jeudi 7 mars 2019

Au-delà des frontiéres, Andreï Makine, Grasset


Au-delà des frontiéres, Andreï Makine, Grasset




« Les paroles interdites, c’est de l’eau qui bout. On a beau presser le couvercle, un jour, la marmite explose… »



L’islam conquérant et dangereux ? Pas du tout ! expliquait-elle. Une réaction naturelle des peuples face à l’impérialisme américano-sioniste ! La déferlante migratoire qui dévaste l’Europe ? Non, juste le prévisible retour de bâton contre les anciens colonisateurs ! L’impossibilité de créer une civilisation viable avec ce pot-pourri multiethnique ? Au contraire, c’est le creuset d’une ère nouvelle, la matrice d’un homme qui rejettera les chimères nationalistes.



Elle lui apprenait la terminologie antiraciste, la phraséologie des droits de l’homme, le vocabulaire du multiculturalisme.



Ce qui partait en fumée c’était leur grammaire de mensonges qui avait si longtemps tenu la France en otage.




A force d’exalter la « diversité », elle et ses amis avaient livré le pays aux hordes barbares.



« people », penseurs télégéniques, starlettes décérébrées, footballeurs milliardaires… Cette caste futile côtoie des femmes voilées et des hommes barbus auxquels se mêlent les promoteurs du multiculturalisme, ce « mélangisme » obsessionnel qui a toujours cohabité, dans ces « têtes pensantes », avec les revendications ethnicistes les plus effrénées.



Le Monde, rebaptisé Gloria Mundi, est devenu, à la stupéfaction générale, un excellent journal d’information. Ses collaborateurs en avaient les yeux exorbités – tant était grand l’ahurissement de ne plus faire de la propagande quotidienne.



 Le quartier est « multiculturel », un « brassage » que prônent les intellectuels et où ils ne viendront jamais habiter.



Les conversations, à l’« apéritif dînatoire », entrent en résonance avec Le Grand Déplacement, comme souvent quand un livre que nous venons de lire nous impose la texture de son temps et le rythme de ses phrases.
Son but suprême est l’intégration. Mais s’intégrer à quoi ? À cette bulle de bobos bien protégée des dérangements extérieurs ?



Tolérance, migrants, vivre-ensemble, multiculturalisme, art contemporain, pas d’amalgame… Cependant, on y sent une évidente fatigue verbale, un doute lancinant, la crainte d’une imminente démystification, d’une culpabilité bientôt établie.



Les bouches et les gazettes psalmodient des mantras humanistes mais les cerveaux savent que de moins en moins de naïfs se laissent berner. La lassitude du langage… »



La fréquence des suicides le prouve : pour tuer l’être social qu’on a fait de lui et dont il souffre, l’homme tue son être biologique…



Certains veulent quelque chose de tout. D’autres tout de quelque chose. Moi, je veux tout de tout ! »



Car j’étais le grand Onassis contraint à aimer les symboles voraces de la farce humaine et non pas les femmes aux beaux visages las, aux grands corps généreux, à la lenteur qui répondait à une mer assoupie… Je voulais avoir tout de tout et je crois l’avoir possédé, autant qu’un homme peut le faire. Sauf que maintenant, je découvre que ce tout n’est rien. Et que le vrai tout est du côté de la poissonnière dans sa robe détrempée, dans la senteur du thym sur son brasero, dans cet instant venant d’une vie divinement autre et que j’ai manquée. »



Car les races se sont toujours mélangées, ce qui avait l’avantage de nous éviter le dépérissement du génome.



Les Occidentaux s’amusent avec leur gestation pour autrui, alors que ces milliards veulent juste éviter de crever de faim.



Bien sûr, la productivité exterminatrice est maximale pendant la guerre. Mais dans les batailles, on tue un ennemi, on défend sa patrie. Tandis que dans nos paisibles sociétés civilisées, combien de meurtres sont perpétrés pour des raisons futiles ! Famille, bureau, intimité amoureuse sont des milieux hautement criminogènes où les faibles subissent une pression telle qu’ils en tombent malades ou se suicident.



Ce ne sont pas les faits qui provoquent en nous tel ou tel sentiment, mais ce sont les jeux de notre psychisme qui génèrent ces faits.



La psychanalyse prospère grâce à ce besoin de drogues passionnelles. Le psy aide le patient à s’inventer un passé chargé d’ambiguïtés, à se sentir profond, dédaléen, oui, à connaître le bon usage des stupéfiants que notre psychisme fabrique. »



Tel philosophe aime les Tartares, pour être dispensé d’aimer ses voisins », Rousseau.



Ces vies radieuses m’effraient – leur tranquille assurance, leur transparence, l’absence de la question : “À quoi bon ?”. Aller à un concert pendant que des milliers d’enfants sont déchirés par les bombes, en Irak ou en Syrie ? L’obscénité de cette orgie musicale sert à escamoter la guerre, à protéger le confort mental des bobos. Vous savez à quel point j’exècre les intégristes barbus, oui, vous le savez ! Mais je me demande si tout au fond de leur âme noire ne veille pas la flamme d’une impitoyable et cinglante envie de vérité. »



Jamais auparavant nous n’avons autant senti l’épaisseur de la masse humaine prête à nous sauter à la gorge pour défendre ses « acquis ».



Racisme et antiracisme, passéisme et révolution, laïcisme et fanatisme, cosmopolitisme et populisme sont deux moitiés d’une même scène où s’affrontent les acteurs, incapables de quitter ce théâtre.



Pour nous rassurer sur nos valeurs humanistes vermoulues, nous les enseignons aux autres.



Il croyait encore à la sincérité des convictions… La réalité est toute bête : un jeune qui choisit ce métier doit reformater son cerveau à la pensée autorisée. Et, plus tard, il a une famille à nourrir, une maîtresse, une résidence secondaire à payer… Donc obligé de mentir pour garder son temps d’antenne ou sa rubrique…



Les peuples faiblissent, se renient et sont écartés par ceux qui, encore, désirent désirer.



« S’il n’existe pas d’aptitudes raciales innées, comment expliquer que la civilisation développée par l’homme blanc ait fait les immenses progrès que l’on sait, tandis que celles des peuples de couleur sont restées en arrière, les unes à mi-chemin, les autres frappées d’un retard qui se chiffre par milliers ou dizaines de milliers d’années ? Claude Lévi-Strauss.



Hugo ne disait pas autre chose : “Le Blanc a fait du Noir un homme.” Aujourd’hui, pour ce bon mot, notre Victor national serait pendu haut et court. »



Au-delà de toute appartenance raciale, sociale ou religieuse, nous sommes définis par ce choix – s’endormir dans la masse ou bien refuser le sommeil.
La religion console les névrosés de la brièveté et du manque : ce qui ne peut pas être possédé ici-bas – est promis après la mort. Dans l’islam, la rétribution est tangible (soixante-dix vierges), les chrétiens se contentent d’un paradis anaphrodisiaque.



Cette partie de la ville est marquée par la « diversité », diraient les adeptes du métissage. « Par l’immigration africaine », rétorqueraient leurs opposants. La tante tient des propos teintés d’ironie : « Si mon cher époux m’avait dit que nous vivrions, un jour, entre une boucherie halal et une salle de prière salafiste, je l’aurais amené voir un psychiatre. »



C’est le nombre qui définit la rapidité de l’évolution – les immigrés sont d’abord un groupe, puis une communauté et, enfin, un peuple. Et les deux peuples peuvent rester en paix mais aussi se déclarer une guerre…



Comme tant d’autres, elle croyait inimitable le destin qu’elle se fabriquait avec les éléments les plus prisés par la société : aventures tiers-mondistes, progressisme sociétal, libertinage multiethnique… Mais, très vite, elle s’est vue mal profilée pour notre époque de vêtements et d’idées unisexes.



Mais la présence humaine sur cette terre, n’est-elle pas ce méthodique assassinat de l’âme ? L’âme de la nature, l’âme du passé, l’âme secrète de chacun…



Quant à ceux qui se croient supérieurs, il faudrait leur expliquer que la seule supériorité est de savoir sortir du jeu, quitter la scène où tout le monde joue faux, tiraillé par la peur de manquer et la panique de la mort… »



Chacun de nous, dans sa quête, peut devenir une fondation à lui seul et c’est ainsi, de proche en proche, que l’humanité connaîtra l’Alternaissance.

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