Au-delà des
frontiéres, Andreï Makine, Grasset
« Les paroles
interdites, c’est de l’eau qui bout. On a beau presser le couvercle, un jour,
la marmite explose… »
L’islam conquérant et
dangereux ? Pas du tout ! expliquait-elle. Une réaction naturelle des
peuples face à l’impérialisme américano-sioniste ! La déferlante
migratoire qui dévaste l’Europe ? Non, juste le prévisible retour de bâton
contre les anciens colonisateurs ! L’impossibilité de créer une
civilisation viable avec ce pot-pourri multiethnique ? Au contraire, c’est
le creuset d’une ère nouvelle, la matrice d’un homme qui rejettera les chimères
nationalistes.
Elle lui apprenait la
terminologie antiraciste, la phraséologie des droits de l’homme, le vocabulaire
du multiculturalisme.
Ce qui partait en fumée
c’était leur grammaire de mensonges qui avait si longtemps tenu la France en
otage.
A force d’exalter la
« diversité », elle et ses amis avaient livré le pays aux hordes
barbares.
« people »,
penseurs télégéniques, starlettes décérébrées, footballeurs milliardaires…
Cette caste futile côtoie des femmes voilées et des hommes barbus auxquels se
mêlent les promoteurs du multiculturalisme, ce « mélangisme »
obsessionnel qui a toujours cohabité, dans ces « têtes pensantes »,
avec les revendications ethnicistes les plus effrénées.
Le Monde, rebaptisé Gloria
Mundi, est devenu, à la stupéfaction générale, un excellent journal
d’information. Ses collaborateurs en avaient les yeux exorbités – tant était
grand l’ahurissement de ne plus faire de la propagande quotidienne.
Le quartier est « multiculturel »,
un « brassage » que prônent les intellectuels et où ils ne viendront
jamais habiter.
Les conversations, à
l’« apéritif dînatoire », entrent en résonance avec Le Grand
Déplacement, comme souvent quand un livre que nous venons de lire nous impose
la texture de son temps et le rythme de ses phrases.
Son but suprême est
l’intégration. Mais s’intégrer à quoi ? À cette bulle de bobos bien
protégée des dérangements extérieurs ?
Tolérance, migrants,
vivre-ensemble, multiculturalisme, art contemporain, pas d’amalgame… Cependant,
on y sent une évidente fatigue verbale, un doute lancinant, la crainte d’une
imminente démystification, d’une culpabilité bientôt établie.
Les bouches et les gazettes
psalmodient des mantras humanistes mais les cerveaux savent que de moins en
moins de naïfs se laissent berner. La lassitude du langage… »
La fréquence des suicides le
prouve : pour tuer l’être social qu’on a fait de lui et dont il souffre,
l’homme tue son être biologique…
Certains veulent quelque
chose de tout. D’autres tout de quelque chose. Moi, je veux tout de
tout ! »
Car j’étais le grand Onassis
contraint à aimer les symboles voraces de la farce humaine et non pas les
femmes aux beaux visages las, aux grands corps généreux, à la lenteur qui
répondait à une mer assoupie… Je voulais avoir tout de tout et je crois l’avoir
possédé, autant qu’un homme peut le faire. Sauf que maintenant, je découvre que
ce tout n’est rien. Et que le vrai tout est du côté de la poissonnière dans sa
robe détrempée, dans la senteur du thym sur son brasero, dans cet instant
venant d’une vie divinement autre et que j’ai manquée. »
Car les races se sont
toujours mélangées, ce qui avait l’avantage de nous éviter le dépérissement du
génome.
Les Occidentaux s’amusent
avec leur gestation pour autrui, alors que ces milliards veulent juste éviter
de crever de faim.
Bien sûr, la productivité
exterminatrice est maximale pendant la guerre. Mais dans les batailles, on tue
un ennemi, on défend sa patrie. Tandis que dans nos paisibles sociétés
civilisées, combien de meurtres sont perpétrés pour des raisons futiles !
Famille, bureau, intimité amoureuse sont des milieux hautement criminogènes où
les faibles subissent une pression telle qu’ils en tombent malades ou se
suicident.
Ce ne sont pas les faits qui
provoquent en nous tel ou tel sentiment, mais ce sont les jeux de notre
psychisme qui génèrent ces faits.
La psychanalyse prospère
grâce à ce besoin de drogues passionnelles. Le psy aide le patient à s’inventer
un passé chargé d’ambiguïtés, à se sentir profond, dédaléen, oui, à connaître
le bon usage des stupéfiants que notre psychisme fabrique. »
Tel philosophe aime les
Tartares, pour être dispensé d’aimer ses voisins », Rousseau.
Ces vies radieuses
m’effraient – leur tranquille assurance, leur transparence, l’absence de la
question : “À quoi bon ?”. Aller à un concert pendant que des
milliers d’enfants sont déchirés par les bombes, en Irak ou en Syrie ?
L’obscénité de cette orgie musicale sert à escamoter la guerre, à protéger le
confort mental des bobos. Vous savez à quel point j’exècre les intégristes
barbus, oui, vous le savez ! Mais je me demande si tout au fond de leur
âme noire ne veille pas la flamme d’une impitoyable et cinglante envie de
vérité. »
Jamais auparavant nous
n’avons autant senti l’épaisseur de la masse humaine prête à nous sauter à la
gorge pour défendre ses « acquis ».
Racisme et antiracisme,
passéisme et révolution, laïcisme et fanatisme, cosmopolitisme et populisme
sont deux moitiés d’une même scène où s’affrontent les acteurs, incapables de
quitter ce théâtre.
Pour nous rassurer sur nos
valeurs humanistes vermoulues, nous les enseignons aux autres.
Il croyait encore à la
sincérité des convictions… La réalité est toute bête : un jeune qui
choisit ce métier doit reformater son cerveau à la pensée autorisée. Et, plus
tard, il a une famille à nourrir, une maîtresse, une résidence secondaire à
payer… Donc obligé de mentir pour garder son temps d’antenne ou sa rubrique…
Les peuples faiblissent, se
renient et sont écartés par ceux qui, encore, désirent désirer.
« S’il n’existe pas
d’aptitudes raciales innées, comment expliquer que la civilisation développée
par l’homme blanc ait fait les immenses progrès que l’on sait, tandis que
celles des peuples de couleur sont restées en arrière, les unes à mi-chemin,
les autres frappées d’un retard qui se chiffre par milliers ou dizaines de
milliers d’années ? Claude Lévi-Strauss.
Hugo ne disait pas autre
chose : “Le Blanc a fait du Noir un homme.” Aujourd’hui, pour ce bon mot,
notre Victor national serait pendu haut et court. »
Au-delà de toute
appartenance raciale, sociale ou religieuse, nous sommes définis par ce choix –
s’endormir dans la masse ou bien refuser le sommeil.
La religion console les
névrosés de la brièveté et du manque : ce qui ne peut pas être possédé
ici-bas – est promis après la mort. Dans l’islam, la rétribution est tangible
(soixante-dix vierges), les chrétiens se contentent d’un paradis
anaphrodisiaque.
Cette partie de la ville est
marquée par la « diversité », diraient les adeptes du métissage.
« Par l’immigration africaine », rétorqueraient leurs opposants. La
tante tient des propos teintés d’ironie : « Si mon cher époux m’avait
dit que nous vivrions, un jour, entre une boucherie halal et une salle de
prière salafiste, je l’aurais amené voir un psychiatre. »
C’est le nombre qui définit
la rapidité de l’évolution – les immigrés sont d’abord un groupe, puis une
communauté et, enfin, un peuple. Et les deux peuples peuvent rester en paix
mais aussi se déclarer une guerre…
Comme tant d’autres, elle
croyait inimitable le destin qu’elle se fabriquait avec les éléments les plus
prisés par la société : aventures tiers-mondistes, progressisme sociétal,
libertinage multiethnique… Mais, très vite, elle s’est vue mal profilée pour
notre époque de vêtements et d’idées unisexes.
Mais la présence humaine sur
cette terre, n’est-elle pas ce méthodique assassinat de l’âme ? L’âme de
la nature, l’âme du passé, l’âme secrète de chacun…
Quant à ceux qui se croient
supérieurs, il faudrait leur expliquer que la seule supériorité est de savoir
sortir du jeu, quitter la scène où tout le monde joue faux, tiraillé par la
peur de manquer et la panique de la mort… »
Chacun de nous, dans sa
quête, peut devenir une fondation à lui seul et c’est ainsi, de proche en
proche, que l’humanité connaîtra l’Alternaissance.
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