The Fontainheead, Ayn Rand
Il est bien
agréable, alors que la bêtise semble triompher dans tous
les domaines, de lire un roman qui exalte les vertus de
l'intelligence. Ce roman, qui s'est vendu à 6 millions d'exemplaires lors de sa
publication en 1943, est un roman culte aux États-Unis. Les Américains
auraient gagné à le relire avant d'aller voter mardi dernier. C'est un roman
qui pose la seule question qui vaille : "Pour quoi vivons-nous ?"
"- C'est là le sens de la
vie.
- La force ?
- Non, l'effort. "
On y suit sur une
quinzaine d'années le parcours de deux architectes. L'un, Peter Keating, n'est
pas très talentueux mais très ambitieux ; l'autre, Howard Roark, est au
contraire très doué, mais beaucoup trop novateur pour son époque. Alors que
Keating sort major de son école, Roark en est renvoyé avant d'obtenir son
diplôme, pour avoir refusé une fois de trop d'exécuter des dessins inspirés de
l'architecture classique. Nous sommes à New-York dans les années 20, une
ville moderne sort de terre, mais le goût du public est plus tourné vers le
passé que vers l'avenir. Keating va intégrer l'un des plus gros cabinets
d'architectes de la ville et connaître une réussite fulgurante, n'hésitant pas
à commettre les pires bassesses pour obtenir tous les chantiers et se
voir un jour décerner le titre de meilleur architecte du pays. Au
contraire, Roark va travailler pour un petit architecte qui connut son heure de
gloire trente ans plus tôt, avant que ses projets beaucoup trop originaux ne
soient taxés d'orgueilleux et jetés au rebut. Roark va rencontrer les pires
difficultés pour arriver à vendre ses projets et les faire construire.
Pourtant, à l'inverse de Keating, il n'est prêt à aucun renoncement et à aucune
compromission. Il reste inflexible et suit sa route, convaincu de son talent.
"Être intègre, c'est être capable
d'agir selon ses idées, ce qui présuppose la capacité de penser."
Parce qu'il est à
la fois talentueux et insensible à l'opinion du vulgus pecus, Roark
va subir les pires avanies. En un sens, il commet un péché d'orgueil, non pas
en voulant s'égaler aux dieux comme Prométhée, mais en essayant juste
d'être lui-même et de donner le meilleur de son art sans se soucier de
quémander l'avis et la reconnaissance d'autrui. Keating, malgré tous ses
succès, est hanté par une seule question : suis-je vraiment un grand
architecte ? ai-je vraiment du talent ? Cette question, il la pose à tous ceux
qui comptent, y compris à Roark, sachant bien que la réponse est : non. Cette
question, Roark ne se la pose jamais, l'opinion d'autrui n'a aucune valeur à
ses yeux, ni la moindre incidence sur son travail. Il ne construit pas pour plaire mais pour exprimer ce qu'il est
avec le don qui est le sien. Il ne sait ni mentir ni
tricher ni faire autre chose que ce pour quoi il est fait. Je ne sais pas
trop si j'aime ou non Howard Roark, mais je l'admire. J'admire non son talent,
qui est un don du ciel, mais la façon dont il l'emploie. J'admire son
intransigeance, son refus absolu de tout compromis. J'admire son exigence. Bien
sûr, un homme tel que Roark n'existe pas, ne peut pas exister ; il a pour
fonction romanesque d'incarner une sorte d'idéal à atteindre : le héros
qui reste fidèle à lui-même quoiqu'il arrive.
"L'œuvre créée expliquait
celui qui l'avait conçue, celui qui, en imprimant sa forme à l'acier,
s'exprimait lui-même."
A travers ces deux
personnages, Rand oppose deux idées de l'art : singularité contre conformisme,
talent contre médiocrité, originalité contre mimétisme, classicisme contre
modernité. Il y a celui qui n'est préoccupé que de sa réussite (et vit pour le
regard des autres) et celui qui ne vit que pour son art et se contrefiche de
l'opinion d'autrui, quitte à en payer le prix fort. La rivalité entre ces
deux hommes est orchestré par trois autres personnages : Ellsworth
Toohey, critique d'art à la plume vénéneuse, Dominique Francon, belle
journaliste riche et blasée, et Gail Wynand, patron de presse sans
scrupule, trois personnages qui incarnent trois façons d'utiliser son talent
personnel, et qui montrent surtout l'influence de la presse sur l'opinion
publique. Rand décrit très cyniquement le pouvoir des
médias pour créer ou démolir une réputation, tant il est facile pour
la presse de manipuler l'opinion de ceux qui n'en ont
pas parce qu'ils se refusent à penser par eux-mêmes. Elle montre
aussi comment, dès qu'il a acquis une renommée, un artiste peut créer à peu
près n'importe quoi. Et, d'une certaine manière, Rand oppose les artistes aux
critiques, les créateurs aux commentateurs, les producteurs aux
profiteurs. Tout ce qu'elle écrit au sujet de l'architecture pourrait
d'ailleurs intégralement s'appliquer à la littérature.
"Mais peu d'entre nous comprennent
que construire est un symbole. Nous vivons par la pensée, et l'existence n'est
rien d'autre que l'opération qui consiste à donner à cette vie de l'esprit une
réalité physique, à la traduire en actes et en formes."
Il y a quelque
chose d'Édith Wharton dans
la façon dont Ayn Rand se moque de la haute société new-yorkaise, de son
snobisme, de sa futilité, de son incapacité à exprimer une opinion personnelle.
Mais son propos est bien plus profond, ce n'est pas seulement une critique
sociale mais une réelle analyse philosophique. Rand exprime ce que devrait être
une véritable oeuvre d'art : l'expression la plus complète de la personnalité
de celui qui l'a conçue, au-delà des modes, au-delà des opinions communément
admises sur le beau, au-delà du jugement critique et du goût moyen :
l'expression d'une singularité. Mais son propos dépasse largement la question
artistique. L'architecture ici est une allégorie de la vie humaine. Notre vie
est notre principale création, nous dit Rand. A nous de savoir si voulons en
faire quelque chose d'unique en laissant jaillir la source vive qui pulse en nous, ou si
nous préférons devenir les clones de ceux qui semblent avoir toutes les
certitudes mais ne recherchent que le pouvoir.
Rand défend l'idée
que ce sont toujours les médiocres qui rêvent d'égalité parce que ce
nivellement rendra acceptable leur propre manque de talent."Disons que
nous sommes des taupes et que nous ne pouvons supporter des pics neigeux." Le critique Toohee ne fabrique pas des médiocres, mais
exalte leur médiocrité aux yeux d'un public qui n'a de toute façon aucun
courage pour penser par lui-même. Il grandit ce qui est petit et rabaisse ce
qui est grand. C'est un manipulateur qui trouve son pouvoir dans cette mise en
avant des médiocres qui n'aiment rien tant qu'on leur dise qu'ils ne le sont
pas. Quand on est trop dépendant du jugement d'autrui, on en devient
esclave. La question centrale du roman est donc : pourquoi construit-on ?
Pourquoi crée-t-on ? Pour soi ou pour autrui ? Pour le plaisir de créer une œuvre,
quelle qu'elle soit, ou pour la reconnaissance sociale et publique que l'on
peut en espérer?
Roman sur l'art,
roman sur la création, roman d'amour et d'amitié, roman d'une grande actualité
à l'heure où le médiocre, le laid et le vulgaire règnent partout, ce roman est
fabuleux par la profondeur psychologique des personnages, par l'intelligence
des dialogues, par les retournements romanesques auxquels on assiste
et surtout par les thèmes qu'il déploie, sans jamais ennuyer son lecteur. Je
trouve surtout que c'est un roman qui donne une force incroyable, en ce sens
qu'il montre qu'il faut savoir résister à la pression sociale, ne pas se
soumettre à l'opinion d'autrui, défendre sa singularité et s'efforcer de
toujours utiliser son cerveau pour comprendre le monde, et se forger une
opinion personnelle.
"Lorsque vous cessez d'avoir un
jugement indépendant, vous n'avez plus conscience de vous-même et vous ne vivez
plus. De tels êtres n'ont plus de réalité, car leur réalité n’est plus en
eux-mêmes, mais quelque part dans cet espace qui sépare un individu d'un
autre."
Du même auteur
: La Grève (Atlas Shruged) …que j’ai dévoré aussi
Titre original :
The Fountainhead.
Traduit de
l'anglais (États-Unis) par Jane Fillion.
Éditions Plon,
1997 (1e éd. 1943), 696 p.
Titre original :
The Fountainhead.
Traduit de
l'anglais (États-Unis) par Jane Fillion.
Éditions Plon,
1997 (1e éd. 1943), 696 p.
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