lundi 18 mars 2019

Une autre fin du monde est possible, Pablo Servigne, Raphaël Stevens, Gauthier Chapelle

Une autre fin du monde est possible, Pablo Servigne, Raphaël Stevens, Gauthier Chapelle


Une autre fin du monde est possible, Pablo Servigne, Raphaël Stevens, Gauthier Chapelle





Le but de la collapsologie n’est pas d’énoncer des certitudes qui écrasent tout avenir, ni de faire des pronostics précis, ni de trouver des « solutions » pour « éviter un problème », mais d’apprendre à vivre avec les mauvaises nouvelles et avec les changements brutaux et progressifs qu’elles annoncent, afin de nous aider à trouver la force et le courage d’en faire quelque chose qui nous transforme, ou, comme dirait Edgar Morin, nous métamorphose.

Psychologue Carolyn Baker, « en plus de vous demander ce que vous pouvez faire, demandez-vous aussi qui vous pouvez être  ».

Collapsosophie » (« sophie » = sagesse) l’ensemble des comportements et des positionnements qui découlent de cette situation inextricable (des effondrements qui ont lieu et d’un possible effondrement global) et qui sortent du strict domaine des sciences.

Est-ce que nous continuons à nourrir des rêves d’escapade ou est-ce que nous nous mettons en route pour chercher un territoire habitable pour nous et pour nos enfants ?

On rejoint ici le concept de « solastalgie  », ce malaise et cette peine liés au souvenir d’un lieu de vie (territoire et écosystème) détruit ou dégradé  . Ce sentiment de désolation est, par exemple, fréquemment ressenti par les migrants..

Camille Parmesan, chercheuse au statut international, spécialiste des effets du climat sur la biodiversité, également corédactrice des rapports du GIEC, à se déclarer publiquement « en dépression professionnelle ». 


Les émotions constituent le « chaînon manquant dans une communication efficace. Il faut les exprimer !

Informer des mauvaises nouvelles le plus sereinement et objectivement possible, pour que chacun et chacune arrive à agir au mieux.

Les postures gênantes sont donc le pessimiste-moins (= le boulet ; « Tout est foutu ! ») et l’optimiste-moins (= l’autruche ; « Arrêtez avec vos mauvaises nouvelles ! »).

L’espoir passif se résume par : « J’ai l’espoir de la voir revenir », ce à quoi l’espoir actif lui répond : « Alors va la chercher ! »

Václav Havel, « l’espoir n’est certainement pas la même chose que l’optimisme. Ce n’est pas la conviction que quelque chose se passera bien, mais la certitude que quelque chose a du sens, indépendamment de la façon dont cela se termine ».

Autrement dit, si nous attendons de tout savoir avec la plus grande objectivité avant d’agir, nous serons condamnés à assister impuissants au déroulement de l’Anthropocène depuis les fenêtres des paisibles laboratoires.

Edgar Morin : « Voilà ce qu’est l’histoire : des émergences et des effondrements, des périodes calmes et des cataclysmes, des bifurcations, des tourbillons, des émergences inattendues. Et parfois, au sein même des périodes noires, des graines d’espoir surgissent. Apprendre à penser cela, voilà l’esprit de la complexité.»

Tom Dedeurwaerdere propose de passer de l’interdisciplinarité à la transdisciplinarité. Il faut deux ingrédients de plus : ouvrir la pratique scientifique aux milieux non-scientifiques, et y inclure une éthique. Il s’agit non seulement d’arrêter de considérer la science comme « neutre », mais aussi de formuler des questions de recherche avec les acteurs de la société (monde politique, associatif, militant, etc.), collecter et analyser des données avec ces mêmes acteurs, et enfin appliquer les conclusions avec et pour la société. Plus un problème est contesté (ou pernicieux), plus la transdisciplinarité est justifiée 

Les territoires des peuples autochtones accueillent moins de 4 % de la population mondiale pour environ 80 % de la biodiversité planétaire.

Pour l’écrivain et professeur de sciences environnementales David Orr, la « crise [planétaire] s’est produite au moment et à l’endroit où le lien entre la connaissance, les moyens de subsistance et le fait de vivre a été cassé, et la connaissance a été utilisée dans le seul but d’augmenter la productivité  ».

Il ne suffit plus alors de demander à des scientifiques de chercher des « solutions optimales » (rationalité substantive), il faut créer un « processus visant à trouver des solutions communes et satisfaisantes » (rationalité procédurale).

il n’est pas […] nécessaire d’abandonner la rationalité pour ajouter des sentiments à la froide connaissance. Pour l’écrivain et professeur de sciences environnementales David Orr, la « crise [planétaire] s’est produite au moment et à l’endroit où le lien entre la connaissance, les moyens de subsistance et le fait de vivre a été cassé, et la connaissance a été utilisée dans le seul but d’augmenter la productivité 236 ».

Comme l’explique Arturo Escobar, « il n’y a pas d’individus, il y a des personnes en relation continue avec l’ensemble du monde humain et non-humain 260

Entraidologie

Les animaux, les arbres, les champignons et les microbes ne sont pas des êtres passifs, ce sont de redoutables politiciens. Ce sont même des paysagistes, et même des activistes, car ils transforment la terre depuis des millions d’années, contribuant à former et à maintenir la zone critique, ce minuscule espace de vie commun sur lequel nous vivons, et dans lesquels nous puisons sans relâche.

Comment faire du lien et donner du sens à nos vies et à notre époque.

S’engager dans ce monde changeant et imprévisible passe par la nécessité d’explorer, sortir des ornières, découvrir, expérimenter, défricher, se tromper, transgresser, oser, faire des ponts. C’est le propre d’un mycélium de champignon.

Le problème de notre société est qu’elle se trouve sous l’emprise d’une puissante culture qui ne jure que par l’individu et la compétition.

« Ainsi, ce qu’on sème, par le classement, c’est : chez les premiers, la vanité, la présomption, le mépris des inférieurs, l’arrivisme quand même ; chez les derniers, l’envie, le découragement, le dégoût de l’effort, la résignation. »

Notre société passe progressivement (et il est grand temps de le faire !) d’un « pouvoir sur » à un « pouvoir avec ».

C’est l’idée principale de Janine Benyus, la fondatrice du biomimétisme moderne  : s’inspirer des « Principes du Vivant » (qui assurent le fonctionnement des écosystèmes et des autres espèces) pour améliorer nos « défauts de conception ».

Et c’est cette circularité qui fait aussi de la mort un autre principe du vivant ! Nous sommes vivants parce que d’autres sont morts ; et en mourant, nous permettons à certains de vivre. La mort (évidemment associée à la reproduction et donc à la renaissance) est aussi la meilleure manière de constamment créer de la nouveauté, afin de s’adapter au milieu changeant.

Een permettant aux arbres de se connecter entre eux et de s’échanger des nutriments (des plus forts vers les plus faibles), ces champignons forment un immense réseau de redistribution très efficace qui ressemble furieusement à nos principes d’allocations familiales et de sécurité sociale… 400 millions d’années avant nous ! Cerise sur le gâteau, cette solidarité à grande échelle entre espèces se réalise sans conseil d’administration ni ministre de la Cohésion sociale, c’est-à-dire sans organisation hiérarchique pyramidale.

« Une chose est juste lorsqu’elle tend à préserver l’intégrité , la beauté et la stabilité de la communauté biotique. Elle est injuste lorsqu’elle tend à l’inverse . »

« En raison de leur capacité à vivre pendant des millénaires – dans le cas de certains systèmes racinaires du peuplier faux-tremble , plus de 100 000 ans – leurs réseaux neuronaux peuvent, certainement dans de nombreux cas, dépasser de loin les nôtres. Les systèmes de racines de peuplier faux-tremble peuvent se propager jusqu’à 40 hectares de sol, créant un réseau de neurones considérablement plus grand que tout autre humain ayant jamais vécu. »

Terr’eveille, Travail qui Relie

Malgré notre formation scientifique (et plutôt antireligieuse), il nous est arrivé au cours de nos expérimentations « sauvages » d’avoir contacté un ressenti similaire : profond sentiment d’humilité et de respect, frissons de plénitude, sérénité, confiance, ouverture, simplicité évidente et retrouvée, etc. …/ Ce sentiment d’être en contact avec quelque chose de plus grand est ce que nous nous aventurons à nommer le « sacré ».

La spiritualité est une « réalité plus fondamentale et universelle que les religions ».

« L’adulte initié devient un novice au service de son âme et apprend l’art d’apporter son talent spécifique au monde»

Comme les « premiers » pas de l’initié dans son nouveau monde sont hésitants et risqués – car ils transforment l’être tout entier – cette métamorphose a un besoin vital de confiance et d’approbation de « vrais » adultes, des anciens. Mais où sont-ils ?

La démarche scientifique, pour Bacon, s’apparente donc à un interrogatoire de sorcière : il faut la forcer à nous livrer ses secrets. Voilà une ombre terrible pour la science moderne, que l’on s’est bien gardé de nous enseigner dans nos cours de philosophie.

Pour se développer confortablement, le capitalisme a eu besoin de plusieurs conditions : se débarrasser d’une vision trop personnifiée de la nature (en effet, comment tuer ou violer sa propre mère nourricière ?), détruire l’autonomie des communautés villageoises (les vieilles femmes étaient souvent celles qui guérissaient, aidaient aux accouchements et aux avortements), s’accaparer les terres paysannes (par les enclosures : l’abolition des droits coutumiers de gestion

Le patriarcat a imposé l’idée que le féminin était l’apanage exclusif des femmes, autrement dit que les émotions, le soin ou la vie intérieure, par exemple, ne pouvaient pas se trouver chez un homme, un « vrai ».

De même, les femmes n’étaient pas supposées faire étalage de qualités perçues comme masculines (donc de leur masculin), telles que le raisonnement, l’action, la capacité à défendre un territoire, l’agressivité, etc.

Qui sait nommer les plantes qui poussent sur le trottoir d’en face, ou dire quand aura lieu la prochaine phase de lune descendante ? Qui est capable de localiser cinq espèces de champignons vivant dans les environs ? Quelles espèces d’oiseaux migrateurs avez-vous déjà vues cette année ? À quand remonte la dernière fois où vous avez parlé à un arbre ? Plongé votre corps dans une eau non chlorée ? Pris un insecte dans votre main ? Dormi à la belle étoile ? Si, comme beaucoup, vous ne savez pas répondre à la plupart de ces questions, vous vivez peut-être ce que l’écologue et écrivain Robert M. Pyle, nomma en 1993 l’« extinction de l’expérience » ou la perte des liens directs et réguliers avec le monde vivant . Mais la perte de ces liens n’est pas qu’une question philosophique, c’est aussi une question de santé.


Mais peut -on encore ralentir, ou même stopper cette avancée de la domestication ? N’est-il pas temps d’envisager un grand mouvement féral, assumé, offensif et puissant de « réensauvagement » des mondes ?

Au-delà des petits gestes écologiques de la vie quotidienne, le sauvage se trouve être un lieu de guérison pour nos psychés et nos corps malades, en permettant d’accéder plus facilement à l’essentiel : paix intérieure, sens de la vie, conscience accrue de soi, des autres et de l’environnement, meilleure perception des capacités physiques, etc. Ce que les psychiatres et psychologues nomment la wilderness therapy a démarré dans les années 1990 (principalement pour les adolescents ), et a pris un essor considérable. À quand des « doses de sauvage » remboursées par la sécurité sociale ?

Sortir de notre tête (la raison), et de recontacter notre corps (l’intuition).

De nombreux penseurs, rappelle le philosophe et vétéran de la guerre d’Irak, Roy Scranton […] ont fait valoir que philosopher, c’est apprendre à mourir. Si cela est vrai, alors nous sommes entrés dans l’âge le plus philosophique de l’humanité – car c’est précisément le problème de l’Anthropocène. Le problème est que maintenant nous devons apprendre à mourir non pas en tant qu’individus , mais en tant que civilisation.

Cela ne signifie pas que nous faisons de la raison une ennemie (au contraire, elle est nécessaire), mais pour entamer un virage (ou une descente en vue d’un atterrissage), il faut arriver à dire et assumer que nous avons aussi besoin d’une vie spirituelle, éthique, artistique et émotionnelle bien plus riche !

« science sans âme… n’est que conscience des ruines », sortir de notre tête (la raison), et de recontacter notre corps (l’intuition.

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