Le système ne changera pas le cours de son évolution, pour la bonne
raison qu’il n’évolue déjà plus ; il s’organise seulement en vue de durer
encore un moment, de survivre. »
Le
système ne changera pas le cours de son évolution, pour la bonne raison qu’il
n’évolue déjà plus ; il s’organise seulement en vue de durer encore un moment,
de survivre. Loin de prétendre résoudre ses propres contradictions, d’ailleurs
probablement insolubles, il paraît de plus en plus disposé à les imposer par la
force, grâce à une réglementation chaque jour plus minutieuse et plus stricte
des activités particulières, faite au nom d’une espèce de socialisme d’État,
forme démocratique de la dictature.
On a
dit parfois de l’homme qu’il était un animal religieux. Le système l’a défini
une fois pour toutes un animal économique, non seulement l’esclave mais
l’objet, la matière presque inerte, irresponsable, du déterminisme économique,
et sans espoir de s’en affranchir, puisqu’il ne connaît d’autre mobile certain
que l’intérêt, le profit.
Ainsi,
le progrès n’est plus dans l’homme, il est dans la technique, dans le
perfectionnement des méthodes capables de permettre une utilisation chaque jour
plus efficace du matériel humain.
Loin
de penser comme nous, à faire de l’État son nourricier, son tuteur, son
assureur, l’homme d’autrefois n’était pas loin de le considérer comme un
adversaire contre lequel n’importe quel moyen de défense est bon, parce qu’il
triche toujours
On se
moque des gens simples qui parlent volontiers des nations comme de personnes,
mais ce sont les gens simples qui ont raison. Les gens simples simplifient,
quoi de mieux ? Ils ne simplifient pas évidemment de la même manière que le
génie, mais qu’importe ? Oh ! sans doute, la vie d’un peuple n’est pas moins
pleine de contradictions que celle du premier venu, et les curieux gaspillent
beaucoup de temps et d’ingéniosité à en faire le compte, ou même à en découvrir
d’imaginaire
L’invasion
de la Machinerie
a pris cette société de surprise, elle s’est comme effondrée brusquement sous
son poids, d’une manière surprenante. C’est qu’elle n’avait jamais prévu
l’invasion de la Machine
; l’invasion de la machine était pour elle un phénomène entièrement nouveau. Le
monde n’avait guère connu jusqu’alors que des instruments, des outils, plus ou
moins perfectionnés sans doute, mais qui étaient comme le prolongement des
membres. La première vraie machine, le premier robot, fut cette machine à
tisser le coton qui commença de fonctionner en Angleterre aux environs de 1760.
Les ouvriers anglais la démolirent, et quelques années plus tard les tisserands
de Lyon firent subir le même sort à d’autres semblables machines. Lorsque nous
étions jeunes, nos pions s’efforçaient de nous faire rire de ces naïfs ennemis
du progrès. Je ne suis pas loin de croire, pour ma part, qu’ils obéissaient à
l’instinct divinatoire des femmes et des enfants.
Que
fuyez-vous donc ainsi, imbéciles ? Hélas ! c’est vous que vous fuyez,
vous-mêmes – chacun de vous se fuit soi-même, comme s’il espérait courir assez
vite pour sortir enfin de sa gaine de peau… On ne comprend absolument rien à la
civilisation moderne si l’on n’admet pas d’abord qu’elle est une conspiration
universelle contre toute espèce de vie intérieure. Hélas ! la liberté n’est
pourtant qu’en vous, imbéciles !
Mais la Machinerie est-elle une
étape ou le symptôme d’une crise, d’une rupture d’équilibre, d’une défaillance
des hautes facultés désintéressées de l’homme, au bénéfice de ses appétits ?
Voilà une question que personne n’aime encore à se poser. Je ne parle pas de
l’invention des Machines, je parle de leur multiplication prodigieuse, à quoi
rien ne semble devoir mettre fin, car la Machinerie ne crée pas seulement les machines,
elle a aussi les moyens de créer artificiellement de nouveaux besoins qui
assureront la vente de nouvelles machines. Chacune de ces machines, d’une
manière ou d’une autre, ajoute à la puissance matérielle de l’homme,
c’est-à-dire à sa capacité dans le bien comme dans le mal. Devenant chaque jour
plus fort, plus redoutable, il serait nécessaire qu’il devînt chaque jour
meilleur. Or, si effronté qu’il soit, aucun apologiste de la Machinerie n’oserait
prétendre que la Machinerie
moralise. La seule Machine qui n’intéresse pas la Machine , c’est la Machine à dégoûter l’homme
des Machines
La
société où ils étaient entrés le jour de leur naissance a passé presque sans
transition de la vitesse d’une paisible diligence à celle d’un rapide, et
lorsqu’ils ont regardé par la portière, il était trop tard : on ne saute pas
d’un train lancé à 120 km
sur une ligne droite.
Ce
n’étaient pas des injustices et des crimes indéterminés, anonymes, auxquels
s’associent secrètement, honteusement, des milliers d’obligataires ou
d’actionnaires…
Quand
toutes les choses peuvent se faire, il n’est pas nécessairement vrai qu’elles
sont toutes possibles.
Les
imbéciles sont capables de discuter indéfiniment sur n’importe quelle question,
mais ils se garderont bien de la poser d’une telle manière qu’ils soient forcés
d’y répondre…
Un
monde dominé par la Force
est un monde abominable, mais le monde dominé par le Nombre est ignoble. La Force fait tôt ou tard
surgir des révoltés, elle engendre l’esprit de Révolte, elle fait des héros et
des Martyrs. La tyrannie abjecte du Nombre est une infection lente qui n’a
jamais provoqué de fièvre. Le Nombre crée une société à son image
Le
dictateur n’est pas un chef. C’est une émanation, une création des masses.
C’est la Masse
incarnée, la Masse
à son plus haut degré de malfaisance, à son plus haut pouvoir de destruction.
"Si le monde est menacé de mourir de sa machinerie,
comme le toxicomane de son poison favori, c’est que l’homme moderne demande aux
machines, sans oser le dire ou peut-être se l’avouer à lui-même, non pas de
l’aider à surmonter la vie, mais à l’esquiver, à la tourner, comme on tourne un
obstacle trop rude."
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