là un sens, plus essentiel, de la souveraineté de la Loi : souveraine, la loi l’est ici, en tant qu’elle pose la suprématie de la justice sur toute autre considération et qu’elle en indique seulement la direction. Strauss, Gérald Sfez

La parole de la Loi requiert une interprétation, tâche impartie à la philosophie. Strauss, Gérald Sfez

Les prophètes ont la faculté de connaître intuitivement, de manière immédiate, sans s’appuyer sur des syllogismes et des preuves. Parce qu’ils saisissent les choses de façon incorporelle, ils peuvent recourir à l’imagination. Ce n’est pas que Dieu les dote d’une imagination différente de celle des autres hommes, mais il lève le voile qu’il pose chez les autres hommes sur un libre usage de l’imagination. Strauss, Gérald Sfez

Alors que le philosophe est seulement mû par l’intellect, le prophète a une imagination selon l’intellect, son imagination reçoit l’influence de l’intellect agent. Strauss, Gérald Sfez

Le fil directeur de l’objectivité du religieux est la reconnaissance de la Loi comme référent ultime. La référence à la Loi caractérise la religion révélée et représente le cœur des monothéismes. C’est précisément à ce titre que Strauss pense la proximité de la religion juive avec la religion musulmane, et non avec le christianisme. Strauss, Gérald Sfez

La Révélation, telle que l’entendaient juifs et musulmans, a plus le caractère d’une Loi (torah, shari’a) que celui d’une Foi16 », écrit Strauss. La Révélation, pour le juif, et collatéralement pour le musulman, est une Révélation de la loi qui déclasse la foi. Strauss, Gérald Sfez

L’idée de la loi divine comme d’une loi une et totale qui est en même temps loi religieuse, loi civile et loi morale17. Strauss, Gérald Sfez

« Une loi, écrit Strauss, pour être vraiment “égale”, ne doit pas être purement humaine. »21 Elle corrige l’inégalité naturelle des hommes entre eux, tant sur le plan des qualités du corps que sur celles de l’âme, en les conduisant tous, selon un ordre échelonné, à leur point d’équilibre intérieur, l’excellence du juste milieu, suppléant au défaut des uns et modérant les excès des autres22. Strauss, Gérald Sfez

l’État, même le plus libéral, ne peut organiser la société qu’en fonction de l’opinion du grand nombre peu éclairé. Quant à l’opinion éclairée qui fait face à l’État, elle peut et doit certes s’étendre, mais jusqu’à un certain point seulement, car, mal comprise, elle est dévastatrice. Strauss, Gérald Sfez

S’il est vrai que l’opinion, à l’opposé de la vérité, est l’élément de la société, le chercheur de vérité doit entrer en résistance contre la tyrannie de l’opinion, sans pouvoir s’engager ni dans une guerre frontale ni dans une divulgation imprudente de la vérité en faisant fond sur l’éducation. Strauss, Gérald Sfez

Le vrai texte est un texte absent et fait l’objet d’un non-lieu. Il ne fait signe qu’à l’idée virtuelle du Tout, et s’accorde avec le fait que l’on ne peut dire la sagesse, on ne peut que l’exercer. Strauss, Gérald Sfez

La modernité a fait porter ses coups contre le droit naturel antique. Le droit naturel moderne qui fonde notre société comprend comme rupture avec le droit naturel classique. Strauss, Gérald Sfez

Le relativisme des « cultures » a pris la place du relativisme des « opinions », à ceci près que ces opinions collectives sont par là même solidifiées et légitimées, au point que la question de la vérité semble ne plus se poser. Strauss, Gérald Sfez

Notre manière de penser serait toujours l’expression du monde culturel et historique où elle s’inscrit. Strauss, Gérald Sfez

Sous le coup de sa propre thèse : si toute vérité est relative à l’époque où elle s’énonce, la vérité de l’historicisme l’est aussi ; il est daté historiquement et n’a donc aucune valeur pérenne. Strauss, Gérald Sfez

L’historicisme est ainsi voué à être déclassé et périmé dans l’avenir. Strauss, Gérald Sfez

L’histoire est le règne du passage d’un monde de pensée imprévisible à un autre monde de pensée tout aussi imprévisible, passage dont rien ne garantit qu’il soit un progrès. Strauss, Gérald Sfez

Toutes les visions sa valent en droit puisqu’elles dépendent toutes de la relativité de coordonnées spatio-temporelles. Strauss, Gérald Sfez

Le contexte qui décide de ma manière de penser et que je n’ai donc d’autre alternative que de consentir au destin de mon espace-temps ou de le refuser. Strauss, Gérald Sfez

Tendanciellement, le relativisme incline à penser que « tout se vaut » et qu’il n’existe pas d’étalon permettant d’évaluer une société et le droit qui est le sien. L’attention à la diversité des cultures a paradoxalement fourni un nouveau motif à ce relativisme. Le courant dominant moderne des sciences sociales soutient qu’il n’est plus d’autre idéal que celui qu’on adopte, que toutes les sociétés ont leur idéal et que les principes des unes sont tout aussi défendables que ceux des autres. Il s’ensuit que chaque société ayant son idéal, il n’est plus possible de critiquer les exactions patentes que l’on trouve en l’une ou l’autre, puisqu’elles feraient corps avec cet idéal et participeraient de son système symbolique. L’exclusion du droit naturel signifie qu’on s’interdit de juger d’autres sociétés, sous prétexte qu’on le ferait selon un idéal et un réseau symbolique autres que les leurs. Symétriquement, s’il n’y a pas d’étalon supérieur à celui adopté par chaque société, nous ne pouvons prendre aucun recul par rapport à la nôtre, nous ne pouvons pas la juger. Nous suivons le mouvement de notre société sans plus de distance, ce qui fait que notre idéal change au gré des changements de physionomie qui l’affectent. Ce relativisme, qui prétend être une école de tolérance, conduit à des attitudes rigoureusement contraires : si chaque culture vaut pour elle-même, le suspens de toute norme universelle l’autorise d’autant plus à être crispée sur ses propres valeurs et à exclure celles des autres sociétés. L’affirmation du relativisme des valeurs s’avère bien moins tolérante que ne l’est l’exigence d’universalité. Tout se vaut. De là à penser que « rien ne vaut », il n’y a qu’un pas que le nihilisme franchit bien vite, en reconnaissant le caractère insuffisant du relativisme lui-même. À vouloir détacher l’homme de toute idée d’une nature donnée et d’une universalité possible des normes, à force de le claquemurer chez lui, on lui fait perdre son humanité. L’historicisme atteint, selon Strauss, son point culminant dans le nihilisme. La tentative pour que l’homme soit absolument chez lui aboutit à ce qu’il perde absolument tout « chez soi ». Ce faisant, l’homme est entré dans un processus de dé-civilisation. La thèse culturaliste d’une diversité irréductible des valeurs culturelles a pour résultat la destitution de la civilisation, le rejet des principes qui la constituent en tant que telle. Ainsi la science et la morale se trouvent elles-mêmes interprétées en termes de particularismes fanatiques, de cultures rivales, de nations ou de « races ». Strauss établit de la sorte un lien entre le relativisme et son retournement en fanatisme, comme il établit un lien entre le relativisme des valeurs culturelles et leurs conversions en différences incommensurables. Strauss, Gérald Sfez

La disposition d’esprit du Moderne : il s’est accoutumé à la dérogation de la règle au point d’en faire la règle, habitué à la transgression de la loi au point d’en faire la loi. Le jugement politique ne pose alors plus de problème moral, l’art politique n’a plus à s’interroger sur la différence entre la pluralité des cas rencontrés. Le Moderne tire parti de l’aporie qui est un fait d’exception pour discréditer toute légitimité morale et politique. C’est là une perversion de la raison et une facilité que se donne l’acteur politique : gouverner, ce n’est plus qu’entériner le fait de l’extrême comme ce à quoi il faut se résigner. Sous ce mode, il n’y a plus d’acte politique risqué. Strauss, Gérald Sfez

La modernité se constitue à la fois dans une révision à la baisse des idéaux humains et dans une réévaluation à la hausse du pouvoir technique de l’homme. Strauss, Gérald Sfez

L’économisme est le machiavélisme parvenu à maturité40. Strauss, Gérald Sfez

 

On ne se réfère plus à la vertu comme à une fin naturelle de l’homme en tant que perfection de sa nature. Rousseau entérine la critique de la raison, accorde les pleins pouvoirs à la passion : il fait de l’affect l’instance pour juger de la corruption de la raison, et de la pitié, la ressource de la morale ? Strauss, Gérald Sfez

La base même de la pensée politique de Rousseau est dès lors une dévaluation des idéaux. Si la pitié est une donnée fondamentale de la relation à l’autre qui s’accorde avec la conservation de soi, la morale qui en découle est restrictive. Elle substitue à la maxime sublime de justice raisonnée « Fais à autrui comme tu veux qu’on te fasse », cette autre maxime de bonté naturelle, bien moins parfaite mais plus utile peut-être que la précédente : « Fais ton bien avec le moindre mal d’autrui qu’il est possible » On ne saurait trouver meilleur exemple de révision à la baisse des devoirs envers autrui et d’inversion du sens de l’équité. À la différence de la pensée classique, la correction de la justice ne consiste pas dans le fait de prendre moins que son dû, mais bien au contraire dans celui de prendre plus que son dû, tout en laissant une part à l’autre. Strauss, Gérald Sfez

Tous les idéaux sont les produits d’actes créateurs de l’homme, de projets humains qui ont formé l’horizon dans lequel les cultures ont été possibles sans synthèse entre elles. Strauss, Gérald Sfez

La vie bonne ne consiste plus dans la conformité à un modèle antérieur à la volonté humaine mais dans la génération du modèle lui-même. Strauss, Gérald Sfez

La volonté de toute-puissance est l’impasse absolue à laquelle conduit l’ère des valeurs. Encore une fois, c’est en voulant faire un pas contre la modernité antérieure que le penseur s’enfonce dans le gouffre de la modernité. Strauss, Gérald Sfez

Rousseau, lui, ouvre la voie au jacobinisme, et, bien que Nietzsche se soit déclaré comme un adversaire résolu du mouvement pangermaniste et du nationalisme allemand montant, l’implication politique de cette troisième vague s’est révélée être le fascisme44. Comment penser la relation entre modernité philosophique et modernité politique ? Nullement selon le mode d’un rapport de cause à conséquence, mais selon la reconnaissance d’une parenté diffuse qui n’en a pas moins été active. Strauss déclare souvent que Nietzsche ne cesse de se démarquer de l’orientation fasciste et qu’on ne peut la lui imputer, mais qu’en même temps, sa pensée n’en est pas absolument indemne. En interprétant Nietzsche à la lumière de la révolution allemande nazie, écrit Strauss, « on est très injuste envers Nietzsche, mais on n’est pas absolument injuste45. » De même, pour Rousseau. À leur propos, Strauss porte un jugement équilibré sur la question en écrivant :  « [Nietzsche] est aussi peu responsable du fascisme que Rousseau n’est responsable du jacobinisme. Cependant, cela signifie qu’il est autant responsable du fascisme que Rousseau l’a été du jacobinisme46. » La formule mérite d’être entendue dans toute son équivoque. Strauss, Gérald Sfez

Montée en puissance de la « discrimination », la faiblesse de l’idéal des Lumières modernes pour s’y opposer, signe de l’impasse générale de la modernité. Strauss, Gérald Sfez

La sphère privée est protégée par la loi, mais la loi ne peut y pénétrer2. L’État du moindre État s’interdit toute « discrimination ». Le paradoxe est que ce qui met à l’abri d’un pouvoir tyrannique de l’État rend possible la tyrannie que la société exerce envers telle ou telle de ses propres fractions. L’État libéral ne peut la réprimer pour la raison même qu’il s’interdit toute intervention sur la société. Dès lors, reconnaître une sphère privée et une indépendance de la sphère sociale à l’égard de l’État conduit à admettre la « discrimination » privée, à la protéger, voire à l’encourager de fait. Strauss, Gérald Sfez

Dans sa version dégradée, la souveraineté de l’individu n’exige d’autre conscience que de soi seul et de ses propres besoins. Les individus n’ayant pas de comptes à rendre, ils sont tous également irresponsables. Ainsi, alors que le noyau de la démocratie libérale est l’individu doté de conscience, le noyau de l’égalitarisme permissif est seulement l’individu satisfaisant ses besoins pressants6. L’aboutissement moderne de la démocratie libérale en est à la fois la perversion et le déclin, l’entrée dans un autre monde politique. Autant la démocratie libérale stricto sensu implique un sens du devoir et le sacrifice de ses besoins, voire de sa vie, pour des valeurs de liberté et de justice, autant sa combinaison avec un relativisme des valeurs poussé jusqu’au bout donne à une modernité dénuée de tout courage la victoire sur la démocratie elle-même. Strauss, Gérald Sfez

En enseignant l’égalité stricte de tous les désirs, le relativisme nie qu’il existe des « valeurs » intrinsèquement nobles ou intrinsèquement basses, et contribue par là à la victoire de ce qu’il y a de plus bas7. Strauss, Gérald Sfez

Les choses peuvent en arriver au point où le démocratisme ne peut rien trouver à objecter à ceux qui demandent l’abandon de la démocratie libérale. Strauss, Gérald Sfez

Le combat contre l’« antisémitisme » est, dès lors, nécessairement défensif et mal engagé. Il empêche de voir la haine envers les juifs dans sa nudité, mais aussi de reconnaître l’importance qu’ont la référence religieuse, l’histoire juive (qui ne se réduit pas à l’histoire d’une persécution) et le judaïsme spirituel. Strauss, Gérald Sfez

Transformation future de l’État moderne en un État d’autant plus autoritaire qu’il est celui du peuple ou de sa majorité, sans qu’il n’y ait plus d’instance de recours, comme cela pouvait être le cas dans les États despotiques anciens. Il n’est plus d’intercesseur possible dans un État qui se prévaut de la légitimité du demos et qui est l’expression de la démocratie de masse. Strauss, Gérald Sfez

Strauss est d’abord un adversaire du libéralisme. Il en critique la « neutralité » qui revêt, selon lui, deux aspects liés. L’un consiste dans la détermination libérale des rapports entre État et société et dans la neutralisation libérale du religieux, consécutive à sa séparation du politique. L’autre tient à ce que, dans un ordre politique et social fondé sur la diversité des « cultures », le choix délibéré en faveur d’une morale à valeur universelle, au détriment des autres, perd son sens. Sur ces deux bords, le politique est affaibli et l’inspiration morale de la politique effacée. Strauss, Gérald Sfez

Fondamentalement eudémoniste, le libéralisme encourage la croyance en l’idée selon laquelle la bonne société et l’équilibre intérieur sont fonction du bien-être et non de la valeur morale des hommes qui la composent. Strauss, Gérald Sfez

Le libéralisme démocratique accorde une confiance imaginaire aux institutions juridiques et économiques, en ignorant le rôle essentiel joué par les qualités morales des hommes dans ce qu’ils en font, en n’accordant pas assez d’importance à la formation du caractère moral, qui est pourtant le facteur politique essentiel. Strauss, Gérald Sfez

Mettre en cause notre confiance dans la démocratie représentative. Cette dernière postule que le gouvernement démocratique est responsable devant les gouvernés et, qu’en retour, les gouvernés sont responsables devant les gouvernants. Mais, en fait, nul n’a de véritable autorité car la responsabilité y est bien faible, puisqu’en l’absence d’éducation, les gouvernants tiennent leur légitimité du fait d’être responsables devant des irresponsables et du consentement de ces derniers. Par suite, ils ne sont légitimés dans leur action politique qu’à la condition d’aligner leur action sur les désirs de citoyens irresponsables. En prenant l’individu pour référent ultime, le libéralisme exacerbe le sentiment de la souveraineté de l’homme. Fondamentalement opposé au tracé de limites restreignant le pouvoir de chacun comme celui de l’homme en général, et à toute reconnaissance d’une hétéronomie du bien et du mal, le libéralisme démocratique est une illusion sans héroïsme. Strauss, Gérald Sfez

Défendre la démocratie moderne, même si la démocratie de masse expose l’excellence humaine à des périls. C’est par une culture de l’éducation libérale la plus largement diffusée possible ou encore, selon ses mots, d’un « aristocratisme élargi », qu’on peut le faire, parce que la démocratie de masse ‒ à l’exemple de la démocratie antique et prémoderne ‒ donne à tous la liberté, et la donne donc aussi à ceux qui se soucient de l’excellence. Strauss, Gérald Sfez

Modernité qui dévalue l’horizon et élève le moindre mal à la fonction d’idéal. Strauss, Gérald Sfez

Fémocratie moderne et tyrannie moderne, le fond qui leur est commun et qui revêt deux aspects : la domination croissante de la popularisation, le crédit accordé au pouvoir technique des conditions sur la conscience des hommes. Strauss, Gérald Sfez

Socrate nommait ses enquêtes morales une quête du « véritable art politique » et Aristote appelait son examen de la vertu et des sujets qui lui sont relatifs « un genre de science politique »28. La politique moderne procède à l’effacement d’une valeur transcendante du bien et du mal. Le régime préférable de la politique moderne, qui donne le ton, celui de l’État de droit et de la démocratie libérale, est articulé à la valeur rectrice, non de la recherche du meilleur, mais du moindre mal ; elle incarne le refus des « régimes » autoritaires que sont, en fait, les tyrannies modernes. Strauss, Gérald Sfez

Ce n’est pas sur des lois ayant pour origine le peuple et sur l’autonomie de la volonté populaire que se fonde la politique légitime, mais sur la relation d’aspiration et de respect envers la transcendance. Strauss, Gérald Sfez

Nous sommes placés devant l’alternative entre particularisme et universalisme35 ? Nous nous trouvons face, au mieux, à des formes politiques qui proposent un ordre des choses, tournées vers des valeurs spécifiques (la tolérance pour la société libérale36, l’égalité pour la démocratie37), ce qui correspond à un des deux aspects de la notion de régime, tout en perdant de vue son autre aspect, la visée de l’au-delà de « ce qui est à nous »38, l’exigence d’être partisans de l’excellence. Au pire, nous sommes confrontés au projet de faire coïncider le gouvernement politique et l’universalité de l’homme bon à l’échelle mondiale, suivant un projet universaliste aussi impossible que destructeur, engageant des hégémonies indiscutables et perdant de vue l’idée même de moralité publique spécifique. Strauss se demande en l’occurrence si le particularisme n’est pas meilleur que l’universalisme. Strauss, Gérald Sfez

Est dite « close » une société qui ne vise pas à s’élargir à l’ensemble de l’humanité, à s’étendre jusqu’à se dissoudre dans un État mondialisé ou universel, qu’il soit monolithique ou fédéral42. C’est une société partielle ou particulière43 qui a des frontières44 et, de préférence, un État souverain pour la régir45. Fidèle à Aristote, et même à Rousseau, Strauss pense qu’une société politique ne doit être ni trop étroite ni trop large pour que l’homme atteigne sa perfection46. C’est l’ouverture comme mot d’ordre et comme panacée qu’il conteste, de même que l’idée selon laquelle le monde entier devrait devenir démocratique et qu’il s’agirait de l’y forcer, comme si c’était la condition pour que sa propre société démocratique ne soit pas elle-même en danger, et qu’il soit du devoir du démocrate d’universaliser le régime démocratique, qu’il y aille de sa responsabilité, partant de sa sincérité. Strauss, Gérald Sfez

L’illusion consiste à supposer que la valeur d’universalité de principe devait nécessairement se traduire en une universalité de fait47. Strauss, Gérald Sfez

Ce qui fait la valeur du monde occidental ‒ si « valeur » signifie ici un ordre de choses que l’on révère52 et dont les contours ne sont jamais arrêtés ‒, c’est que les sociétés s’y comprennent en fonction d’un dessein universel et que perdre leur foi en un tel dessein c’est perdre du même coup tous leurs repères53. Strauss, Gérald Sfez

 « L’inégalité sociale persistera tant que l’homme existera »54. Strauss, Gérald Sfez

Il faut prendre acte des illusions du progressisme et de l’égalitarisme, des désastres de leur idolâtrie. Strauss, Gérald Sfez

Contre tout prosélytisme et toute exportation du modèle de la démocratie au nom d’un humanisme hégémonique fondé sur un manichéisme. Strauss, Gérald Sfez

Le terme de « culture », au contraire, nous dit Strauss, est, en premier lieu, un terme incertain car il « laisse dans l’indétermination ce qu’est la chose qu’il s’agit de cultiver (le sang et la terre ou l’esprit) »57. Strauss, Gérald Sfez

Le fait d’avoir retiré à l’État la charge de cette fin ‒ le bonheur ou la poursuite de la fin relevant d’un choix subjectif ‒ signifie que la poursuite des buts spirituels du citoyen et de l’homme est confiée à la société : elle s’énonce désormais sous le terme de « culture », ce terme désignant ce qu’il y a de supra-politique dans les fins de l’homme et le fait que ce soit au privé que revienne l’essentiel. Strauss, Gérald Sfez

Fondée sur le déclassement du paradigme de « régime » et sur les bases du droit naturel moderne, la notion de « culture » présente d’abord le défaut de ne plus impliquer de reconnaissance d’une hiérarchie entre les divers éléments de cette culture, contrairement à la notion originelle de « cité »61. Elle implique une relativité et un nivellement de ses différents éléments. Un même esprit relativiste, qui veut que tous les éléments d’une culture occupent un rang égal, préside à l’idée de l’égal accueil de toutes les autres cultures que la culture occidentale : elles deviennent toutes comparables dès lors que les hiérarchies spécifiques sont effacées. Strauss, Gérald Sfez

Ainsi assiste-t-on à un ethnocentrisme qui fait tort aussi bien à la civilisation occidentale qu’aux autres civilisations, alors que la règle de respect la plus élémentaire, qui est la règle même de la connaissance, serait de comprendre ces cultures comme elles se comprennent elles-mêmes62. Strauss, Gérald Sfez

Courant profond de la politique moderne : celui d’un universalisme de fait, propre à un monde uniforme, la mondialisation d’une civilisation entre des cultures tendanciellement identiques et le consentement affiché à une pluralité indistincte, une façon simultanée de mal faire un et de mal faire plusieurs, pour reprendre une expression platonicienne. Strauss, Gérald Sfez

La persévérance d’une persécution et d’une « discrimination » irréductibles envers les juifs est le symptôme par excellence du défaut constitutif de la démocratie libérale abandonnée à elle-même. Elle prouve que la démocratie libérale ne remplit pas le projet d’émancipation qui est le sien. Strauss, Gérald Sfez

Les juifs sont persécutés et, par là même, pour ainsi dire, contraints de rester juifs. Strauss, Gérald Sfez

Il est impossible de fuir ses origines, il est impossible de se débarrasser de son passé en souhaitant qu’il disparaisse64. Strauss, Gérald Sfez

La création de l’État d’Israël, État-Nation qui est le leur, offre une solution. Comme le dit Herzl : « L’ennemi fait de nous une nation, que cela nous plaise ou non66. » Strauss, Gérald Sfez

 « Si je ne suis pas pour moi, qui le sera ? Et sinon maintenant, quand ? » Il a omis la phrase qui constitue le centre du propos de Hillel : « Et si je suis seulement pour moi, que suis-je68 ? » Strauss, Gérald Sfez

L’assimilation est une impasse (au sein de chaque État-nation comme dans le cas d’un alignement de son propre État sur le modèle des autres États-nations). Renoncer à soi, ce n’est pas seulement un coup pour rien, c’est une défection qui consiste à se priver des ressources du sentiment d’appartenance à son histoire et à cesser d’être porteur de la valeur universelle Strauss, Gérald Sfez

L’avènement de l’État d’Israël ne peut être un signe historique sans envelopper la présence allusive du religieux. Strauss, Gérald Sfez

: « Les problèmes finis, les problèmes relatifs peuvent trouver une solution, les problèmes absolus, les problèmes infinis ne le peuvent pas78. » Strauss, Gérald Sfez

À tous les points de vue, il semble que le peuple juif soit le peuple élu, au moins au sens où le problème juif est le symbole le plus manifeste du problème humain en tant que problème social ou politique79. Strauss, Gérald Sfez

Les juifs sont élus pour prouver l’absence de rédemption80. Les juifs sont les témoins vivants de l’histoire répétitive et indépassable de la servitude et de la libération, de l’émancipation toujours en action, de la persécution interminable et de la résistance à celle-ci, non moins interminable. En ce sens, ils sont les témoins parlants de l’absence de rédemption : toute la pensée juive affirme qu’il n’y a pas de rédemption totale. Strauss, Gérald Sfez

La Loi est une certitude, mais elle est indifférente à la sécurité ou à l’insécurité où nous serions placés et ou elle nous placerait88. Strauss, Gérald Sfez

 « Tout comme une affirmation ne devient pas vraie parce que l’on montre qu’elle est réconfortante, de même, elle ne devient pas vraie parce que l’on montre qu’elle est terrifiante89. » Strauss, Gérald Sfez

Le judaïsme éclairé, qui accorde ensemble la vraie modération et le vrai courage, passe par la mise hors-jeu de la quête du réconfort ou de l’exposition orgueilleuse à la détresse. Pour comprendre les termes de la mauvaise alternative de la modernité, il nous faut saisir la bifurcation à laquelle Spinoza nous a conduits. Strauss, Gérald Sfez

En demandant aux juifs de se renier pour se préserver, Spinoza épouse, en même temps, tous les traits d’un humanitarisme où la fin ‒ sauver sa vie ‒ justifie tous les moyens, celui de renoncer à soi. Strauss, Gérald Sfez

Préserver la continuité de la tradition100, ce n’est pas exclure le neuf, car « le neuf ne surgit pas du rejet ou de la destruction de l’ancien, mais de sa métamorphose, de sa réinvention. » Strauss, Gérald Sfez

Une philosophie servante de la théologie et une théologie servante de la philosophie, n’est plus de mise, pas plus que la prétention de la théologie à unir par elle-même foi et savoir.

Les Anciens envisageaient la possibilité d’un progrès intellectuel infini mais non l’idée d’un progrès général et irréversible de toute l’humanité sur tous les plans de son existence. Strauss met en évidence la disproportion entre le progrès du pouvoir technique de l’homme et l’état de son savoir, en termes d’intelligence et de sagesse de ses fins. Selon son expression forte, « l’homme moderne est un géant aveugle1 ». L’accroissement du pouvoir de l’homme s’est accompagné, non d’un plus haut degré de civilisation, mais selon les propres termes de Strauss, d’une « barbarisation ». Strauss, Gérald Sfez

La science a cessé d’être contemplation ou compréhension (theoria) pour n’être plus qu’une interprétation hypothétique du monde dont la valeur de vérité se juge à ses effets pratiques.

Le dieu grec, comme le montre la pensée d’Aristote, n’est pas essentiellement tourné vers la justice, mais vers la pensée10. À la différence du Dieu biblique, il n’est pas tout-puissant. L’omnipotence des dieux grecs est toute relative. Elle tient à leur connaissance exacte d’un ordre des choses qui leur préexiste et obéit à une nécessité impersonnelle, celle de la nature des choses, ce savoir leur permettant d’intervenir. Ils sont tout-savants, mais non pas tout-puissants. Leur omnipotence, restant dépendante d’un réel qu’ils ne créent pas, est limitée. Strauss, Gérald Sfez

La philosophie grecque comme la Révélation juive ignorent toutes deux l’anthropocentrisme, caractéristique de la modernité. Strauss, Gérald Sfez

Le juif a connaissance de la Loi avant de la chercher tandis que le Grec est à sa recherche. Strauss, Gérald Sfez

Sur le terme de « loi », il y a presque une homonymie parce que la loi pour les Grecs est essentiellement politique, c’est-à-dire reconnaissance de l’égalité civile et sociale, alors que la loi divine juive est responsabilité du bien et du mal et ne concerne la question de l’égalité sociale que secondairement et par voie de conséquence. Strauss, Gérald Sfez

L’antagonisme entre Révélation et raison tient à ce qu’aucune des deux ne peut réfuter l’autre. Strauss, Gérald Sfez

Différend entre deux discours légitimes ? D’un côté, la demande de preuves que la raison adresse à la Révélation est indéfendable. Ou bien la Révélation ne peut fournir de preuves et se voit dès lors déboutée. Ou bien elle peut les fournir et se trouve alors réduite à la raison, et du même coup s’anéantit elle-même. De ce fait, « la philosophie, écrit Strauss, exige que la Révélation établisse sa prétention devant le tribunal de la raison humaine, mais la Révélation en tant que telle refuse de reconnaître ce tribunal33 ». La philosophie, qui ne peut reconnaître que les expériences qui relèvent de son idiome, commet ainsi un tort envers la Révélation : d’où la résistance de cette dernière. Strauss, Gérald Sfez

Tésistance réciproque et sans fin entre le présupposé de la croyance inhérent à la Révélation et celui de l’absence de croyance inhérent à la philosophie35. Strauss, Gérald Sfez

C’est là une des marques de la posture radicale que, dans la critique qu’elle conduit de la modernité, elle ne fait que l’aggraver toujours davantage et la pousser à ses dernières conséquences. Strauss, Gérald Sfez

Toute synthèse est un syncrétisme inférieur aux éléments qu’elle unit. Elle n’ajoute ni ne parachève ; elle soustrait et neutralise. En elle-même, la solution de la synthèse n’est jamais bonne du fait même qu’en soi la réunion de deux universalismes est impossible. Strauss, Gérald Sfez

Ol sautait aux yeux que la pensée nouvelle de Heidegger conduisait fort loin de toute charité et de toute humanité47 », sa force critique est désormais de saisir la nature de l’impasse et du tort de Heidegger. Ce dernier a tenté de penser l’Être sans la Loi, non seulement à partir de l’antériorité spéculative de la contemplation de l’Être (le pôle grec), opposée à l’antériorité originaire du respect de la Loi (le pôle juif), mais sans la moindre trace d’aucun type de loi. Vouloir penser l’Être sans faire place à la loi implique le refus du politique en tant qu’il la suppose, ainsi que l’impossibilité d’une critique de la tyrannie. Cela implique aussi un manquement à la pensée de l’Être même, car l’hellénisme conjuguait, lui, les deux universalismes en subordonnant la loi à l’Être sans éradiquer ce que la politique doit à la loi. Strauss, Gérald Sfez

La décision unilatérale en faveur d’une Grèce épurée de son rapport à la loi ne retient plus d’Athènes qu’un « penser » nu, qui, privé de rationalité, n’est plus qu’une pensée vide, son allégation. Strauss, Gérald Sfez

Vers le point de vue de la Révélation, le croyant est-il, quant à lui, dans la situation du choix ? Nullement. Il est interpellé par le divin, convoqué par la Loi, et il répond : « Me voici ». Il s’agit, là aussi, et plus ouvertement, d’une vraie foi. La foi du croyant n’est pas une obéissance aveugle mais la réception de la Loi de Dieu. Strauss, Gérald Sfez

La persévérance de la philosophie tient à sa fonction définitivement interrogative, à son ambition de présenter, non le Tout, mais l’Idée virtuelle du tout et d’en faire voir des esquisses. Du côté de la Révélation, la foi se trouve dégagée du savoir théologique, des dogmes simples de la création ex nihilo, de la contrainte cérémoniale, pour se centrer sur la seule Loi transcendante sans attendre une réconciliation absolue avec elle et une levée de la Loi. Strauss, Gérald Sfez

Il existe un désaccord inconciliable entre judaïsme et christianisme : le christianisme dépend du judaïsme et non l’inverse ; le christianisme doit apprendre du judaïsme ; il n’existe pas de tradition judéo-chrétienne entre Révélation et raison, elle en aiguise désormais l’exactitude, en se situant entre la destination interrogative de la philosophie et la vocation éclairée de la Loi juive. Strauss, Gérald Sfez

Qu’est-ce qu’Israël a de plus à offrir au monde qu’une éternelle patience72 Strauss, Gérald Sfez

Nietzsche s’est trouvé pris dans une aporie vécue dans la douleur, dont il n’a pu sortir. D’une part, il voit que la morale biblique, celle du bien et du mal, suppose le dieu biblique74, alors même que nous voudrions, en tant que modernes, avoir l’une sans l’autre, en cherchant par là même l’impossible. Et d’autre part, l’athéisme final qu’il défend, l’athéisme par probité, est lui-même, quoi qu’il en ait, un descendant en droite ligne de la morale biblique75. Strauss, Gérald Sfez

Quelle est la voie possible pour une philosophie athée qui soit, en même temps, au plus près de la formule originaire de la morale. Strauss, Gérald Sfez

Socrate « les forçait de convenir que c’était au même homme qu’il revient de savoir composer des comédies et des tragédies, et que l’art qui fait le poète tragique est aussi celui qui fait le poète comique. Strauss, Gérald Sfez

Contrairement à l’opinion généralement répandue, l’esprit moderniste et prétendument progressiste des années 1960, loin de favoriser un progrès des droits, a tout juste récolté le bénéfice des percées des années 1950 quant à l’extension des droits civiques, et substitué, au contraire, à la référence aux droits naturels de l’homme et aux critères du bien et du mal, l’esprit du relativisme et de l’indifférence. Strauss, Gérald Sfez

La promotion de la notion de valeur, intrinsèquement liée au relativisme et fort opposée à l’affirmation de droits inaliénables de l’homme, revient à une abdication du jugement : le jugement est devenu un vice11. Strauss, Gérald Sfez

Les formes de vie doivent s’équivaloir nécessairement (c’est l’impératif de l’égalitarisme), la recherche du meilleur est jugée non pertinente et l’appréciation de l’excellence humaine sans légitimité. Nul n’est en droit de viser une telle excellence ni d’y prétendre, sous peine d’être inculpé d’orgueil. Strauss, Gérald Sfez

Contrairement à ce que le slogan affiche, loin de signifier un intérêt pour la culture de l’autre, le mot d’ordre de l’ouverture réduit toutes les cultures dans leur épaisseur à la mise sur le même plan de toutes les manières de se comporter, sans distinction qualitative entre elles, élevées au rang de « styles de vie. Strauss, Gérald Sfez

La mauvaise conscience de l’ethnocentrisme conduit de même, comme l’avait remarqué Strauss, à jeter l’anathème sur toute pensée de la distinction tenue pour un geste de « discrimination13 », dans un usage pléthorique et amorti de ce terme. Strauss, Gérald Sfez

Dans un univers où toutes les formes de liens sont homogénéisées dans leur indétermination19 et ne sont plus que des « relations », il n’y a plus d’éros, de passion pour quelqu’un ou quelque chose. Strauss, Gérald Sfez

Sentimentale signifie que nous sommes devenus « des solitaires sociaux21. » Il n’y a pas plus d’amants vertueux qu’il n’y a d’amants passionnés, et l’un ne va pas sans l’autre. Strauss, Gérald Sfez

Tout se passe comme si les êtres humains n’étaient plus habités. Dans le même temps, notre société s’est délestée de la rationalité tout en remplaçant la religion par la quête de la religiosité23 la plus opaque, obscurantiste et indéterminée, la rhétorique de la créativité. Strauss, Gérald Sfez

Les Lumières posaient, en effet, les principes de construction d’un ordre moral qui avait l’avantage d’orienter les hommes vers les vertus par le truchement des passions25. S’ouvre, désormais, une société totalement contradictoire où il est demandé à l’individu de faire coexister impérativement en lui la révolution relativiste, le devoir de respecter toutes les cultures à égalité et tous les rituels de ces sociétés ‒ à commencer par ceux qui s’accompagnent de la violation des femmes ‒, avec la révolution féministe, ce qui exige du sujet un dédoublement de soi et un cloisonnement insensés. Strauss, Gérald Sfez

Cette société n’a rien à apprendre du passé et l’idée de progrès s’y résume au préjugé selon lequel le nouveau a toujours déjà périmé l’ancien, éclipsé comme inférieur. Strauss, Gérald Sfez

Tout se passe comme si l’Occident avait produit, selon l’expression de Pierre Manent, un nihilisme light26 et, toutes proportions gardées, une sorte de Révolution culturelle soft, une table rase sans massacre ni autodafé qui raye d’un trait de plume l’instruction des fondements des grandes civilisations, Strauss, Gérald Sfez

La tradition y est seulement transformée en information, contemporaine des genres masculin/féminin et, avec elle, l’oubli des valeurs du vir romain, du courage, de la prise de responsabilité et de la prise en mains, de ces traits de virilité (pas nécessairement masculine) tournée vers les valeurs du thymos grec, du courage et de la faculté de prendre des risques en son propre nom pour le bien de la cité. Strauss, Gérald Sfez

Le juif est haï du fait de son caractère irrepérable, entre particularité et universalité : on ne peut le reconduire, en effet, ni à une identité assignable ni non plus à la dissolution de toute identité dans une universalité abstraite (comme c’est le cas du christianisme ou de l’humanisme). Strauss, Gérald Sfez

Ambition moderne d’universalisme cosmopolitique, inhérente à une politique des droits de l’homme qui se veut mondiale et tend vers un État homogène universel. Strauss, Gérald Sfez

La naissance de la tyrannie part de la révolte, au sein d’une société close, d’une jeunesse exaltée contre le monde utilitaire, du sens du sacrifice de la vie et des biens terrestres, alors que « la société ouverte ne connaît pas le sublime »27, mais cette recherche, lorsqu’elle se déclare dans le vide de toute affirmation et dans l’insuffisance de sa négation, est vite dévoyée et s’abîme dans le contraire du courage, l’orgueil d’une témérité, détachée qu’elle est de ce qui devrait diriger le courage, la distinction du bien et du mal. La volonté tyrannique est l’expression du faux-ami du courage et, par là même, d’un prétendu courage qui ne se compose pas avec la modération. Strauss, Gérald Sfez

Strauss tient tout entière dans la façon dont les deux pôles d’Athènes et de Jérusalem, celui de la philosophie et celui de la religion, peuvent prendre effet, aujourd’hui, localement et partiellement, dans la politique concrète, en changeant la direction du projet moderne et en infléchissant le cours des temps présents. Strauss, Gérald Sfez

La politique ne relève plus désormais que d’interventions actives à contre-courant de la société moderne et en prenant acte de l’écart par essence entre la politique et le spirituel. Strauss, Gérald Sfez

La politique moderne ne soit pas celle d’une émancipation généralisée, ni irréversible, n’empêche pas, sinon des progrès partiels, locaux, intermittents, du moins une montée en puissance de la conscience des droits et, partant, des devoirs, qui majorent, sans doute, la douloureuse prise de conscience de l’écart à l’échelle mondiale entre les principes et les faits. Strauss, Gérald Sfez

L’athéisme radical des Lumières modernes dont le caractère virulent tirait un trait sur l’importance de la transcendance de la Loi. Strauss, Gérald Sfez

 

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